L’ancien chef des patriotes de Relizane accusé de l’assassinat de l’un de ses hommes

L’ANCIEN CHEF DES PATRIOTES DE RELIZANE ACCUSÉ DE L’ASSASSINAT D’UN DE SES HOMMES

Yassin Temlali, Algeria Interface

Alger, 27/04/01 – « Mohamed Fergane amenait des citoyens innocents au parc [de la commune, NDLR] pour les torturer. Il les emmenait ensuite dans des endroits inconnus et les tuait. Il distribuait leur argent à ses miliciens. Mon père, un ancien combattant de la guerre de libération qui avait rejoint les groupes de légitime défense [GLD, civils armés, NDLR] pour défendre le pays contre le terrorisme, a refusé de cautionner ces pratiques. C’est grâce à lui que tout le monde a appris la vérité sur les agissements de Mohamed Fergane. Il s’est retiré des GLD [jusqu’au jour] où celui-ci est venu le voir dans une Renault 5 de la mairie et lui a promis que rien ne serait plus comme avant. En toute bonne foi, mon père est monté avec lui dans le véhicule. Quelques heures plus tard, nous apprenions la nouvelle de son assassinat […] »

Ce texte est extrait d’une lettre à la section de la Ligue de défense des droits de l’homme (LADDH) de Relizane (300 km à l’ouest d’Alger), dans laquelle Chahloul El Houari révèle que l’ancien maire de la ville, Mohamed Fergane, pourrait être derrière l’assassinat de son père, Chahloul Salah, qui activait sous ses ordres lorsqu’il était chef des GLD, constitués dès 1994 sous l’égide de l’armée pour appuyer la lutte antiterroriste dans la région.

Pour Mohamed Smaïn, président de la section locale de la Ligue des droits de l’homme, ce témoignage d’un membre de la famille de Chahloul Salah, assassiné en février 1996,  » infirme les résultats de l’enquête de la gendarmerie qui avait conclu hâtivement à un acte terroriste « .

Il vient conforter, ajoute-t-il, ses propres conclusions sur l’affaire, basées sur des  » déclarations de patriotes compagnons de la victime qui ont requis l’anonymat « . Même tardif, il pourrait déboucher, selon lui, sur une action en justice qui rouvrirait le dossier des  » dépassements  » de l’ancien patron des GLD, vite refermé après un bref intermède judiciaire en 1998.

Un lourd passif
Ce n’est pas, en effet, la première fois que Mohamed Fergane est aussi gravement mis en cause. Pour les familles de personnes disparues, il est un des principaux responsables des dizaines d’enlèvements qu’a connus Relizane entre 1994 et 1997 et qui se sont soldées vraisemblablement par des exécutions sommaires.

Suite à des plaintes de citoyens de Relizane, il a été arrêté le 27 mars 1998, en même temps que Mohamed Abed, chef des GLD de Jdiouia, une localité de la région, quatre autres « patriotes » dont son propre fils ainsi qu’un garde communal. Les accusations (enlèvement, assassinat…) étaient d’une telle gravité que même des journaux réputés peu regardants sur les méthodes de la lutte contre les groupes armés se sont interrogés sur les  » dérives du combat antiterroriste « .

Mais, à la surprise générale, les six prévenus ont été relâchés dix-sept jours plus tard, le 12 avril 2001, suite à une insoutenable pression du Rassemblement national démocratique (RND, parti gouvernemental), dont Mohamed Fergane et Mohamed Abed étaient les élus locaux et d’incontournables notables.

Officiellement, les accusés sont demeurés sous contrôle judiciaire, mais personne ne se faisait d’illusion sur la volonté des autorités de mener à son terme une affaire aussi emblématique de ce que même le quotidien Liberté avait qualifié d’ » ère de terreur à Relizane « . La suspension officieuse de l’enquête judiciaire contre les six prévenus est, depuis 1998, dénoncée de façon récurrente par les organisations de défense des droits de l’homme.

Elle est d’autant plus virulente que, selon le président de la LADDH de Relizane, Mohamed Fergane jouit, aujourd’hui encore, de solides complicités. Ces complicités, souligne-t-il, sont en tout cas suffisamment fortes pour qu’il se permette d’ouvrir des fosses communes et d’en exhumer les ossements des victimes des exécutions qu’il avait ordonnées.

Les indices disparaissent
La tenacité du président de la LADDH de Relizane, Mohamed Smaïn, et son action pour prouver l’existence de charniers dans la région lui ont valu d’interminables démêlées avec la justice et les autorités. Depuis 1998, l’ancien maire Mohamed Fergane a déposé contre lui pas moins de douze plaintes pour « diffamation », « injure » ou « menace », que le parquet, ironise-t-il, traite avec une rare diligence.

Deux de ces plaintes sont encore en instruction. Le 23 février 2001, Mohamed Smaïn a été interpellé à l’aéroport d’Oran, inculpé puis mis en liberté provisoire, le juge ayant rejeté la demande du parquet de notifier une détention préventive.

Il avait été attaqué devant les tribunaux par Mohamed Fergane après avoir déclaré à Erraï, un quotidien de l’Ouest, que, le 3 février 2001 au soir, des hommes de l’ancien chef des GLD ont ouvert un charnier situé à 10 kilomètres de Relizane pour déterrer des ossements de victimes d’exécutions sommaires.

Le 27 mai 2000, quelques jours après une visite d’information d’Amnesty International à Relizane, Mohamed Smain a été interpellé par la gendarmerie alors qu’il revenait d’Oued Djemaa, où il venait de filmer le site d’une fosse commune, « fraîchement ouverte », selon lui. Son matériel ainsi que le film avaient été saisis, et il avait été inquiété, selon la version d’un journal pro-gouvernemental, pour…dissimulation de preuves! Quelques jours plus tard, il se faisait inculper pour diffamation sur la base d’une nouvelle plainte de Mohamed Fergane.

 

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