Abassi Madani et Ali Benhadj, une détention arbitraire ?
58E SESSION DES DROITS DE L’HOMME DE L’ONU
Abassi Madani et Ali Benhadj, une détention arbitraire ?
Fayçal Oukaci, L’expression, 30 mars 2002
Le groupe de travail sest basé sur plusieurs lois pour étayer sa thèse.
La 58e session des droits de lHomme de lONU, qui se poursuit à Genève, a estimé que la détention de Abassi Madani et Ali Benhadj est arbitraire et demande, de ce fait, au régime algérien de les libérer. Selon le groupe de travail qui a parlementé face aux représentants du gouvernement, le jugement et lemprisonnement des président et vice-président du FIS sont arbitraires et vont à lencontre des principes énoncés par la Déclaration universelle des droits de lHomme et du pacte international relatif aux droits civils et politiques que lAlgérie a ratifiés. Le groupe de travail sest basé sur plusieurs lois pour étayer sa thèse de larbitraire de la détention des deux premiers leaders de lex-FIS.
Concernant le cas de Abassi Madani, le groupe de travail onusien estime que sa privation de liberté, tant celle résultant de son arrestation du 30 juin 1991 et sa condamnation par jugement du tribunal militaire du 15 juillet 1992, que celle résultant de la mesure dassignation à domicile du 1er septembre 1997, ont un caractère arbitraire. Cet arbitraire est lié à lexercice de ses droits politiques, et son inculpation datteinte à la sûreté de lEtat a aussi un caractère strictement politique, car estime le groupe de travail de lONU, aucun fait précis pouvant recevoir une qualification pénale na pu être établi par laccusation.
Il est aussi constaté quaucun fondement juridique de la loi interne algérienne nexiste par son assignation à domicile par les autorités. Ce qui revient à dire que les raisons de lassignation à domicile sont les mêmes que celles ayant entraîné sa condamnation, cest-à-dire le libre exercice de ses droits politiques. Pour le cas de Ali Benhadj, n°2 du FIS et figure emblématique du parti, le groupe de travail onusien en a fait son «plat de résistance». Il estime de prime abord que le pouvoir algérien, entre 1992 et 2002, a toujours considéré Benhadj comme une personnalité pas comme les autres. Preuve en est de constater que tous les autres codétenus, qui ont écopé de 4, 6 et 12 ans de prison, ont tous, sans exception, bénéficié de régimes dallégement, sauf lui.
En fait, Benhadj a été soumis à divers régimes de détention et traité dune manière différente, selon quil ait été considéré par les autorités comme un interlocuteur politique ou comme un opposant. Tel a été le forcing des ONG et des groupes islamistes européens introduits dans les milieux des droits de lHomme et spécialement le «réseau helvétique», bien avant cette date. Le groupe de travail algérien, de son côté, sest longuement attardé à rappeler que «tout au long du processus, les deux leaders du FIS ont été en mesure dexercer tous les droits et les garanties qui leur sont reconnus par la loi. Comme ils ont pu choisir leur propre conseil (…), et exercé librement leur droit de faire appel du jugement prononcé par la juridiction de fond».
Le débat passionné, qui agite les deux camps, replonge les esprits dans le climat insurrectionnel de mai-juin 1991. Peut-être même faut-il y revenir pour appréhender lenjeu et les mesures prises par les autorités algériennes à cette époque? Le pays était au bord de la guerre civile et menaçait de sombrer dans un chaos total, alors que la quasi-totalité des capitales européennes, y compris Genève, observait de loin, «les dangereux développements de la situation en Algérie». Tout cela emmène à se poser des questions. Comme par exemple, sur les motivations du président de lactuelle session des droits de lHomme, qui sest démené «comme dix» pour mettre lAlgérie en contradiction avec ses propres lois et législation.
Le président de cette commission, M.Louis Jouannet, est connu pour ses affinités appuyées avec les ONG spécialisées dans les droits de lHomme. Il vient à peine de remplacer le dernier président en poste, un Indien, qui avait démissionné, on ne sait trop pourquoi, il y a quelques mois.
Mais il y a «mieux»: Louis Jouannet a été, à la fin des années 50, dans larmée coloniale française, en poste à Skikda, dans la Légion étrangère. Dans les années 80, il a été promu conseiller dans le staff du cabinet du président Mitterrand, avant de finir expert indépendant, puis président de la SDH à lONU. Dix ans après la condamnation des deux leaders de lex-FIS, veut-il en faire deux authentiques «martyrs» aux yeux de la nouvelle génération, qui ne les connaît pas, et en raviver la flamme? Il est au moins permis de se poser des questions à longueur de ligne…
Quoi quil en soit, lAlgérie nest plus quune partie du monde reliée immédiatement à dautres parties de lensemble, où, désormais, le droit humanitaire est la dernière étape sur laquelle sest posée la démocratie occidentale, et tout le monde, y compris les plus petits, doit souscrire au respect du droit fondamental de lindividu.
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Extraits du rapport du groupe de travail de l’ONU
… Le groupe de travail considère comme arbitraire la privation de liberté dans les cas ci-après:
i) Lorsqu’il est manifestement impossible d’invoquer une base légale quelconque qui la justifie (comme le maintien en détention d’une personne au-delà de l’exécution de la peine ou malgré une loi d’amnistie qui lui serait applicable) (catégoriel),
ii) Lorsque la privation de liberté résulte de poursuites ou d’une condamnation relatives à l’exercice de droits ou de libertés proclamés dans les articles 7, 13, 14, 18, 19, 20 et 21 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et, aussi, pour les États parties au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dans les articles 12, 18, 19, 21, 22, 25, 26 et 27 de cet instrument (catégorie II);
iii) Lorsque l’inobservation, totale ou partielle, des normes internationales relatives au droit à un procès équitable, établies dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans les instruments intemationaux pertinents acceptés par les États concernés, est d’une gravité telle qu’elle confère à la privation de liberté, sous quelque forme que ce soit, un caractère arbitraire (catégorie III).
4. Vu les allégations formulées, Le groupe de travail se félicite de la coopération du Gouvernement mais regrette qu’il ne lui ait pas fourni toutes les informations qu’il avait demandées, notamment celles concernant la législation applicable en l’espèce ainsi que la conformité du jugement rendu avec les lois nationales et les instruments internationaux pertinents ratifiés par la République algérienne tels que la Déclaration universelle des droits de l’homme.
5. … les informations communiquées (ndlr: auprès des avocats):
a) Abassi Madani, professeur d’université, Président du Front islamique du salut (FIS) fut arrêté par des forces de la sécurité militaire le 30 juin 1991, au siège du Front islamique du salut (FIS). Le 2 juillet 1991, il fut présent avec d’autres dirigeants de son parti, devant le magistrat instructeur auprès du tribunal de Blida et inculpé d’atteinte à la sûreté de l’État et au bon fonctionnement de l’économie nationale.
Il lui a été notamment reproché d’avoir organisé et dirigé une grève qualifiée d’insurrectionnelle. Ses avocats ont contesté les poursuites dont il faisait l’objet devant la juridiction militaire. La défense soutenait que cette juridiction était incompétente en la cause, qu’elle ne pouvait connaître que des infractions à la loi pénale et au Code de justice militaire commises par des militaires dans l’exercice ou à l’occasion de leurs fonctions.
Le 15 juillet 1997, Abassi Madani fut libéré. Quarante-cinq jours après, le 1er septembre 1997, à la suite d’une interview accordée à un journaliste étranger dans laquelle il exprimait son opinion politique, et à l’envoi d’une correspondance au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, par laquelle il exprimait son entière disponibilité à participer à la recherche d’une solution à la crise, il fut assigné à domicile avec interdiction absolue de quitter les lieux, dans un petit appartement composé de deux pièces situé au quartier de Belouizdad, Belcourt, à Alger.
L’appartement est gardé en permanence par les services de sécurité qui interdisent à toute personne de lui rendre visite, à l’exception des membres de sa proche famille. Il lui est également interdit de disposer de moyens de communication avec l’extérieur ainsi que de consulter un médecin de son choix.
(…)la privation de liberté de Madani, tant celle résultant de son arrestation du 30 juin 1991 et sa condamnation par jugement du tribunal militaire du 15 juillet 1992, que celle résultant de la mesure d’assignation à domicile du 1er septembre 1997, ont un caractère arbitraire.
Abassi Madani a été arrêté arbitrairement pour l’exercice de ses droits politiques. Son inculpation d’atteinte à la sûreté de l’État a aussi un caractère strictement politique, aucun fait précis pouvant recevoir une qualification pénale n’a pu être établi par l’accusation.
La mesure d’assignation à domicile prise par les autorités contre Abassi Madani n’a aucun fondement juridique dans la loi interne algérienne. Les raisons de l’assignation à domicile sont les mêmes que celles ayant motivé son arrestation et sa condamnation par le tribunal militaire, le libre exercice de ses droits politiques.
b) Ali Benhadj, professeur de collège, Vice-Président du FIS, actuellement détenu à la prison militaire de Blida, fut arrêté par des forces de la sécurité militaire le 29 juin 1991 au siège de la télévision d’État où il s’était rendu pour demander un droit de réponse sur la grève décidée alors par son parti électoral.
Le 2 juillet 1991, il fut présenté, avec d’autres dirigeants de son parti, devant le Procureur militaire de Blida et inculpé de crimes contre la sûreté de l’État et d’atteinte au bonfonctionnement de l’économie nationale. Il lui a été reproché principalement d’avoir initié et dirigé une grève qualifiée d’insurrectionnelle. Les avocats d’Ali Benhadj ont contesté la compétence de la juridiction militaire relevant hiérarchiquement du Ministère de la défense nationale.
Le tribunal militaire, composé d’un juge civil nommé par les autorités militaires et assisté de deux officiers supérieurs désignés par le Ministre de la défense nationale, a condamné M. Benhadj à 12 années de réclusion criminelle par jugement en date du 15 juillet 1992.
Le jugement a été rendu en l’absence des accusés, Ali Benhadj ayant été expulsé de la salle d’audience sur ordre du Procureur militaire. Ce jugement a été confirmé par un arrêt de la Cour suprême du 15 février 1993, épuisant ainsi toutes les voies de droit possibles.
… Tous ses coaccusés arrêtés et condamnés dans le cadre de la même procédure, à des peines de 4, 6 et 12 années de réclusion, ont été libérés après avoir purgé une partie seulement de leur peine.
Selon la source, durant cette période, Ali Benhadj a été soumis à divers régimes de détention et traité d’une manière différente selon qu’il ait été considéré par les autorités comme un interlocuteur politique ou comme un opposant.
De juillet 1991 à avril 1993, Ali Benhadj a été détenu à la prison militaire de Blida où il aurait fait l’objet de brutalités physiques à plusieurs reprises. Il a été transféré, ensuite, à la prison civile de Tizi-Ouzou où il fut soumis au régime de l’isolement dans le quartier des condamnés à mort pendant plusieurs mois puis transféré de nouveau à la prison militaire de Blida où des négociations politiques auraient été ouvertes entre les dirigeants de son parti et le Ministère de la défense nationale.
A la suite de l’échec de ces négociations, il a été transféré le 1er janvier 1995 dans une caserne militaire de l’extrême sud du pays où il aurait été détenu au secret dans une cellule exiguë sans aération ni possibilité d’hygiène.
En automne 1997, il a de nouveau été transféré à la prison militaire de Blida où il a été gardé dans un isolement total.
En mars 1999, sa famille a été autorisée à lui rendre visite. En janvier 2001, sa famille a constaté une dégradation de son état général de santé et avance des raisons sérieuses de craindre pour sa vie.
Ali Benhadj a été condamné par un tribunal manifestement incompétent qui ne pouvait être ni équitable ni impartial, puisqu’il relevait du Ministère de la défense nationale et non de celui de la justice, et que les magistrats le composant étaient désignés par le Ministre de la défense. Son procès s’est déroulé en son absence, sans public, et n’a pas été équitable.
6. Dans sa réponse, le Gouvernement s’est contenté de déclarer que dans les deux cas, «(…) la législation algérienne a été correctement appliquée sur la base d’accusations précises et étayées, la procédure requise a été engagée et scrupuleusement suivie et l’affaire a été présentée aux autorités judiciaires compétentes qui ont rendu un verdict indépendant et impartial conformément à la,loi».
Le Gouvernement a ajouté ce qui suit: «( …) tout au long du processus, les personnes mentionnées ont été en mesure d’exercer tous les droits et les garanties qui leur sont reconnus par la loi. À cet égard, elles ont pu choisir leur propre conseil (… ) et ont exercé librement leur droit de faire appel du jugement prononcé par la juridiction du fond. Dans le cas de M. A. Benhadj, le jugement a été confirmé par un arrêt de la Cour suprême. Quant à la demande de révision judiciaire du jugement déposée par M. A. Madani, elle a été rejetée par la Cour suprême».
….. 9. Il est également affirmé que Abassi Madani a été assigné à résidence le 1 er septembre 1997 – mesure qui n’est pas prévue par la législation algérienne. Il est tenu de rester en permanence dans un petit appartement, gardé par des agents de la sécurité, qu’il lui est interdit de quitter. Il ne peut disposer d’aucun moyen de communication. Il ne peut en outre recevoir aucun visiteur à l’exception des membres de sa famille. Le Gouvernement n’a fait aucune observation sur cette allégation.
10. Il est également affirmé que Abassi Madani et Ali Benhadj, qui sont respectivement président et vice-président d’un parti d’opposition, ont été poursuivis et condamnés en raison de leurs opinions et convictions politiques. Le Gouvernement n’a fait aucune observation sur ces arguments.
En l’absence d’autres renseignements et arguments à l’appui de cette allégation. le Groupe de travail n’a pas pu parvenir à une conclusion sur la question de savoir si le procès et la condamnation de MM. Madani et Benhadj soulèvent une question distincte concernant la privation de liberté aux fins de réprimer l’exercice de la liberté d’expression.
11. Au vu de ce qui précède, le Groupe de travail rend l’avis suivant: La privation de liberté de M. Abassi Madani et de M. Ali Benhadj est arbitraire car elle va à l’encontre des articles 9 et 10 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et des articles 9 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et relève de la catégorie III des catégories applicables à l’examen des cas soumis au Groupe de travail.
….. en ce qui concerne l’assignation de M. Abassi Madani à résidence qu’il considère, conformément à sa délibération 01, cette mesure comme une forme de privation de liberté.
12). En conséquence, le Groupe de travail prie le Gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour remédier à la situation et la mettre en conformité avec les normes et principes énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.