Algérie: nouveau procès de la «mutinerie» de Serkadji

Algérie: nouveau procès de la «mutinerie» de Serkadji

Le tribunal d’Alger devait rejuger, hier, cette tuerie… sans les témoins clés et les principaux responsables.

 

José Garçon, Libération, 21 mars 2001

En février 1995, 100 détenus, dont 81 islamistes, de la prison de Serkadji ont été tués par les forces de sécurité, et 4 gardiens égorgés «par les mutins», selon les autorités.

Les dates sont visiblement mal tombées. Le général Khaled Nezzar, l’ex-homme fort du régime, est aux Etats-Unis et l’ancien président Zeroual est à l’étranger pour des soins. Ni l’un ni l’autre ne pourront donc témoigner devant le tribunal d’Alger, qui devait rejuger hier la mutinerie de Serkadji, l’une des affaires les plus troubles et les plus atroces d’une «sale guerre» qui n’en manque pourtant pas. Restent les six autres témoins cités eux aussi par la défense qui, tous, occupaient des postes clés au sommet de la hiérarchie judiciaire et policière au moment des faits. Prudent, le juge ne s’est pas prononcé sur leur présence. «Le problème, estime Me Mahmoud Khelili, l’un des avocats de la défense, c’est que plus d’une centaine de détenus ont été massacrés dans un établissement pénitentiaire. Il est donc normal que les hommes qui étaient alors à la tête de l’Etat soient appelés à témoigner sur la gestion qui a conduit à une telle boucherie.»

Conditions obscures. Le 21 février 1995, une «mutinerie» éclate à la prison de Serkadji, à Alger, réputée l’une des plus dures du pays. Elle s’achève trente-six heures plus tard dans un bain de sang: 100 détenus – dont 81 islamistes – tués pendant ou après l’assaut des forces de sécurité et quatre gardiens égorgés «par les mutins» selon les autorités, en réalité dans des conditions aussi obscures que le déclenchement de la mutinerie elle-même.

Si Alger s’en tient à la thèse d’une «évasion fomentée par les GIA avec la complicité d’un gardien», le Syndicat national des avocats algériens et la Ligue de défense des droits de l’homme évoquent un «carnage délibéré». La manière dont la justice algérienne est passée une première fois, en 1998, n’a pas contribué à démentir que les autorités aient organisé un simulacre de mutinerie pour éliminer massivement des islamistes, dont plusieurs chefs du FIS. Onze jours de procès n’avaient en effet pas permis d’éclaircir les zones d’ombre de ce drame. Aucun des témoins capitaux n’avait été entendu, à commencer par Abdelkader Hachani, le leader du FIS qui, en détention provisoire à Serkadji, servit pourtant de médiateur entre les autorités et les prisonniers. Détenu aussi, Lembarek Boumaarafi, l’assassin du président Boudiaf, ne sera pas davantage entendu. Du coup, la défense avait introduit un pourvoi en cassation après l’annonce du verdict (un gardien, Abdelhamid Mebarki condamné à mort pour «complicité et séquestration», et une quarantaine de peines distribuées allant de condamnations à mort par contumace à plusieurs années de prison en passant par l’acquittement).

Témoin décisif. L’instruction de ce premier procès ne fut pas moins particulière: un certain Hadji Ali, l’avait menée, dissimulé par une cagoule, et avait menacé de son arme les accusés qui refusaient de signer les dépositions. C’est cette affaire qui revenait hier devant le tribunal d’Alger. Avec un témoin décisif en moins: Abdelkader Hachani, assassiné en novembre 1999 sans qu’aucun de ses proches ou de ses avocats ne croit au «règlement de comptes entre islamistes» que les autorités mettent en avant.

Tout avait commencé à l’aube, ce 21 février 1995. Des hommes armés au visage masqué ouvrent les portes des cellules et poussent les détenus dehors. Les quatre gardiens sont tués avant que la majorité des prisonniers ne sortent et avant l’intervention des forces de sécurité. Par qui? Pourquoi? On ne sait, mais tous les témoignages concordent. Ykhlef Cherrati, un des chefs du Fis détenu, se démène pour convaincre les prisonniers de «ne pas répondre aux provocations». Il est abattu par les tireurs d’élite présents sur les toits. Il avait constitué avec Abdelkader Hachani et Abdelak Layada, un ancien chef des GIA, lui aussi détenu, un petit groupe qui, après dix heures de négociations, s’est engagé auprès des autorités à faire rentrer les prisonniers dans leurs cellules.

La fusillade commencera quelques instants après qu’un haut-parleur leur ait donné dix minutes pour les réintégrer. «Des détenus sont abattus par les forces de l’ordre dans la cour, dans les couloirs, à l’intérieur de leur cellule ou dans d’autres cellules où ils s’étaient cachés pour tenter d’échapper aux tirs», rapportent les témoignages cités par Amnesty International. Des prisonniers dont les noms figuraient sur une liste sont abattus. Kacem Tadjouri, un autre dirigeant du FIS, tombe. Aucune autopsie, aucune expertise balistique ne seront pratiquées. «Vous avez les empreintes et les photos de tous les détenus et vous identifiez seize corps sous « X, algérien » (non identifié), pourquoi?», demanderont les avocats lors du premier procès. «Je ne peux me souvenir de tous les détails d’une affaire qui s’est déroulée il y a trois ans», répondra le directeur de la prison.

Sans trop d’illusions. Pourquoi des condamnés à mort d’autres pénitenciers ont-ils été transférés à Serkadji quelques jours avant la «mutinerie»? Pourquoi le directeur de la prison n’a-t-il pris aucune mesure préventive alors que l’ex-procureur général d’Alger l’avait alerté sur une possible sédition? C’est à toutes ces questions que les avocats veulent obtenir des réponses dans le procès qui devait s’ouvrir hier. Sans trop d’illusions, sachant qu’au moment où s’ouvre la Commission des droits de l’homme de l’ONU à Genève, il s’agit surtout pour les autorités de répondre aux critiques qui leur reprochent de ne pas juger les grandes affaires de la «sale guerre».

 

 

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