Le carnage de la prison de Berrouaghia (Novembre 1994)
Dossier Le Carnage de la prison de Berrouaghia
Témoignage d’un survivant
B. Abdelkader*, Observatoire des droits humains en Algérie (ODHA), 2 avril 2005
Auparavant j’ai fait le médiateur avec Azzoug Kheirreddine en contact avec le chef du groupement de gendarmerie et en présence du wali de Médéa.
Il nous a été demandé de quitter le bloc, un petit immeuble de deux étages comprenant 85 cellules et le quartier n° 10 (cellules isolées) réservé aux condamnés à mort.
La médiation a commencé à 17 heures et s’est achevée vers 20 heures. Sans garanties, nous refusions de quitter le bloc. Le procureur avait promis qu’une fois dehors, les détenus ne seraient pas touchés.
Le chef de la gendarmerie avait dit que l’affaire serait réglée le matin.
14 novembre 1994
Vers 8 heures du matin, ils ont installé leurs armes à des endroits précis et ont commencé à tirer. Des tireurs d’élite ont également pris part à cette tuerie. Ensuite des grenades ont été lancées dans les cellules. Ils ont jeté de l’essence dans une salle et ont allumé le feu. Il y a eu des corps calcinés.
Ceux qui ont pu échapper au feu ont été achevés à leur sortie (Abdelaziz, Saïd, Abdelali de Diar El Djemaa, Abdelali de la cité d’Urgence). Youcef a été achevé en le brûlant par le feu.
Le procureur général demandait le cessez-le-feu, le commandant de gendarmerie n’a pas apprécié cet appel au cessez-le-feu et a commencé à gesticuler et la fusillade a continué.
15 novembre 1994
Une offensive a eue lieu vers 7 h 30 – 8 heures du matin. Ils avaient placé auparavant leur FMPK. Des tireurs étaient postés avec des kalachnikovs, des tireurs d’élite à chaque fenêtre et avaient bouclé toutes les issues. La fusillade a commencé alors et a duré toute la matinée avec une trêve en milieu de matinée.
Quelques détenus étaient restés dans la salle « A » parmi les morts et les blessés Par la suite, les gendarmes ont ramené un détenu de droit commun pour casser à l’aide d’une massue le mur mitoyen séparant une cellule de la salle A.
Ils ont réalisé un trou par lequel ils ont lancé des grenades défensives (40 unités). Ils ont apporté de l’essence d’une station proche de la prison en utilisant l’ambulance de la prison pour son transport. Mazouz, chef de détention a été chargé de ramener l’essence dans cette ambulance en compagnie du chauffeur du véhicule. Les gendarmes ont déversé l’essence par le trou et mis le feu. Les prisonniers encore en vie qui ont commencé à éteindre le feu étaient la cible des tireurs d’élite. La propagation du feu a obligé les prisonniers à fuir. Les blessés par balles et les morts ont été calcinés par le feu.
Une dizaine de survivants sortis à plat ventre ont été achevés un par un à l’entrée de la salle A. Les autres ont été sauvagement tabassés. Ils ont été forcés à se déshabiller puis ont été bastonnés à travers une « haie d’honneur » qui se prolongeait jusqu’à une grande salle qui, théoriquement, pouvait contenir 150 personnes avec des lits superposés. Cinq cent prisonniers furent parqués dans cette salle et ce, durant plus de deux mois, dans des conditions effroyables, sans eau, sans visites. Les prisonniers étaient envahis de poux, sans vêtements (tenue pénale), tout nus, pieds nus. Les gardiens effectuaient quatre appels par jour et à chaque appel, on avait droit à une bastonnade à l’aller et au retour.
La torture : a été systématique jusqu’au 4 mai 1998, jour de ma sortie.
Les gardiens : Ils dirigent pratiquement la prison. Ils sont auteurs de nombreuses exactions dans l’impunité la plus absolue.
Contrôle : Tout est contrôlé, même les correspondances. Nous n’avons pas le droit d’écrire dans nos lettres des versets du Coran ou des Hadiths ni même un poème.
La nourriture : Elle est infecte, pas de viande et le café est distribué tous les trois jours.
Les blessés : De nombreux prisonniers gardent encore des balles dans leur corps et souffrent toujours. C’est le cas par exemple de Benkortbi Fouad, Benhaha Moncef, Bendiffallah Sofiane, Hocine…..
*13 novembre 1994. Nom connu mais pour des raisons de sécurité non publié.