ODHA: Témoignage d’un rescapé de la torture à Relizane, B. El Hadj

Témoignage d’un rescapé de la torture à Relizane

B. El Hadj, 1993

Observatoire des droits humains en Algérie (ODHA), Algeria-Watch, juin 2004

Moi, citoyen B. El Hadj, demeurant à Relizane, témoigne avoir vécu les faits suivants de la part des services de sécurité lors de mon arrestation.
Au mois de mars 1993 (je ne me rappelle pas du jour exact), et à 2 heures du matin, mon domicile fut encerclé par des agents des services de sécurité cagoulés et armés, venus à bord de cinq véhicules. Seuls trois parmi eux agissaient à visage découvert. Ils occupèrent d’abord la terrasse puis certains d’entre eux frappèrent à la porte en me demandant nommément. J’étais dans mon lit et je ne vous décrirais pas l’état de stupeur qui s’empara de moi devant ces actes brutaux d’occupation du domicile familial ainsi que les cris et pleurs de ma mère qui s’est évanouie. On croirait à un parachutage militaire. Des coups et des insultes pleuvaient de partout. Ils fouillèrent le domicile jusqu’aux plus petits recoins. Ils ramassèrent et prirent tous mes livres (d’une valeur de 400 000 dinars algériens) ainsi que des films religieux sans relation aucune avec la politique.

Lorsque je fus conduit à l’intérieur de l’un de leurs véhicules, je découvrais d’autres citoyens arrêtés avant moi, les poignets ligotés, les yeux bandés, la bouche bâillonnée et jetés à plat-ventre dans le fourgon.

A notre arrivée sur le lieu de détention, nous fumes jetés à dix-huit dans une cellule étroite qui ne pouvait contenir en temps normal que quatre personnes.
Puis débuta l’interrogatoire collectif le premier jour par un tabassage en règle.

Le 2e jour commença le véritable interrogatoire individuel. Quand nous arrivions individuellement dans la salle de torture, nous trouvions celui qui nous avait précédé entre la vie et la mort du fait des tortures subies. Les vivants ressemblaient à des morts. J’ai vu un homme pendu, totalement déshabillé, les poignets et chevilles ligotés, la tête en bas. J’ai assisté à l’épreuve de l’eau sale qu’on faisait ingurgiter jusqu’à l’asphyxie puis à l’épreuve de l’électricité avec les fils qu’on plaçait sur le corps. J’ai vu des suppliciés à qui on a coupé les doigts avec des pinces. Des citoyens se sont vus mutiler leurs organes génitaux et arracher les cheveux et la barbe. D’autres ont été menacés de voir les membres de leur famille subir le même sort. Puis après toutes ces horribles épreuves, vient l’étape de la confection des chefs d’inculpation mensongers.

Puis parfois les tortionnaires passaient à la phase de l’action psychologique par le dialogue et les manœuvres. Et le cycle de l’interrogatoire reprenait de plus belle. On nous montrait des photos de citoyens torturés pour nous terroriser et nous pousser à faire de faux aveux selon leur propre scénario. Certains suppliciés cédaient et faisaient des aveux imaginaires. Tous ceux parmi nous qui avaient une activité commerciale et possédaient des marchandises ou un véhicule, se les voyaient subtiliser. C’était leur manière de nous punir.

De temps à autre des détenus étaient emmenés par leurs tortionnaires pour ne plus réapparaître. Seul Dieu sait le sort qui leur avait été réservé.
Je citerais, en témoignage à Dieu, que parmi l’équipe de tortionnaires, il y avait un certain Houari dit « Hulk » et son acolyte Boualem. Les autres étaient cagoulés et en tenue civile.

Témoignage recueilli en juin 2004.