Algérie : La machine de mort – Témoignages – B bis
Algérie : La machine de mort Rapport établi par Salah-Eddine Sidhoum et Algeria-Watch, octobre 2003 Annexe 3: Témoignages B bis B* Fatma
C’était le 1er jour du Ramadhan, correspondant au 23 février 1993. Je revenais de mon travail après la prière du Dhor. À mon arrivée à la maison, mon épouse m’apprit que des gendarmes s’étaient présentés et avaient pris le livret de famille me laissant comme consigne de me présenter au groupement de gendarmerie de Réghaïa. Je me suis immédiatement présenté à la gendarmerie. Ils m’informèrent que j’étais en état d’arrestation pour distribution de tracts à l’étranger et trafic de devises (??). Je fus enfermé durant trois jours dans une cellule, puis commença le supplice de la torture. Les tortionnaires commencèrent par les insultes et les obscénités accompagnées de coups de poing et de pied. L’un d’eux me fouetta avec un câble électrique. Ils me déshabillèrent ensuite et m’arrosèrent avec un tuyau d’eau froide. Je n’avais pas rompu le jeûne depuis près de 20 heures. La séance dura toute la nuit, sans relâche. Des équipes se relayaient. Je ne pouvais plus me relever, j’étais épuisé. Ils me jetèrent dans une cellule et m’oublièrent pendant trois jours. Puis ils revinrent à nouveau. Ils me bastonnèrent avec une canne et me donnèrent des coups de pied. Ils apportèrent une boîte en forme de tiroir et y mirent mon sexe puis refermèrent violemment le tiroir. J’ai hurlé de douleur, tout en perdant connaissance. Ils m’appliquèrent ensuite un chiffon sur le visage et me versèrent dans la bouche près de trois litres d’eau savonneuse mélangée à un désodorisant et à de la javel. Mon ventre tendu me faisait atrocement mal. Ils ramenèrent un fer à souder et inscrivirent les initiales MOC (Mouloudia de Constantine), un club de football, sur mon pied. Je perdis encore une fois connaissance et à mon réveil je me retrouvais avec des brûlures du pied qui me faisaient atrocement mal. Le gendarme tortionnaire qui me brûla le pied avec le fer à souder était originaire de l’Est et un fervent supporter de cette équipe. Ces initiales existent à ce jour au niveau du pied. Ils me menacèrent ensuite de faire venir mon épouse et me firent boire de force deux bouteilles de crésyl. J’ai perdu connaissance. Un matin ils vinrent me chercher à nouveau. Ils m’emmenèrent dans le bureau de l’officier qui me demanda de signer un procès-verbal après qu’il m’a énoncé les chefs d’inculpation. J’ai failli encore une fois m’évanouir devant l’énormité des mensonges et la gravité des charges. Les chefs d’inculpation ne correspondaient pas du tout à ceux énoncés lors des séances de torture et qui sont parus dans le journal El Moudjahid du 8 mars 1993. J’ai refusé catégoriquement de signer. Un gendarme qui était derrière moi me donna un coup de baïonnette à la tête et à l’épaule, et le sang commença à couler abondamment. À ce jour les cicatrices de ces blessures persistent. Ces tortures durèrent seize jours, soit du 23 février au 10 mars 1993. Je terminerai ce témoignage par deux remarques : Benredjdal Slimane Benslimane Hakim (et Ghamour Rédha, Djebbar Redouane, Yousfi Nadir), 1994 Nous avons été arrêtés à nos domiciles respectifs dans la nuit du 12 juillet 1994. Des militaires et des policiers ont envahi nos demeures. Nous avons été conduits au commissariat de Bourouba (Hussein Dey, Alger) où nous avons été accueillis par des coups de pied et de poing… Les policiers nous ont enlevé tout ce qui les intéressait comme vêtements, souliers et argent. On nous a descendus au sous-sol et enfermés dans une cellule de moins de 9 m2 qui était déjà occupée par huit autres détenus. Notre compagnon Ghamour Rédha a été attaché à une motocyclette dans une position difficile à décrire, ne pouvant ni dormir ni bouger. La première personne à être torturée a été Benslimane Hakim, qui a subi l’épreuve du chiffon durant près de deux heures. Les tortionnaires s’arrêtaient de le torturer à chaque fois qu’il perdait connaissance. Les policiers lui demandaient de reconnaître des faits imaginaires. Ils voulaient de force l’impliquer dans des histoires avec lesquelles il n’avait rien à voir. Hakim a été laissé durant vingt-quatre heures avec des menottes derrière le dos, serrées au maximum, au point qu’il a présenté une paralysie partielle de la main droite. Ghamour Rédha a été emmené à son tour à la salle de torture, le deuxième jour. Le supplice a duré pour lui près de quatre heures. Cette torture a commencé par la technique du chiffon et par des brûlures de mégots de cigarettes. Puis il a été bastonné sur tout le corps. Les tortionnaires ont pris une bouteille de butane et se sont mis à la cogner contre la poitrine de Rédha pour lui casser les côtes. Toutes ces dures épreuves ont entraîné chez lui par la suite une double incontinence anale et urinaire, au point qu’il ne se rendait pas compte quand il faisait ses besoins. Une forte torture à la fois physique et morale poussait les suppliciés à dire n’importe quoi et à dénoncer n’importe qui, pourvu que le supplice s’arrête. Les malheureux s’impliquaient même dans des histoires de crimes, de destructions de biens publics… Yousfi Nadir était le plus jeune parmi nous. Il avait dix-neuf ans. C’est lui qui a subi les tortures les plus atroces. Les tortionnaires ont utilisé avec lui l’électricité sur les parties sensibles de son corps. Le plus grave c’est qu’il a été sodomisé par le commissaire en personne, le nommé Ould Ammi Boualem, qui paraissait être, vu son excitation et le plaisir qu’il éprouvait, un véritable obsédé sexuel. Ce n’était pas la première fois. Il faisait cela à chaque fois qu’il y avait des jeunes. Djebbar Redouane a eu plus de chance que nous. Il n’a été torturé qu’au quinzième jour. On l’avait oublié. Du fait de son état de santé précaire, les policiers n’ont utilisé avec lui que la technique du chiffon. La privation d’alimentation a été l’autre forme de torture. On nous donnait une baguette de pain tous les cinq jours pour survivre. La torture survenait la nuit pour nous empêcher de dormir, rarement dans la journée. La cellule dans laquelle nous étions n’avait aucune bouche d’aération. Nous faisions nos besoins naturels dans une boîte de conserve métallique. L’odeur dans la cellule était insoutenable. Une épidémie de conjonctivite s’est déclarée. De douze personnes à notre arrivée, nous nous sommes retrouvés à trente-cinq dans cette cellule. Au cours de notre séjour au commissariat de Bourouba, nous avons constaté que : • pour « vérification d’identité », le détenu pouvait passer entre sept et quinze jours ; Ghamour Rédha, âgé de 22 ans, étudiant. J’ai été arrêté le 23 septembre 1992 à 2 h 30 du matin, à mon domicile, par les « Nindja » de la police. Bouamama Noureddine C’était durant la nuit du 7 juin 1994. Nous dormions, quand soudain nous avons entendu des coups au portail et un brouhaha dans la rue. Il était minuit passé. Des policiers ont fini par défoncer le portail et se sont dirigés vers le premier étage de notre maison, où habitait mon frère Youcef. Sa porte d’entrée a été défoncée. Un policier a bousculé sa femme en l’insultant. Il lui a demandé où se trouvait son mari qui était absent ce jour-là. Les autres ont cassé les meubles et la vaisselle. Après une fouille minutieuse, ils s’apprêtaient à partir. L’un des policiers a vu la lumière de mon appartement allumée. Il s’est approché de la porte et a donné un violent coup de pied pour la défoncer. Les autres l’ont rejoint. J’ai alors ouvert la porte. Ils ont fouillé mon appartement et ont demandé mes papiers. L’officier a demandé après mon frère. Je lui ai répondu que je ne savais pas où il était. Il m’a demandé alors de m’habiller et de les suivre : « Nous avons besoin de toi au commissariat. » On m’a mis les menottes et un bandage sur les yeux et on m’a conduit à pied au commissariat qui était situé à 500 m seulement. Arrivé sur les lieux, on m’a jeté dans la malle d’une voiture qui a démarré à grande vitesse. Au bout de trente minutes environ, le véhicule s’est arrêté. Je ne savais pas où je me trouvais. Les policiers m’ont sorti de la malle et se sont mis à me frapper en me questionnant sur le lieu où pouvait se cacher mon frère. J’ai répondu que je ne savais pas. Ils m’ont assené d’autres coups en menaçant de me tuer en ce lieu désert. Finalement, ils m’ont remis dans la malle et le véhicule a pris une destination que j’ignorais. Je me suis retrouvé en fin de course dans les sous-sols du commissariat central. Ils m’ont jeté dans une cellule que j’ai occupée durant trente-six jours. J’ai été sorti seulement le deuxième jour pour être photographié et livrer des informations sur mon identité. Au trente-septième jour, des policiers sont venus pour m’emmener, menottes aux poings, vers une salle. Ils m’ont allongé sur un banc auquel ils m’ont solidement attaché. Un tortionnaire m’a mis un chiffon sur le visage et un autre m’a fait boire de force de l’eau usée et puante. J’ai reçu des coups sur les cuisses et le ventre, puis sur les parties génitales. Cette épreuve atroce a duré près de trente minutes. Puis ils m’ont demandé de tout raconter sur les « terroristes », leur nombre, leurs noms, leurs caches, etc. J’ai répondu que je ne connaissais rien de tout cela, que j’étais un modeste employé qui ne faisait pas de politique et que mes voisins pouvaient témoigner de ma conduite. On m’a isolé dans une cellule sans aération ni lumière durant trois journées en me privant de toute alimentation. Au quatrième jour, les policiers ont envahi ma cellule de nuit en me brutalisant et m’ont traîné à nouveau vers la salle de torture où j’ai subi pendant près de deux heures le supplice du chiffon. J’ai perdu connaissance à plusieurs reprises. Le lendemain, ils sont venus très tôt pour m’emmener vers la salle de torture. À peine entré, j’ai reçu plusieurs coups de poing et des coups de fouet. Je ne pouvais ni prévoir les coups ni les parer car j’étais ligoté et mes yeux étaient bandés. Cette fois-ci on m’a mis dans la bouche un entonnoir et on a versé de l’eau qui avait un goût d’urine. À la fin du supplice, on a exigé de moi de reconnaître que mon frère Youcef avait tué un policier à Maquaria (Leveilley) le 7 juin 1994. On m’a soumis une liste de noms de citoyens que je ne connaissais pas et on m’a demandé de les impliquer dans l’attentat. Compromettre des innocents dans des assassinats ! On a créé ainsi un scénario de toutes pièces impliquant mon frère et d’autres citoyens, et on voulait que je reconnaisse ces faits. La torture est devenue de plus en plus atroce. Je ne pouvais plus la supporter. J’ai fini par craquer et par dire n’importe quoi. J’ai fini par « reconnaître » qu’un certain Dehilès était chez Sahri à Maquaria, que c’était un refuge où il y avait des armes et beaucoup de munitions. Les policiers ont décidé d’aller immédiatement sur les lieux et m’ont pris avec eux. Il était minuit. Ils ont fait irruption chez Sahri et ont fouillé sa demeure de fond en comble. Ils n’ont absolument rien trouvé. Ils savaient pertinemment que j’avais inventé cela sous la torture. Ils ont été pris à leur propre piège. Ils ont accusé ensuite mon épouse de travailler avec les groupes armés. À chaque fois que je citais un nom sous la torture, ils allaient chez la personne pour perquisitionner, et ramenaient le malheureux pour le torturer puis le libérer au petit matin. Au cinquante-quatrième jour de garde à vue, soit le 30 juillet 1994, on m’a présenté au juge d’instruction de la cour spéciale dans un état physique lamentable. Il m’a récité les chefs d’inculpation retenus contre moi dans le PV de police. C’était ahurissant ! Initialement les policiers étaient venus chercher mon frère Youcef. Je n’ai été arrêté qu’accidentellement et finalement je me retrouvais selon le juge… émir à la tête d’un groupe armé ! On m’a aussi inculpé pour destruction de biens publics. J’ai protesté auprès du juge d’instruction en niant tout en bloc. Le juge m’a dit : « Pourquoi as-tu reconnu tout cela devant la police et signé le PV ? » – « Je n’ai rien reconnu. Les policiers m’ont tout dicté sous la torture et m’ont donné des noms de personnes que je ne connaissais même pas ; je n’ai fait que réciter ce qu’ils voulaient. Regardez, Monsieur le juge, les traces de torture au niveau de mes poignets et sur mon dos. » Il m’a répondu sèchement : « Cela ne me regarde pas. » Bouaouicha Mustapha, père de trois enfants. Dans la nuit du dimanche, à 3 heures du matin alors que je dormais avec les membres de la famille dans le calme et la paix nous fûmes soudain réveillés en sursaut par des coups à la porte d’entrée. Les murs de la maison tremblaient sous les coups. Mon père, réveillé en sursaut, se dirigea vers la porte pour voir. Tout se précipita. La maison fut envahie par des ombres armées. Je n’arrivais pas à réaliser ce qui se passait, assommé par le sommeil. Un homme masqué se pencha sur mon lit me demandant si j’étais Fayçal Bougandoura ? Dès que je répondis par l’affirmative, une pluie de coups s’abattit sur moi. Je n’avais pas le temps de protéger ma tête. On me sortit brutalement du lit et on me traîna jusqu’à l’extérieur. Je me retrouvais entouré d’une meute de personnes cagoulées et armées, face à un jeune, qui était mon voisin et mon camarade de classe. Il s’appelait Amara Salim. Un policier demanda à Salim s’il s’agissait bien de la personne concernée en me dévisageant. Il répondit par l’affirmative. J’étais surpris et je n’arrivais pas à comprendre ce qui m’arrivait. Mécontents de ma réponse, ils s’acharnèrent sur moi en me frappant, m’insultant et me menaçant de tous les maux. Toutes les techniques de torture furent utilisées, du chiffon au courant électrique en passant par les bastonnades. Le matin je fus transféré au commissariat d’ Hussein Dey où j’ai passé 18 jours dans une cellule avec les mêmes techniques de torture et les mêmes questions. Je voyais ainsi la mort devant moi et à plusieurs reprises, je perdais connaissance du fait de la faim et de l’épuisement. J’étais prêt à leur avouer que j’étais le responsable du tremblement de terre de Chlef en 1980, pour échapper au supplice, que Dieu me pardonne, et que j’étais le responsable de la mort de Boudiaf ! Après dix-huit jours de tortures et de souffrances, on me transféra à nouveau vers le commissariat d’El Anasser où j’ai passé dix jours sous la torture. Les mêmes méthodes, les mêmes gestes et les mêmes techniques étaient pratiquées autant à Bachdjarah qu’à Hussein Dey qu’à El Anassers. Je ne savais plus si j’étais vivant ou mort, j’étais une véritable loque humaine qui a été transportée au commissariat du Vieux Kouba ; j’y ai passé treize jours. Dans ce centre, on me promit de me libérer, mais sans illusion, bien qu’il n’y avait aucune charge contre moi. En réalité, le procès verbal confectionné par les soins de la police était lourd en charges, inventées de toutes pièces. Je fus obligé de signer sous la menace le procès-verbal et mon circuit se termina par le commissariat central d’où je fus présenté au juge d’instruction avant d’être incarcéré à la prison d’ El-Harrach. Telle est la situation que vit la jeunesse algérienne aujourd’hui. Près de 90 % des détenus politiques rencontrés à la prison ont vécu les mêmes souffrances que moi, avant d’arriver là. Nous attendons, patiemment notre jugement. Quand aura-t-il lieu ? Dans un mois ou dans quatre ans ? Bougandoura Fayçal Bouhadjar Farid dit Mourad, 1993 26 ans, enseignant, demeurant à la rue du jardin -BOUGARA (Wilaya de Blida). Samedi 18 décembre 1993 à Saoula (Tipaza). Il était 17 h 30, quand des gendarmes ont fait irruption à mon domicile. Ils ont procédé à une perquisition et ont jeté toutes les affaires au sol. Ils ont volé les bijoux de mon épouse, d’une valeur de 30 000 dinars, ainsi qu’une somme de vingt et un dollars. Ils m’ont passé les menottes aux poignets et m’ont embarqué dans leur véhicule sous les coups de crosse et les insultes. Ils m’ont jeté dans une cellule de la brigade de gendarmerie de Saoula où j’ai passé ma première nuit. Le lendemain, ils m’ont transféré à la brigade de Baba Hassen, où j’ai passé douze jours. J’ai « goûté » à toutes les méthodes de torture. Les gendarmes m’ont fouetté avec un câble électrique à la tête et sur le visage. Je suis resté plusieurs jours avec un visage enflé, tuméfié. J’étais méconnaissable. J’étais privé d’eau et de pain. En plus de la torture et autres sévices infligés, ils voulaient m’affamer. Ils voulaient me contraindre à reconnaître des faits qui m’étaient totalement étrangers. Ils m’ont menacé de ramener mes enfants et mon épouse et de la violer devant moi. Au onzième jour de détention, des gendarmes ont fait irruption dans notre cellule en pleine nuit et nous ont frappés violemment avec les crosses de leurs armes et des barres de fer. Cela a duré plus d’une heure. Ils nous ont enchaînés ensuite aux chevilles et aux poignets de manière collective comme des bagnards. Le lendemain, la même opération s’est renouvelée. Une dizaine de gendarmes se sont rué sur nous et nous ont frappés de toutes leurs forces et sans répit. Une haine féroce se lisait sur leurs visages. On avait l’impression qu’ils étaient conditionnés. Dans la soirée, les gendarmes nous ont sortis de la cellule, menottés, les yeux bandés, et nous avons été transférés à la brigade de gendarmerie de Aïn Benian. Là, ils nous ont enfermés dans une cellule de 1,5 m x 1,5 m. Nous étions quinze détenus dans cette cellule à survivre dans des conditions bestiales, et ce durant dix-huit jours. Ils nous ont privés de nourriture pendant des journées entières. Nous étions réduits à une vie animale, sans manger ni boire pendant trois à quatre jours, sans nous laver et en pataugeant dans nos urines et nos matières fécales. L’air était irrespirable. Nous avons été présentés au tribunal d’exception d’Alger le 18 janvier 1994. Le chef de brigade nous a avertis qu’en cas de libération de l’un de nous, il l’exécuterait. Je priais pour aller en prison malgré mon innocence pour échapper à la mort. Boukhalfa Abderrahmane. Je fus kidnappé le 30 mai 1993 à 9 heures, à la sortie de mon domicile à Hydra, par quatre individus qui se réclamaient de la police. L’un d’eux me menaça de son arme et me somma de le suivre sinon « au moindre geste j’étais un homme mort » disait-il. Ils me couvrirent la tête avec ma veste et me jetèrent dans la malle d’une Renault Express blanche. Ils me sommèrent de rester en génuflexion, le front contre le plancher de la voiture. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait, on ne me présenta ni mandat d’arrêt ni les raisons de mon arrestation. Après un déplacement très court, cinq minutes environ, ils me « déchargèrent » dans un endroit, la tête toujours camouflée, ils m’enlevèrent mes papiers et tout ce que je possédais comme objets personnels, puis j’eus droit à un lot d’injures, de blasphèmes et de grossièretés inqualifiables. Ensuite ils me jetèrent dans un W.C., attaché par des menottes à un tuyau de robinet, avec ordre de me retourner contre le mur. Je restais ainsi, dans cette position plus qu’inconfortable, toute la nuit. L’après-midi, un tortionnaire est venu me prendre pour la salle de torture, après m’avoir roué de coups et avec le lot habituel de grossièretés et de blasphèmes. Là, dans la salle, il y avait quatre bourreaux dont un lieutenant de police que j’avais déjà vu, un homme trapu, avec des cheveux grisonnants travaillant dans la circonscription de Birmandreis. Ils commencèrent par m’insulter et me traiter de tous les noms, puis ils me menacèrent de mort si je ne leur livrais pas les noms des gens qui tuaient les policiers. Je leur répondais que je n’avais rien à voir avec ces gens-là et que je ne savais même pas pourquoi j’étais là. L’un d’eux commença alors à me frapper en me disant que la chaise sur laquelle j’étais assis a fait parler tout le monde, « même Abderrahim a parlé » me dit-il. On me mit sur un banc en ciment, on m’attacha les pieds à l’aide d’un câble électrique, et les mains derrière la chaise par les menottes. Puis commença le supplice du chiffon. L’un des tortionnaires assis sur ma poitrine me versait de l’eau sale dans la bouche alors que l’autre sautait sur mon ventre. En même temps, un troisième tortionnaire me frappait la plante des pieds par un gros bâton. Ce supplice dura plus de trente minutes. Je hurlais de douleur. Je sentais que j’allais rendre l’âme d’un moment à l’autre, je délirais et citais pêle-mêle tous les noms que je connaissais. Le jour suivant, ils me demandèrent de les conduire vers les gens que j’avais cités la veille. Je leur ai répondu que j’avais cité des noms au hasard et que ces gens étaient aussi innocents que moi. Je fus reconduit cette fois vers une cellule où nous étions entassés à 18. Nous dormions à même le sol, nous faisions nos besoins dans des seaux, devant tout le monde. Nous étions harcelés par les gardiens qui nous frappaient et nous insultaient sans arrêt. Tous ceux qui ont été arrêtés avaient des traces de tortures, de fractures, de brûlures, des amputations, certains avaient été castrés. J’ai rencontré Mihoubi Noureddine, incarcéré depuis 6 mois, il avait le dos complètement lacéré, tout le corps meurtri et coupé par des pinces. Deux d’entre nous sont morts. L’un, un militaire, la mâchoire fracturée, est mort par dénutrition et manque de soins, le deuxième, brûlé au chalumeau a succombé quelques jours plus tard. Je suis resté dans ce lieu maudit pendant quarante jours. C’était un vrai cauchemar, quelque chose d’indescriptible. Le 8 juillet 1993, c’est-à-dire quarante jours après mon arrestation, un vigile, cagoulé est venu me chercher de ma cellule en me disant : « Viens voir le Taghout, fils de harki » (mon père est un ancien condamné à mort de la guerre de libération). Il me conduisit à la salle de torture, j’eus droit encore à l’épreuve du chiffon pendant une heure. On me plaça ensuite des pinces métalliques sur les oreilles et on me soumit à plusieurs décharges électriques. J’eus trois côtes fracturées. Je perdis connaissance. On me jeta ensuite dans ma cellule. J’avais uriné sur moi. J’étais mouillé, j’avais mal partout… Ensuite le chef, qu’on appelle Omar est venu me voir. Il me dit que j’étais libre et qu’ils allaient me conduire dehors. Je demandais alors une justification pour mon travail. Il me rétorqua : « C’est l’État qui t’a incarcéré et c’est l’État qui te fera travailler » (??). On nous embarqua dans une Peugeot 404 bâchée blanche, moi et quatre autres, on nous jeta dans la forêt d’El Achour sans un sou. De là j’ai regagné mon domicile. Mes ennuis ne sont pas terminés, car mon employeur refuse de me réintégrer si je ne justifie pas mon absence de plus de quarante jours. Je me suis rendu au commissariat de la Colonne Voirol comme on me l’a conseillé avant ma sortie du centre de torture. On m’accueillit par des insultes et la menace d’être déporté vers les camps de concentration du Sud, si je persistais dans ma demande. Je me rendis également au commissariat du Golf où un policier me répondit : « Vous avez conduit le pays à la ruine et maintenant tu cherches du travail ? », « Ceux qui t’ont arrêté, c’est à eux de te donner une justification ». Actuellement, marié et père de cinq enfants, je me retrouve en voie de licenciement, avec trois côtes fracturées, deux tympans percés et des séquelles psychologiques et morales profondes. Boukhari Aïssa, Septembre 1993 Le 15 juillet 1994. Il était minuit passé. Je dormais avec ma famille quand nous fûmes réveillés par de violents coups de pieds et de crosse à notre porte. Mes parents, dans un premier temps refusèrent d’ouvrir la porte. Devant la persistance des coups, mais aussi des menaces et des insultes, ma mère se décida d’ouvrir. Une horde d’ombres armées et vociférantes envahit la maison. Il s’agissait de véritables bêtes sauvages. L’un d’eux prononça mon nom. Ils étaient à ma recherche. Je déclinais mon identité et un groupe se jeta brutalement sur moi et m’assena des coups de pieds et de crosses. Des insultes et des obscénités pleuvaient devant ma famille, sans aucune honte ni retenue pour des agents dits de « l’ordre ». On me mit les menottes derrière le dos et ils me mirent un sachet-poubelle sur mon visage et m’emmenèrent avec une brutalité et sans aucune explication. J’étais paralysé par la peur tout comme ma famille qui ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Ma mère pleurait et suppliait ces intrus de me lâcher. On me jeta dans une camionnette apparemment, car je ne voyais rien du fait du sac-poubelle sur ma tête. Je n’ai jamais imaginé que des Algériens se comporteraient avec une telle barbarie vis-à-vis d’autres Algériens. J’étais toujours menotté et le visage couvert. Je suis resté ainsi durant une semaine sans que personne ne s’inquiète de mon sort. Mes parents ne savaient pas où j’étais. Chaque soir, on me descendait au sous-sol pour me faire subir des supplices atroces. Sur fond d’insultes et d’obscénités, on m’appliqua la technique du chiffon. On fixait à une table en m’attachant les pieds avec un câble et les poignets sous la table par des menottes. On m’appliquait un chiffon sur la bouche et on se mettait à verser de l’eau usée (des W.C.) dans ma bouche alors que l’un d’eux m’obstruait les narines pour m’obliger à ouvrir encore plus la bouche. L’un d’eux s’assit sur mon ventre en gesticulant. Mon estomac était distendu d’eau et j’avais l’impression qu’il allait exploser. On menaça de me sodomiser si je ne reconnaissais pas les faits, ou de m’égorger. On me reprocha d’avoir brûlé des camions et d’avoir cambriolé des bijouteries ainsi que le siège du Pari Sportif Algérien (PSA). Une confrontation avec des propriétaires de ce dernier a eu lieu et cette personne avait dit à la police qu’il ne me reconnaissait pas comme étant l’auteur du vol. On continua à me frapper. L’un des policiers me donna un violent coup de pied à mon sexe. Je voyais la mort devant moi et chaque fois je m’évanouissais. On m’inventa un tas de faits dans lesquels on voulait m’impliquer. C’était simple, à tout citoyen qui tombait entre leurs mains, il fallait lui inventer un scénario selon leurs fantasmes. On vint me chercher par la suite à cinq reprises et m’emmena dans un véhicule dans des coins lugubres (forêts) pour simuler mon exécution. On me plaça à trois reprises des électrodes à mes pieds. – Il y avait parmi nous un jeune citoyen de 22 ans, prénommé Rédha, demeurant à Bachdjarah. Je l’ai laissé à ce jour (le 8 août 1994) au commissariat de police de Bourouba (Bachdjarah), devenu centre de torture. Il garde des séquelles indélébiles sur le corps. Je ne sais comment il a échappé à la mort. Telle est la situation que nous avons vécue au commissariat de police de Bourouba avec 24 autres citoyens qui avaient été kidnappés sans aucune explication, laissant leurs familles angoissées et sans nouvelles durant 34 jours avant d’être présentés devant un juge pour être incarcérés. Boulagroune Samir, 21 ans J’ai été arrêté par les services de sécurité le 25 septembre 1993 à mon domicile, situé au lieu-dit Haouch El-Mekhfi à Réghaïa. J’ai été transféré au commissariat central d’Alger, et là j’ai subi des atrocités difficiles à décrire et à imaginer. On m’a entraîné dans une cellule du sous-sol et on m’a dévêtu. On a commencé par m’interroger sur des faits que j’ignorais totalement. À chaque réponse négative de ma part, je recevais des coups de toutes parts accompagnés d’insultes. On m’a attaché à un banc métallique et on m’a appliqué un chiffon sur le visage. Un des policiers m’a versé dans la bouche de l’eau de Javel. Un autre m’a versé du Crésyl. Mon estomac était dilaté. J’avais l’impression qu’il allait éclater. Après l’épreuve du chiffon, un tortionnaire m’a enfoncé un manche à balai dans l’anus. J’éprouvais des douleurs atroces. Je saignais abondamment. Ces séances se sont reproduites durant dix-neuf jours à raison de deux séances par jour. À deux reprises on a utilisé l’électricité. Devant ces supplices, j’ai fini par admettre tout ce que disaient les policiers. J’ai ainsi impliqué certains voisins, totalement innocents, tout cela pour que cesse la torture. J’ai refusé dans un premier temps de signer le PV de police qui contenait des énormités et de grossiers mensonges. Les policiers se sont mis à me cogner la tête contre une porte métallique, au point que j’ai perdu connaissance. Je tiens à signaler que tout ce qui est porté dans le PV n’est que pure invention des policiers. Boustila Kamal. 12 novembre 1993 Je m’appelle Boutchiche Mokhtar, injustement détenu à la prison militaire de Blida. Mon drame commença le jour du 20 janvier 1992 lorsqu’un ami proche me proposa de l’accompagner à la ville de Boussaâda. Mon ami est fellah et possède une terre agricole là-bas. En cours de route, et précisément à Tidjelabine, nous avons rencontré un barrage de gendarmerie où on nous ordonna de nous arrêter. Après avoir vérifié nos identités, on nous demanda de laisser la voiture sur place et de monter à bord du véhicule de gendarmerie. Et là commencèrent contre moi les actions de torture et de crime : Mais ne pouvant opposer à ces questions que ma surprise et mon ignorance, en affirmant n’avoir aucune réponse à leurs interrogations. Ils me menacèrent en me disant qu’ils me relâcheraient à condition de travailler avec eux en les renseignant sur tout ce qui se passait. Mais le 18 février 1992, la gendarmerie opéra un grand ratissage dans la région où j’habite, arrivant à ma maison ils m’ont cherché et, ne m’ayant pas trouvé, ils ont menacé et terrorisé mes parents qui leur ont indiqué que je passais la nuit chez mes beaux parents. Cette même nuit ils débarquèrent chez mes beaux parents en tirant des rafales et faisant un vacarme et je fus arrêté ainsi que tous les habitants mâles de la maison, et nous fûmes conduits à leur centre. J’ai nié de toutes mes forces. Il ordonna qu’on m’emmène au sous-sol, où je fus complètement déshabillé et attaché par les chevilles, les épaules et le corps et fouetté avec des câbles électriques, je criais de toutes mes forces, et je suppliais Dieu qu’ils cessent leur violence gratuite. Excédé par mes cris, et mes prières l’un d’eux à pris une serpillière imbibée d’eau nauséabonde qu’il m’enfonça dans la bouche, après quelques moments le responsable du Centre (un capitaine) prit le fouet et me frappa au sexe jusqu’à évanouissement. Puis on me força à m’asseoir sur une bouteille. Je répondais simultanément à toutes leurs questions comme ils voulaient. Puis ils se mirent à quatre à sauter sur moi comme des animaux. Ils étaient excités et hurlaient, puis l’un d’eux avec des tenailles m’arrachait la chair. Ils me brûlaient à l’aide de mégots de cigarettes, ils m’ont brûlé la barbe. J’ai oublié de dire que l’un de mes tortionnaires urina sur moi. Boutchiche Mokhtar, Mai 1992 Des unités de l’armée et de la gendarmerie ont entrepris le samedi 18 décembre 1993 un vaste ratissage dans la région de Saoula. Ce jour-là, tous les commerces étaient fermés. Des gendarmes se sont présentés à mon magasin et ont interrogé les voisins sur le propriétaire. Le lendemain, à mon arrivée au magasin, les voisins m’ont appris que des gendarmes avaient demandé après moi. C’est ainsi que je me suis immédiatement rendu à la gendarmerie de Saoula. C’était le dimanche 19 décembre. J’étais accompagné de quelques ouvriers. Je n’ai jamais pensé que les gendarmes allaient m’arrêter. Dès que je me suis présenté et ai décliné mon identité, les gendarmes m’ont arrêté et ont renvoyé les ouvriers qui m’avaient accompagné, sans autre explication. Ils m’ont enfermé dans une cellule après m’avoir ôté mon blouson et mes chaussures. Je suis resté pendant sept heures dans la cellule. Puis les gendarmes m’ont sorti, menottes aux poings, derrière le dos, les yeux bandés. On m’a conduit vers un véhicule en me rouant de coups. On m’a demandé de monter en compagnie d’une autre personne et le véhicule a démarré vers une destination inconnue. À notre arrivée, les gendarmes nous ont fait descendre avec brutalité en nous frappant avec la crosse de leurs armes. J’ai trébuché et je suis tombé. En me relevant, j’ai reçu un coup de crosse sur la tête. Ils m’ont mis contre un mur et chaque gendarme qui passait me cognait la tête contre le mur. Je ne savais pas où je me trouvais. On m’a introduit dans une cellule où j’ai trouvé d’autres détenus qui étaient ligotés dans un enchevêtrement bizarre. C’était une véritable chaîne humaine. Ils ont attaché mon poignet droit avec le pied gauche d’un autre détenu, le pied droit de ce détenu était lui-même relié au poignet gauche d’une autre personne, etc. C’était diabolique. Je suis resté dans cette situation durant cinq jours avec mes compagnons, sans manger ni boire, dans une cellule exiguë et puante. La cellule était mouillée d’urines et jonchée d’excréments. C’étaient des conditions bestiales. Une étable est plus propre que cela. On nous sortait individuellement pour l’interrogatoire. Dans la salle de torture, chaque tortionnaire avait sa méthode. L’un se spécialisait dans les coups de poing, l’autre maniait le fouet et le câble électrique… Tous se sont mis à l’unisson pour me frapper, chacun avec ses moyens. Je ne savais pas d’où venaient les coups. Je sentais le sang ruisseler sur mon visage. Je saignais du nez. Les tortionnaires me demandaient de reconnaître des faits avec lesquels je n’avais rien à voir. Devant mon refus d’admettre un scénario fabriqué de toutes pièces, l’un des tortionnaires a pris une pince coupante pour me couper les doigts. J’ai hurlé de douleur. Devant ma résistance, il m’a blessé un doigt sans le couper. La torture s’est répétée pendant neuf jours. Après cela, j’ai été à nouveau transféré ailleurs, les yeux bandés. J’étais accompagné d’autres détenus. Nous avons été accueillis par les mêmes insultes et les mêmes brutalités. On nous a enchaînés par groupes de deux. On a fait venir un autre groupe de détenus qui portaient des traces fraîches de sévices corporels. Nous nous sommes retrouvés à dix-sept dans une cellule de 3 m x 1,80 m. On nous donnait trois pains et cinq litres d’eau par jour. Parfois, on nous oubliait. La cellule était glaciale. Le sol était humide, le froid pénétrait par les fenêtres sans vitres. Je suis resté dans cette cellule vingt-trois jours. Le 18 janvier 1994, j’ai été présenté à la « justice ». Au cours du transfert, nous avons été menacés par les gendarmes d’être exécutés si on revenait sur nos « aveux » devant le juge d’instruction. À l’intérieur du tribunal, nous avons été roués de coups jusqu’à notre entrée dans le bureau du juge. Avant de pénétrer, le chef de brigade nous a avertis : « Si l’un de vous est libéré par le juge, je me chargerai de l’abattre. » Que Dieu nous protège de ces tristes individus ! Boutiche Ahmed, commerçant à Saoula. Je m’appelle Bouyoucef Mohamed, je suis chauffeur d’autobus, j’ai 51 ans et je suis père de sept enfants. Ensuite, ils m’arrachèrent, avec les mains, tout le côté gauche de ma barbe. Après quoi, j’ai été conduit dans une autre cellule. Là, ils me « branchèrent » la gégène sur les oreilles. Les coups de poings et de pieds pleuvaient sur mon visage et sur le reste de mon corps. Le sang coulait de mon visage, suite aux coups et à ma barbe arrachée. De tout mon corps, le sang coulait. Quelqu’un qui devait certainement pratiquer le karaté lança un cri et me donna un coup violent de la plante du pied en plein visage, on me posa des questions et m’obligea à donner des réponses qui, m’étaient dictées. Je fus ensuite conduit à la gendarmerie, où on me garda douze jours à l’intérieur d’une cellule, je suis resté ainsi, à même le sol, sans manger, pendant cinq jours, puis quelques gendarmes ont commencé à me donner en cachette un petit sandwich frites, toutes les 24 heures environ, et ce, durant douze jours. J’ai été l’objet de tortures atroces. Bouyoucef Mohamed, le 17 novembre 1992 Mostafa Brahami, Enseignant de Physique à l’Université des Sciences et de la Technologie Houari Boumédienne, Institut de Physique. Alger, Dar El Beida J’avais vraiment besoin de soins. À cause de l’eau glaciale avec laquelle ils m’arrosaient et qu’ils me faisaient ingurgiter, et à cause surtout des décharges électriques qui m’avaient été appliquées, une fièvre froide me prenait, et des frissons ininterrompus, pendant des heures, convulsaient mon corps. En raison des menottes qui strangulaient la peau des poignées et des mains, ces dernières étaient devenues bleues, et ne réagissaient pas. Vers le dixième jour, à cause de la présence importante de poux, qui nous envahissaient, et qui nous saignaient, le fait de se gratter et en l’absence de toute hygiène — ni eau, les toilettes une fois par jour, souvent une fois toutes les 36 heures — une infection de staphylocoques s’était déclaré en moi. Malgré mes demandes répétées, je ne fus pas soigné. Je voudrais porter témoignage de ce que j’ai vu au cours de ma détention : Brahami Mostafa Né le 19 novembre 1947, il exerçait en tant que commerçant. Il fut détenu à la prison de Tizi-Ouzou. Il a été arrêté le 6 janvier 1997 à son domicile vers 23 heures et conduit au centre de torture de Aïn Taya. Il y subit d’affilée trois séances de tortures au chiffon imbibé d’eau sale et ce, en plein mois de Ramadhan. Il a été ensuite jeté dans une cellule exiguë, à même le ciment, dans l’obscurité totale sauf un petit trou d’aération. Il passa ensuite par la gégène, le corps complètement mouillé. Durant son séjour chez la police, il a été attaché par des menottes à un poteau et à un arbre pendant trois jours et trois nuits de suite sous la pluie, sans manger ni boire, en plein Ramadhan. Il était interrogé devant une caméra, suspendu, avec des fils électriques attachés aux orteils. Son supplice a duré 22 jours. Il a été présenté au parquet le 6 mars 1997, souffrant de surdité, de grave endommagement de l’œil gauche et de rhumatisme. Il a déclaré porter sur les côtes des traces de brûlures de fer à repasser. Une expertise médicale a été demandée par ses avocats. La demande a été refusée par le magistrat instructeur. |