Algérie : La machine de mort – Témoignages A
Algérie : La machine de mort Rapport établi par Salah-Eddine Sidhoum et Algeria-Watch, octobre 2003 Annexe 3: Témoignages A A* Ahmed Je m’appelle Ahmed. J’ai fait mon choix. Je vais vous décrire ce que j’ai vécu comme souffrances et tortures entre les mains des tortionnaires de cette dictature qui assassine les enfants de ce pays. Je vous parlerai de l’eau des WC qu’on me donnait à boire et du pistolet à décharges électriques qu’on m’appliquait sur les pieds. Je vous parlerai aussi d’un compagnon d’infortune que j’ai trouvé dans la salle de torture et qui avait refusé « d’avouer » des faits que voulaient lui coller ses tortionnaires. Comment on a ramené sa mère de cinquante-cinq ans pour la déshabiller et la torturer devant lui. Je vous dirai tout de ce que j’ai vécu, pour que l’histoire se souvienne de ce qui s’est passé en Algérie. Je me rappellerai toujours de cette salle de torture, des tâches de sang qui couvraient ses murs sombres et du bruit de tous ces outils de torture. J’ai été libéré il y a seulement trois jours du bagne de Serkadji où j’ai été arbitrairement incarcéré. C’est un honneur pour moi et je remercie Dieu pour cette épreuve de la vie. J’ai été arrêté le 10 octobre 1993 vers 2 heures du matin à mon domicile à El-Madania par une trentaine de policiers cagoulés dont certains étaient en tenue civile. Ils ont fait irruption brutalement dans la maison de mes parents, réveillant en sursaut toute la famille. D’emblée, ils ont demandé après moi. J’ai alors décliné mon identité. L’un des policiers cagoulés m’a pris avec brutalité par le col de ma veste de pyjama et m’a jeté contre le mur. D’autres m’ont insulté en proférant des obscénités devant mes frères et mes parents âgés. Ils m’ont mis les menottes, bandé les yeux et jeté dans un de leurs véhicules qui a démarré vers une destination inconnue. La durée du voyage n’a pas excédé le quart d’heure. Par la suite, j’ai appris que j’étais à l’école de police de Châteauneuf. Des semaines de tortures accompagnées d’un isolement total. Mes parents ne savaient pas où je me trouvais. Je ne comprends pas comment on dispose arbitrairement de la vie de citoyens et qu’on bafoue aussi facilement leur dignité. J’étais à la merci de détraqués qui insultaient, frappaient et torturaient en toute impunité sous l’oeil approbateur d’officiers qui supervisaient les opérations. Il n’y avait dans ce sinistre lieu ni foi ni loi. C’était la préhistoire. Je ne cacherai jamais mes principes et mon appartenance au courant politique islamique. Je suis un militant du FIS. De temps à autre j’assurais des prêches dans les mosquées de mon quartier où je parlais de droit, de justice et de la voie de Dieu. Je transmettais aux jeunes les modestes connaissances apprises dans les ouvrages que je consultais en autodidacte. Je n’ai pas eu la chance et les moyens de poursuivre des études universitaires, ni même secondaires. Je n’ai pas eu les mêmes facilités que les enfants de la nomenklatura, mais j’ai une dignité et un honneur qu’eux n’ont pas. La modeste situation de mes parents ne m’a pas permis de connaître les grandes écoles. Mais ma foi en Dieu m’a permis d’apprendre seul, et de travailler aussi pour subvenir aux besoins de ma famille pauvre. Ils m’ont descendu dans un sous-sol et jeté dans une cellule glaciale et étroite. Elle était très sombre. Seule la lumière du couloir nous éclairait passablement. La salle de torture où ils m’ont emmené était relativement grande et assez bien éclairée. Il y avait beaucoup de monde et d’agitation. J’avais les yeux bandés mais j’arrivais à apercevoir les ombres. Les tortionnaires parlaient entre eux. Ils n’échangeaient que des obscénités avec un accent typiquement de l’Est. Certains avaient un accent purement algérois. Ils m’attachèrent à une table après m’avoir allongé sous les crachats et les coups de poing. Je ne pouvais me protéger et esquiver les coups car j’étais solidement ficelé à la table de torture et mes yeux étaient bandés. Un tortionnaire m’a versé dans la bouche de l’eau des W-C. Il a répété l’opération à plusieurs reprises. Mon ventre se gonflait de plus en plus. Il voulait éclater. Un autre s’est mis à me donner des coups de poing dans le ventre. C’était affreux. Je vomissais toute l’eau nauséabonde qu’on m’avait fait ingurgiter de force. C’était atroce. Lors d’une autre séance de torture, ils m’amenèrent à nouveau dans cette salle, les yeux bandés puis m’allongèrent cette fois-ci à plat ventre sur la table. J’ai senti que quelqu’un voulait m’introduire un bâton dans l’anus. Il criait comme un fou. C’était probablement un obsédé sexuel. J’avais atrocement mal mais je résistais en me crispant au maximum. Devant l’impossibilité d’introduire le bâton, un autre tortionnaire lui a suggéré de boucher mon anus avec de la colle. En effet, j’ai senti peu après un liquide visqueux et collant. J’ai senti aussi l’odeur particulière de la colle. Il s’agissait d’une colle forte et rapide. Durant plusieurs jours, je n’ai plus pu faire mes besoins naturels. C’était horrible et très douloureux. Tout effort de défécation était atroce. Je voyais la mort devant moi. Lors d’une autre séance de torture, j’avais les yeux mal bandés. Je voyais un tortionnaire qui m’appliquait un pistolet relié à une prise de courant électrique sur le dos de mon pied. Ce pistolet provoquait des décharges électriques extrêmement douloureuses qui me soulevaient de la table. Mes cris et mes supplications n’avaient aucun effet sur sa conscience. Les cicatrices persistent à ce jour. Pour faire arrêter ce supplice je disais n’importe quoi, je dénonçais mes voisins, mes amis, mes parents. Ils m’ont menacé d’amener mon épouse si je ne disais pas la vérité. Un jour j’ai assisté à la torture d’un jeune citoyen de Baraki, Ahmed Chabha. Les tortionnaires ont amené sa femme, très jeune. Elle a assisté aux tortures de son mari. On a aussi amené sa mère. C’était affreux comme scène. Une mère et une épouse dans une véritable épouvante, assistant à la torture. De quoi devenir fou. Les tortionnaires ne répondaient qu’à leur instinct bestial. Aucun respect ni pudeur vis-à-vis des femmes. Par la suite, j’ai appris que Ahmed Chabha a été condamné à mort par la cour spéciale d’Alger. Après huit jours passés à Châteauneuf, j’ai été transféré au commissariat central d’Alger. Là aussi, j’ai été torturé dans une salle située au sous-sol. Ils ont commencé par m’accuser de prononcer des prêches contre le pouvoir. J’avais les poignets attachés par des menottes, derrière le dos. L’un des tortionnaires m’a pris par les cheveux et m’a cogné la tête sur les escaliers. Pendant mon séjour au commissariat central, j’entendais des cris et des hurlements aussi bien d’hommes que de femmes. C’était infernal. Le dernier jour de torture, ils m’ont attaché à nouveau les poignets derrière le dos avec des menottes et m’ont allongé sur le sol. Ils se sont mis à me donner des coups de pied au visage sans aucune retenue. Du sang giclait de ma bouche et de mon nez. Ils m’ont cassé une dent et la base du nez. Encore une fois, pour arrêter ce supplice, j’ai dénoncé mon frère qui était innocent. J’ai dit aux tortionnaires qu’il aidait la résistance alors que c’était totalement faux. C’est un montage que j’ai inventé pour que la torture cesse. Je ne pensais pas que ces sauvages allaient amener mon frère, pour une confrontation. Quelques heures plus tard je me suis retrouvé face à lui. J’avais honte, à moitié dévêtu, le visage tuméfié par les coups. Il m’a reconnu difficilement. Il était pâle. Des larmes coulaient de ses yeux. Il m’a dit : « Que Dieu te pardonne, mon frère. » J’avais vraiment honte. Après vingt-trois jours de garde à vue et de tortures, j’ai fini par signer un procès-verbal sous la menace d’une reprise des supplices. Je n’avais pas le choix. Je « reconnaissais » apporter mon aide à la résistance populaire en médicaments et en argent. Je venais d’échapper à la mort. J’ai vu de mes propres yeux des citoyens mourir sur la table de torture. J’ai vu des citoyens morts, suspendus au plafond par des menottes. Un autre a été brûlé vif au chalumeau. C’était atroce. Il a agonisé devant moi. Je ne pouvais rien faire que réciter la chahada. Il demandait désespérément de l’eau. Il est mort sans étancher sa soif. J’ai assisté à des choses horribles à Châteauneuf. Un citoyen de Boumerdès, nommé Houmine Mohamed Arezki, imam de profession, a été sauvagement torturé. Ils l’ont éventré puis lui ont arraché les yeux. C’était monstrueux. À ma libération, après avoir été acquitté, j’ai raconté à un voisin avocat ce que j’ai vu et j’ai décrit plus particulièrement la scène où le malheureux Houmine a été éviscéré et où ses yeux ont été arrachés. L’avocat, très politisé, est resté ébahi. Il m’a appris que la presse et plus particulièrement le quotidien Liberté avait annoncé sur de grandes manchettes, photo à l’appui, qu’un « dangereux terroriste nommé Houmine Mohamed Arezki avait été abattu lors d’un accrochage à Boumerdès ». Quel mensonge ! Et on vient nous parler de démocratie, d’État de droit et de justice… Que Dieu protège ce peuple. A* Ahmed, le 1er février 1994. Remarque : les « services de sécurité » nous ont filmés et enregistré à l’intérieur même des locaux de torture. Ils savaient très bien que s’ils nous avaient présentés en direct à la télévision, nous aurions fait échouer leur mise en scène et démontré leur machiavélisme. Concernant les cassettes audio et vidéo, celles-là mêmes qui ont été enregistrées à l’intérieur des locaux de torture, toutes n’ont pas été enregistrées directement. Il est des enregistrements qui ont été effectués à notre insu, comme cela s’est passé à la caserne de la Sécurité militaire d’Hydra. Pendant qu’un officier était en train de nous interroger, une caméra cachée nous filmait. Sa première question fut : « Qu’est-ce que tu sais ? Parle-moi de l’affaire de l’aéroport ! » J’ai été étonné par cette question. Je lui ai dit qu’à part ce que j’avais lu dans les journaux et vu à la télévision, je ne savais absolument rien d’autre sur cette affaire. J’ai été extrêmement peiné lorsque j’ai su qu’une bombe avait explosé à l’aéroport, causant la mort de plusieurs personnes. J’ai tout de suite pensé que cela ne pouvait être l’oeuvre d’Algériens. Dès le début j’ai dit au commissaire, à l’instar de ce qu’avait déclaré Bélaïd Abdesselam, le chef du Gouvernement, que ce sont des mains étrangères qui sont derrière cette opération. La caméra était en marche. Tout ce que j’ai dit a été enregistré. Et lorsque le commissaire Kraa s’en est aperçu, il s’est retourné et a lancé au cameraman : « Qui est-ce qui t’a dit d’enregistrer ? Qui est-ce qui t’a dit de travailler ? » De toute évidence, cette réaction s’explique par le fait qu’il n’était pas satisfait par mes réponses. Il ordonna donc au caméraman de cesser d’enregistrer, et il continua à me parler en termes de menace. Il disait qu’il allait utiliser d’autres moyens… J’ai juré d’avoir dit la stricte vérité. « D’ailleurs, vous avez certainement entrepris une enquête sur cette affaire », lui ai-je dit, « Je suis maintenant entre vos mains. Si vous êtes en possession de la moindre preuve, ou s’il y a un témoignage contre moi, je suis prêt à toute confrontation ! » La question qui se pose est la suivante : Pourquoi le commissaire Kraa a refusé l’enregistrement de ce dialogue ? Pourquoi ne pas avoir passé ces propos à la télévision. Au lendemain de cette entrevue, le samedi matin, un officier nommé Talhi est venu en compagnie d’un groupe de tortionnaires et m’a dit : « C’est terminé, les discussions philosophiques avec les responsables ! Maintenant, c’est avec nous que tu dois parler. Nous sommes des militaires… des caporaux, et nous nous fichons de Dieu, de la politique, et de la religion. Si tu n’avoues pas, nous allons te torturer comme jamais tu ne l’as été. S’il est nécessaire de te tuer, nous allons le faire. Tu ne seras ni le premier ni le dernier… Et nous allons commencer par t’arracher les testicules, comme ça, tu ne pourras pas avoir de relations avec ta femme. » J’ai vu la mort devant moi. Après d’insupportables souffrances, je leur ai inventé le scénario de l’affaire de l’aéroport et j’ai mentionné des noms de frères innocents afin que les tortures cessent. Effectivement, une heure après, je fus délivré de mes chaînes et présenté au commissaire Kraa, qui me demanda de lui répéter ce que j’avais dit sous la torture, tout en ordonnant au cameraman de m’enregistrer. J’ai commencé alors à parler comme si j’avais effectivement participé à l’affaire. Là, j’ai cité les frères Mohamed Aimat, Djamel Ressaf, et BenToumi, tous innocents. Mais le commissaire Kraa ne fut pas satisfait du scénario que j’avais inventé et qui a été intégralement enregistré sur caméra. Un ou deux jours après, ils sont revenus de nouveau pour me torturer, après m’avoir donc forcé à faire de faux aveux et à citer des personnes innocentes. Après m’avoir enregistré, ils me dirent : « Tu continues à mentir ! ». Le dimanche d’après, juste après la prière d’El-Asr, je fus entouré par près de vingt policiers. C’est alors que je leur ai inventé une troisième histoire, toute aussi imaginaire que les deux premières. À la suite de quoi, ils m’emmenèrent en compagnie de quelques frères à la caserne de la sécurité militaire d’Hydra. Ils me mirent face à un officier, un commandant à ce qu’on dit, qui m’ordonna de lui raconter la toute dernière histoire que j’ai inventée sous la torture, et qui est différente de celle qui a été enregistrée sur la bande vidéo qu’ils ont fait passer à la télévision. Au moment, une caméra cachée était en train de me filmer à mon insu. Et lorsque nous sommes revenus au Centre de torture de Ben-Aknoun, le commissaire m’a ordonné et forcé à parler face à la caméra, de telle sorte que je paraisse naturel. (Pour faire passer cela comme des aveux.). Ils m’avaient donné un « Kamis » et une « Chéchia » neufs. Parce que mon « Kamis » était maintenant plein de sang. Le commissaire Issouli m’avait préparé ce que je devais dire, sous la menace de me renvoyer à la salle de torture. (Il m’a menacé de torture et de mort.) Je lui ai alors dit qu’il y avait, en ce qu’il m’ordonnait de dire, des propos que je n’ai même pas tenus sous la torture. Tels ceux relatifs au Soudan, à l’Iran, et ceux mettant en cause les Cheikhs Ben Azouz et Méliani. (Ce sujet m’est d’ailleurs complètement inconnu), ou ceux relatifs à notre soi-disant planification pour la « destruction des institutions économiques », y compris l’aéroport, ainsi que l’imaginaire collusion du Front Islamique dans tout cela ! Nous avons donc été torturés, un mois durant, jusqu’au dernier instant. Ils ne nous ont pas laissé le moindre répit. Et pour nous terroriser encore plus, seuls des hommes armés jusqu’aux dents et portant des cagoules étaient présents au tribunal. Chez le juge d’instruction, nous sommes restés enchaînés, et ils ont même voulu rentrer avec nous. Un jour, je me suis réveillé au milieu de la nuit en criant à l’adresse du frère Saïd : « Viens à mon secours ! Ils veulent me tuer ! » Saïd a tout fait pour me calmer. Le gardien est venu aussi auprès de moi et m’a dit : « N’ais pas peur, personne n’est en train de torturer… » Je me rappelle qu’à l’hôpital de Aïn-Naâdja, lorsque le médecin a demandé pourquoi j’étais dans un tel état, ils lui ont dit que je me suis cogné la tête contre le mur ! Je dépose également plainte contre les médecins de l’hôpital de Aïn-Naâdja, qui ont eu la charge de me soigner. Les séances de soins se faisaient d’une manière barbare, et ces médecins n’ont jamais pu dire aux policiers de m’enlever les menottes et les chaînes. Avant de relater les péripéties du supplice que j’ai subi, je tiens à préciser à l’opinion publique que je suis un handicapé atteint de poliomyélite du membre inférieur droit. Je suis obligé de marcher avec une béquille ou en verrouillant mon genou paralytique avec ma main droite. Sans cela, je ne peux marcher. J’ai été arrêté le samedi 18 décembre 1993 suite à un ratissage de l’armée et de la gendarmerie à Saoula (Tipaza). L’armée, après avoir encerclé la zone, a défoncé la porte de notre maison, sans avertissement. Ceci s’est déroulé à l’aube, aux environs de 5 heures du matin. Cette intrusion brutale a provoqué l’émoi de mes parents, âgés et malades, et de mes petits frères, effrayés par la brutalité de ces individus, cagoulés et armés. Dès qu’ils ont pénétré dans la maison, ils nous ont demandé le livret de famille et nos pièces d’identité. Ils ont questionné mes frères sur leur situation professionnelle. Quand mon tour est arrivé et que je leur ai dit que j’étais chômeur, ils m’ont ordonné de sortir. Puis ils ont changé d’avis, préférant perquisitionner d’abord. Ils ont jeté tous les vêtements et la vaisselle au sol. Ils n’ont ménagé personne, pas même les femmes qu’ils ont insultées. Ils ont créé un désordre incroyable. Rien n’y a échappé. Ils m’ont mis les menottes et m’ont sorti. Je n’arrivais pas à marcher correctement car je verrouillais mal mon genou paralytique du fait des menottes qui me gênaient. J’ai reçu des coups de rangers accompagnés de quolibets du type « chien boiteux ». Ils m’ont jeté dans leur voiture Nissan et m’ont emmené à la brigade de gendarmerie de Saoula. Ils m’ont enfermé dans une cellule, où j’ai retrouvé d’autres prisonniers. Certains étaient des habitants de Saoula que je croisais souvent dans la rue, d’autres m’étaient inconnus. Je suis resté dans cette cellule jusqu’à 15 heures environ, asphyxié par l’odeur d’urine. Ils nous ont divisés en deux groupes et nous avons été transférés vers la brigade de Baba Hassen. Là est descendu le premier groupe. Quant à nous, nous avons continué notre chemin jusqu’à la brigade de Chéraga. Nous avons été jetés dans deux cellules, aux conditions d’hygiène déplorables. Nous dormions à même le sol et il n’y avait pas de W-C. Nous sommes restés ainsi, sans manger ni boire. J’avais, du fait du froid, des douleurs atroces au niveau de mon membre paralysé. Ces douleurs persistent jusqu’à ce jour où j’écris, pour l’histoire, ce modeste témoignage d’un opprimé sans défense. Après avoir passé huit jours à la brigade de Chéraga, sans savoir pourquoi j’avais été arrêté, les gendarmes se sont présentés le 26 décembre 1993 devant notre cellule, les visages cachés par des cagoules. Ils vociféraient comme des sauvages. Ils ont ouvert brutalement la porte de la cellule et y ont pénétré de force. Ils nous ont alignés contre le mur et nous ont bandé les yeux. J’étais le dernier du groupe, ils m’ont bandé les yeux avec un slip sale. Puis ils nous ont mis les menottes aux poignets derrière le dos. Je ne pouvais pas marcher du fait de mon handicap. Lorsque j’ai demandé à l’un des gendarmes de m’ôter les menottes pour pouvoir marcher, il m’a donné un violent coup de pied dans le dos et m’a traîné par le col de ma chemise jusqu’au blindé (BTR), où il m’a demandé de monter. Je ne pouvais me hisser en raison de mon handicap et des menottes. Deux gendarmes m’ont soulevé brutalement et mis à l’intérieur. Mon visage a percuté le plancher du blindé. Nous avons été transférés vers un autre lieu. À notre arrivée, ils m’ont sorti du BTR en me traînant, et m’ont jeté sur le sol. Ils se sont mis à nous donner des coups de pied et de poing. Je n’arrivais pas à éviter les coups, mes yeux étaient bandés. Ils m’ont traîné ensuite jusqu’à la cellule avec six autres compagnons d’infortune. Durant toute cette période de transfert, nous avons été soumis à des bastonnades. Au bout de quelques heures, ils nous ont sorti un par un. J’étais, du fait de mon handicap, le dernier à sortir. Ils m’ont introduit dans un bureau et m’ont demandé de m’asseoir sur le sol, les yeux toujours bandés. Là a commencé le premier interrogatoire. J’ai su enfin pourquoi j’avais été arrêté. Ils m’ont dit : « Tu es un terroriste et nous avons toutes les preuves ! » Lorsque j’ai essayé d’expliquer que je ne pouvais, vu mon état, réaliser des actions, et que par principe j’étais contre le terrorisme, le gendarme qui m’interrogeait m’a répondu sèchement et d’un air ironique : « Sache que celui qui rentre dans ce bureau doit reconnaître même les faits qu’il ignore. Nous avons les moyens de te faire parler. L’essentiel pour nous c’est que tu sortes d’ici avec un maximum de chefs d’inculpation. Si tu résistes, tu pourriras ici et tu y crèveras ! » Moins d’une heure après, un gendarme est venu nous appeler un par un pour nous emmener vers la salle des supplices. Le premier supplicié a été Aït Bouali Layachi. Il a été emmené après la prière du dohr. Quelques minutes plus tard, nous avons entendu des cris stridents et des hurlements. Nous avons prié pour lui. Cela a duré jusqu’à 1 heure du matin. Il avait un sacré courage. Malgré les affres de la torture durant plusieurs heures, ils n’ont rien pu lui soutirer. Mon tour est arrivé le lendemain. Entre-temps, nous avons passé la nuit dans la cellule, dans nos urines et nos excréments, sans manger ni boire. J’ai été introduit dans la salle de torture. Ils m’ont attaché les pieds et les poignets à la chaise sur laquelle j’étais assis. Ils m’ont sans arrêt frappé. Je criais de toutes mes forces. L’un des gendarmes m’a enfoncé un morceau de journal dans la bouche pour m’empêcher de crier. Des coups pleuvaient sur ma tête et ma poitrine. Ils se sont acharnés sur ma jambe paralysée à coups de manche à balai. Je me suis évanoui à plusieurs reprises. Je me réveillais à chaque fois trempé d’eau. Pendant cinq jours consécutifs, j’ai subi le même supplice durant des heures. Nous sommes restés également affamés depuis notre arrivée. Une nuit, dont je ne me rappelle pas la date, on m’a sorti de ma cellule vers 22 heures et demandé de me déshabiller. Il y avait sept ou huit personnes autour de moi. J’ai refusé catégoriquement. L’un des gendarmes m’a jeté violemment au sol et ses collègues se sont mis ensemble à me donner des coups de pied. Un violent coup de rangers m’a cassé une dent. Mon visage était en sang. J’ai perdu connaissance. En me réveillant, je me suis retrouvé trempé d’eau. Un capitaine est entré et s’est mis à m’observer. Voyant que j’étais handicapé, il a ordonné à ses sbires de me briser le membre inférieur gauche qui était sain. Deux gendarmes se sont alors mis à me frapper au tibia gauche avec des manches à balai. Je ne pouvais plus me tenir debout sur le membre sain qui était complètement endolori par les violents coups de bâton. J’ai regagné ma cellule en rampant. Durant cette séance, ils m’ont demandé de reconnaître avoir aidé les « terroristes ». L’un des gendarmes tortionnaires a écrasé mon cou avec ses rangers au point de m’étouffer, puis a enlevé sa ceinture et me l’a passée autour du cou. J’ai pensé qu’il m’étranglerait avec. J’ai perdu à nouveau connaissance. « Nous allons libérer les autres, et toi tu resteras moisir dans la cellule. Si les terroristes nous attaquent au cours d’une sortie en patrouille, nous viendrons te massacrer », m’a dit le chef de brigade. Ce langage m’a rappelé les citoyens qui avaient été arrêtés quelques jours auparavant, et qui avaient été assassinés à Saoula. Ils les ont fait passer pour des « terroristes ». Effectivement, mes compagnons de cellule ont quitté la brigade. Je ne sais s’ils ont été libérés, transférés ou exécutés. Dieu seul le sait. J’étais le seul prisonnier dans la cellule. Durant la nuit suivante, on est venu m’extraire de la brigade pour m’emmener vers la salle des supplices. Ils m’ont déshabillé comme d’habitude et bastonné. Ils m’ont privé d’eau et de pain et empêché d’aller aux W-C. Je faisais mes besoins sur place, dans des conditions bestiales. Il faisait un froid glacial, on était en plein hiver. Ce soir-là, et devant la sauvagerie des coups des tortionnaires, j’ai décidé, pour ne pas souffrir davantage, d’accepter de faire de faux aveux. J’étais contraint de mentir et d’admettre tout ce qu’ils disaient, pour échapper aux effroyables sévices et à cette mort lente qui me guettait. Je me suis alors adressé au chef de brigade qui suivait, avec une certaine réjouissance pour ne pas dire jouissance, la séance de torture. Je lui ai dit de citer tous les chefs d’inculpation et que j’étais prêt à les reconnaître tous. Il a sorti un calepin et s’est mis à réciter des phrases toutes prêtes. Il s’arrêtait régulièrement pour me poser la question : « Es-tu d’accord, reconnais-tu cela ? » Je répondais à chaque fois : « Oui. » En réalité, tout était mensonges. J’ai tout admis sous la contrainte. Je me suis alors rappelé la phrase du capitaine : « Celui qui entre dans ce bureau doit reconnaître même les faits qu’il ignore. » Il avait raison. Le chef de brigade était content et satisfait des faux aveux. Tout était inscrit dans son calepin. C’était une distribution de chefs d’inculpation à la carte. Après cela, la torture a cessé. On m’a laissé néanmoins attaché à mon siège. Je voulais uriner. J’ai demandé au gendarme qui me surveillait de me donner un récipient. Il m’a ramené une bouteille dans laquelle j’ai uriné. Le gendarme l’a prise et me l’a versée sur la tête en ricanant. Il m’a détaché du siège et m’a ordonné de laver le sol. Je n’osais plus lui dire quoi que ce soit, car il m’a menacé de me faire boire mes urines la prochaine fois. J’étais dans un état de santé lamentable. En dehors des douleurs dues aux coups, j’avais faim. Je n’avais pratiquement pas mangé depuis douze jours. Une odeur nauséabonde se dégageait de mon corps, sali d’excréments et d’urines. Les poux avaient envahi mes cheveux. Je me grattais partout. Je ne m’étais pas lavé depuis mon arrestation. Après ces douze jours j’ai été transféré vers un lieu inconnu, enchaîné et les yeux bandés, sous les coups des gendarmes. Nous sommes restés onze jours dans ces nouveaux lieux, en proie à un froid glacial, à la faim et dans des conditions d’hygiène désastreuses. Ma jambe paralysée me faisait atrocement mal. Durant ce dernier séjour, nous n’avons pas été torturés. Une fois que les grosses cicatrices de torture ont disparu, on nous a transférés le mardi 18 janvier 1994 à la brigade de Chéraga, puis au tribunal d’Alger. Durant le trajet de transfert vers le tribunal, nous avons été menacés par le chef de brigade de gendarmerie. Il nous a « conseillé » de ne pas revenir sur nos aveux et qu’en cas de libération par le juge, il allait nous exécuter automatiquement à la sortie du tribunal. Je priais le Tout-Puissant pour que le juge nous place sous mandat de dépôt pour échapper à une mort certaine comme cela s’est passé pour d’autres à Saoula. Nous avons été agressés et insultés par les gendarmes même à l’intérieur du palais de justice. Mon incarcération à la prison d’El-Harrach a constitué pour moi une délivrance et la fin des cauchemars. El Hamdou Lillah ! (Que Dieu soit loué !) Aït-Ahmed Rachid, le 6 février 1994. Le jeudi 4 novembre 1993, à 13 heures, alors que je me trouvais avec des amis du quartier, quatre individus en civil sont descendus d’une fourgonnette Renault Express blanche. Ils m’ont jeté à l’arrière du véhicule de façon violente et sauvage, ce qui m’a occasionné plusieurs blessures à la tête. Ils m’ont bandé les yeux et couvert la tête avec ma chemise. Ils se sont dirigés vers un endroit tout proche. À peine arrivés, un groupe de policiers s’acharna sur moi, en me portant des coups violents, coups de pieds, coups de poings, coups de matraque, en plus des injures et grossièretés proférées à mon encontre ainsi qu’à ma famille. Tout cela s’est déroulé dans la cour de cet endroit. Après un bref instant, ils étaient de retour. Ils m’ont conduit dans la pièce de torture qui venait d’être libérée puisqu’il n’y avait plus de cris. Ils me jetèrent au sol, les yeux toujours bandés. Ils me déshabillèrent de force et toujours avec la même violence, m’ont fait asseoir sur un banc en ciment, m’attachant les mains en dessous de ce banc avec des menottes, et les pieds avec une grosse corde. L’un d’eux s’est assis sur mes jambes, puis l’opération du chiffon commença par le versement d’une quantité infinie d’eau dans la bouche. Ne pouvant respirer que par le nez, ils me pincèrent ce dernier fortement. Je suffoquais et l’eau absorbée faisait souvent fausse route vers les poumons. L’opération dura environ deux heures, puis on passa à l’interrogatoire. On me jeta ensuite dans une cellule ; le soir les policiers revinrent me reconduire à la salle de torture pour répéter la même opération et me faire subir les mêmes sévices. Après deux heures de tortures, on me reconduisit à la cellule dans un état subcomateux. Les mêmes opérations durèrent sans relâche 4 jours, du matin jusqu’à midi (le temps de prendre leur repas) puis jusqu’au dîner, parfois jusqu’à des heures tardives de la nuit. Une seule séance de torture durait de deux à trois heures, et chaque tortionnaire était spécialisé dans une technique particulière, notamment : En plus de cette torture physique, ils ont usé avec moi de différentes méthodes de torture psychologique comme des menaces de mort, des pressions, des intimidations et du chantage, par exemple de faire venir mes parents, les violer devant moi et les torturer, pour que je signe le procès-verbal préparé par leurs soins. À maintes reprises, ils m’ont menacé de m’expulser vers le Maroc, ainsi que ma famille — parce que nous sommes de nationalité marocaine — ou de faire dynamiter notre maison. Et à maintes reprises, la nuit, ils me sortaient de ma cellule ou de la salle de torture, me jetaient à l’arrière de leur véhicule, les poings liés et nous roulions de longs moments. À chaque fois je sentais la mort roder quand ils me menaçaient de « m’abattre et de me jeter dans la rue comme un chien ». À la fin j’étais prêt à signer n’importe quoi, pourvu que ces souffrances cessent et que ma mère puisse sortir de cet enfer. Arrivés au commissariat central, et croyant que le calvaire était terminé, me croyant être chez des gens civilisés, je fus conduit dans une cellule souterraine, les mains liées derrière le dos, abandonné, deux ou trois jours sans nourriture ni eau, portant les mêmes haillons. Je fus sorti à plusieurs reprises dans une salle avec un bandeau sur les yeux. Tous les policiers qui passaient me ruaient de coups, ce qui provoqua des douleurs atroces au niveau de la colonne vertébrale et du genou droit où j’avais été opéré. À ce jour, le bourdonnement des cris et des coups résonne dans ma tête et surtout les paroles de certains policiers qui répétaient que je devais me soumettre et signer sinon ils feraient venir ma sœur comme ils avaient fait venir ma mère. Ils m’ont fait à leur tour signer, comme à Châteauneuf, un autre procès verbal avec probablement de nouveaux chefs d’inculpation. Je suis donc resté dans cet état pendant un mois jusqu’au jour où on me présenta devant le juge d’instruction en m’ordonnant de reconnaître tous les faits reprochés si je ne voulais être reconduit au centre de torture pour… complément de torture avec ma mère. C’est ce que je fis malgré moi le 10 janvier 1994 pour échapper avec ma mère aux affres de la torture. Ce jour-là, je fus transféré à la prison d’El-Harrach après trente-six jours de séquestration à Châteauneuf et trente jours au commissariat central. Aït Bellouk Mohamed, février 1994. Je m’appelle Aït Chaouche Mokhtar. Je suis né le 13 février 1951 à Alger. Je suis marié et père de quatre enfants, et habite à Zeghara (Alger). J’ai été arrêté le 14 janvier 1995 à mon domicile vers 1 heure du matin, devant mon épouse et mes enfants. J’ai été insulté et tabassé devant eux puis jeté dans la malle d’une voiture des services de sécurité et emmené au PC opérationnel de Châteauneuf. J’ai subi les supplices de la torture : chiffon, électricité, coups sur le crâne avec un bidon métallique… La raison de mon arrestation est qu’un de mes neveux était recherché. La sécurité voulait que je leur dise où il se trouvait et quelles personnes lui rendaient visite. Durant ma garde à vue de huit jours j’ai subi des tortures atroces, sans parler des coups de poings routiniers, des insultes et des menaces de mort. J’ai été arrêté en même temps que ma soeur âgée de 56 ans, son fils de 20 ans et un autre neveu et sa femme. Nous sommes tous incarcérés à El-Harrach. Nous avons tous été torturés, sans aucun respect pour les femmes. Pendant ma garde à vue au PCO de Châteauneuf, j’ai assisté à la mort sous la torture d’un écolier de 14 ans dont le cartable traînait dans la salle de torture. J’atteste de la réalité des faits décrits, et je suis prêt à témoigner devant Dieu et les hommes qui voudraient m’écouter. Aït Chaouche Mokhtar, 16 février 1995. J’ai été arrêté le 1er avril 1994 suite à un ratissage effectué dans notre quartier. J’ai été conduit au groupement de gendarmerie situé au quartier de Aïn Naâdja (Birkhadem, Alger) où on m’a enlevé tous les objets et papiers d’identité ainsi qu’une somme de 3 150 dinars. On m’a jeté dans une cellule sombre et sale sans aucune aération. On venait régulièrement pour me bastonner, sans me préciser les raisons de mon arrestation. Je ne savais pas pourquoi j’étais là. Les gendarmes venaient, me sortaient de la cellule pour me rouer de coups et m’y remettaient dans un état de déchéance physique. Ils m’ont gardé ainsi à la caserne de Aïn Naâdja durant quatre mois et demi. Ils me donnaient un morceau de pain et une gorgée d’eau de manière irrégulière. Il arrivait qu’ils m’oublient durant plusieurs jours, en raison du nombre d’arrestations qui s’opéraient chaque jour. C’était un véritable défilé de jeunes et de vieux. Ils m’interdisaient parfois d’aller faire mes besoins naturels et m’obligeaient à les faire dans la cellule, ce qui aggravait un peu plus les conditions d’hygiène déjà déplorables. Je ne savais pas comment répartir la gorgée d’eau qu’on me donnait. Je ne pouvais me permettre de me laver ou de faire mes ablutions. Les poux et autres bestioles m’envahissaient et provoquaient des infections sur mon corps. Les lésions de grattage m’empêchaient de dormir. Il n’était pas question de réclamer aux geôliers des soins. Leur réponse était l’insulte et le blasphème, à tout bout de champ. Après quatre mois et demi de séquestration et de brutalités en tous genres (coups de pied, coups de barre de fer, brûlures par mégots de cigarettes…), ils ont fini par me confectionner un dossier, au fur et à mesure de mes interrogatoires sous la torture, où les tortionnaires me posaient des questions et y répondaient eux-mêmes. C’était hallucinant. Ils m’ont impliqué dans des faits irréels et imaginaires. J’ai été présenté à la justice le 14 août 1994. Je n’arrivais plus à maintenir mon équilibre. J’avais énormément maigri. Le juge d’instruction à qui j’ai été présenté n’a pas cherché à comprendre. Il avait l’air ailleurs. Mon cas ne l’intéressait pas. Il s’agissait pour lui d’une simple formalité administrative : signer le billet d’incarcération. Il ne m’a posé aucune question. Ma présence semblait le gêner et il était pressé de me voir sortir de son bureau. Je tiens à préciser que je n’ai signé aucun procès-verbal à la gendarmerie de Aïn Naâdja. J’ai été alors transféré à la prison d’El-Harrach où je suis arbitrairement détenu jusqu’à ce jour où j’écris ce modeste témoignage pour l’histoire. Allache Tahar, instituteur, 20 septembre 1994. C’est avec une tristesse profonde qu’à l’occasion du trentième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, je découvre qu’il y a des Algériens, qui piétinent les principes de la Révolution du 1er Novembre, et écrasent la dignité de ce peuple par divers moyens, dont le plus ignoble, pratiqué à grande échelle, celui de la torture. La nuit du 18 février 1992 restera gravée à jamais dans ma mémoire ainsi de celle de ma famille, car c’est la nuit de la honte et de l’injustice. Un des gendarmes a saisi violemment ma mère par la nuque en la bousculant vers la chambre. Après cette opération inqualifiable, ils m’ont pris vers le centre de Bab-Ezzouar où ils ont commencé à m’insulter et me dévêtir comme toutes les autres personnes qui s’y trouvaient avant moi. Amara Ahmed, avril 1992. Ex-policier agent de recherche, signalé comme disparu à partir du 24 mai 1995, il réapparaît après le 6 août 1995, date de présentation au parquet de Bir Mourad Rais, 2e chambre d’instruction et sa mise sous mandat de dépôt á la prison d’El-Harrach, écrou n° 77775. Personne n’était informé de son lieu de détention. Toutes les autorités ont été alertées pour cette disparition. Seule l’ONDH répondit par une lettre du 17 juin 1996 n° 443/96 signalant qu’elle avait saisi les services de sécurité en juin 1995 lesquels ne lui a pas répondu, or Amoura avait été présenté à la justice le 3 aoüt 1995. Il avait été arrêté dans un barrage militaire en date du 24 avril 1995. Il fut jeté par des policiers dans la malle arrière d’une voiture Daewoo et promené dans la ville pour perdre toute idée du lieu de torture puis conduit au lieu dit Châteauneuf où il fut enfermé dans une cellule sans qu’il sache où il était. Le soir même une vingtaine de policiers se livrèrent sur sa personne à des actes ignobles de torture au moyen de la gégène et de chiffon trempé dans l’eau sale nauséabonde lui faisant perdre connaissance, qu’on lui fit reprendre par des jets de seaux d’eau à plusieurs reprises. Il fut ensuite isolé dans sa cellule pendant trois mois et seize jours, nourrit seulement d’un bout de pain et d’une demie bouteille d’eau par jour sans la moindre précaution d’hygiène. Sous l’effet atroce de la torture il a été contraint de dénoncer ses propres amis injustement. Amoura Mahmoud Je m’appelle Aous Djilali. Marié et père de trois enfants, je suis juriste de formation. Pendant ce temps, j’ai été isolé dans une cellule. Il est arrivé aussi que je partage une cellule de 2 m x 2 m avec quatre à six personnes. À ce jour, je suis détenu à la prison d’El-Harrach, à la salle 4 bis, sous le numéro d’écrou 64586. NB/J’ai oublié de dire que le soir, certains policiers faisaient venir les fous du port d’Alger (sales, poux, baves, etc.) et les lançaient dans la salle de torture contre les gens arrêtés, assis sur des chaises, les mains attachées avec des menottes derrière le dos. Aous Djilali Il a été arrêté en mars 1997 et détenu un mois durant à Châteauneuf. Il y a subi une torture barbare inhumaine. Complètement nu, les mains attachées derrière le dos sur un banc de bois, il fut trempé d’eau et torturé à la gégène (une boite de couleur beige de marque russe avec boutons de réglage d’intensité, genre appareil électrocardiogramme). Alternant avec la gégène, il subit le chiffon imbibé d’eau sale suivi de sévices sexuels à l’aide d’une barre de fer chrome à section carrée introduite dans l’anus avec répétitions sadiques ce qui entraîna le saignement abondant par l’anus et nécessita son hospitalisation au CHUA Mustapha Bacha Alger, service des urgences et de réanimation. En cours de séance de torture, il fut réanimé après chaque évanouissement par un des tortionnaires prénommé Djamel. Tous les tortionnaires étaient cagoulés. Un simulacre d’exécution par arme à feu lui fut appliqué pour le terroriser. La mère du supplicié a été frappée chez elle et menacée d’incendie de la maison par les policiers venus arrêter son fils avec injures et grossièretés. Elle a reçu aussi des coups de poing ayant touché une petite fille de deux ans qu’elle tenait à la main. Le fils fut déshabillé devant sa mère, les mains attachées avec du fil de fer, et couché à plat ventre puis intimidé par des tirs de pistolet en l’air. Avant de se retirer du domicile, les policiers ont cassé l’armoire qu’ils avaient fouillée de fond en comble. Arab, Malek. Ces événements, bien réels, ont eu lieu la nuit du 22 septembre 1994 à El-Harrach. Ils défient toute description. C’était une nuit pas comme les autres. Tout a commencé vers une heure du matin. Nous étions en plein sommeil. Nous avons été réveillés par le fracas de la porte d’entrée, ne sachant pas ce qui se passait. On aurait cru un tremblement de terre. Les forces de sécurité ont envahi les lieux comme des sauterelles. Ils hurlaient : « Ne bougez pas de vos places ! » Mon père leur a demandé leur identité et ce qu’ils voulaient. Il a reçu pour réponse une volée d’insultes grossières, devant nous, ma mère, mes deux soeurs et moi. Ils l’ont bousculé, sans considération pour son âge, et si violemment qu’il a failli tomber. Il a protesté et demandé des explications au sujet de leur comportement agressif envers lui, ajoutant qu’il avait l’âge de leurs pères. Ceci n’a fait qu’accroître leur agressivité ainsi que leurs injures et insultes épouvantables. Ils s’en sont pris d’abord aux meubles et ont tout cassé, et en quelques instants ils ont transformé la salle en ruines. Ensuite, ils ont emmené mon père dans la salle de bains. On était pétrifiées de panique. Après un moment, l’un des hommes cagoulés est ressorti pour prendre une pince et nos jerricans d’eau. Il est ensuite reparti en refermant la porte de la salle de bains. Puis ça a été notre tour. Ils nous ont demandé où se trouvaient mes frères. Mon jeune frère Abdessamad, âgé de 18 ans, était encore dans une autre chambre. Le chef a ordonné à l’un de ses hommes d’aller le chercher. Ma mère a tenté de s’interposer. Elle les suppliait. Mal lui en a pris. Le chef lui a dit : « nous sommes el-houkouma (le pouvoir), on fait ce que l’on veut ». Ils ont pris mon frère avec violence. Il était dans un état de choc. Ils l’ont emmené dehors. On ne l’a plus revu depuis. À un moment, la porte de la salle de bains s’est entrouverte, et on a pu voir notre père, un bandeau sur les yeux, les habits tous mouillés. Il avait une partie de la barbe enlevée, du sang sur le visage et les habits. Pendant tout ce temps ils l’insultaient. Ils l’ont ensuite jeté par terre. Lorsqu’ils se sont rendus compte qu’on les observait, ils nous ont insultées et ils ont refermé la porte. La peur nous étranglait. Le temps passait. Le chef s’est ensuite adressé à nous les filles, nous posant toutes sortes de questions. Lorsqu’on ne pouvait pas répondre à certaines des questions, il proférait les pires menaces. Il a ensuite pris ma sœur aînée et l’a emmenée violemment dans la chambre mitoyenne. « Il a fait ce qu’il voulait faire. » On entendait les hurlements de ma sœur. On a essayé d’intercéder en les suppliant mais leurs cœurs étaient de pierre. On a entendu les coups s’abattre sur son corps frêle. Rien ne pouvait assouvir leur animalité. Après un moment elle est revenue. Elle pleurait, étouffait sous les sanglots. Le chef, derrière elle, nous a alors menacé d’en faire autant avec chacune de nous. Il a dit qu’il avait tout le temps pour cela. Il est ensuite allé [assister les bourreaux de mon père] et, après un moment, il est revenu. Il a alors pris ma sœur cadette. Il lui a fait subir le même sort qu’à ma sœur aînée. Avec des coups de poing, coups de pied et insultes, il l’a ensuite traînée par les cheveux vers la salle de bains, pour lui faire voir le supplice de mon père. Notre père gisait évanoui, ensanglanté, dans une mare d’eau. Ils l’ont torturé avec la chiffouna (le chiffon). Après près de deux heures d’enfer, ils ont décidé de partir. Ils nous ont menacées de tous les tourments au cas où l’on dirait un mot de ce qui s’était passé et de ce qu’on avait subi. Le chef a menacé de brûler la maison, et nous avec, s’il lui parvenait la moindre information sur nous. Ils sont partis, laissant derrière eux de fortes odeurs de vin, mélangées à d’autres odeurs de fumée. Nous étions tellement atterrées que ce n’est qu’un bon moment après leur départ que nous avons réalisé l’état dévasté de toute la maison. Dans la salle de bains, les murs étaient tachés du sang de notre père, les poils de sa barbe flottaient sur l’eau sale de la baignoire, ou étaient dispersés sur le sol, qui était jonché de mégots, de salissures inimaginables. À ce jour, nous sommes sans nouvelles de notre père et de notre frère, qui ont probablement été emmenés au centre de torture de La Montagne, à Bourouba, Alger. Notre père s’appelle Abdelkrim Azizi. Il est ancien moudjahid. Il est né le 25 mars 1941 à Médéa. Notre frère s’appelle Abdessamad Azizi. Il est né le 20 août 1976 à El-Harrach. Lettre d’une des filles Azizi |