L’abolition de la peine de mort en débat à Alger

L’abolition de la peine de mort en débat à Alger

«Il y a eu 33 exécutions de 1962 à 1993»

El Watan, 3 décembre 2014

Réunis à Alger, de nombreux experts du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord débattent, depuis hier, de la problématique liée à la peine de mort. Il n’est pas question d’abolition de cette lourde condamnation, mais plutôt de son abandon. Un nouveau concept que défendent de nombreux pays arabo-musulmans dont les lois sont en grande majorité inspirées de la charia.

Représentant de nombreux pays arabes et musulmans, des experts des droits de l’homme ainsi que des officiels ont pris part, hier, aux travaux du séminaire international sur «L’abandon de la peine de mort» dans la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord) qu’organise le Haut-Commissariat des droits de l’homme de l’ONU, en collaboration avec la Commission nationale consultative de protection et de promotion des droits de l’homme (CNCPPDH). Une région où l’opposition à la condamnation à mort semble très forte en raison des pesanteurs culturelles, sociales et religieuses.

Une réalité que maître Farouk Ksentini, président de la CNCPPDH, met en avant : «Il y a aujourd’hui une très violente opposition à l’abolition de la peine capitale, qui s’appuie, en premier lieu, sur l’argument religieux. Mais il y a aussi un héritage sociétal, idéologique et des traditions qu’on ne peut pas éluder (…). La multiplication des actes de violence et des crimes commis à l’égard des enfants, ces derniers temps, n’ont fait qu’accroître cette opposition (…). Il faut prolonger la discussion et le débat dans le respect des convictions de chacun. Nous devons porter nos valeurs, notre histoire, nos cultures, mais aussi notre idéal humaniste sans arrogance, mais avec conviction, respect et ferveur.» Selon lui, de 1962 à 1993, il y a eu 33 exécutions de la peine capitale «parmi lesquelles on ne compte aucune exécution de femme ou de mineur».

Pour l’avocat, le droit algérien comporte 17 crimes passibles de la peine capitale. «L’Algérie a amorcé le processus de réduction de l’application de la peine de mort par l’existence du mémorandum de 1993 relatif à sa suspension. Cette décision a été prise alors que l’Algérie vivait une période sanglante de son histoire et souffrait isolément d’un terrorisme aveugle et barbare. Même si le moratoire est un progrès en soi, il n’en demeure pas moins qu’il a pour effet de décomplexer certains magistrats qui condamnent plus facilement à mort, sachant que le condamné ne sera plus exécuté.» Revenant sur la ratification du moratoire sur la suspension de l’exécution de la condamnation à mort, adopté par 111 Etats, Me Ksentini déclare : «Aujourd’hui, aux Nations unies, 100 Etats sont abolitionnistes de droit et 48 de fait, soit les trois quarts des Etats membres. Cela montre que la conscience mondiale est du côté de l’abolition et donne à notre action une dimension morale, mais aussi une perspective d’avenir.»

Représentant le ministère da Justice, M. Lakhdari a évoqué la suspension des exécutions de la peine de mort depuis 1993, et souligne les efforts actuellement menés dans le cadre de la réflexion autour de la réforme législative.
Tout au long de la première matinée des travaux, les représentants de Palestine, Djibouti, Mauritanie, Jordanie, Liban, Bahreïn, Maroc, Tunisie, Syrie, Irak, Libye et Algérie ont évoqué les expériences de leurs pays. Cependant, celle du Djibouti se démarque puisque ce pays musulman est le seul qui a franchi le pas de l’abolition en 1995, alors que l’Algérie et le Maroc n’exécutent plus les condamnations à mort depuis 1993. Confrontés à des situations de violence extrêmes, l’Irak, la Libye et la Syrie partagent les mêmes situations marquées par un recul considérable sur la question de l’abolition.

«La peine de mort est prévue en cas de haute trahison, contre ceux qui s’opposent au Parti socialiste, mais sous la pression de la société des réformes devaient être engagées au niveau du parlement pour revoir les lois. Malheureusement, la situation a basculé. Les exécutions ont dépassé largement le nombre de 745 cas recensés au niveau international durant l’année 2013. La condamnation à mort a été élargie y compris aux députés qui démissionnent de leur poste», révèle le représentant d’une ONG syrienne.

Le même constat est établi par le représentant de l’Irak, où la condamnation à mort était prononcée durant le règne de Saddam Hussein en cas d’insulte au Président, d’atteinte à l’Etat, de vol de médicaments ou de démission du parti. «Ces textes ont été abrogés en 2003 et la peine de mort a été commuée en prison à vie pour des crimes bien précis, notamment le terrorisme et le crime d’honneur. Mais la situation a basculé. La violence terroriste a suscité le recours aux exécutions des sentences de mort. Le juge a tous les pouvoirs discrétionnaires pour commuer une peine, mais la pression de la société fait qu’il décide souvent de la peine maximale, notamment en raison de la violence.»

Même situation en Libye, dont le représentant souligne «la difficulté des députés à proposer des lois pour réformer les textes, mais cela reste difficile à concrétiser». Au Bahreïn, la peine de mort est prévue dans le code pénal, le code militaire et la loi antiterroriste, indique un membre d’un ONG, qui met l’accent sur «le rôle du juge, le mauvais traitement des prisonniers et surtout la justice à deux niveaux qui consiste à peser plus sur les pauvres et les étrangers que sur les riches».

En Tunisie, un fort mouvement abolitionniste a fait campagne contre la peine de mort durant les années 1980. En 2012, la Tunisie a ratifié le moratoire relatif à la suspension des exécutions. Une suspension effective également en Jordanie depuis 2006, alors que les tribunaux, affirme un représentant d’un ONG jordanienne, continuent à prononcer cette peine.
Au Liban, précise un intervenant libanais, le juge peut commuer la condamnation à mort en prison à vie en cas de bonne conduite et peut même exprimer son opposition à cette peine. Depuis 2005, pour exécuter le condamné à mort, il faut l’accord du Président, du ministre de la Justice et du Premier ministre. Des efforts sont actuellement menés pour arriver à un moratoire.

De nombreuses questions ont ponctué le débat, qui s’achèvera aujourd’hui avec des recommandations. A préciser que ce séminaire a pour but «d’échanger les points de vue sur l’abandon de la peine capitale dans la région MENA et de faire le point sur les initiatives et les développements dans le sens de l’établissement de moratoires, mais aussi discuter de la meilleure manière d’assurer les garanties internationales protégeant ceux qui confrontent la peine capitale dans la région, y compris la limitation de l’utilisation de la peine de mort aux seuls crimes les plus graves et l’application du droit à demander pardon et la commutation des sentences de mort».

Salima Tlemçani


Me Noureddine Benissad. Président de la LADDH

«La peine de mort est un traitement dégradant et inhumain»

-Des voix se sont élevées, ces derniers mois, pour réclamer l’application de la peine de mort à certaines catégories de mis en cause. Quel est votre avis à ce propos ?

En tant que responsable et militant au sein de la Ligue des droits de l’homme, nous sommes pour l’abolition de la peine de mort, et ce, pour des raisons multiples liées notamment à l’évolution du droit positif. Certes, la peine de mort existe dans le code pénal, mais dans la pratique elle est abolie depuis 1992 et, d’ailleurs, la dernière exécution remonte à cette date. L’Algérie a signé, entre 1992 et1993, un moratoire onusien sur le gel de la peine de mort. Un moratoire pour ne plus exécuter des sentences de peine de mort. Actuellement, la tendance internationale tend vers l’abrogation de la peine de mort.

D’ailleurs, quatre pays musulmans ont fait un effort (idjtihad) dans ce sens et l’ont abolie : la Turquie, Djibouti, l’Albanie et le Sénégal. L’Algérie, il faut le dire, est à la traîne concernant l’abolition pure et simple de la peine de mort. Prenons par exemple les Etats-Unis, dans ce pays il existe des Etats qui ont aboli la peine de mort et d’autres où elle existe toujours. Eh bien, là où elle a été abolie, le crime n’a pas évolué ; par contre dans certains Etats où elle est en vigueur, le crime n’a pas baissé. Il faut aussi mentionner que toutes les études et statistiques ont montré que les accusés exécutés sont des personnes vulnérables, des déclassés sociaux, des Noirs ou des pauvres.

-Mais pourquoi une telle discrimination ?

Parce que tout simplement les personnes aisées ont les moyens de se payer un avocat et d’avoir une meilleure défense. Dans les pays musulmans, il y a ce qu’on appelle la «dhima», les gens aisés payent une compensation aux familles des victimes et, par ce geste, ils sont exonérés de la peine de mort. Si la peine de mort est en vigueur dans un pays, normalement elle doit s’appliquer sur les personnes ayant commis un crime à la hauteur de cette peine. Mais ce n’est pas le cas. Je vous cite un autre exemple : aux Etats-Unis, quatre prostituées ont été violentées et tuées, mais la peine de mort n’a pas été prononcée car la justice a considéré que les victimes n’étaient que des «prostituées»… Non, ce n’est pas juste. Le problème le plus grave, qui s’est posé dans plusieurs cas et à plusieurs reprises, est l’erreur judiciaire : des accusés ont été exécutés et, 20 ans, après l’on découvre qu’ils étaient innocents et qu’il y avait erreur judiciaire…

-La demande des familles de victimes concernant l’application de la peine de mort, notamment sur les pervers, serait presque justifiée, non ?

Je comprends les parents des victimes, mais il n’y a pas de justice privée. Dans un Etat, il y a une politique pénale. Nous pensons que ceux qui demandent le retour à la peine de mort veulent faire croire à l’opinion publique que son abrogation serait synonyme d’impunité. Ils essayent de propager cette idée complètement fausse dès lors qu’une solution existe : il suffit de substituer à la peine de mort un emprisonnement à vie, une condamnation à perpétuité. Les crimes abominables ne doivent pas être synonymes d’impunité. Un pervers est un malade, il faut le soigner et non lui couper la tête. Un malade mental a sa place dans un asile psychiatrique. Je tiens juste à préciser que la majorité des cas de peine de mort sont politiques. A mon avis, il faut analyser le phénomène de l’abrogation de la peine de mort dans la sérénité. La peine de mort est un traitement dégradant et inhumain.

-Vous dites que l’Algérie est à la traîne. Dans quel sens ?

L’Algérie, comme je l’ai expliqué, a signé un moratoire, la logique voudrait que maintenant, on arrive à l’abrogation pure et simple de la peine de mort. Il n’est pas question de revenir en arrière. Il s’agirait, dans ce cas, d’une situation précaire. Mais si l’Algérie ne ratifie pas le deuxième protocole, il n’y a aucune garantie légale, ce qui implique qu’elle peut à tout moment revenir sur la peine de mort. A la lumière de ce qui se passe à l’échelle internationale et vu les conventions ratifiées par l’Algérie, il faut arriver incontestablement à l’abrogation de la peine de mort.

-Certains mettent en avant l’aspect religieux…

Je peux dire à ces individus qu’il y a des siècles, nous n’avions pas d’outils adéquats ; maintenant, nous avons le nécessaire. Auparavant, dans le droit coutumier berbère, il y avait le bannissement. L’assassin était banni de sa région. Je vais plus loin : la lapidation des femmes adultères n’est pas appliquée, pourtant elle est citée dans le Coran ; les esclaves aussi sont cités dans des versets coraniques, mais est-ce qu’il viendrait à l’esprit de prendre des esclaves ?

Nabila Amir