LADDH : Déclaration liminaire
Déclaration liminaire
Les informations qui nous sont parvenues ces quinze derniers jours font état d’une situation d’émeute et de répression féroce de la part des forces de l’ordre sur des populations civiles non armées.
En effet, des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre dans les wilayates d’Ain Defla, de Saida, de Béjaïa, de Bouira, de Sétif et de Tizi-Ouzou ont fait, en quinze jours, six morts, dont deux adolescents de moins de 18 ans, et des dizaines de blessés dont certains ont été atteints par balles réelles et seraient toujours dans un état grave.
Les forces de l’ordre ont opéré des expéditions punitives, saccageant commerces et voitures de particuliers, viols de domiciles suivis d’actes de représailles sur des passants, utilisant des armes blanches pour réprimer des jeunes, plongeant ainsi des villages entiers dans une sorte d’Etat d’exception et de couvre feu où tout citoyen qui se risque de nuit comme de jour dans les rues, est passé à tabac puis arrêté.
En quinze jours d’affrontements, plus de deux cents arrestations ont été opérées dont certaines sont ciblées et arbitraires. Des arrestations ont été suivies de condamnations à des peines allant de 4 mois à 1 ans d’emprisonnements ferme. Contre certains d’entre eux, dix-huit chefs d’inculpations ont été retenus. Cette chasse aux manifestants s’est déroulée sous forme de rafles nocturnes avec des hommes armés et cagoulés à bord de voitures banalisées. La situation risque de s’aggraver d’autant plus que 400 mandats d’arrêts auraient été lancés contre des animateurs des » comités citoyens » des différentes localités de Tizi-Ouzou, Béjaïa, Bouira et Sétif.
La révolte dure maintenant depuis un an et elle est loin d’être cantonné à la seule Kabylie puisqu’elle a touché plus d’une vingtaine de départements à travers l’Algérie. Ces manifestations de rue ont fait à ce jour plus de 80 exécutions arbitraires, plus de 5000 blessés dont 2000 handicapés et des milliers d’arrestations suivies de mauvais traitements, tortures et détentions arbitraires. Cette situation qui touche toutes les franges de la société et notamment les plus jeunes est une conséquence directe de l’absence d’Etat de droit et de » la mal gouvernance » de l’Etat Algérien.
Ces mouvements de protestations de rue sont aussi une conséquence du climat d’impunité qui a prévalu ces dernières années en Algérie. À ce jour, les auteurs de violations des droits de l’Homme, notamment, les gendarmes, policiers, GLD et militaires qui sont clairement identifiés comme étant responsables d’exécutions, de tortures, de vols et de destructions de bien privés, depuis avril 2001 ne sont pas inquiétés. Ce sont plutôt des citoyens qui, aujourd’hui, se retrouvent arrêtés et poursuivis par la justice. Ces faits risquent d’accentuer encore plus la fracture existante entre la population et les autorités et ne peuvent qu’encourager de nouvelles violences et de nouveaux affrontements entre les citoyens et les forces de l’ordre qui utilisent une violence, qui n’est ni strictement nécessaire ni conforme au principe de proportionnalité, risque d’entraîner d’autres mort sur les populations civiles.
De par ces violations au droit à la vie, le pouvoir algérien a violé les articles 2 et 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, les articles 2, 4, 6 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et n’a pas respecté le droit à la vie des personnes âgées de moins de 18 ans qu’on retrouve expressément énoncé dans l’article 6 de la Convention relative aux droits de l’enfant.
De plus, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, au paragraphe 2 de son article 4, et le principe 8 des principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois, adopté par le Huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants, tenu à la Havane (Cuba) du 27 août au 7 septembre 1990, dispose qu’aucune circonstance exceptionnelle, comme l’instabilité de la situation politique intérieure ou tout autre état d’urgence, ne peut être invoquée pour justifier une quelconque dérogation au droit à la vie et à la sécurité de la personne. La reconnaissance générale du droit à la vie de chacun dans les instruments internationaux susmentionnés constitue la base de l’action du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires .
La Ligue Algérienne de Défense des Droits de l’Homme (LADDH) lance un appel urgent au rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires sommaires ou arbitraires pour que celui-ci intervienne, selon son mandat, en urgence et prenne toutes les mesures nécessaires en vue de prévenir de nouvelles violations du droit à la vie.
La LADDH appelle aussi, la Commission des droits de l’homme à :
· Faire en sorte que le Rapporteur spécial assure le suivi les 82 exécutions arbitraires déjà transmises par la LADDH en novembre 2001 ainsi que sur les 7 dernières, selon les termes de la résolution de la Commission des droits de l’Homme 1996/76
· Soutenir les demandes de visites en Algérie des Rapporteurs spéciaux sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, le Rapporteur spécial sur les détentions arbitraires, le Rapporteur spécial sur la torture et le groupe de travail sur les disparitions forcées.
· Faire en sorte que le gouvernement algérien cesse de réprimer les populations civiles, respecte ses engagements internationaux, notamment la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Pacte International relatif aux droits civils et politiques, le Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Convention relative aux droits de l’enfant, et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Alger, le 02 avril 2002