Que faire de la peine de mort ?
LE SUJET DIVISE LES ALGÉRIENS
Que faire de la peine de mort ?
Le Soir d’Algérie, 27 avril 2017
Les décideurs algériens hésitent encore à trancher dans le débat en cours sur la peine de mort, à l’heure où les partisans de son abolition et son camp adverse continuent à s’affronter sur le terrain.
Abla Chérif – Alger (Le Soir) – Le sujet passionne, déchaîne parfois et met dans une gêne évidente les responsables politiques, incapables, pour l’heure, de se prononcer en faveur d’une option définitive. L’Algérie semble avoir même marqué un recul face à la question, estiment les initiés en la matière.
Au moment où le pays traversait l’une des plus terribles pages de son histoire, des voix officielles s’étaient élevées pour réclamer l’abolition de la peine capitale. De nombreuses personnes impliquées dans des crimes de sang sans pareil et condamnées à mort par la justice algérienne ont ainsi pu échapper à l’exécution et continuent à jouir de la vie dans les prisons. Alors que se déroulait la décennie noire, des représentants de l’Etat ont été spécialement dépêchés à New York pour militer en faveur de l’adoption d’un moratoire universel pour l’abolition de la peine capitale. Leurs efforts n’ont pas été vains.
Ce moratoire a été adopté par l’Assemblée générale des Nations-Unies et l’Algérie s’est retrouvée, de ce fait, classifiée parmi les pays abolitionnistes ce qui a lui octroyé un bon point au sein de cette même communauté internationale qui lui reprochait des dépassements dans sa guerre contre les groupes terroristes.
En juin 2004, le garde des Sceaux de l’époque avait suscité un vif espoir au sein des abolitionnistes algériens en faisant ouvertement part de son intention d’introduire une loi dans ce sens. Tayeb Bélaïz avait déclaré publiquement qu’il la soumettrait à débat au sein de l’Assemblée populaire. Pour des raisons inconnues, le geste n’a pas suivi la parole.
A quelques mois d’intervalle, le Président Bouteflika, à l’apogée de son règne, affirmait aux officiels belges, qui l’accueillaient à Bruxelles, qu’il faisait partie de cette trempe de personnes «personnellement favorables à l’abolition de la peine de mort». Ses propos ont été perçus comme l’aveu de l’existence de forces puissantes hostiles à cette abolition à l’intérieur du pays.
Depuis, le débat n’a fait qu’enfler, s’orientant malheureusement à contresens des souhaits du camp opposé au maintien de la peine capitale. Pour la première fois dans l’histoire du pays, des Algériens sont même sortis en masse dans les rues pour exiger la peine de mort et son exécution contre des criminels d’un nouveau genre.
Un nouveau rapt d’enfants avait été enregistré, celui de la petite Nihal, quatre ans, retrouvée morte dans des conditions mystérieuses. Le drame avait alors plongé les Algériens dans une psychose mise à profit par les partisans de la peine de mort pour gagner davantage du terrain. La lutte est rude. Et elle opposera d’ailleurs les adversaires, vendredi et samedi prochains (les 28 et 29 avril), lors d’un séminaire consacré à la peine de mort et organisé par le Comité national algérien de l’Union internationale des avocats.
La rencontre se déroulera sous les auspices du barreau de Boumerdès. Elle est perçue comme étant une «bonne chose» par ses invités, tels que l’incontournable Me Miloud Brahimi dont le nom est inscrit en tête des fervents militants pour l’abolition de la peine capitale.
Engagé de longue date dans ce combat, l’avocat est considéré comme étant l’une des rares personnes à ne s’être jamais inscrites dans la «logique de l’argumentation» pour faire passer son message. «Je n’ai pas à argumenter, nous déclarait-il hier encore, je suis abolitionniste de nature et c’est une position que j’assume».
Vendredi, il est appelé à intervenir autour du thème en présence de confrères venus notamment d’Espagne et de France. «Pour l’instant, confirme-t-il, la situation n’a pas évolué depuis tout ce temps et rien n’indique qu’elle s’oriente dans le sens positif». Me Miloud Brahimi s’interroge : «Durant les années que je qualifie de décennie rouge, le HCE (Haut Comité d’Etat) avait fait un moratoire pour l’abolition de la peine de mort, et personne ne s’y était opposé. La logique aurait pourtant voulu qu’il soit décrié en raison de la situation qui prévalait à cette époque. On a ainsi évité l’exécution d’auteurs de crimes barbares, de coupables de liquidations massives, de violeurs qui tuaient leurs victimes après un asservissement sexuel insoutenable (…) comment concevoir dès lors que l’on puisse exécuter des auteurs de crimes passionnels ? Je me demande pourquoi ces voix qui s’élèvent actuellement ne l’ont pas fait lors de l’adoption du moratoire. Personne n’a dit à ce moment que c’était contraire à la religion. A présent, c’est le cas.» Notre interlocuteur rappelle que la Turquie a été obligée d’abolir la peine de mort pour pouvoir faire son entrée au sein de l’Union européenne. La Pologne s’est résignée elle aussi à le faire pour éviter d’être éjectée de l’organisation européenne. Mais d’autres pays comme l’Algérie restent à la traîne. Notre interlocuteur tient aussi à rappeler que «Mitterrand, sous le règne duquel se sont déroulées des exécutions de très nombreux Algériens (il était ministre de la Justice durant la Révolution), a aboli la peine de mort en 1981. Les droits de l’Homme sont faits par les hommes. On ne peut pas rester sous-homme. Le droit à la vie est indérogeable.»
Il faut savoir, enfin, qu’un séminaire semblable à celui qui se déroulera dans quelques jours à Boumerdès devait être organisé dans la capitale, sous l’égide du barreau d’Alger. Prévu pour le mois de mars dernier, il a été reporté au mois de mai. Sous réserve…
De «grosses pointures» telles que Robert Badenter, ancien avocat et ministre de la Justice ayant incité Mitterrand à abolir la peine de mort, se trouvent parmi les invités.
A. C.