Débat sur la peine de mort

Mes Farouk Ksentini et Miloud Brahimi sont pour son abolition

«La peine de mort est une torture, un supplice»

Le Jeune Indépendant, 17 décembre 2008

Maîtres Farouk Ksentini, président de la Commission nationale consultative pour la protection et la promotion des droits de l’homme, et Miloud Brahimi, avocat spécialiste des questions des droits de l’homme, se sont prononcés hier à Alger pour l’abolition de la peine de mort en Algérie, l’assimilant à une «torture et à un châtiment corporel».

Les deux hommes s’exprimaient lors d’une conférence-débat organisée au centre de presse du journal El Moudjahid à l’occasion de la commémoration du 60e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme. «La peine capitale est un châtiment corporel, un supplice, et moi je suis contre la torture et le châtiment corporel», a déclaré Me Ksentini qui s’est abstenu d’appeler clairement son abolition. Tout en renchérissant lui aussi que «la peine de mort est de plus en plus assimilée dans le monde à de la torture», Me Miloud Brahimi a été plus direct. «Si l’Algérie veut être de son temps, elle doit abolir la peine capitale et introduire dans sa législation le crime contre l’humanité et son prolongement naturel qui est l’adhésion à la Cour pénale internationale», a-t-il dit, assurant qu’ainsi «notre pays donnera l’exemple, comme il l’a toujours fait, au reste du monde arabo-musulman». Les deux hommes de loi ont par ailleurs rappelé l’existence d’un moratoire concernant l’exécution des peines de mort, soulignant qu’«aucune peine de mort n’a été exécutée en Algérie depuis 1993». A ce propos, Me Miloud Brahimi a relevé ce qu’il qualifie de bizarrerie qui fait que, d’une part, «il y a bien un moratoire et, d’autre part, on continue à prononcer des peines de mort dans tous les tribunaux criminels du pays». Il qualifie cet état de fait de «torture morale pour le condamné et pour sa famille». Interrogés par ailleurs sur le nombre des condamnés à mort en Algérie, les deux hommes ont indiqué n’avoir aucun chiffre à ce sujet. «Ils (les condamnés à mort, NDLR) sont nombreux et c’est un chiffre de trop», a toutefois
reconnu Me Brahimi. A. M.

 


L’avis des abolitionnistes

Le Jeune Indépendant, 17 décembre 2008

Le RCD, dont la question de l’abolition constitue un cheval de bataille, soutient que l’Algérie est la plus proche dans l’espace arabo-musulman pour abolir cette peine divine. «Avec l’observation d’un gel moratoire des exécutions capitales depuis 1993 ainsi que le soutien, pour la deuxième reprise de la résolution de l’ONU appelant à un moratoire sur la peine de mort, l’Algérie est dans le monde arabe et musulman l’un des pays les plus proches de l’abolition de cette sanction», est-il écrit dans le préambule d’une proposition de loi du parti en faveur de l’abolition de la peine de mort, présentée à l’APN. Lors d’une rencontre avant-hier à l’APN, le président du parti le Dr Saïd Sadi estimait que la question de la peine de mort soulève à la fois des problèmes éthiques, philosophiques, politiques et religieux. «On peut relever que sur de nombreux sujets, les docteurs de la foi les plus éclairés ont initié depuis longtemps l’exploration des dogmes et des rites par la voie de l’interprétation», avait-il noté. M. Boudjemaâ Guechir, président de la Ligue algérienne des droits de l’homme, a considéré qu’il n’existe aucun argument ni moral, ni religieux, ni humain pour son maintien. Son confrère, Maître Mustapha Bouchachi, président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme, définit la peine comme étant «un assassinat qui s’appuie sur la loi». A. B.


 

Alors qu’officiellement l’exécution des peines capitales est gelée

Pas moins de 300 condamnations à mort prononcées en Algérie en 2008

Par Farid Abdeladim

L’Algérie a cessé d’appliquer la peine de mort depuis 1993 en décrétant alors un moratoire sur les exécutions capitales. A l’époque, rappelons-le, sept terroristes avaient été exécutés pour une attaque menée contre l’aéroport d’Alger.
Cependant, l’Algérie n’a pas décrété pour autant l’abolition de la peine de mort. De fait, les sentences de mort se suivent depuis et elles sont nombreuses.
En effet, selon des informations recoupées, l’Algérie détiendrait un nombre de peines de mort des plus élevés, cette année 2008. Pas mois de 300 sentences ont été prononcées par les différents tribunaux du pays, selon les déclarations de Me Amar Zaidi, avocat et militant des droits de l’homme, rapportées par le journal électronique IPS-hebdo. Rien que pour le premier semestre de l’année en cours, 220 condamnations à mort ont été prononcées, dont une quarantaine par le tribunal criminel de Boumerdès (voir l’article paru dans le Jeune Indépendant, dans l’édition de lundi 16 juin 2008). Il faut rappeler aussi qu’en 2007, l’Algérie a condamné 271 personnes à mort. L’ONG Amnesty International a classé notre pays à la 51e place des pays qui prononcent encore des peines de mort. La grande majorité de ces sentences sont généralement liées au terrorisme et sont faites par contumace.
Rares sont les peines de mort prononcées pour meurtre avec préméditation et des délits relatifs aux drogues. En effet, les condamnations à la peine capitale s’expliquent surtout par l’augmentation des affaires liées au terrorisme, et dont sont coupables tous les terroristes reconnus coupables de crimes de sang. Il est à rappeler également qu’en 2007, le secrétaire général du RND, Ahmed Ouyahia, s’est dit alors «peiné que les Algériens, qui se débarrassent du terrorisme, font face aujourd’hui au banditisme, en particulier le kidnapping». Il se prononcera à cette occasion pour l’aggravation des peines prévues pour les kidnappeurs. Enfin, il est utile de rappeler que cette même année-là, l’Algérie était le seul pays arabe à voter pour la résolution de l’ONU demandant un moratoire sur l’application de la peine de mort.
Mais l’Algérie, qui pouvait agir ainsi parce qu’elle a observé de fait un moratoire sur les exécutions depuis 1993, n’ira sans doute jamais jusqu’à prononcer son abolition. Cette question continue d’ailleurs de susciter moult réactions. Mais la vraie question qui se pose ne serait-elle pas de savoir si l’on peut pardonner aux pédophiles, aux auteurs de crimes crapuleux ? F. A.


Abderrahmane Chibane, président de l’Association des oulémas, s’exprime sur la peine de mort

«Les adeptes de l’abolition sont contre le peuple algérien, sa révolution et sa Constitution»

Par Djamel Zerrouk

L’Association nationale des oulémas condamne avec vigueur la position prise par le président de la Commission nationale consultative pour la protection et la promotion des droits de l’homme (CNCPPDH), Me Farouk Ksentini, au sujet de l’abolition de la peine de mort.

Le président de la CNCPPDH, une institution rattachée à la présidence de la République, a déclaré, hier au forum d’El Moudjahid, que la peine de mort est un «supplice et une torture». «La peine capitale est un châtiment corporel, un supplice et, moi, je suis contre la torture et le châtiment corporel», a déclaré Me Ksentini tout en s’abstenant d’appeler clairement à son abolition. Présent lui aussi au forum, Me Miloud Brahimi, ex-président de la Ligue des droits de l’homme, a abondé dans le même sens. «Si l’Algérie veut être de son temps, elle doit abolir la peine capitale et introduire dans sa législation le crime contre l’humanité et son prolongement naturel qui est l’adhésion à la Cour pénale internationale», a-t-il dit. Le professeur Abderrahmane Chibane considère ces déclarations comme étant contraires aux valeurs du peuple algérien musulman. «Farouk Ksentini ignore-t-il que la Constitution consacre l’islam, dans son article 2, comme religion de la République algérienne ? Ignore-t-il que la déclaration du 1er Novembre 1954 a prévu que l’Etat algérien sera démocratique et social selon les principes islamiques ?», s’est interrogé le cheikh qui est reconnu unanimement comme une autorité morale incontestable en Algérie. Joint par téléphone, le cheikh paraissait un peu fatigué, sa voix était presque inaudible. «Je suis malade par rapport à ces agressions contre notre religion, l’islam. Si ce n’est pas un parti politique qui crie haut et fort sa détermination à supprimer un verset du Coran, ce sont des personnalités, qui sont pourtant des Algériens et des musulmans comme nous, d’appeler à l’abolition de la peine de mort», a-t-martelé en allusion au RCD dont le groupe parlementaire a organisé, lundi à l’APN, une journée sur l’abolition de la peine de mort. Cheikh Abderrahmane Chibane n’omet pas de mettre en garde contre toute «velléité de toucher à notre saint Coran». «On veut supprimer le verset 179 de la sourate Al-Baqara. Dans ce verset Dieu dit : ô croyants, vous avez dans les quissas une organisation saine de votre quotidien et cela si vous craignez Dieu». Le président de l’Association des oulémas rappelle le fait que supprimer le verset 179 équivaudrait à supprimer aussi le verset 183 de la sourate Al-Baqara concernant le jeûne obligatoire. «Développer une idée pareille c’est rejeter le Coran. C’est un fait sans précédent. C’est une attaque en règle contre notre cher pays, notre religion et notre révolution al moubaraka. Je me dois de le dénoncer devant Dieu et devant l’histoire. Que ceux qui ont peur des Etats-Unis qu’ils le disent», a conclu cheikh Abderrahmane Chibane. D. Z.