La France et la politique d’éradication algérienne

La France et la politique d’éradication algérienne

Hamid Lamine, Colloque d’AIRCRIGE, La Sorbonne, juin 2001.
Thème du colloque : Responsabilités françaises dans les conflits en Afrique.

L’actuelle crise algérienne a eu pour prémisse la démission du premier ministre Mouloud Hamrouche le 5 juin 1991. Celle-ci a été favorablement commentée par l’hebdomadaire du Parti Socialiste, qui a accompagné l’éditorial consacré à cet épisode de la photo d’un char prise au carrefour de la Grande Poste [1] . La légende portait: « La voie est désormais ouverte à la démocratie »!

Le premier ministre réformateur venait d’être victime d’un coup d’Etat non avoué et fomenté par un groupe de civils et de militaires qui le soupçonnaient de se préparer à respecter les résultats des élections législatives, y compris en cas de victoire des islamistes indépendants des clans du pouvoir. Il était reproché à cette force montante de manquer de « modération », par opposition aux partisans du Cheikh Mahfoud Nahnah, qui n’étaient pas moins attachés à la Charia, mais que les adversaires de l’alternance appréciaient en raison de leurs bonnes relations avec les plus influents parmi les généraux.

La rédaction de Vendredi n’était pas sans savoir que M. Hamrouche avait découvert les vrais mobiles, et les limites, de l’aide apportée par l’Elysée à l’expérience démocratique algérienne. Il s’agissait pour des membres de l’entourage de Mitterrand d’aider par leurs conseils à empêcher le FIS de remporter aux prochaines élections législatives une victoire aussi éclatante que celle des municipales du 12 juin 1990 [2] . Cette aide comportait notamment le tracé d’une nouvelle carte électorale par des experts français du ministère de l’Intérieur [3] . Selon ce découpage sur mesure, il aurait fallu à un candidat du FIS, pour se faire élire, dix fois plus d’électeurs qu’à un candidat du FLN. Cela rappelait la composition de l’Assemblée Algérienne de 1948, où les délégués musulmans du deuxième collège, qui représentaient les neuf dixièmes de la population, n’étaient pas plus nombreux que ceux du premier collège, émanation de l’autre dixième constitué par les Européens.

Aide conditionnelle à la démocratie d’un ancien de la Françafrique.

Cette « aide liée » de la France à la jeune démocratie algérienne avait pour artisan l’ambassadeur Jean Audibert, un ancien animateur de la commission Tiers-Monde du PS devenu conseiller diplomatique à 1’Elysée. Après un passage par la « Françafrique » où il avait eu le loisir de substituer le réalisme de la « culture de gouvernement » à l’idéalisme du discours de Cancun, cette figure représentative de la « diplomatie socialiste » est arrivée à Alger en 1989. Audibert y est vite devenu une sorte de pro-consul qui influençait la vie politique algérienne grâce aux liens étroits avec des responsables comme le général Larbi Belkheir [4] .

Le parti-pris de l’ambassadeur était tel que son entourage recommandait aux journalistes français en visite à Alger d’aller s’instruire auprès de Saïd Sadi, le chef d’une micro-formation régionaliste qui a opté pour l’entrisme, et dont la création était le fruit d’une action concertée entre l’ambassade de France et L. Belkheir. Les jeunes diplomates de l’ambassade de France n’hésitaient pas à comparer ce dialecticien berbériste à P. Mendès-France et à R. Aron réunis. L’homme de confiance de Mitterrand a été jusqu’à oublier le devoir de réserve en donnant son point de vue sur les élections. Dans une déclaration remarquée à l’hebdomadaire Algérie-Actualités, il a en effet fait état de sa qualité de fils d’instituteur attaché à la laïcité et désireux de voir les électeurs algériens partager ses préférences [5] . De telles interventions ravivaient les souvenirs des financements, par le consulat de France à Constantine, de manifestants chargés de déployer, durant les émeutes d’octobre 1988, des pancartes hostiles à l’arabisation et favorables à la langue française [6] .

Le paternalisme de l’ambassadeur était assez conforme à la place accordée aux critères idéologiques et linguistiques dans l’action diplomatique française en Algérie. La primauté de ces considérations amenait le chroniqueur de Vendredi à être peu regardant sur les vraies raisons de l’éviction de Hamrouche. Il était surtout reproché à celui-ci de s’apprêter à accepter le verdict des urnes, et de ne pas exclure de composer avec un courant culturaliste jugé aussi dangereux pour l’influence française que le mouvement des Oulémas réformistes des années 30 [7] .

La nomination au poste de premier ministre de Sid Ahmed Ghozali, un technocrate presque exclusivement francophone et réputé « moderniste », avait de quoi rassurer les défenseurs de l’influence française en Algérie. Le premier ministre nommé par les militaires a reçu de Matignon un message dithyrambique de félicitations – dont la chaleur n’était peut-être pas sans rapport avec les financements dans les années 70 des « bureaux d’études » du PS par la Sonatrach, dont Ghozali avait été le PDG [8] .

Complaisance de la recherche para-universitaire.

L’indulgence française pour les militaires algériens avait pour origine la crainte irrationnelle des islamistes (laquelle résultait de la méfiance à l’égard de l’Islam), ainsi qu’un ersatz de reconnaissance pour les financements occultes. Elle a reçu une caution savante lorsqu’une équipe de politologues de Paris est rentrée d’Algérie avec un préjugé très favorable à l’armée algérienne. Après avoir passé une partie de l’été 1991 à faire des « enquêtes de terrain », ces « algérologues » occasionnels étaient persuadés que les généraux n’allaient plus jamais intervenir en politique [9] ! Grâce à l’audience qu’ont les politologues dans le monde politico-médiatique, leur parti-pris a durablement influencé une bonne partie des commentateurs de l’actualité algérienne. Ces enquêteurs contribuèrent à accréditer, en France et en Algérie, la thèse du déclin inéluctable du FIS, au vu du bilan contrasté de la gestion des municipalités par les islamistes [10] .

La France officielle bénit à l’avance l’annulation des élections.

Ces précédents dénotent un état d’esprit extrêmement favorable aux adversaires d’une véritable alternance en Algérie. D’où le bon accueil fait en France à la « démission » du président Chadli, et, surtout, à l’interruption du processus électoral.

L’ambassadeur de France à Alger a été mis dans la confidence par les artisans de cette périlleuse opération. Invité durant l’automne 1992 au cercle Bernard Lazare, J. Audibert a révélé que le président Chadli lui avait téléphoné le lendemain du premier tour des élections législatives du 26/12/1991, pour lui annoncer son intention de « cohabiter » avec les vainqueurs de ce scrutin. Le diplomate dit avoir exprimé ses doutes sur les chances de succès de cette cohabitation, malgré l’engagement de gouverner dans le cadre de la Constitution de 1989 pris par Abdelkader Hachani, le chef du FIS qui venait de frôler la majorité au premier tour. Ce qui excluait a priori la proclamation d’une « République Islamique ».

Mais J. Audibert a eu une réaction plus enthousiaste quand son ami L. Belkheir est venu lui annoncer, quelques jours plus tard, l’intention de ses pairs du collège des généraux d’annuler les résultats d’une élection pourtant qualifiée par le premier ministre de « propre et honnête ». L’ambassadeur a dû informer immédiatement F. Mitterrand d’une décision si lourde de conséquences. En dehors d’une demande concernant la sécurité de Chadli, le président socialiste a apporté sa caution au plan des généraux qui reçurent début janvier son émissaire, le général arabisant Philippe Rondot, pour lui communiquer les détails sur la création de la direction collégiale qui sera chargée de gérer l’état d’urgence. L’officier de renseignement a pris pour argent comptant les promesses des putschistes de mettre en pratique leur opération dans « le respect des droits de l’homme ». L’annonce de la nomination dans le Haut Comité d’Etat d’Ali Haroun, un avocat d’affaires qui avait été désigné ministre des droits de l’homme dans le gouvernement de Ghozali, lui paraissait être une garantie suffisante [11] .

C’est ainsi que la France a décidé de bénir à l’avance ce qu’un éditorialiste de gauche appellera, avec une singulière audace, le « coup d’Etat du soulagement »(sic).

Le caractère anti-constitutionnel de l’opération a été oublié sous l’effet des promesses d’en finir en quelques mois avec les radicaux du FIS qui réagiront par la violence. Une vision économiciste des problèmes algériens faisait escompter l’afflux de plusieurs milliards de dollars, qui auraient été versés par l’Europe pour servir à la relance de l’économie, comme une manière de reconnaissance à un régime qui se disait soucieux de sauver toute la région d’une « contagion fondamentaliste ».

Méfiance vis-à-vis de l’Islam et hostilité aux islamistes.

En France, les partisans du coup d’Etat s’employaient à répercuter les mêmes slogans en faisant état d’un « plan d’encerclement de l’Europe par l’intégrisme musulman » [12] . Ces explications vulgarisaient une sombre vision géopolitique que développe la recherche para-universitaire attachée au monopole des études sur l’Algérie. Elles rencontraient des échos dans une classe politique historiquement hostile à l’Islam et encline à assimiler à des islamistes la presque totalité des musulmans de Bosnie, où commençait déjà la meurtrière mise en pratique de la théorie du nettoyage ethnique. La brutale franchise de Claude Cheysson reflétait des points de vue fondés sur l’hostilité à l’Islam qui étaient largement partagés au sein de l’opinion: soutien aux généraux algériens supposés « républicains et modernistes » (malgré leur goût pour les coups d’Etat) et refus de condamner l’effrayante politique du nettoyage ethnique [13] .

Seuls V. Giscard d’Estaing et, hélas, J.-M. Le Pen ont clairement désavoué le coup d’Etat du 11 janvier 1992. La gauche a ainsi accepté de laisser le monopole de la défense de la démocratie en Algérie à une partie de la droite (l’autre partie n’ayant pas jugé utile de dénoncer publiquement) et, surtout, à l’extrême-droite. Ce qui a contribué à rendre suspecte, aux yeux d’un certain moralisme de gauche, toute protestation contre les violations des droits de l’homme dont étaient victimes les islamistes. A partir de ces choix à caractère idéologique, le conflit algérien a été présenté à l’opinion française comme un affrontement opposant de bons « démocrates » francophiles à de méchants fondamentalistes voulant promouvoir l’enseignement de l’anglais aux petits Algériens.

C’est sans doute pour essayer d’atténuer la fâcheuse impression qu’ont suscitée le désaveu public du coup d’Etat par des hommes de droite, et la connivence de la gauche avec les hommes forts d’Alger, que Mitterrand a accepté de prendre ses distances, par une litote. C’était à la fin de 1992, à un sommet européen présidé par la France. Mitterrand entendait tenir compte de la réprobation de ses pairs européens, plus qu’il ne désavouait une opération qu’il avait cautionnée à l’avance.

Expectative de la société civile.

Quant à la « société civile », elle a montré, à cette occasion plus que dans tous les autres cas, sa dépendance vis-à-vis des politiques, des experts appointés par les instituts de recherche para-universitaire. C’est ainsi que la Ligue des Droits de l’Homme s’est abstenue de condamner. Les « algérologues » évitaient de protester contre le coup d’Etat en soulignant « l’impréparation des Algériens à la démocratie ». Les moins timorés acceptèrent des concessions d’ordre idéologique pour tenir compte du courageux appel lancé l’année suivante par Mohamed Harbi en faveur d’un « compromis historique avec les islamistes ». L’attachement à la paix civile avant tout a mis cet historien probe et érudit en mesure de résister aux campagnes inouïes d’intoxication, et de s’interroger sur la grande facilité avec laquelle d’importants stocks d’armements étaient mis à la disposition des « Afghans » algériens. Il était en effet possible à tout observateur attaché à un quant-à-soi intellectuel de comprendre que les islamistes hostiles à l’aile démocrate du FIS étaient poussés à la faute par les putschistes désireux d’attirer l’attention sur les horreurs commises au nom du Coran pour mieux faire oublier l’aventurisme du coup d’Etat. Mais ces subtilités restaient le fait d’une poignée d’initiés.

Pour la plupart des observateurs, l’arrivée de Boudiaf a fait illusion. Car elle laissait croire que les putschistes allaient rapidement faire oublier les côtés répréhensibles de leur réaction par les résultats d’un assainissement de L’Etat mis sous l’égide d’un nationaliste de la première heure, qui avait préféré un exil prolongé aux compromissions. L’ouverture du procès du général Beloucif, qui avait été secrétaire général du ministère de la Défense sous Chadli, a fait passer un règlement de compte entre clans de l’armée pour un début de campagne de lutte contre la corruption. Malgré des révélations qui allaient très clairement dans le sens contraire et renseignaient sur les retombées de la corruption algérienne en France [14] , ces signaux ont facilement induit en erreur les intellectuels français.

Au cours d’un débat organisé par Radio-Beur juste après le 11 janvier 1992, le géographe Yves Lacoste s’est laissé aller à comparer Boudiaf à De Gaulle, et les détracteurs du coup d’Etat de 1992 à la gauche française de 1958 qui n’avait vu que les inconvénients des « treize complots du treize mai », perdant de vue les avantages du retour au pouvoir du général. L’erreur d’appréciation commise par ce brillant analyste en dit long sur l’égarement d’une bonne partie de l’intelligentsia française sur tout ce qui a trait à l’Algérie.

Personne n’a prêté attention au refus opposé par Boudiaf à la proposition de Ben Bella de juger Chadli. Le président du HCE, qui avait autant de raisons d’en vouloir au président démis, a prétexté « l’absence de preuves ». En fait, il ne faisait que tenir compte du refus de traduire Chadli en justice par les détenteurs du pouvoir réel, désireux de satisfaire les garanties exigées par F. Mitterrand concernant le président démis.

Indifférence française aux appels à l’aide de Boudiaf.

Boudiaf s’est aperçu des limites des velléités d’assainissement du système algérien quand il a découvert que ses tentatives de lutte contre la corruption butaient sur une sourde obstruction, opposée par ceux-là mêmes qui exploitèrent la permanence de ses sentiments patriotiques pour dissimuler leurs véritables intentions. L’officier qu’il avait chargé d’enquêter sur le commerce illégal a été assassiné. On apprendra que cette enquête mettait en cause des artisans de la destitution de Chadli qui étaient aussi les garants de l’influence française en Algérie. Le président du HCE a également découvert le manque d’empressement de Mitterrand à l’aider dans sa tâche. Celui-ci n’a pas donné suite à l’appel au secours du nouveau président, qui exprima son souhait de le rencontrer rapidement. Il semble que Bérégovoy ait accepté un début de coopération des polices en demandant à la brigade financière de dresser l’inventaire des avoirs de la Nomenklatura algérienne en France. Cette enquête progressait lentement quand C. Pasqua a décidé de l’interrompre en mars 1993 [15] .

Du bon usage des assassinats d’intellectuels.

Ceux qui approuvaient de bonne foi la politique répressive du HCE ont commencé à se poser des questions après l’assassinat de Boudiaf le 29 juin 1992. Mais la perte de la caution apportée par ce chef historique a été en partie compensée par la réprobation des assassinats d’intellectuels et de journalistes. La couverture médiatique de cette vague a été assurée par les réseaux entretenus par le colonel Zoubir. Grâce à l’action inspirée et financée par cet officier de renseignement préposé à la communication, et doté de grands moyens pour « vendre » le coup d’Etat aux opinions occidentales, le pouvoir illégitime a pu se faire admettre comme le rempart contre la « barbarie islamiste », à laquelle les communiqués officiels attribuaient systématiquement les meurtres de l’écrivain-journaliste Tahar Djaout, du dramaturge Abdelkader Alloula, du sociologue M’hamed Boukhobza, du professeur Djilali Liabès ou du pédiatre Belkhenchir, pour ne citer que ceux-là.

L’intelligentsia parisienne a réagi par la création du CISIA, le Comité International de Soutien aux Intellectuels Algériens, qui aura servi surtout à diffuser les appréciations de réfugiés algériens, souvent moins soucieux d’exactitude que d’auto-victimisation calculée, servant à obtenir des demi, voire des tiers de poste. Le plus « éradicateur » des premiers ministres, R. Malek, a félicité ce comité, sans doute en raison de l’efficacité avec laquelle il a diffusé les thèmes du colonel Zoubir. Selon des informations précises et jamais démenties par l’intéressé, l’espèce de super-ministère dirigé par cet officier de renseignement – qui a expérimenté les méthodes de conditionnement de l’opinion bien avant les experts de l’Otan durant la campagne du Kosovo du printemps 1999 – a pu mettre au service de sa propagande le directeur d’un hebdomadaire parisien souverainiste, qui s’est spécialisé dans le négationnisme en temps réel et le soutien à toutes les répressions menées par les dictatures nationalistes. Ce journal, capable de soutenir une thèse et son anti-thèse en fonction de ses seuls besoins financiers, aurait fait faillite s’il n’avait perçu d’importants subsides algériens [16] . La propagande de cette structure de manipulation a été servie également par un grand nombre d’universitaires algériens réfugiés en France, beaucoup moins bien rémunérés pour leur rôle d’informateurs de la recherche française sur l’Algérie et le Monde arabe contemporains, recherche qui produisait peu.

La télévision publique n’a pas été insensible aux effets de ces campagnes. Et il est arrivé aux chaînes de service public de programmer des émissions commandées par l’ambassade d’Algérie [17] .

Certains anciens porteurs de valises ont créé la revue Pour ! afin de soutenir l’éradication. Ils reconnaissent avoir été les invités du colonel Zoubir, et ne démentent pas les informations sur les aides financières apportées par le régime d’Alger à leur action [18] .

La propagande des éradicateurs en France.

C’est Saïd Sadi, le chef du petit parti berbériste soutenu ouvertement par l’ambassade de France à Alger, et Khalida Messaoudi, une ancienne militante féministe promue par l’ambassadrice Mme Audibert, qui ont été les plus actifs propagandistes en France. Le premier s’est vu offrir plusieurs voitures blindées par le ministre de la Défense du gouvernement Balladur [19] . La seconde a été consultée par le ministre de l’Education, F. Bayrou, sans doute désireux de remédier aux inconvénients du soutien mécanique de la mosquée de Paris à la circulaire interdisant aux collégiennes musulmanes le port du foulard. Elle a été programmée en un temps record pour passer à l’émission « l’Heure de Vérité ». En l’aidant à publier un livre d’entretiens, Elisabeth Chemla a surtout contribué à faire connaître les idées du colonel Zoubir, matinées de berbérisme et de revendications féministes. La journaliste Malika Boussouf a, pour sa part, réussi à mettre la logique verbale de l’ancien « nouveau philosophe » André Gluksman au service des thèses de l’officier communicateur. Sans oublier le rôle de Paul-Marie de la Gorce, qui a ouvert les colonnes de Jeune Afrique et de Défense Nationale la thématique putschiste.

Une coopération policière décisive dans une lutte à base d’infiltration et de manipulation.

Pendant que l’opinion subissait tout ce conditionnement, le gouvernement Balladur a consolidé la coopération policière franco-algérienne. Celle-ci était déjà assez étroite depuis le début des années 80 et elle a été d’un apport décisif dans un affrontement où le renseignement permettant l’infiltration et l’intoxication préalables à la manipulation est devenu aussi précieux que du temps des colonels Godard et Trinquier, auxquels G. Mollet et F. Mitterrand avaient confié les pouvoirs de police à Alger. Au nom de cette primauté du policier sur le politique et le diplomatique, l’Algérie est devenue le domaine réservé du ministre de l’Intérieur. Celui des Affaires Etrangères a été voué à un rôle de diplomatie déclarative préconisant verbalement la paix et s’en tenant à une neutralité apparente. En fait, la France a pris fait et cause pour la politique d’éradication avec son cortège d’internements massifs et arbitraires, d’exécutions sommaires à grande échelle, de généralisation de l’usage de la torture et d’enlèvements sur la base de vagues soupçons ou de délation mensongère.

Dans une réunion fermée pour hauts-fonctionnaires, un conseiller de C. Pasqua, qui était au courant de toutes ces pratiques, a expliqué en novembre 1994 qu’il était dans l’intérêt de la France d’aider les militaires algériens à gagner cette guerre [20] . Cet appui lui semblait conforter le soutien qu’aurait apporté aux putschistes la « petite-bourgeoisie francophile ». Ces appréciations plutôt subjectives étaient formulées au moment où les partisans de « l’éradication » avaient toujours peur des élections (non truquées). L’orateur, qui avait été mêlé à la « pacification » de la Kabylie à la fin des années 50, misait également sur de nouveaux leaders, comme S. Sadi, avec lesquels la France s’entendrait mieux qu’avec les caciques du FLN, à qui il reproche volontiers leur attachement aux souvenirs de la guerre de 1954-1962, tout en acceptant l’anamnésie à propos de la Shoa, pourtant plus lointaine.

Le gouvernement Balladur joignait le geste à la parole et donnait suite aux demandes algériennes en fournissant du matériel militaire sophistiqué. Il n’a pas ménagé sa peine en aidant les généraux à mettre toutes les chances de leur côté. L’aide dans le domaine de l’électronique et en hélicoptères spéciaux (pouvant surveiller les montagnes la nuit) a été consolidée par l’amélioration de la coopération des polices. Malgré la rétention de l’information dans ces domaines sensibles, la partie de la presse qui résistait à l’intoxication, ou qui était obligée de répercuter les révélations des médias anglo-saxons, a fait état de l’entrée en France d’un grand nombre d’agents de la Sécurité Militaire algérienne, avec l’autorisation du ministère de l’Intérieur [21] . Celui-ci a ordonné les premières rafles anti-islamistes après avoir accepté l’organisation du faux enlèvement des époux Thévenot, les deux agents consulaires français d’Alger dont le rapt avait été attribué aux islamistes. Selon les révélations faites quelques années plus tard par le très renseigné Maol (Mouvement des Officiers Algériens Libres), ce sont les services algériens qui ont organisé cet enlèvement, en accord avec un émissaire de C. Pasqua, qui avait demandé de créer un prétexte pour justifier des arrestations d’islamistes autrement que par le délit d’opinion. C’est quand les officiers chargés de se faire passer pour des islamistes se sont mis à boire de l’alcool au milieu de la nuit que leurs « otages » ont découvert la mise en scène. Le témoignage des époux Thévenot a été refusé aux avocats des prévenus islamistes raflés en France [22] . Une bonne partie d’entre eux ont bénéficié d’un non-lieu et la Cour de Cassation a ordonné l’indemnisation des innocents, dont la détention préventive a duré plus de trois ans. L’acceptation d’arrêter sans discernement les personnes dont les noms avaient été communiqués par des officiers algériens coûte assez cher au contribuable français.

A l’occasion de ces vagues d’arrestation, des étudiants en situation régulière ont été transformés en sans-papiers, mis dans l’impossibilité et de se réinscrire et de quitter la France. Ils ont commencé par être menacés d’expulsion vers l’Algérie, où ils auraient « disparu » assez facilement. Puis la police les relâche en leur demandant de la renseigner sur leurs camarades non découverts. C’est à cette condition qu’ils peuvent espérer récupérer leurs papiers d’identité. Ceux qui refusent ce chantage depuis cinq ans sont devenus des sans-papiers sans jamais avoir été des clandestins de leur fait [23] . Par ailleurs, certains anciens prévenus affirment avoir été arrêtés grâce à la complicité d’agents d’infiltration se faisant passer pour des islamistes [24] . Certains parmi ces faux militants ont été recyclés par les organisations islamiques que le ministère de l’Intérieur a admis comme interlocuteurs pour « l’organisation » de l’Islam en France.

Le Maol a également révélé le recrutement par une police française de plusieurs dizaines de policiers algériens qui avaient été incités à émigrer par leur hiérarchie, en accord avec l’ambassade de France [25] . La presse algérienne qui avait mis ses bonnes plumes au service du colonel Zoubir, après avoir recruté d’anciens officiers de renseignement rendus à la vie civile pour « aider les journaux libres », a essayé de disqualifier les créateurs du Maol en les accusant d’être des islamistes. En France, il s’est trouvé des journalistes qui renoncent à l’esprit critique dès qu’il s’agit de l’Algérie pour reprendre à leur compte les thèmes de cette propagande [26] .

En fait, le site du Maol reproduit des informations confidentielles détenues par d’anciens officiers de renseignement qui avaient été proches des généraux-majors durant les premières années de la manipulation des opinions et de l’infiltration des islamistes. Leur crédibilité est devenue telle que le Quai d’Orsay les a « approchés » ensuite pour jauger leur influence au sein de l’armée afin de savoir si ce mouvement pouvait être une alternative aux putschistes de 1992 devenus très difficilement défendables. Le site Internet du Maol est devenu alors une source que l’on pouvait citer. De fait, le risque d’être induit en erreur par cette référence est plus faible qu’à la lecture des éditorialistes inféodés, ou des politologues qui se trompent régulièrement.

Les généraux-majors conseillés par des experts français.

Selon les mêmes révélations, c’est de cette période que date l’envoi auprès des généraux algériens de conseillers français et d’hommes de main, comme ce mercenaire serbe qui, déjà impliqué dans des coups tordus en Afrique, a fait parler de lui lors d’une tentative d’assassinat de Milosevic, après avoir organisé dans un village de l’Ouest algérien une tuerie que la presse algérienne dite libre a allègrement imputée aux islamistes.

L’implication française aux côtés des généraux était telle que l’offre de paix faite à Rome en janvier 1995 par les représentants de 80% de l’électorat algérien (et à laquelle le président « dialoguiste » et sans réel pouvoir, L. Zéroual, a commencé à s’intéresser) n’a rencontré aucun écho favorable chez les vrais décideurs de la politique française en Algérie. Le conditionnement de l’opinion a atteint des niveaux tels que tout défenseur des « Romains » passait pour un suppôt des islamistes. Seule la diplomatie (rendue déclarative malgré lui) de Juppé a manifesté de l’intérêt pour cette proposition de retour à la paix et à la démocratie. D’où la panique des généraux quand ce dernier a été nommé premier ministre.

Les généraux furieux d’avoir perdu leur Pasqua?

Selon certaines suppositions, les bombes du RER, en juillet 1995, n’auraient été qu’un avertissement des généraux affligés d’avoir perdu leur Pasqua. J.-L. Debré, alors ministre de l’Intérieur, a ainsi supposé publiquement que « c’est peut-être les services secrets algériens » qui auraient été derrière cette vague d’attentats [27] . Cette hypothèse a été confortée par les déclarations faites à Londres, puis à Paris par d’anciens officiers de renseignement en rupture avec leur hiérarchie, puis par les révélations très précises mises sur le site internet du Maol. Les ambassades d’Algérie à Londres et à Paris se contentaient de faire publier de tièdes démentis après ces graves accusations, et se gardaient bien de porter plainte. Alors que l’ambassadeur d’Algérie au Caire n’avait pas hésité à traîner devant les tribunaux le journaliste égyptien Fahmi Houéidi, l’un des premiers à avoir évoqué dans ses éditoriaux l’éventualité de la manipulation du terrorisme « islamiste ». La différence de réaction des diplomates algériens tient à la certitude d’avoir un verdict favorable au Caire, où la justice n’est pas plus libre qu’en Algérie, et à la crainte des débats qui auraient suivi des procès intentés en Angleterre ou en France.

Les velléités qu’aurait eues Chirac d’aider le président Zéroual à s’imposer face au « cabinet noir » sont restées sans suite. La promesse faite en novembre 1995 par le président algérien élu d’organiser des élections législatives libres dans le semestre à venir n’a pu être partiellement tenue qu’en juin 1997. Ce qui en dit long sur les luttes au sommet de l’Etat qui avaient pour principal enjeu le monopole des négociations avec le FIS.

Zéroual et son principal conseiller, le général Betchine, négociaient avec les politiques du parti dissous pour avoir gagné en 1991. L’Etat-Major de l’armée semble avoir reporté sur le couple Zéroual-Bétchine le vieux soupçon de vouloir s’entendre avec les islamistes aux dépens des éradicateurs. C’est ce reproche qui attira à Hamrouche puis à Chadli les foudres du clan dont la principale idée consiste à reprocher aux islamistes du FIS de pouvoir gagner les élections en se passant des alliances qui leur auraient rapporté le label – élogieux – de « modérés ».

La trêve avec l’AIS et les massacres collectifs de l’automne 1997.

Ce conflit a été aggravé du fait de la négociation secrète par les militaires d’une trêve avec l’AIS, le bras armé des radicaux du FIS. La conclusion de cet accord en septembre 1997 a été suivie par les massacres collectifs de Raïs, Bentalha, Sidi Hammad et Béni-Messous, après lesquels a été posé le problème de la passivité, voire de la complicité de l’armée. L’ambassade de France à Alger craignait pour la sécurité des habitués algériens de sa Garden-Party du 14 juillet et a communiqué leurs noms aux services de sécurité en les priant d’assurer leur protection rapprochée. Le chef d’un parti démocrate signataire de la plate-forme de Rome s’est permis d’interroger l’ambassadeur de France sur les raisons de l’absence sur cette liste du nom d’Abdelkader Hachani [28] . L’ambassadeur lui répondit que ce dernier ne faisait pas partie des « amis de la France » [29] ! Ce qui en dit long sur le sens de « l’équidistance » et de la « neutralité » mentionnées régulièrement dans les communiqués du Quai d’Orsay.

En France le débat sur « qui tue qui ? » a permis aux éradicateurs de bénéficier du concours de polémistes, comme Bernard-Henri Lévy et A. Gluksman. Les conditionnements de l’opinion à partir de 1992 étaient tellement bien réussis que ces anciens « nouveaux philosophes » à la recherche de causes à défendre, et avides de médiatisation, ont pu se faire passer pour des réincarnations du Malraux des années 30, mais en prenant fait et cause pour les émules algériens de Franco. Le savoir-faire médiatique de ces « moralistes » peu soucieux de véracité leur permettait de récupérer au profit de leurs seuls amis « éradicateurs » les manifestations destinées initialement à exprimer une solidarité avec l’ensemble du peuple algérien.

L. Jospin oublie ses promesses électorales sur l’Algérie.

La France officielle était sous le régime de la cohabitation qui a contribué au maintien de l’immobilisme concernant l’Algérie, qu’abritaient des prises de position formelles mêlant beaucoup de « Realpolitik » à un peu d’humanisme verbal. L. Jospin, qui récusait la vision purement géopolitique au nom d’une conception post-mitterrandienne de la « gauche morale » a vite oublié les envolées de sa campagne électorale sur le respect des droits de l’homme et le retour à la démocratie en Algérie. Il a rapidement pris ses distances avec les idées inspirées par le FFS d’Aït Ahmed à l’Internationale Socialiste. L’arrivée des socialistes marocains au pouvoir a été suivie d’un désintérêt du gouvernement français pour l’Algérie au profit du Maroc. Quand le premier ministre est devenu ouvertement candidat à l’élection présidentielle, il a montré l’importance accordée aux relations avec Israël dans sa « cosmogonie » politique. Au nom de cette priorité, il a assumé des mésaventures comme l’équipée de l’Université de Bir-Zéit, où il a découvert que le sans-gêne des étudiants palestiniens encore attachés à des convictions est sensiblement différent de la docilité des Beurs du PS à la recherche de strapontins ou de subventions.

L’Algérie compte peu dans les choix du premier ministre. Il s’en est tenu aux stricts impératifs sécuritaires qui ont, en partie, justifié la nomination au ministère de l’Intérieur de J.-P. Chevènement, un homme rassurant pour les hommes forts d’Alger. Dans une séance au Sénat, ce souverainiste – que les Arabes à la recherche d’ « amis français » jugent encore en souvenir de sa démission lors de la guerre contre l’Irak, sans tenir compte de son soutien à l’extermination des musulmans de Bosnie, du Kosovo et de Tchétchénie – a expliqué son soutien à la Concorde Civile en se référant à des partisans de « l’intégrisme éradicateur » [30] comme S. Sadi et R. Malek. A Alger, on comptait beaucoup sur celui qui avait accru autant que Pasqua la coopération policière entre les deux pays pour plaider le dossier de la relance d’une « coopération franco-algérienne exemplaire », sur le plan économique notamment. Mais le ministre de l’Intérieur de la « Gauche Plurielle » n’était plus suffisamment influent au moment où Bouteflika est venu à Paris demander une incitation des investisseurs français à créer des emplois en Algérie. A cette période, Jospin avait déjà choisi le Maroc en raison de l’indulgence rapportée au royaume chérifien, y compris chez les militants des Droits de l’Homme, par l’acceptation, sans conditions rédhibitoires, de la normalisation avec Israël [31] . Les quelques « pro-Arabes » du PS abusés par la nostalgie du passé tiers-mondiste de Jospin et refusant de prendre acte des revirements imposés à leur mentor par son nouvel entourage(à la fois familial et politique) auront pesé de peu de poids dans ces choix.

L’échec de la visite de Boutéflika à Paris; vengeance contre les harkis.

Peu satisfait du succès d’estime que lui a rapporté son éloquence particulière, le président algérien s’en est pris aux harkis en leur marchandant le droit élémentaire de visiter leur terre natale pour assister aux funérailles et épousailles de leurs proches. Boutéflika entendait ainsi venger le refus du gouvernement français de transformer une partie importante de la dette algérienne en investissements, comme cela venait d’être accordé au Maroc. Les embrassades d’Enrico Macias et du président du CRIF n’ont pas suffi à rattraper le retard de l’Algérie par rapport à son voisin dans le processus de normalisation avec Israël, et Boutéflika est rentré « les mains vides ». Le plan de retour à la paix, qui aurait été suivi d’une relance conséquente d’une économie exsangue, grâce à l’aide internationale qui aurait pu être suscitée par l’effet d’entraînement du soutien de la France, est ainsi tombé à l’eau. La diplomatie française a préféré rester dans l’expectative et a refusé de soutenir de façon active une politique qui a désarçonné les « éradicateurs », car Boutéflika semblait vouloir s’inspirer de la plate-forme de Rome, sans toutefois associer à sa politique tous les « Romains », dont certains avaient été ses rivaux à la contestable élection présidentielle du 15 avril 1999 [32] .

L’échec de cette visite a été suivi d’une réorientation de la diplomatie algérienne. Boutéflika, excelle dans les initiatives de politique étrangère à, défaut d’avoir un bon bilan de politique intérieure, est revenu sur les velléités de normaliser avec Israël et d’ouvrir la frontière avec le Maroc. Le président algérien a défié les « éradicateurs » en nommant ministre des Affaires Etrangères Abdelaziz Belkhadem(dont il voulait faire son premier ministre, si les militaires ne s’y étaient pas opposés), l’ancien président du parlement qui servait d’intermédiaire entre Chadli et le FIS, avant de dénoncer publiquement le coup d’Etat du 11 janvier 1992 [33] .

Le profil bas adopté par Jospin sur l’Algérie, conséquence de son « amitié » indéfectible pour Israël et de son parti-pris pour les socialistes marocains [34] , a eu pour effet de pousser Boutéflika à rechercher l’alliance avec les Etats-Unis, comme Zéroual et Betchine avaient été amenés à le faire en découvrant le soutien inconditionnel apporté par la France à leurs adversaires. Alors que cet écueil est au centre des craintes récurrentes des experts du Quai d’Orsay qui redoutent l’utilisation de la crise algérienne par les Etats-Unis pour supplanter la France dans ce qu’un néo-colonialisme, de gauche comme de droite, considère comme une chasse-gardée française.

Même Aït-Ahmed espère être plus convaincant aux Etats-Unis qu’en France, où les tropismes marocains et israéliens du PS ont des répercussions sur l’attitude, à l’égard de l’Algérie, des organisations françaises des Droits de l’Homme qui ont pignon sur rue.

Combat contre l’impunité et divisions des militants des Droits de l’Homme.

Après avoir fait preuve d’une indulgence certaine pour Boutéflika, en raison de la teneur de ses discours sur la Concorde Civile, mais également à cause de sa visite à Rabat et de sa poignée de main avec Yehud Barak, certains militants humanitaires chargés du Maghreb et du Monde arabe sont redevenus très critiques. Ils ont accepté de rouvrir le dossier des disparus, non sans quelques frictions avec de nouvelles associations perçues comme une menace pour le monopole revendiqué par les anciennes.

Ainsi, les plaintes contre des personnalités, civiles ou militaires, coupables d’avoir commandité des tortures ou des enlèvements ont été déposées à l’insu de ces grandes organisations de défense des Droits de l’Homme. Sans doute en raison des souvenirs mitigés qu’avait laissés chez les plaignants, dont beaucoup avaient séjourné dans les camps du Sud, la molle protestation de ces humanitaires contre les violations des droits de l’homme à partir de 1992.

Ce n’est pas cette action humanitaire dispersée pour de prosaïques querelles de monopole qui dissuadera le gouvernement français de continuer à organiser la fuite des tortionnaires convoqués par le juge. Cela a été le cas au profit du général Nezzar, dont la fuite a été facilitée en mars 2001 par les diplomates qui ont agréé comme consul d’Algérie dans la banlieue parisienne un ancien juge de cour spéciale, dont les jurés rendaient une justice expéditive le visage couvert d’une cagoule. Il risque d’y avoir des difficultés comparables avec Larbi Belkheir, si la veuve de Mecilli, l’avocat proche d’Aït Ahmed abattu en plein Quartier Latin en 1987, dépose plainte à la suite des révélations dans lesquelles l’ancien officier de renseignement Hichem Abboud désigne le général-major comme le commanditaire de ce crime [35] . Du fait des liens personnels de Larbi Belkheir avec des dignitaires socialistes qui se sont pourtant réjouis publiquement de la plainte contre Pinochet, on peut s’attendre à voir prévaloir la raison d’Etat sur l’application des lois contre l’impunité, surtout si les principales organisations humanitaires continuent à préférer la notoriété à l’efficacité.

Mémoire de la guerre d’Algérie, « dévoiements minoritaires » et élections.

L’heure de la mention de toutes ces ambiguïtés et du recensement des responsabilités françaises dans un conflit sanglant qui traîne en longueur depuis une décennie a coïncidé avec le temps des remords pour le général Massu et celui des aveux pour le général Aussaresses. Les débats suscités par la brutale franchise de ces généraux ont permis d’en savoir plus sur les pratiques criminelles pendant la guerre d’Algérie : usage généralisé de la torture, méthodes de lavage de cerveau empruntées au « neurocommunisme » sibérien par les commandants anticommunistes des camps d’hébergement, viol des épouses et des soeurs des suspects pour arracher des aveux à ces derniers, application meurtrière du principe de la responsabilité collective, déplacements de millions de personnes suivis d’une politique planifiée de destruction de milliers de mechtas (par un officier qui a eu une brillante carrière sous Mitterrand), empoisonnement des points d’eau des zones interdites,  blessés confiés aux DOP (Dispositif Opérationnel de Protection, où l’on torturait systématiquement, et sur ordre des politiques) avant de les hospitaliser, jeunes femmes assassinées avec leur bébé. A cette liste incomplète, il faudrait ajouter l’usage des armes bactériologiques, comme l’attestent des documents inédits des services de santé de l’ALN, et l’existence des fours crématoires, comme celui de la caserne des Bérets Rouges de Zéralda, dont l’existence vient d’être révélée par plusieurs anciens militants de la Zone Autonome d’Alger [36] . Ces données faciliteraient la qualification juridique de ces atrocités voulues, beaucoup mieux que les révélations au compte-goutte faites en 1957 par la commission Delavignette, au moment où la France craignait une condamnation après la session de l’ONU dont l’ordre du jour prévoyait un débat sur l’Algérie. Salan voulait alors renoncer à la torture. Mais le ministre de la Défense, Bourgès-Maunoury, lui dit de la maintenir en faisant preuve d’une plus grande discrétion.

Après que Jospin eût commencé par faire preuve de courage en voulant aborder sans complexe cette page sombre de l’histoire de France, des considérations politiques, voire politiciennes, semblent l’avoir amené à reculer. Il a choisi de s’en remettre aux « historiens », en promettant des facilités(déjà accordées) dans l’accès aux archives répertoriées [37] . Et il a cru devoir décréter à l’avance de mettre la totalité des « crimes d’Etat » [38] commis en Algérie avant 1962 sur le compte de simples « dévoiements minoritaires ».

Les historiens qui tranchent ce débat avant de connaître les contenus des pièces d’archives permettant de conclure au recours volontaire par les principaux responsables de la IVème République à des « méthodes hitlériennes » [39] renseignent sur la course à la médiatisation et, surtout, sur les relations particulières de l’Etat et de la Science, qui retardent gravement la recherche historienne sur l’Algérie [40] . Ce phénomène, qui remonte à l’époque du rattachement de l’Ecole des Langues Orientales au ministère de l’Intérieur, mériterait lui-même une étude précise, qui examinerait en particulier le rôle des conseillers ministériels venus du néo-orientalisme dans le resserrement de l’emprise politique sur les études islamiques. Une telle étude devrait tenir compte de l’importance accordée au renseignement dans la recherche sur l’Algérie contemporaine, au vu de la multiplication des diplômes de complaisance décernés à de simples informateurs algériens à qui l’on ne demande même plus un minimum d’effort méthodologique, pourvu qu’ils s’empressent de réserver les scoops à leurs maîtres . Sur l’Algérie d’aujourd’hui, la science et l’Etat, en France, ont un grand besoin d’être séparés, au moins autant que la Religion et la Politique.

Concernant la recherche sur la guerre d’Algérie, le poids de l’idéologie se ressent autant que celui des intérêts politiques du moment. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter Madeleine Rébérioux exclure toute perspective juridique, apparemment au nom de la pure recherche historienne, pour rejeter à plusieurs reprises toute idée de « repentance » et exclure toute réparation [41] . Sensible à ce discours limitatif, la Ligue des Droits de l’homme, lorsqu’elle se voit obligée de répondre à la question de la qualification, ne veut parler, pour les actes commis pendant la guerre d’Algérie, que de « crimes de guerre ». Elle est encouragée en cela par le récent vote du Parlement reconnaissant qu’il y a eu « une guerre » entre 1954 et 1962 en Algérie [42] .

 Dans sa thèse sur la torture, dont les premiers chapitres sont surtout un hommage dithyrambique à P. Vidal-Naquet(grand historien de la Grèce antique venu à l’histoire de la guerre d’Algérie par les voies du moralisme), Raphaëlle Branche semble tout ignorer du point de vue des victimes, comme si leur témoignage compromettait la recherche historique. Or ces victimes, aux souvenirs très précis et qui parlent plus facilement que leurs anciens geôliers des DOP, lui auraient appris que les SAS( administrations inspirées par la bienveillance du colonialisme à « visage humain » du second Empire) aussi torturaient. Son travail, que le Monde(où l’on ignore le rôle du juge Bérard, dont se souviennent, pourtant, très bien des centaines de torturés algérois)  présente comme un événement majeur, ne mentionne même pas les dénonciations de la torture par Louis Massignon, auquel R. Lacoste supprima, en 1957, la subvention que versait le Gouvernement Général d’Alger à la Revue des Etudes Islamiques.

Ailleurs, on refuse de « privilégier le devoir de mémoire » afin, paraît-il, de mieux ménager l’avenir. C’est ce que préconise J-P. Rioux, qui, dans le même article [43] , conteste l’idée de culpabilité de l’Etat en s’autorisant d’une citation dans laquelle Camus récusait, en 1957, le principe de responsabilité collective. Or, ce faisant, Camus s’élevait contre la pratique courante qui permettait de faire abattre une centaine de musulmans pour un garde-champêtre européen tué. Et c’est bien parce que le pouvoir civil de l’époque a couvert ces pratiques criminelles que l’Etat s’honorerait d’un geste solennel de désaveu. Ce serait le meilleur moyen d’assainir la relation à ces pages sombres de l’histoire de France et de ménager ainsi l’avenir.

L’attitude de Benjamin Stora est sans doute celle qui suscite le plus d’interrogations. « Sur l’Algérie, nous ne savons rien », répond-il à une question sur la repentance (Libération du 5 mai 2001). Cet abstentionnisme dubitatif, pratiqué par un dialecticien, moraliste et hyper-politisé, qui préfère aujourd’hui les studios de télévision aux archives, relève plus de la politique que de la science historique. Au nom d’un ultra­positivisme de façade, Stora cherche manifestement à atténuer les responsabilités du Garde des Sceaux du gouvernement de Guy Mollet dans la généralisation des pratiques criminelles en Algérie [44] .Pour diminuer de l’importance du livre d’Aussaresses, qui est surtout accablant pour Mitterrand, il n’hésite pas à contredire ses propos de Libération et ose déclarer, début novembre 2001, au journal algérien le Jeune Indépendant que tout était déjà connu !

Historiquement correct et politiquement correct.

Le souci de préserver la mémoire de Mitterrand était également perceptible à l’Université d’été de l’Education Nationale, qui s’est tenue fin août 2001 à Paris. Les enseignants qui ressentent l’inadaptation des programmes scolaires la guerre d’Algérie, sont restés sur leur faim. Invoquant l’existence de « mémoires antagonistes »-déjà mentionnées dans le discours d’ouverture du mitterrandiste J. Lang-, Sylvie Thénaut a su deviner les prudences ministérielles  et a  ajouté à la perplexité ambiante en prétextant le risque d’introduction du « communautarisme à l’école ».La jeune historienne, qui sait ajuster son discours historique aux considérations politiques du moment, a convaincu les participants qu’il y a bien « deux poids, deux mesures » au collège des inspecteurs d’histoire. D’autant plus qu’une précédente session de la même Université d’été avait recommandé sans difficulté d’améliorer l’enseignement de l’histoire la deuxième guerre mondiale à l’école.

Une pareille prudence n’est peut-être pas sans rapport avec l’ébruitement de l’intention du  gouvernement de nommer une commission d’historiens dûment choisis. Ce projet a dû être abandonné à l’annonce de la remise par le général Aussaresses du manuscrit de Services Spéciaux-Algérie 1955-1957, Perrin, 2001 [45] . Mais son évocation semble avoir inspiré aux candidats pressentis, et à ceux qui souhaitaient l’être, une autocensure digne des convenances que doivent avoir les historiens-bureaucrates désireux de travailler à l’Institut François Mitterrand. L’excessive politisation de l’histoire de la guerre d’Algérie, et l’abandon de la lutte des classes au profit de la lutte des places par d’anciens trotskistes conscients que le mitterrandisme reste un enjeu électoral, ont amené des historiens de valeur à adopter des réflexes compréhensibles chez Rousselet, Charasse ou Mazarine mais qui ont de quoi étonner chez des hommes et des femmes de science qui n’hésitent pas à donner, non sans condescendance, des leçons d’impartialité et de méthodologie à leurs collègues algériens, jugés insuffisamment autonomes vis-à-vis de leur pouvoir.

Les tenants de l’historiquement correct ont compris également que le gouvernement redoutait la prolongation de ce débat qui risquait de contrevenir aux normes du politiquement correct concernant l’Algérie d’aujourd’hui. Car le rappel des horreurs couvertes par la « justice » de la gauche colonialiste ne peut se faire sans l’évocation des atrocités commises aujourd’hui par les « amis » de la France qui détiennent le pouvoir réel en Algérie. Le caractère amoral de l’abstentionnisme apparent du gouvernement français, qui dissimule une connivence effective et une si efficace concertation policière, risquerait d’être mis à nu par un vrai débat sur les responsabilités des gouvernements français successifs dans l’actuelle tragédie algérienne. D’où les mots d’ordre du genre: « pas de vagues de ce côté jusqu’aux prochaines élections ». Les experts et les « consultants » sur l’Algérie se chargent d’apporter des cautions plus ou moins savantes à cette attitude en répétant : « C’est complexe »; « Les Algériens sont imprévisibles et il faut éviter de les amener à des réactions inconsidérées, comme en juillet 1995 »; « il ne faut pas tout révéler »; « il faut trouver une autre formulation »…

Loin de ces subtilités, 56% des Français se disent favorables, selon un sondage, à une « repentance » sur les crimes de la France en Algérie. Cela montre le décalage entre l’opinion, qui ne se contente plus de mythes quand elle est suffisamment informée, et la classe politique qui a constamment les yeux rivés sur les échéances électorales.

La France officielle insensible aux souffrances du peuple algérien.

Si les Français n’exigent pas autant sur l’Algérie d’aujourd’hui que sur la guerre de 1954-62 c’est, pour une bonne part, en raison du halo d’imprécisions entretenu par les idéologues de l’éradication et leurs relais parisiens. Les manifestations de l’année de l’Algérie en France ne risquent pas d’apporter la clarté souhaitable. Car du côté français, la préparation de ces festivités a été confiée à Hervé Bourges qui n’avait pas incité l’audiovisuel public à davantage de recul par rapport aux campagnes de conditionnement du temps où il dirigeait France Télévision. Il a pour vis-à-vis algérien Hocine Sénoussi, un ancien officier plus ou moins bien recyclé dans les affaires, après avoir eu des démêlés avec la justice de son pays. On a là, avec deux hommes, deux symboles de la connivence franco-algérienne, si bénéfique pour les intérêts particuliers.

Au moment où les mythes inhérents à la politique d’éradication se trouvent détruits par les émeutes parties de Kabylie [46] – dont la jeunesse a les mêmes revendications que celle des autres régions – cette célébration risquerait d’ajouter aux confusions dont bénéficient surtout les partisans de l’immobilisme.

Le statu-quo en Algérie arrange tous ceux qui sont attachés aux avantages des transactions commerciales avec un pouvoir qui a fait de l’importation un choix stratégique, en décidant notamment de maintenir l’agriculture dans un état de délabrement. L’attachement à la francophonie et la crainte obsessionnelle de la concurrence des Etats-Unis, auxquels un certain « gallicanisme » reproche surtout d’être puissants, servent de prétexte à des prudences qui évitent d’exprimer aux « éradicateurs » algériens une réprobation comparable à celle qui a empêché récemment les dictateurs ivoirien et yougoslave de rester en place contre l’avis de leurs peuples.

La démystification demeure difficile sur l’Algérie, car l’opinion française s’est vue imposer une grille de lecture artificielle qui lui fait croire que la loi sur l’arabisation [47] serait plus dommageable que les conséquences meurtrières du coup d’Etat et les effets ravageurs du Plan d’Ajustement Structurel réunis. Par ailleurs, l’opinion continue d’être abusée au nom de la littérature du fait de la médiatisation des romans de Yasmina Khadra. Très peu de journalistes savent que derrière ce pseudonyme se cache un colonel qui occupe toujours le poste d’attaché militaire à l’ambassade d’Algérie à Mexico.

Le fait que la situation algérienne ne soit pas directement en rapport avec l’ancien conflit Est-Ouest a empêché d’avoir sur l’Algérie un débat comparable à celui qui a agité l’opinion sur la Bosnie, puis sur le Kosovo. Il est vrai que ces débats mêlent un peu de compassion pour les victimes du nettoyage ethnique à beaucoup de règlements de comptes entre coteries d’intellectuels (atlantistes contre communistes, staliniens contre trotskistes, souverainistes contre mondialistes…).

Quant aux gouvernements français successifs, qu’ils soient de droite ou de gauche, ils ont eu un rôle contestable en décourageant toute velléité de l’Union Européenne d’interpeller fermement le pouvoir algérien sur les Droits de l’Homme [48] . Ils se sont accommodés d’une attitude anti-démocratique concernant l’Algérie. D’abord parce que leur complaisance a grandement aidé au torpillage de la jeune démocratie algérienne. Ensuite parce que tout est fait pour priver l’opinion française de l’information démystificatrice qui lui permettrait d’évaluer les responsabilités françaises dans le drame algérien.

Sans le clair-obscur des discours dominants sur l’Algérie d’hier et d’aujourd’hui, les Français seraient plus nombreux à déplorer l’insensibilité de la France officielle aux terribles souffrances qui continuent d’être infligées au peuple algérien par les aventuriers francophiles de l’éradication, quarante ans après les crimes contre l’humanité commis au nom de la « pacification ».

La sévérité ici de certaines appréciations sur ceux qui, par idéologie ou par affairisme, on biaisé le débat sur l’Algérie, ne saurait dispenser de la condamnation des crimes commis au nom de l’Islam, ni faire perdre de vue les insuffisances politiques d’un grand nombre de leaders islamistes radicaux. La responsabilité de ces derniers dans le drame algérien n’a d’égale que celle de leurs machiavéliques manipulateurs.

Hamid Lamine.



[1] No du 11/5/1991 de l’hebdomadaire Vendredi.

[2] J. Attali et J.L. Biancho faisaient de fréquents séjours à Alger en atterrissant à la base militaire de Boufarik, afin d’éviter les indiscrétions de l’aéroport international d’Alger.

[3] Selon les révélations faites à l’époque, cette équipe a travaillé sous la houlette du juriste et politologue Maurice Duverger.

[4] Général-Major issu de l’armée française qu’il n’avait quittée que peu de temps avant l’indépendance de l’Algérie. Il a eu une ascension fulgurante après l’arrivée de Chadli Bendjedid au pouvoir en 1979. On lui attribue la décision de traduire en justice Messaoud Zeggar, l’ancien homme de confiance de Boumédiène qui avait noué des relations avec les Américains au grand dam des Français. Voir Hanafi Tagamout, L’Affaire Zeghar, Paris, Publisud, 1993.

Après avoir donné de pareils gages, L. Belkheir est devenu le garant de l’influence française dans l’Algérie des années 1980 et 1990. Grâce à lui, Audibert pouvait obtenir la nomination des cadres francophiles à des postes importants. (Entretiens avec un ancien collaborateur de M. Hamrouche).

L’influent ambassadeur intervenait pour vérifier les contenus des résolutions de colloques, comme celui qui a été organisé début mars 1991 à Alger contre la guerre du Golfe. Audibert a réécrit le texte de ces résolutions pour supprimer toute appréciation déplaisante sur F. Mitterrand, qui était honni en raison de son militantisme pour la « logique de guerre ».

[5] lnterview publiée début novembre 1991.

[6] Entretien avec l’ancien président de l’Union des Ecrivains Algériens Larbi Zoubiri, qui était aussi un proche collaborateur du patron du FLN d’alors, M.C. Messadia.

[7] Selon l’avis exprimé par l’ancien directeur des Affaires Musulmanes au Gouvernement Général d’Alger, Augustin Berque, dans un document inédit daté de 1932.

[8] Des photocopies de chèques versés par l’Algérie pour le financement des campagnes électorales du PS de 1981 ont été publiées en 1984 par le magazine El Badil qu’éditait le Mouvement pour la Démocratie en Algérie de Ben Bella, puis par le Canard Enchaîné sans que ces révélations aient été démenties.En acceptant le contrôle de la mosquée de Paris par l’Algérie,le ministre de l’Intérieur  G. Defferre a récompensé, en 1982, ces largesses, contre l’avis des juristes du culte, et au mépris des Français musulmans.

  La droite a également bénéficié des largesses de l’Algérie pour le financement de ses campagnes électorales. Elle a seulement été plus discrète que la gauche.

[9] Les têtes pensantes des généraux, futurs éradicateurs, envisageaient alors de déclencher une guerre-éclair contre le Maroc juste pour disposer d’un prétexte pour renoncer aux élections tant redoutées.

Le démenti apporté à ces pronostics optimistes par le tournant du 11janvier 1992 a amené une bonne partie de ces politologues à renoncer définitivement à l’étude du système politique algérien : l’espoir de ce groupe fait de la vulgarisation historique à la télévision ; un autre ex-futur algérologue a été placé à l’émission islamique de France 2 où il montre chaque dimanche la maigreur théologique de l’islamologie de Sciences-Po ; les plus tenaces enquêtent sur les hommes d’affaires algériens ou les à-côtés mercantiles de l’éradication et se laissent décourager par la complexité d’un problème d’essence politique. Ces choix ont laissé le champ libre à l’islamo-futurologie de Gilles Képel qui, en examinant l’islamisme dans le monde à travers l’éviction brutale du FIS algérien, a imprudemment prédit la fin d’un courant qui a montré sa vitalité à de nombreuses reprises depuis la parution de son Djihad, Gallimard, Paris, 2000.

[10] Cette confusion entre les désirs et la réalité a été momentanément confortée par les résultats d’un sondage effectué par un institut algérien qui attribuait au FIS le tiers des suffrages, au même titre que le FLN et le FFS. Ce pronostic réconfortait ceux qui redoutaient une vraie alternance et admettait la très faible audience des petites formations comme le Hamas, le RCD et le PRA, dont les chefs de file s’avéreront mauvais perdants en appelant à l’interruption des élections.

[11] La visite faite à Alger par P. Rondot, début janvier 1992, avait été annoncée par la presse après le coup d’Etat du 11 janvier 1992. F. Mitterrand avait eu une conversation téléphonique avec l’homme fort du régime, le général-major Khaled Nezzar. Voir Abdelhamid Brahimi, Hizb França, Lausanne, Hoggar, 2000, p. 265.

[12] Les déclarations faites sur Radio-Beur durant la semaine qui a suivi le coup d’Etat du 11 janvier 1992 par Areski Dahmani, le très médiatique président de France-Plus, étaient inspirées par cette vision géopolitique à laquelle se référaient les milieux politiques qui soutenaient cette association attrape-voix. France-Plus avait été créée pour rivaliser avec SOS-Racisme dans le cadre de la compétition entre Rocardiens et Mitterrandiens. Après le soutien apporté par M. Rocard, elle a bénéficié, entre 1993 et 1995 de celui de C. Pasqua qui a essayé de faire bénéficier le candidat Balladur du rapprochement de cette organisation laïciste avec l’aile droitière des Frères Musulmans en France . France-Plus a fait l’objet d’une liquidation judiciaire en 1996, après avoir ainsi montré la facilité avec laquelle la dogmatique laïciste s’assouplit pour les besoins de l’usage du religieux à des fins politiciennes.

[13] L’ancien ministre des Affaires Etrangères dans le gouvernement de P. Mauroy a exprimé son soutien inconditionnel aux généraux algériens sur la Cinq peu de temps après l’annulation des élections. Il a montré sa complaisance avec Milosevic plus d’une fois, et avec la même absence de nuance, après l’annonce de la meurtrière politique du nettoyage ethnique.

[14] Par exemple sur l’utilisation de fonds algériens pour ouvrir dans un département près de Paris d’une clinique prisée par la Nomenklatura algérienne, ce qui fit soupçonner un financement par l’Algérie des campagnes électorales des notables de ce département, en échange des interventions pour l’obtention des autorisations.

[15] Entretien avec un ancien collaborateur de Paul Quilès, ministre de l’intérieur de P. Bérégovoy.

[16] Si l’on en croit les révélations faites par le MAOL (Mouvement Algérien des Officiers Libres) sur le site Internet www.anp.org , qui cite le nom de cet homme de presse, lequel s’est abstenu de démentir. 

[17] Entretien avec l’ancien réalisateur de télévision A. O.

(L’auteur a tenu à respecter le désir d’anonymat des interlocuteurs qui ont bien voulu l’aider à voir clair, en les désignant par leurs initiales.)

[18] Entretien avec J.-J. Porchez, le directeur de Pour!.

[19] Ces informations, qui n’ont pas été démenties, ont été publiées en juillet 1995 dans la revue kowéïtienne Al Mujtamaa que renseignent sur l’Algérie les militants du Hamas de Mahfoud Nahnah. En se déclarant plus proche de S. Sadi que de A. Madani, ce cheikh s’est mis en mesure de recueillir les confidences sur le RCD, et de rendre service à ceux qui cultivent l’exactitude de l’information, fût-elle gênante pour ses alliés du moment. Ces deux micro-entités ont pour atomes crochus la crainte des élections libres et leur acceptation des truquages électoraux qui leur permettent d’être sur-représentées au Parlement, quand les « décideurs » le veulent bien.

[20] Il s’agit de J.-C. Barreau, un ancien prêtre devenu conseiller pour l’immigration de C. Pasqua, après avoir été un collaborateur de F. Mitterrand, puis directeur de la Coopération à l’ambassade de France à Alger où il a été à l’origine de plusieurs incidents.

[21] Cette coopération policière a été ébruitée en 1994 dans plusieurs hebdomadaires.

[22] Claudia Marinaro, Le glissement des jeunes issus de l’immigration maghrébine dans les réseaux présumés islamistes, mémoire de DEA, IEP de Paris, septembre 2000. Après avoir rencontré les avocats des prévenus islamistes du réseau Chalabi notamment, ainsi que les magistrats instructeurs, l’auteur examine sérieusement la thèse de la manipulation qui avait précédé ces coups de filet. Les avocats lui ont fait part de leur intime conviction concernant la manipulation que conforte le refus par les juges du témoignage des époux Thévenot. Les conclusions de cette recherche, dont l’auteur a été félicitée par Rémi Leveau, n’ont pas été du goût de G. Kepel qui s’obstine à faire croire à un péril islamiste en France en faisant des conférences sur le thème: « Ethnies, croyances, violences » .Cela n’empêche pas cet audacieux islamo-futurologue d’annoncer ostensiblement à Alger la fin définitive de l’islamisme. Vérité en-deçà de la Méditerranée, erreur au-delà ?

Par ailleurs, le refus de la justice française d’autoriser le témoignage des époux Thévenot faisait suite à celui des magistrats algériens qui refusèrent d’entendre la veuve de T. Djaout au procès des assassins présumés de son mari. Le portrait qu’elle fait du véritable assassin est sensiblement différent de celui du prévenu.  

[23] Entretien avec M.D., qui, après avoir réussi à obtenir toutes les U.V, se trouve encore dans l’impossibilité de terminer sa maîtrise de sociologie en raison de la séquestration de ses papiers au centre de rétention de Vinonnes.

[24] Entretien avec A. B., un ancien prévenu relaxé. Celui-ci précise qu’un faux islamiste fournissait en armes et en renseignements le réseau qui préparait en 1995 l’assassinat à Paris du général Ataillia. Cet ancien agent de manipulation a pu participer par la suite aux réunions organisées par le Ministère de l’Intérieur en vue de la création, toujours retardée, d’un introuvable « Conseil Français du Culte Musulman ». Cela en dit long sur les véritables intentions des pouvoirs publics dans le domaine de la « représentation » de l’Islam en France.

[25] Révélations du MAOL et entretien avec M S., un des rares inspecteurs algériens à avoir décliné l’offre de recrutement par une des polices françaises.

[26] Les écrits de Farid Aïchoune dans le Nouvel Observateur et ceux de S. Zéghidour dans La Vie n’auront été qu’une reproduction, avec de légères modifications, de la thématique développée par la presse algérienne dite libre. Il en est de même des émissions sur Arte de Khaled Melha, qui discute rarement les avis des journalistes algériens devenus éradicateurs après être passés par la IV° Internationale.

[27] Entretien avec le rédacteur de Ouest-France, J.-Y. Boullic, qui avait assisté à un entretien à bâtons rompus avec J.-L.Debré, dont les déclarations à ce sujet ont été largement reproduites. La rupture de Debré avec la mosquée de Paris résultait sans doute de ces sérieux soupçons. En juin 1997, le recteur a profité du retour de la droite dans l’opposition pour reprocher dans le Figaro à l’ancien ministre de n’avoir pas expulsé vers l’Algérie assez d’imams « islamistes ». En opposant le laxisme attribué à Debré à la fermeté de Pasqua et de Chevènement, le recteur n’a fait qu’exprimer les préférences des  « éradicateurs » algériens dont il dépend financièrement et politiquement.

[28] Qui a fini par être assassiné le 23 novembre 1999, sans doute pour avoir été mêlé à des tractations destinées a réaliser une « Réconciliation Nationale »(sur laquelle a insisté le message de condoléances de Boutéflika), afin de remédier aux insuffisances de la « Concorde Civile ».

[29] Entretien avec F.T. A cette période, J.-F. Kahn, B.-H.Lévy, A. Gluksman et P.M. de la Gorce voulaient interdire que soit posée la question: « Qui tue qui? » Alors que les Français étaient mieux renseignés que les services britanniques qui découvrirent que le journal Al Ansar, publié à Londres au nom du mystérieux GIA, recevait des consignes d’une caserne d’Alger. Voir Paris-Match du 9 octobre 1997. Le colonel dissident Habib Samraoui a révélé que le GIA a été créé par ses collaborateurs du temps où il était l’adjoint du responsable du Contre-Espionnage à Alger. Emission Bila Houdoud (Sans Frontières), 1er  août 2001, chaîne El Djazira, Qatar. On aurait aimé entendre les réactions de ces relais parisiens des éradicateurs algériens, après l’accumulation de ces révélations. Jean Daniel, qui avait interpellé sans nuances l’ensemble du « peuple musulman de France »(sic) après les attentats de juillet 1995 dans le RER, tarde à intégrer dans ses tours d’horizon la multiplication des révélations sur le rôle des faux islamistes dans la violence attribuée aux fondamentalistes, à commencer par celles de l’ancien spécialiste de la manipulation, qui a expliqué sur la chaîne qatarie comment juste après le premier attentat commis à Paris, le 11 juillet, contre l’imam Sahraoui du 18ème arrondissement, un de ses supérieurs est venu en Allemagne lui  proposer d’organiser la liquidation de Rabah Kébir et d’Abdelkader Sahraoui, l’homonyme du malheureux orateur du quartier de Barbès).

[30] La formule a été prononcée par Boutéflika quand il a vilipendé, dans ses nombreux discours de l’été 1999, les partisans de la continuation de « l’éradication » qui bénéficiaient d’une haute protection à la résidence d’Etat du Club des Pins.

[31] L’indulgence rapportée au Maroc auprès de certaines organisations des Droits de l’Homme on raison de ses avancées dans le domaine du rapprochement avec Israë1 a été soulignée par un expert du State Department invité à prononcer une conférence à l’Institut National des Etudes Stratégiques Globales d’Alger en mai 2000.

[32] Le référendum organisé le 21 septembre 1999 pour faire approuver la politique de la « Concorde Civile » servait également à faire oublier les accusations d’irrégularité de l’élection présidentielle du 15 avril 1999. « Le Comité du 14 avril » qui a été créé à Paris pour tenter de perpétuer l’action concertée entre les six candidats qui se sont retirés in extremis pour éviter de cautionner une élection « préfabriquée » n’a eu qu’une existence éphémère. Sans doute en raison des effets de la logique verbale de Boutéflika, qui a fait croire à un dépassement du clivage éradicateurs-dialoguistes. Il faut dire qu’en dehors de quelques élus des Verts, la classe politique française reste indifférente à ce genre d’initiatives qui aurait apporté une démystification susceptible d’atténuer les effets de l’intoxication des années 1992-1998.

[33] Cet animateur de la tendance islamisante du FLN a aggravé son cas aux yeux du « Parti de la France » en créant un comité hostile à la normalisation avec Israël, et au projet de visite à Constantine d’Enrico Macias, accusé de n’avoir pas eu que la compréhensible « nostalgérie » comme mobile. L’ancien président du HCE, le colonel Ali Kafi, a ainsi évoqué un projet de recensement des biens juifs en Algérie confisqués sous Vichy et devant faire l’objet d’indemnisation (Interview au quotidien arabe paraissant à Londres et à Jérusalem, al Quds al Arabi du 12/3/2000).

[34] Les préférences du premier ministre concernant le Proche-Orient ont été exprimées au dîner du CRIF le 3/11/2000: « la France est l’amie d’Israël; la France a des amis dans le Monde arabe ». Avec une pareille hiérarchisation des amitiés – Israël est l’ami du premier collège, les Arabes francophiles ceux du deuxième collège – la France risque très peu de redevenir pour les Arabes la Dawla Habiba (la Nation Amie par excellence) qu’elle avait été jadis.

[35] Le Nouvel Observateur du 14-20/6/2001. Larbi Belkheir est par ailleurs soupçonné d’avoir créé les premiers escadrons de la mort, quand il était ministre de l’intérieur en 1991-1992. Interrogé sur le terrorisme algérien d’Etat, son ami Hubert Védrine répond qu’ « il n’y a pas de preuves ». Pour sa part, C. Pasqua, plus libre de parole quand il n’est plus aux affaires, en réponse à la même question, estime que « tout est possible ». Les deux étaient les invités du Karl Zéro sur Canal Plus (cité de mémoire).

[36] Emission « Pièces à conviction » sur FR3, le 27/6/2001. Les fours crématoires avaient servi en mai 1945 à faire disparaître des milliers de corps dans la région de Guelma afin de permettre à une commission d’enquête d’arrondir par défaut le chiffre des victimes de la féroce répression contre les civils.

[37] 0n sait que les documents aux contenus embarrassants font l’objet d’une rétention et n’ont même pas été répertoriés.

[38] Pour reprendre le titre donné par O. Lecour-Grandmaison au récent livre consacré à la répression de la manifestation des Algériens à Paris le 17 octobre 1961, Ed. La Dispute, 2001.

[39] Dès le début de la guerre, la répression menée par l’armée française en Algérie était comparée à celles des nazis par des résistants comme Claude Bourdet, René Capitant, et le général Paris de la Bollardière.

[40] Le tome 2, Les Portes de la Guerre (1 946-1954) , de La Guerre d’Algérie par les Documents, SHAT, Vincennes, 1998, a été publié avec cinq ans de retard. La crainte d’un débat sur le rôle actif de F. Mitterrand dans l’adoption des moyens répressifs au début de l’insurrection expliquerait ce temps perdu.

[41] La biographe de Jaurès, qui ne regrette pas son passage au PCF, ne s’intéresserait-elle à ce débat que pour montrer qu’un Livre Noir de la social-démocratie colonialiste devrait être écrit pour faire contrepoids au Livre Noir du Communisme?Tout autres sont les points de vue d’Alain Joxe et de certains hommes d’Eglise, comme le Père de la Morandais. Celui-ci, qui avait participé à la « pacification », a déclaré, le 21.4..2001, à l’émission de Thierry Ardisson sur France 2, que l’évêque de Saint-Denis, dont le rôle dans la repentance de l’Eglise pour son attitude durant la Seconde Guerre Mondiale est connu, lui a déclaré que le peuple algérien mérite un geste analogue. Cette position reflète sans doute la gêne due au souvenir de l’acceptation de la torture – au nom de l’Evangile! – par le père Delarue, qui était l’aumônier de la 10ème D.P. de Massu. La préface d’un livre en l’honneur des paras d’Algérie par Mgr Feltin (qui était évêque aux armées en 1956) demeure aussi embarrassante pour l’Eglise de France. Les préposés au dialogue islamo-chrétien, comme les pères Delorme et Gaudeul, pourront-ils continuer de faire l’économie d’un vrai débat à ce sujet ?

Déjà intrigués par le retour à la foi des Beurs (qu’ils verraient mieux à SOS-Racisme qu’aux réunions du controversé Tareq Ramadan), ces informateurs de l’Eglise – et du Haut Conseil à l’Intégration – sur la vie religieuse des musulmans en France, risqueraient d’être plus étonnés encore par le poids de la mémoire de la guerre d’Algérie chez les familles d’origine algérienne. Celles-ci avaient été sommées par J.-C. Barreau de « changer d’histoire » avant de prétendre à « l’intégration ». L’ancien prêtre devenu conseiller de Pasqua pour l’immigration n’a pas indiqué l’attitude à adopter concernant l’histoire de la guerre d’Algérie, qui est commune aux Français et aux Algériens. Quant à Alain Joxe, il avait avancé l’idée de « repentance » quatre ans plus tôt: « Repentons-nous sur l’Algérie et parlons vrai », Le Monde du 11/11/1997. Le spécialiste de stratégie parlait des deux guerres d’Algérie. Il faudrait également rappeler l’attitude, durant le procès de M. Papon, de Simone Veil qui s’est étonnée de l’acceptation des amnisties et de la prescription concernant l’Algérie par ceux-là même qui, à propos de la Deuxième Guerre Mondiale, militent contre l’impunité, par devoir de mémoire et à des fins de judiciarisation (intervention à l’émission Polémiques sur France 2, 9 novembre 1997).

Il y aurait à mentionner la netteté de la position de J. Julliard, qui tranche sur celle des historiens et moralistes sollicités par le Nouvel Observateur. Ceux qui parmi ces derniers n’arrivent pas à être au clair avec l’héritage mitterrandien sont souvent gênés aux entournures.

[42] Après avoir voté la reconnaissance du génocide arménien, le Parlement refuse la création d’une commission d’information sur la guerre d’Algérie, qui serait moins contraignante qu’une commission d’enquête. Les Turcs ont réagi par l’inauguration, en face de l’ambassade de France à Ankara, d’un « Mémorial des victimes du génocide commis par la France en Algérie ». En accordant le statut d’anciens combattants aux anciens soldats d’Algérie, le vote reconnaissant qu’il y a eu guerre semble avoir eu une finalité électoraliste.

[43] J.-P. Rioux, « L’Etat coupable, mais amnistié« , Libération, 11/12/2000. J-P. Rioux veut exonérer l’Etat d’un pareil geste au motif que le pouvoir politique sut mettre fin au conflit; curieuse manière d’attribuer une partie des mérites de De Gaulle (qui a dit: « Je suis le seul au Conseil des Ministres à croire à l’indépendance de l’Algérie ») à G. Mollet et à Mitterrand, qui ont installé la France dans une guerre sans lois sans être en mesure de lui trouver une issue.

[44] Si Stora veut mettre le clivage droite-gauche au coeur du débat historique sur la guerre d’Algérie en insistant, à juste titre, sur la gravité de la tuerie du 17 octobre 1961, c’est pour mieux accabler la Vème République. Dans le même temps, il tente de trouver des circonstances atténuantes à la IVème République et à ses ténors de la gauche colonialiste – par exemple en voulant faire croire aux lecteurs du Nouvel Observateur(du 14-21.12.2001) que les DOP (centres de torture) n’ont pas été créés par le gouvernement G. Mollet. Alors que « ce service est créé en septembre 1956 par une décision gouvernementale, suivie d’instructions d’applications ministérielles » (Henri Le Mire, Histoire Militaire de la Guerre d’Algérie, Paris, A. Michel, 1982, p. 67). Cette attitude le range du côté d’André Rousselet pour qui la mémoire de la guerre d’Algérie semble se confondre avec celle de Mitterrand.Voir Libération du 5.5.2001.  Le biographe de Messali avait tourné le dos à ses écrits de jeunesse – comme « L’Algérie et la révolution permanente », La Vérité, octobre 1980 – après avoir rallié le courant Jospin du PS avec un groupe de lambertistes. Depuis lors, il navigue souvent dans les eaux du pouvoir, ce qui fait dire à la presse de l’OCI (où il avait été responsable de la Fédérale des Etudiants) qu’il « exprime le point de vue du Quai d’Orsay » (article signé L.G., « Qui pousse à la dislocation de l’Algérie? « , Informations Ouvrières, n0 493, 27 juin-3 juillet 2001). L’acceptation de ce type de relation entre le Savant et le Politique va de pair avec une stratégie de médiatisation qui accorde plus d’importance aux journalistes généralistes qu’aux historiens spécialisés. Avec franchise, il fait état de cette stratégie qui passe « par l’entremise de bataillons d’attachés de presse qui. se chargent de faire circuler votre nom » (Aline Gérard, « Quand les experts dévoilent leurs dessous », Le Nouvel Economiste, n°1116, 26/11/1998). Cette peu révolutionnaire conception du débat d’idées a amené Stora à apporter une caution plus ou moins savante à Xavier Raufer qui a voulu, en présence de l’ambassadeur d’Algérie en France, expliquer le « terrorisme résiduel » par le goût des sociétés méditerranéennes pour la « vendetta » (La Marche du Siècle, FR3, 12 septembre 1998). Elle lui a permis aussi de diffuser la contestable thèse imputant aux partisans de l’Algérie française la montée du Front National – dont les électeurs venus du PS et du PC ont été convoités par le MDC (voir son Transfert de mémoire, Paris, La Découverte, 2000).

[45] Entretien avec un membre de l’Union Nationale des Combattants. Il est possible que l’autocensure des historiens politisés ait eu pour principale raison leur désir de faire partie de cette commission. Cela expliquerait leur absence de réaction à la demi-vérité selon laquelle le juge Bérard, qui servait d’intermédiaire entre le Garde des Sceaux de G. Mollet et les militaires d’Alger, a été sanctionné. Les lecteurs du Monde ont cru que c’était à cause de l’exécution de Ben M’hidi. En fait, la sanction du juge Bérard avait pour raison la lenteur avec laquelle il instruisait « l’affaire du bazooka », la tentative qui visait à éliminer, en 1957, le général Salan (le futur chef de l’OAS) que Mitterrand appréciait particulièrement…

[46] « Les Kabyles auraient pris les armes si le FIS était arrivé au pouvoir », disait-on après l’opération du 11/1/1992 pour vaincre les réticences suscitées par ce coup de force. Puis la menace d' »embraser la Kabylie » a été agitée durant l’été 1998. L’assassinat du chanteur Matoub Lounès, dont la famille accuse le pouvoir, semble avoir été destiné à favoriser cet embrasement. L’exagération du risque d’embrasement a servi à pousser Zéroual à la démission. En raison de la faible importance des revendications linguistiques dans les manifestations parties de Kabylie au printemps 2001, celles-ci ont surtout montré la vanité de ces supputations. En révélant l’ampleur des difficultés dont se plaignent les jeunes Algériens de toutes les régions, ce mouvement a également contribué à rendre très peu convaincante la propagande qui servait depuis dix ans à faire de l’islamisme l’unique problème de l’Algérie contemporaine, ou presque.

[47] Cette dramatisation des problèmes linguistiques utilise, à tort ou à raison, la caution d’arabisants comme M. Arkoun, qui a eu tendance à attribuer une bonne partie de la crise algérienne à la mauvaise arabisation, et D.E. Bencheikh, qui plaide la cause de la seule langue kabyle, et oublie une demi-douzaine d’autres parlers berbères assez éloignés les uns des autres. Ce dernier exprime surtout le regret de n’avoir pas été consulté pour la mise au point des programmes d’arabe en Algérie. Le berbère est mieux vu, comme le montrent les financements publics accordés à la Maison Kabyle qu’ont créée à Paris des proches du RCD déçus par Boutéflika.

[48] A la demande d’un officier de l’ambassade algérienne an Suisse, Sohéib Bencheikh, le « mufti » sans mosquée à Marseille qui, en tant que « théologien du RCD » était le favori de Motchane (alors conseiller de Chevènement pour l’Islam) pour la succession de Boubakeur à la tête de la Mosquée de Paris, a pris la parole au printemps 1998 devant la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU pour la dissuader de dépêcher des enquêteurs sur les massacres an Algérie.