4 septembre 1996: Abdeslem, battu à mort par les policiers
Abdeslem, battu à mort par les policiers
Le Jeune Indépendant, 18 décembre 2001
Le 4 septembre de lannée 1996, aux environs de 21 heures, Benbeka Abdeslem, âgé de 19 ans, était tabassé avec une sauvagerie sans commune mesure par des éléments des services de sécurité dans la cour de la cité où il habite.
La scène se déroule à quelques mètres à peine de la porte du domicile parental. Le jeune sera abandonné inanimé par ses agresseurs jusquà ce que ses voisins crient à lassassinat. Cest alors que ses mêmes agresseurs décident de le «ramasser» et le conduire à lhôpital, accompagné de son plus jeune frère en labsence dune personne adulte au moment du drame.
Il retournera cinq jours plus tard chez lui mort. Ce 4 septembre donc, Abdeslem était sorti de chez lui à 20 h 30 pour aller retrouver ses amis de quartier et veiller avec eux sachant que la soirée était propice avec la célébration dune fête de mariage dans la cité. Un quart dheure plus tard, deux Patrol font leur entrée dans la cour doù descendront des policiers qui demblée vont solliciter les papiers didentité du groupe. Abdeslem nayant pas ses papiers sur lui se propose daller les récupérer chez lui, juste à côté. Il rencontre cependant le refus assorti de propos indécents de lun des agents de sécurité. Le jeune homme en fera la remarque au policier qui, prenant cette réaction pour «rébellion» à lautorité, hélera lescouade en renfort se faisant un plaisir à bastonner le jeune homme à deux, trois, quatre et puis cinq fois devant ses amis stupéfaits et les cris des femmes qui assistaient à la scène à partir de leurs balcons. Les coups ne sarrêteront que lorsque le corps dAbdeslem cessera de bouger.
En le conduisant à lhôpital, les policiers endosseront les blessures à «X», affirmant que la victime a été retrouvée dans un bois en létat. Le lendemain, il sera conduit à la clinique privée Ibn-Rochd où il subira un scanner de la partie supérieure du corps (tête) ; alors que les coups mortels avaient été assénés à labdomen et au bas-ventre de la victime
Abdelhak, lun des frères dAbdeslem, veillera tous les jours sur son frère, jusquau dernier souffle. Il aura constaté que «des policiers se sont présentés une ou deux fois pour demander sil était toujours en vie, sans plus». La victime décédera finalement le 9 septembre, cest-à-dire cinq jours après lagression. Dès lors, son père fera toutes les démarches possibles en déposant plainte auprès de la gendarmerie, quAbdeslem sapprêtait à intégrer. Dailleurs, cest dans le cadre de lenquête de moralité effectuée dans la cité auprès du voisinage que les gendarmes apprendront que le postulant était décédé. M. S. le père saisira le DGSN et sera convoqué quelques jours plus tard par les services de lIGS, autrement dit la police des polices qui laurait rassuré sur «dhonnêtes investigations».
Mais cet intérêt ne dépassera pas le stade des déclarations dintention. Le père du défunt écrira donc à Liamine Zeroual et ensuite au nouveau Président, en loccurrence Bouteflika, dont le cabinet lui donnera une réponse en date du 27 octobre 1999 (sous le numéro 7968) linformant que le ministère de la Justice avait été instruit à ce sujet. Un déplacement vers ce même ministère lui apprendra que la Cour de justice de Constantine avait été instruite à son tour pour une nouvelle enquête. Tout cela en janvier 2001. Il sest passé aujourdhui plus de 11 mois et le dossier serait toujours en souffrance chez le procureur général qui le garde, en contradiction des instructions émanant de la tutelle.
Cité Ben Boulaïd, «les Minguettes» de Constantine La cité Ben Boulaïd est-elle poursuivie par la scoumoune ? Les événements qui semblent la marquer incitent à le croire. Ensemble architectural imposant par le nombre dimmeubles qui le constitue, la cité est beaucoup plus proche par le style dun pénitencier que dune structure à usage dhabitation. Le couloir est unique et les portes daccès aux appartements sont réparties en longueur à linstar dun centre de détention où tout est livré à vue dil. Autrement dit, lintimité est dramatiquement absente. Tout cela à dessein car ces constructions, même réalisées au lendemain de lindépendance nen obéissant pas moins aux plans de loccupant français dans le but évident de surveiller les mouvements des populations dans leurs détails les plus infimes, notamment depuis lavènement de la guérilla urbaine animée par les fidayine.
Ces bâtiments serviront, à cette époque où la demande en logements était pratiquement insignifiante, à caser des familles établies à Constantine suite à un exode rural ou à quiconque y postulait. Melting-pot des origines sociales, cette particularité déteindra sur le mode de vie de ses habitants dautant plus que la cité était déjà érigée à lextrême périphérie du centre urbain comme si elle pouvait en constituer une plaie qui ne pouvait assumer la «modernité» dune ville. Partant de cette stigmate Benboulaïd assumera son statut de cité recluse forgeant sa propre réputation de cité paria, infréquentable. En fait, un véritable ghetto autour duquel se tisseront bien entendu les histoires les plus farfelues. Et même sil y a du vrai dans ce qui est raconté autour de la Ben Boulaïd, il ne saurait quêtre identique à ce qui se fait ailleurs dans les autres cités de la ville telles que Belle vue, Bel-Air, Belouizdad, voire Souika.
Conclusion de lexamen médical A part le fait que le scanner ait été «commandé» par des personnes étrangères à la famille de la victime, la crédibilité dudit examen médical en dit long sur la hâte de justifier la mort du jeune homme pour toutes autres raisons que celles qui découleraient du passage à tabac. Abdeslem avait subi le scanner le lendemain de lagression et comme par hasard cet examen na ciblé que la tête alors que les coups reçus ont été portés pratiquement en totalité au niveau de la cage thoracique, labdomen et le bas-ventre, selon les témoins. Les résultats de lexamen ne devaient, par conséquent, que déboucher sur «labsence de lésions osseuses patentes» et «examen scanographique sans particularités».
Le policier à lorigine de lagression est connu
Lagent de sécurité ayant interpellé la victime, a commencé le passage à tabac et qui a également mis le plus de hargne et de férocité à frapper Abdeslem est connu. Il réside au quartier dit Menchar, un secteur de la ville qui fut, il y a une trentaine dannées, un ghetto fournisseur de délinquants et où la violence était érigée en seule loi, et ce, au vu et au su des pouvoirs publics. Il se transformera par la suite en bastion de lislamisme naissant. La mosquée qui y était érigée était connue pour les prêches incendiaires de limam qui y officiait, un ex-loubard, gérant dun débit illicite de vente de boissons alcoolisées.
Cest sans état dâme que la population dEl-Manchar, notamment ses délinquants, traduiront une violence politique quon aurait dit génétique, soit en optant pour le minbar soit pour la répression et la coercition officielle en revêtant une tenue dagent de lordre et de sécurité.
A. L.
La LDDH se constitue partie civile
Ayant eu connaissance de cette affaire, la Ligue pour la défense des droits de lhomme sest constituée partie civile. Cest ce que nous a indiqué son représentant à Constantine, en loccurrence maître Chouiter Sofiane. Il y a lieu de souligner que la LDDH est présidée par Me Ali Yahia Abdennour. En se constituant partie civile, la ligue devrait avoir accès au dossier et connaître les tenants et les aboutissants de cette affaire baignée dun halo inquiétant dans lequel se débat une humble famille constantinoise à qui lon a ravi son enfant au nom du droit du plus fort.