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L’OBSERVATOIRE pour la Protection des Défenseurs des Droits de l’Homme

COMMUNIQUE DE PRESSE

Genève, Paris, 25 février 2002

ALGERIE : Condamnation arbitraire d’un défenseur des droits de l’Homme

Le 24 février, la Cour d’appel de Rélizane a condamné Mohamed Smaïn, responsable de la section de Relizane de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’Homme (LADDH), à une année de prison ferme, soit une peine 6 fois plus longue que celle prononcée en première instance, et à 210 000 dinnars d’amende (3200 euros) – presque cinq fois plus qu’en première instance.

Condamné pour diffamation le 5 janvier 2002 à 2 mois de prison ferme, 5000 dinnars d’amende et 10 000 dinnars de dommages et intérêts à verser à chacun des neuf plaignants, M. Mohamed Smaïn, avait interjeté appel de cette décision. M. Smaïn a déclaré à l’Observatoire (programme conjoint de la FIDH et de l’OMCT), qui avait mandaté un observateur au procès en première instance puis en appel, son intention de se pourvoir devant la Cour suprême.

A l’origine de ce procès, se trouve une plainte déposée par Hadj Fergane, ex- maire de Rélizane, ainsi que huit autres ex-membres d’une milice dite de légitime défense. Cette plainte avait été introduite après que M. Smaïn ait alerté la presse algérienne, le 3 février 2001, sur la découverte et l’exhumation de charniers par les services de gendarmerie et la milice de Fergane.

L’Observatoire dénonce avec la plus grande fermeté la condamnation arbitraire de M. Smaïn, qui vise à restreindre son action de protection des droits de l’Homme et sanctionne l’exercice par un défenseur des droits de l’Homme de son droit à  » promouvoir la protection et la réalisation des droits de l’Homme et des libertés fondamentales « , conformément à la Déclaration
des Nations Unies sur les défenseurs des droits de l’Homme. Les activités de M. Smaïn à Oran et Relizane en faveur des familles de disparus et son action pour que la vérité soit faite sur les violations perpétrées en Algérie sont reconnues au niveau international et national et lui valent d’être la cible des autorités. Il a aidé plusieurs ONG internationales lors de leurs missions d’enquête en Algérie courant 2000.

L’Observatoire saisit immédiatement la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies sur les défenseurs des droits de l’Homme.

L’Observatoire demande à la Commission des droits de l’Homme des Nations Unies, dont la 58ème session s’ouvre à Genève le 18 mars, d’appeler l’Algérie à se conformer à ses obligations internationales dans le domaine des droits de l’Homme et d’accepter que le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires, le Rapporteur spécial contre la torture et le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires se rendent en Algérie, comme ils ont demandé à le faire à plusieurs reprises sans jamais recevoir de réponse.

Informations complémentaires

De 1994 à 1998, deux maires, El Hadj Fergane, maire de Rélizane surnommé  » le shérif  » et Hadj Abed, maire de Jdiouia, ont consituté une milice composée de membres de leurs familles et d’anciens combattants de la guerre de libération. Cette milice, que la population a surnommée  » les cagoulés  » a été responsable durant des années de plusieurs dizaines d’enlèvements, suivis de disparitions, d’extorsion de fonds et d’expéditions punitives contre les familles réputées proches des membres du FIS ou des groupes armés. En avril 1998, les deux maires ainsi que plusieurs autres miliciens ont été arrêtés et relâchés trois jours après malgré leur inculpation de crimes graves (enlèvements, assassinats et extorsions de fonds). Leur procès ne s’est toujours pas tenu.

Le procès de Mohamed Smaïn est exemplaire du climat d’impunité qui prévaut en Algérie, un pays qui demeure régit par le décret sur l’état d’urgence du 9 février 1992. Alors que, selon les estimations les plus basses, 7200 personnes au moins ont disparu en Algérie ces dix dernières années, les familles de disparus et des défenseurs des droits de l’Homme comme Mohamed Smaïn continuent de demander en vain la vérité et la justice sur le sort de leurs proches. Non seulement les auteurs de violations des droits de l’Homme – dont certains, comme Fergane et ses miliciens qui sont pourtant connus de tous – ne sont pas inquiétés, mais ce sont les défenseurs des droits de l’Homme eux-mêmes, qui demandent que des enquêtes soient diligentées afin d’identifier et de punir les responsables, qui se trouvent poursuivis et condamnés à de lourdes peines par une justice aux ordres.

Pas plus que les disparitions forcées, les autres violations flagrantes, massives et systématiques perpétrées ces dix dernières années – arrestations arbitraires, détentions au secret dans des centres non officiels, pratique généralisée de la torture et des mauvais traitements, exécutions sommaires par des éléments des forces de sécurité ou des milices, non respect des délais de garde à vue et de détention préventive, atteintes graves au droit à un procès équitable, atteintes à la liberté d’association, de manifestation et à la liberté de la presse – n’ont pas l’objet d’enquêtes sérieuses. De même, les actes terroristes n’ont pas fait l’objet d’enquêtes approfondies et les victimes du terrorisme n’ont pas été véritablement prises en charge pour leur réhabilitation.

Ce procès a donné lieu à l’audition de nombreux témoins et victimes qui se sont pour la première fois exprimés sur les violations des droits de l’Homme – exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires, disparitions, torture, pillages, etc. – perpétrées par Fergane et sa milice depuis 1993. De telle sorte que, de facto, le procès est davantage apparu comme celui des miliciens et des autorités dont elles avait le soutient, que comme celui de M. Smaïn. Pour cette raison, l’Observatoire souligne que, en dépit du verdict inique qui en est issu, ce procès a néanmoins constitué une étape sans précédent dans la recherche de la vérité sur les atrocités perpétrées en Algérie depuis près d’une décennie.

La condamnation de Mohamed Smaïn vient s’ajouter à toute une série d’actes de harcèlement dont est il l’objet. Il avait été arrêté par la police des frontières le 23 février 2001 à son arrivée à l’aéroport d’Oran alors qu’il revenait d’un voyage à Paris, à l’occasion duquel il avait rencontré divers responsables d’organisations internationales de défense des droits de l’Homme, parmi lesquelles la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), dont la LADDH est membre. Pendant son séjour en France, M. Smaïn avait appris qu’un mandat d’arrêt avait été lancé contre lui. Remis en liberté peu après, il avait toutefois été placé sous contrôle judiciaire et privé de ses pièces d’identité, documents de voyage. Ces mesures constituent des atteintes graves à sa liberté de mouvement et à l’exercice de ses activités professionnelles. Son permis de conduire lui a été rendu tout récemment mais, le 20 février, alors que, pour faire un plein d’essence, il avait du dépasser d’un kilomètre environ le périmètre de la commune de Rélizane, il a été interpellé par la gendarmerie et retenu plusieurs heures pour un interrogatoire qui a donné lieu à un procès verbal, avant d’être relâché.

Pour toute information, veuillez contacter :
FIDH : : + 33 1 43 55 25 18
OMCT : + 41 22 809 49 39