Le gouvernement peut-il juguler l’inflation et créer 400 000 emplois par an ?

Le gouvernement peut-il juguler l’inflation et créer 400 000 emplois par an ?

La Nouvelle République, 23 avril 2008

S’agissant d’un problème aussi complexe que celui du chômage ou de l’inflation, il me semble utile de préciser que ces phénomènes doivent tenir compte de la structure et des particularités de l’économie à laquelle ils sont appliqués, les aspects de structures de l’économie internationale, de l’économie interne résultant de l’option de la stratégie de développement économique, aux schémas de consommation générés en son sein pour des raisons historiques, d’influences socioculturelles et aux composantes des différentes forces sociales pour s’approprier une fraction du revenu national.

1 – Quel est le taux d’inflation en Algérie ?
Au préalable, il est utile de rappeler pour les partisans monétaristes, toute augmentation de la masse monétaire entraîne l’inflation, par ricochet les taux d’intérêt freinant par là l’investissement et favorisant le chômage et les partisans de la régulation (mais toujours au sein d’une économie de marché et la dominance du secteur privé) pour qui cette augmentation certes a des incidences à court terme mais à moyen terme permet la relance de la demande, l’élargissement du marché intérieur et est facteur de développement. Cependant, dans la pratique des politiques économiques se combinent à la fois une politique monétaire active mais également une politique budgétaire ciblée. Les enquêtes montrent clairement que n’existe pas une corrélation stricte entre l’augmentation des salaires donc de la masse monétaire mise en circulation et le niveau général des prix. Des facteurs économiques, sociologiques, voire politiques influent fortement sur la tendance : si l’on s’en tient aux facteurs économiques, nous citerons l’augmentation de la production, le niveau de l’épargne ou de thésaurisation de cette augmentation, la disponibilité des produits divers sur le marché, avec la diminution ou l’accroissement des importations ou exportations, les fluctuations des taux de change dans une économie de plus en plus ouverte, jouent comme facteurs de stabilisation ou de déstabilisation. Il s’ensuit qu’à une analyse quantitative et surtout globale reflétée par l’indice officiel des prix devrait se substituer un traitement plus personnalisé et donc une analyse qualitative pour une politique efficace. Ce que l’on peut affirmer, c’est qu’un indice de prix est historiquement daté et ne saurait se limiter aux biens classiques, impliquant une révision profonde du calcul de l’indice des prix en Algérie. Pour le gouvernement, le taux d’inflation a été de 1,6 % en 2005, 3% en 2006, et après l’avoir estimé à 3,5 % en 2007 donne en mars 2007 le taux de 4,7 % (selon l’officiel des raisons essentiellement externes dues à l’envolée des prix comme le blé, la farine sur le marché international), ayant prévu des subventions pour la farine, la semoule et le lait et une somme colossale des transferts sociaux représentant plus de 10 % du PIB pour assurer la paix sociale. Or, selon un document important relatif à une étude sur l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, du centre de recherche américain, Casey Research en date du 6 mars 2008, le taux d’inflation en Algérie serait de 12 % en 2007, beaucoup plus en 2008, contre une moyenne de 7/8% au niveau de la région Mena. Si le processus inflationniste continue à ce rythme entre 2008/2009, cela aura des incidences sur le taux d’intérêt des banques qui devraient le relever au moins de deux à trois points par rapport aux taux d’inflation réel, si elles veulent éviter la faillite. Ou, alors l’Etat devrait recourir à nouveau à leur assainissement qui a coûté entre 2002/2004 au Trésor plus de 5 milliards de dollars US. Cela freinerait à terme le taux d’investissement utile, la plupart des opérateurs économiques préfèrent se réfugier soit dans les activités à court terme soit dans les activités spéculatives actuellement dominantes, la part de la production des hydrocarbures dans le produit intérieur brut approchant en moyenne pour 2006/2007 les 50%, les exportations hors hydrocarbures ne représentant pour 2007 que 2 % malgré un taux de change de plus de 100 dinars un euro, montrant que le blocage du développement est systémique. L’inflation est de retour en Algérie, risquant de remettre en cause les équilibres macro-économiques, car ayant accusé un retard dans les réformes micro-économiques et institutionnelles, et ce, bien que le niveau des réserves de change dépasse les 110 milliards de dollars US en avril 2008, le stock de la dette tant intérieure qu’extérieure, ce dernier est en nette baisse, selon la Banque centrale d’Algérie, de 4,9 milliards de dollars, non pour des raisons de gouvernance interne, mais grâce à l’envolée du cours du pétrole. L’Algérie risque de revenir à la case départ si l’on a cette vision du passé que le développement s’assimile aux dépenses monétaires et aux réalisations physiques sans se préoccuper des impacts et des coûts. Et surtout, si l’on continue dans cette voie hasardeuse de l’assainissement répété des entreprises publiques, plus de 40 milliards de dollars US entre 1991/2007 et encore 4 milliards de dollars, loi de finances 2008 et l’inefficacité des dépenses publiques avec la corruption socialisée qui engendre une démobilisation générale se répercutant sur la productivité globale. Pour preuve, une enquête réalisée au niveau d’une thèse de magister durant l’année 2007, montre qu’à la question : allez-vous travailler ou au travail ? la réponse pour plus de 80 % des personnes sondées était la suivante ; je vais au travail. Le renvoi du dossier de l’adhésion à l’OMC courant janvier 2008 s’explique fondamentalement par la panne de la réforme globale. « La balle est dans le camp du gouvernement algérien », car depuis 1986, l’Algérie est dans une interminable transition n’étant ni une économie étatisée, ni une véritable économie de marché concurrentielle, expliquant le peu d’efficacité tant de la régulation politique, sociale et économique.

2- Le pouvoir d’achat des Algériens
Ce processus inflationniste est amplifié par l’emprise de la sphère informelle, produit de la bureaucratie centrale et locale qui entretient des relations diffuses de corruption avec cette sphère, (expliquant que les rapports internationaux des trois dernières années 2005/2007 classent l’Algérie à un niveau de corruption élevé), qu’il s’agisse d’intégrer intelligemment, loin des mesures bureaucratiques peu efficaces, contrôlant 40 % de la masse monétaire en circulation avec une intermédiation financière informelle. Tout se traite en cash, alors que la base de l’économie moderne se fonde sur le crédit, et qu’au-delà de 100 dollars, la carte de crédit est souvent exigée. Cette sphère contrôle quatre segments-clefs : celui des fruits et légumes, de la viande, celui du poisson pour les marchandises locales et pour l’importation, le textile – chaussures (posant le problème du contrôle de la douane). Cette domination de la sphère informelle contraste avec le niveau de la salarisation entre 2000/2007 en nette baisse, accusant une régression au profit des emplois rentes passant, selon mes calculs, moyenne 2006/2007 de 22,10% en 1991 à 20% en 2001 et 19%, ce ratio étant supérieur à 30% au Maroc et 37% en Tunisie, et varie entre 40/60% selon les pays développés, oubliant ainsi que le salaire est un prix et que le travail est la seule source de richesse permanente. Le constat en Algérie est l’absence d’une véritable concurrence, faisant que les circuits entre le producteur et le consommateur (les grossistes informels) ont tendance à se rallonger, la marge commerciale pouvant représenter 2 à 3 fois le prix de production (surtout dans le domaine agricole), ce qui ne peut que décourager le producteur immédiat et l’orienter vers des activités spéculatives et fait que la politique d’encadrement des prix peut s’avérer d’une efficacité limitée, en fonction des moyens mis en œuvre, dans la mesure où le contrôle des prix repose sur le détaillant qui ne fait que répercuter ces surcroîts de distribution. On ne peut invoquer, pour expliquer l’inflation, uniquement les dernières augmentations au niveau de la Fonction publique, (le montant étant estimé à environ 170 milliards de dinars annuellement, soit environ 1,7 milliard d’euros) et l’extérieur, pouvant l’amplifier si le statu quo et l’immobilisme persistent. Pour preuve, le cours du pétrole a augmenté de 300% et le taux d’inflation dans les pays développés ne dépasse pas 3/4%. Dans les pays émergents, certes le taux d’inflation fluctue entre les 5/8%, comme en Chine ou la Russie, mais le taux de croissance est supérieur à 7/11 %, selon les pays.

(1) : Interview en date
du 17 avril 2008 du docteur Abderrahmane Mebtoul à la Radio algérienne Chaîne III «Pourquoi la hausse du prix du pétrole et des denrées alimentaires au niveau mondial ?»

Abderrahmane Mebtoul expert international