Les incendiaires de l’Algérie sont au pouvoir !

Les aveux d’Ahmed Ouyahia

Les incendiaires de l’Algérie sont au pouvoir !

Ahmed Selmane, La Nation, 10 Avril 2012

Il arrive à Ahmed Ouyahia de dire des choses sensées mais en oubliant les indispensables prémices et en tirant les mauvaises conclusions. Sur la dépendance de l’économie algérienne – si tant est qu’elle existe au sens normal du terme – à l’égard des hydrocarbures, il assène ce que tout le monde sait. Et on peut même concéder que sa dramatisation de la menace et son échéance rapprochée n’a rien d’exagérée. « Si on ne fait pas de découvertes d’hydrocarbures importantes, on sera importateur sans ressources pour importer dans 15 ans ». Ce n’est pas un scoop. Le bon peuple, même non spécialiste de la chose économique le sait pertinemment. Tout comme il sait qu’Ahmed Ouyahia est aux affaires gouvernementales depuis 1995 au moins dans le cadre d’un régime qui pétrifie l’Algérie depuis plusieurs décennies. Et ils comprennent que quand M.Ouyahia évoque la « menace », c’est pour alarmer les algériens qui ne possèdent pas une once de pouvoir dans ce pays, ceux qui triment et ceux qui vivent d’expédients et que l’on matraque à l’occasion. Bien entendu, Ahmed Ouyahia s’adressait aux membres du Forum des chefs d’entreprises, des patrons privés qui ont de l’entregent et font partie de son monde. Mais ce n’est pas eux qu’il cherche à inquiéter, non, c’est nous, les sans capital, les sans journaux, les sans capacités de nuisance. Ceux qu’il cherche à inquiéter sont les algériens les plus nombreux ! Ceux qui pourraient penser que cet sempiternel Premier Ministre qui est là depuis bientôt vingt ans et son régime qui est là depuis toujours ont tellement failli qu’ils ne nous laissent plus que quinze ans pour espérer sortir de l’impasse… Impasse ? Va pour impasse, pour ne pas utiliser des termes plus crus que ces bureaucrates de la politique ont souvent tendance à inspirer… Car, on prend visiblement les citoyens de ce pays pour des demeurés !

Qui sont les faillis ?

Le cinquantenaire de l’indépendance que les tenants du régime veulent presque faire oublier est là pour rappeler que les prolégomènes de la faillite sont politiques. Et que les faillis, ce ne sont pas les algériens qui n’ont jamais eu de pouvoir, qui ont trimé, subi et supporté plus qu’il n’en faut, mais les algériens qui ont gouvernés et continuent d’exercer un pouvoir régalien sur la manière d’affecter les précieux revenus de ressources en voie d’épuisement. La faillite est politique et économique. Et il est clair que si la menace d’un tarissement des ressources hydrocarbures va poser de graves problèmes dans quinze ans, un terme proche quand on sait que M. Ouyahia est aux affaires depuis dix-sept ans…Mais la menace la plus imminente est celle représentée par un régime en faillite et impotent qui persiste à imposer ses logiques absurdes et destructrices. Il s’agit effectivement d’une menace existentielle si devait perdurer le même type de fonctionnement politique fondé sur l’exclusion des algériens, la clochardisation générale de la vie publique, l’irresponsabilité des gouvernants. Car quoi de plus irresponsable et de plus consternant que d’entendre un Premier Ministre, qui se targue d’un sens élevé de l’Etat deviser sur l’informel et sur les lobbys maffieux et affirmant qu’il y avait parmi eux des gens qui « disent, je mets 10 milliards et je brûle tout (nahrgha). Vous voulez le chèque ? ». Il faut donc constater les évidences. M. Ouyahia est au pouvoir : lui et son régime disposent de services de sécurité en tous genres. Or, il se dit incapable de mettre au pas quelques barons de l’informel qui plus est proclament qu’ils sont en mesure de mettre des fortunes en jeu pour incendier l’Algérie. Il suffit d’aller dans n’importe quel tribunal pour constater qu’on ne badine pas avec les chapardeurs de téléphone portable ! A priori, rien ne devrait empêcher l’Etat d’user légitimement de son autorité pour réduire à l’impuissance les incendiaires de l’Algérie. Sauf à concéder que ces intouchables pyromanes ne sont pas des justiciables, qu’ils appartiennent à une catégorie de super-algériens non astreints au régime commun, à la vulgaire règle de la loi.

Les super-Algériens

Qui peuvent donc être ces super-algériens ? Vivent-ils dans les taudis et bidonvilles de la capitale et d’ailleurs ? Partent-ils au travail, ou à la recherche de travail, chaque matin le ventre relativement creux avec des soucis ordinaires de survie ? Font-ils partie de ces peuplades épuisées qui assaillent des services de santé publics débordés et désorganisés ? S’agirait-il de ces jeunes au cœur et à l’esprit déjà lacérés par l’ennui et un sombre avenir ? S’agirait-il de ces innombrables couples qui se délitent faute de perspectives, ou de ces syndicalistes qui luttent dans l’adversité absolue pour réduire autant que faire se peut l’oppression de l’arbitraire ? Font-ils partie de ces militants politiques qui se battent pour les libertés et que l’on surveille comme des « agents » d’un ennemi improbable et indéfinissable ? On peut allonger la liste de ceux qui ne sont pas et ne peuvent pas être les pyromanes de l’Algérie. Des personnages qui ont des milliards à dépenser pour financer des émeutes ça ne court pas les rues. Et de surcroit dans un pays où le droit ne protège pas les citoyens normaux ! Ce sont donc bien des super-Algériens ! Et si Ahmed Ouyahia en parle pour nous faire peur, c’est qu’ils se trouvent bien là où l’on pense. Au cœur du régime, au pouvoir même. Ils y sont si bien incrustés qu’ils peuvent empêcher l’application de la loi, interdire l’obligation du recours aux chèques… et proscrire toutes les normes élémentaires d’un fonctionnement minimal d’un Etat et d’une économie. On en tire la seule conclusion logique : le régime a en son sein des « brûleurs » de pays qui disposent d’un droit de veto. « A l’allure où nous allons, vous disparaîtrez » a doctement énoncé Ahmed Ouyahia aux braves patrons privés d’Algérie en parlant de l’informel. Toujours à oublier les prémices et à tirer des conclusions erronées. Car à l’aune de la dérive pilotée par le régime, c’est l’Algérie qui risque de disparaître. La menace de la raréfaction des ressources serait effective dans quinze ans, la grave menace posée par un régime absurde est immédiate. Dans une déclaration au journal Le Monde Ahmed Ouyahia affirme qu’une « élection réussie est un vaccin pour protéger la République algérienne ». Mais qu’est donc cette République où, selon les aveux d’Ouyahia, incendiaires sont au pouvoir ?