Algérie: La machine de mort – conclusion
Algérie :La machine de mort
Rapport établi par Algeria-Watch et Salah-Eddine Sidhoum, octobre 2003 ConclusionOn peut commencer à mesurer, à la lecture de ce qui précède (et plus encore quand on aura pris connaissance des témoignages de torturés réunis dans l’annexe n° 3), l’ampleur du traumatisme causé à la société algérienne depuis 1992 par la machine de mort des janviéristes, toujours en activité aujourd’hui, même si elle a ralenti son rythme depuis 1999. Des centaines de milliers de familles ont été touchées de près ou de loin par la répression, nombre d’entre elles ont été brisées. Des dizaines de milliers de survivants, des femmes, des enfants et surtout des hommes, au-delà même des séquelles physiques, gardent en eux des blessures psychiques qui ne guériront sans doute jamais. Beaucoup, sans doute, sont habités aujourd’hui par la folie ou par la soif de vengeance. Il faut aussi penser à la gangrène sociale que représentent ces dizaines de milliers d’hommes des forces de sécurité que l’on a obligés, pendant des années, à se transformer en bêtes féroces. Et que l’on a habitués, pour justifier l’usage massif de la torture et des liquidations physiques, à considérer que leurs compatriotes persécutés constituent comme un « sous-peuple », un peuple d’« infra-humains » que l’on peut traiter comme des masses de cafards ou de rats. Nombre de ces bourreaux, on le sait, n’ont pu tenir que par la drogue à outrance et se sont transformés en loques humaines ; beaucoup, aussi, ont sombré dans la folie. Et comme si cela ne suffisait pas, les janviéristes en ont rajouté dans l’horreur en portant à incandescence la violence la plus démente, celle prétendument exercée au nom de l’islam. Même si cela n’est pas l’objet du présent rapport, on sait en effet que l’un des buts de la machine de mort était de pousser les jeunes à rejoindre les maquis islamistes. Et très vite, ceux-ci ont été infiltrés, encadrés, voire créés de toutes pièces par les cadres du DRS ou par des militants islamistes retournés sous la torture[1] . Les groupes les plus sanguinaires, ceux des GIA, ont ainsi été utilisés pour liquider ceux qui n’étaient pas manipulés et qui menaient un combat contre les forces de sécurité. Et une fois cette tâche accomplie — pour l’essentiel dès 1996 —, les groupes contrôlés par le DRS ont été utilisés contre la population civile, jusqu’aux grands massacres de 1997, orgies sanguinaires dépassant tout entendement (et pourtant commandées par la logique froide des janviéristes, qui considéraient qu’ils faisaient d’une pierre deux coups en commanditant ces massacres, destinés à la fois à terroriser la population et à servir de « messages » dans leurs luttes de clans pour le pouvoir[2]). L’entreprise criminelle des janviéristes a ainsi produit une société plongée dans un chaos, où la vie humaine n’a plus aucune valeur, où la violence, à tous les niveaux, est la norme et non l’exception. Venant après les profonds traumatismes de la colonisation et de la guerre de libération, qui sont encore bien loin d’avoir été pleinement affrontés et assumés, le traumatisme social provoqué par la machine de mort janviériste nécessitera sans doute des générations pour être dépassé. Pour cela, il est essentiel que, dans les meilleurs délais, une véritable paix civile puisse enfin être établie en Algérie, que la vérité sur les crimes contre l’humanité soit connue, que leurs responsables soient soumis à la justice des hommes. Le présent rapport n’a d’autre ambition que de contribuer, modestement, à cette reconquête de la vie. [1] C’est ce que démontre avec précision le livre de Mohammed SAMRAOUI, Chronique des années de sang, op. cit. [2] Voir François GEZE et Salima MELLAH, « Crimes contre l’humanité », postface au livre de Nesroulah YOUS, Qui a tué à Bentalha ? Algérie : chronique d’un massacre annoncé, La Découverte, Paris, 2000, p. 235-300. |