Algérie :La machine de mort
Rapport établi par Algeria-Watch et Salah-Eddine Sidhoum, octobre 2003
Sommaire
Cest une triste réalité que la torture fait partie des « habitudes » de tous les services de répression de lÉtat algérien. Ce nest pas un phénomène nouveau, puisquen temps de « paix » il est tout à fait courant que des prévenus soient tabassés et maltraités dans le plus insignifiant commissariat.
Les tortionnaires daujourdhui sappuient sur une longue tradition qui remonte à la période coloniale et la guerre de libération. Il nest donc pas surprenant dapprendre que certains lieux de torture actuels servaient déjà aux militaires français. Dans une situation « exceptionnelle » comme celle qui règne depuis janvier 1992 (en fait depuis juin 1991, quand le FIS a lancé une grève générale, violemment réprimée), les coups se transforment en tortures, dautant plus que celles-ci nont jamais vraiment disparu depuis 1962 (les opposants politiques ont toujours été torturés, quils soient de gauche, islamistes ou berbéristes).
Il est possible de dire sans se tromper que la majorité des personnes interpellées dans le cadre de la « lutte antiterroriste » sont maltraitées. Larrestation en elle-même est une action brutale puisque très souvent les forces armées débarquent pendant la nuit (durant le couvre-feu, tant quil était en vigueur), sintroduisent dans les domiciles par force, détruisant meubles et portes sur leur passage, insultant et maltraitant les habitants. Ils sont cagoulés, leurs véhicules banalisés et ils sont parfois accompagnés dun individu portant un sac sur la tête nommé bouchkara, une personne qui sous la torture fait des aveux et est contrainte de collaborer. Ce sont parfois des repentis qui, pour bénéficier des exonérations de peines, doivent fournir des informations. Ces bouchkara sont parfois liquidés une fois leur fonction remplie.
Malgré le fait que la torture est si courante, les témoignages de victimes ne sont pas très nombreux. Ceux de femmes sont encore plus rares, alors quil est connu que beaucoup dentre elles, épouses ou parentes de suspects, ont été arrêtées. Cela sexplique par différentes raisons :
¾ le passage à tabac nest pas spécialement perçu comme une torture ;
¾ les victimes ne parlent pas des sévices par peur des représailles : beaucoup de jeunes hommes ont été arrêtés plusieurs fois de suite et craignent la revanche des tortionnaires ;
¾ les victimes vivent les tortures endurées comme un déshonneur (cest le cas des femmes qui ont été violées ou torturées sexuellement, mais aussi des hommes qui ont été sodomisés) et ne peuvent en parler ;
¾ le traumatisme est si profond que la victime ne peut exprimer les souffrances endurées ;
¾ dautres membres de la famille ont « disparu » ou sont en prison et le fait de témoigner pourrait leur porter préjudice.
Dans de nombreux cas, les victimes doivent signer une déclaration attestant ne pas avoir été torturées.
Grâce aux témoignages recueillis auprès des victimes et ceux de transfuges de larmée, des services secrets et de la police, les organisations de défense des droits humains disposent de nombreuses informations sur la pratique de la torture en Algérie.
La torture est pratiquée systématiquement sur tout détenu et quel que soit le lieu de détention (commissariat, brigade de gendarmerie, caserne, centre de la SM, sièges de milices, prisons). Les méthodes utilisées sont pratiquement uniformisées avec quatre éléments de base : tabassage, bastonnades, épreuve du chiffon et électricité. Des variantes et dautres méthodes plus « sophistiquées » sont utilisées dans les centres de la SM.
La torture est pratiquée jusquà nos jours, comme en témoignent plusieurs personnes, mais il est possible de distinguer plusieurs phases :
¾ durant la période allant de janvier 1992 au printemps 1994, les milliers de personnes arrêtées et torturées ont souvent été présentées à la justice qui les faisait libérer, faute de chefs dinculpations (cest ce qui explique que les témoignages datant des années 1992 et 1993 soient plus nombreux que ceux des périodes ultérieures) ;
¾ à partir de mars 1994, la lutte antiterroriste passe à un stade supérieur : des milliers (voire des dizaines de milliers) de personnes sont arrêtées et systématiquement torturées avant dêtre pour la plupart assassinées, le plus souvent dans les centres de la SM (elles seront réputées « disparues ») ;
¾ à partir de 1997, la pratique des exécutions extrajudiciaires et des « disparitions » diminue, la torture continuant à être largement pratiquée.
Dès janvier 1992, des dizaines de milliers de sympathisants, militants ou supposés militants du FIS sont arrêtés, transférés dune caserne à un « centre de transit » en passant par une prison avant dêtre dirigés vers les camps dinternement appelés « camps de sûreté » localisés dans le Sud du pays, en plein désert du Sahara. À chaque étape, les prisonniers peuvent être maltraités.
En juillet 2002, Abderrahmane Mosbah a témoigné, lors du procès en diffamation intenté à Paris par le général Nezzar contre lauteur du livre La Sale Guerre, Habib Souaïdia, des conditions quil a subies avant dêtre transféré dans un camp du Sud :
En mars 1992, jai été pris dans une rafle à lentrée de luniversité. Nous étions onze étudiants à être pris dans cette rafle. On nous a mis dans les coffres des 505, bien sûr menottés, attachés, couchés dans les coffres. On nous a donné des coups de rangers, on nous a conduits au commissariat dHussein-Dey. On nous a emmenés au cachot, dans des cellules où lon était plusieurs[1].
De là, Abderrahmane Mosbah a été transféré à un autre lieu :
On nous a mis dans un hangar, ils appelaient cela un « centre de transit ». [
] Cétait un hangar en bardage métallique, sans la moindre isolation. On était en plein hiver, il faisait très froid. À lintérieur, il y avait des sortes de box en grillage métallique, des box à chevaux. [
] Les conditions étaient atroces, on était obligés dattendre pour aller aux toilettes. Les toilettes étaient des sortes de cabines en bois posées au-dessus de tranchées.
Lyès Laribi, de son côté, est arrêté mi-mars 1992 et emmené dans un commissariat dans lequel se trouvent déjà de nombreuses personnes. Les policiers le menacent et exigent des aveux sous des coups :
Ne comprenant même pas de quoi ils maccusaient, en larmes, je les suppliais de me donner au moins les raisons de ma présence dans ce bureau, afin de pouvoir me défendre. Prenant cela pour une moquerie, un des trois policiers ma juré que, si je ne prononçais pas un nom, il attenterait à ma dignité. [
] Me crachant au visage, il a ordonné de me faire passer au « chiffon ». Ils mont alors enfoncé un chiffon sale dans la bouche, mont basculé la tête dans un seau deau mélangée avec lune de leur saleté, du grésil ou quelque chose dautre, jusquà ce que je suffoque. Ils mont fait subir lépreuve du chiffon plusieurs fois[2].
Ayant subi de nombreuses tortures, il finit par inventer un scénario dans lequel il implique dautres personnes. Il sera transféré dans un camp.
Dans ces camps, les prisonniers sont parqués dans des conditions effroyables, tant climatiques quhygiéniques, et sont maltraités. Des milliers dhommes passent par ces camps pour quelques mois ou quelques années (les chiffres exacts nont jamais été divulgués). Ils sont officiellement fermés en novembre 1995 suite aux protestations internationales. Ce qui semble très courant, cest que les personnes emprisonnées administrativement, contre qui aucune charge nest retenue puisquil ny a ni mandat darrêt, ni accusation, ni enquête, ni procès, ni condamnation, sont à nouveau arrêtées peu de temps ou même quelques années après leur sortie des camps, torturées et certaines disparaissent ou sont liquidées. Abderrahmane Mosbah est ainsi arrêté à nouveau en 1993, quelques mois après sa libération du camp de El-Ménéa et détenu secrètement dans la gendarmerie de Aïn-Naâdja où il est torturé pendant quarante jours.
Certains disparaissent, comme Derradji Achour, né le 8 décembre 1971, célibataire, demeurant aux Eucalyptus (Alger), handicapé physique. Il avait été arrêté en 1992 et interné pendant deux ans dans le camp de Aïn-Mguel. Arrêté une nouvelle fois le 2 mars 1996 à une heure du matin à son domicile par des militaires et des policiers, il passe par différents centres de détention secrets puis il disparaît[3]. Le journaliste Djamal Eddine Fahassi avait lui aussi été interné dans un camp pendant un mois et demi en 1992. Il est à nouveau enlevé en mai 1995 et disparaît[4]. Dautres sont exécutés sommairement dans la rue, comme Kamal Raith, universitaire, membre de la direction politique du FIS, qui a été tué à sa sortie de la mosquée de Blida le 26 août 1996 à 20 heures, alors quil avait été libéré du camp de concentration de Aïn-Mguel en décembre 1995, où il avait été déporté depuis près de quatre ans[5].
En mai 1992, le général « Smaïn » Lamari, chef de la DCE et n° 2 du DRS, avait déjà annoncé expressément à ses collaborateurs quil était prêt à « liquider trois millions dAlgériens » pour maintenir lordre[6]. Abdelkader Tigha, adjudant en poste au CTRI de Blida, confirme quen 1993, « devant la détérioration de la situation sécuritaire à Blida (attentats journaliers, attaque des casernes), mon service avait reçu lordre, directement du général Lamari Smaïn, de limiter les traductions devant les tribunaux, ça veut dire commencer à exécuter les personnes interpellées[7] ». Le général Mohamed Lamari, chef du CLAS, de son côté, a donné lordre de ne plus faire de prisonniers, mais de liquider les suspects. En avril 1993, il a affirmé à ses subalternes : « Je ne veux pas de prisonniers, je veux des morts[8]. »
Cela a eu pour conséquence que non seulement les militants du FIS et les membres de groupes armés étaient poursuivis, mais aussi leurs familles, voisins et amis, puisque issus du même milieu et soupçonnés de sympathie pour le parti dissous. Les ratissages et les expéditions punitives menées à partir de 1993 par tous les corps militaires et la police, souvent sous forme de « forces combinées », feront des milliers de victimes, dont des familles entières, sans épargner les femmes et les mineurs.
Les exécutions sommaires augmentent considérablement, mais aussi les disparitions de personnes arrêtées. Lorsque celles-ci passent par des centres de détention, elles sont systématiquement torturées. Daprès les témoignages de parents de disparus ou des codétenus libérés, beaucoup dentre elles seraient décédées sous la torture.
Ainsi, plusieurs victimes de tortures rapportent avoir vu un détenu du nom de Noureddine Mihoubi dans le centre du DRS de Châteauneuf. Boukhari Aïssa, kidnappé fin mai 1993, dit lavoir rencontré. Il était incarcéré depuis six mois, il avait le dos complètement lacéré, tout le corps meurtri et coupé par des pinces. Chaachoua Djelloul, emprisonné dans le même lieu, a lui aussi rencontré Mihoubi. Ce dernier aurait été séquestré pendant dix-huit mois à Châteauneuf selon dautre co-détenus libérés en 1995. Depuis son arrestation le 27 janvier 1993, il est porté disparu.
Très souvent, donc, les parents de militants du FIS ou de personnes ayant pris les armes sont victimes dexpéditions punitives, alors quils ne sont pas impliqués dans le choix de la personne suspecte. Mais les arrestations vont au-delà des membres proches ou éloignés de la famille du suspect. Lors de rafles et de ratissages, des jeunes hommes sont sortis de leurs maisons au hasard et embarqués sans quaucun lien avec des personnes suspectes ne soit établi, si ce nest que celles-ci habitent le quartier. Il peut sagir de campagnes expéditives, de mesures de terreur dans une région qui a massivement voté pour le FIS ou qui refuse de laisser ses hommes senrôler dans des milices.
Depuis la promulgation le 30 septembre 1992 du décret 92-03 relatif à la lutte contre la subversion et le terrorisme, la durée de garde à vue a été prolongée de 48 heures à douze jours. Dans la plupart des cas, cependant, les personnes arrêtées sont détenues au secret pendant une période plus longue, pouvant aller de quelques semaines à quelques mois. Cest durant cette période quelles sont transférées dun centre à lautre et subissent les tortures.
La torture est pratiquée dans un tout autre but que celui déclaré :
¾ obtenir coûte que coûte des aveux, le plus souvent de faux aveux justifiant la répression vis-à-vis de lopinion publique nationale et internationale ;
¾ terroriser la victime, mais aussi son entourage direct et indirect ;
¾ casser un mouvement de contestation en le divisant : parmi les victimes, il y a ceux quil faut détruire physiquement ou psychologiquement, ceux qui sont immobilisés (en fuyant le pays par exemple) et finalement ceux qui sont retournés et qui collaborent à des degrés différents ;
¾ punir et humilier les adversaires en les faisant souffrir.
En fait, il ne sagit que rarement dextorsion dinformations « exploitables ». Cest ce que montrent parfaitement les témoignages et de victimes et dex-agents de la répression, expliquant que de très nombreuses personnes arrêtées et soumises à la torture ne sont impliquées ni dans la lutte armée ni même dans un quelconque soutien de celle-ci.
Cest alors que débuta la troisième séance de torture pendant laquelle jai dû assumer toutes les accusations, aussi fausses les unes que les autres. Cétait le seul moyen darrêter mon supplice. Mes tortionnaires savaient que je disais nimporte quoi. Et ils savaient très bien pourquoi je le faisais. Mais la recherche de la vérité était leur dernier souci. (Silem Abdelkader, caserne de la SM de Bouzaréah, février 1992.)
Sous la violence de la torture, la victime est contrainte dimproviser en « avouant » des faits fictifs pour atténuer les souffrances infligées par ses tortionnaires. Tout y passe : ses voisins, ses amis, ses collègues de travail. Il dénonce sous le supplice tout le monde. Et cest ainsi que de faux aveux sont arrachés et que des PV denquête préliminaire sont confectionnés. Laccusé saccusera volontiers pour que cessent les affres du supplice. Il saccablera de faits, voire de crimes quil na jamais commis, en entraînant dans son sillage dautres innocents.
Ailleurs, ce sont les tortionnaires qui suggèrent au supplicié des noms de citoyens pour les « mouiller » dans des actions dites « terroristes ».
Jai vu la mort devant moi. Après dinsupportables souffrances, jai inventé un scénario pour [lattentat de] laéroport ; jai donné des noms de frères innocents. Je voulais quon cesse de me torturer. Une heure après, on me délivra de mes liens et on me présenta au commissaire Kraa. Celui-ci me demanda de lui répéter ce que javais dit sous la torture et ordonna au caméraman de me filmer. (Hocine Abderrahim, Châteauneuf, octobre 1992.)
À la fin du supplice, on a exigé de moi de reconnaître que mon frère avait tué un policier à Maquaria le 7 juin 1994. On ma soumis une liste de noms de citoyens que je ne connaissais pas et on ma demandé de les impliquer dans lattentat. Compromettre des innocents dans des assassinats ! On a créé ainsi un scénario de toutes pièces impliquant mon frère et dautres citoyens, et on voulait que je « reconnaisse » les faits. La torture est devenue de plus en plus atroce. Je ne pouvais plus la supporter. Jai fini par craquer et par dire nimporte quoi. (Bouaouicha Mustapha, commissariat central dAlger, juin 1994.)
Les PV d« aveux » arrachés sous la torture sont truffés de contrevérités. La date darrestation mentionnée est souvent fausse, lorsquelle existe. Le plus souvent, elle nest pas du tout mentionnée, tout comme la date et les horaires des interrogatoires ou plutôt des séances de torture. Le PV nest jamais signé par le tortionnaire. Il est anonyme. En revanche, il est signé sous la contrainte et sans être lu par la victime, parfois les yeux bandés :
On ma fait signer sous la contrainte et la menace le procès-verbal que je navais pas lu. On ma forcé à signer le texte. Devant ces barbares je navais pas le choix. (Kentour Brahim, Châteauneuf, juillet 1994.)
Et le soir, un tortionnaire est venu dans ma cellule, le gros dossier dinterrogatoire sous le bras. Il ma ordonné de signer certaines feuilles en me menaçant : en cas de refus, la torture allait reprendre. Devant les affres que jai subies, je nai pas réfléchi une seule seconde. Jai signé. Pourvu que le supplice ne recommence pas. (Gharbi Brahim, Châteauneuf, mai 1994.)
Après mavoir arraché ces faux aveux, jai été remis dans ma cellule, en état de véritable loque humaine. Les tortionnaires mont fait signer un PV, les yeux bandés. Je ne savais pas ce quil contenait. (Ichalalène Abderrahmane, BMPJ dEl-Madania, novembre 1994.)
Les agents des services de sécurité emploient la torture pour se venger de collègues assassinés, car dans les premières années après le coup dÉtat, des centaines de membres des forces de sécurité (des policiers surtout) ont été tués par des groupes armés identifiés ou non. Sajoute à cela que dans tout système où la torture est systématique, chacun doit y avoir touché. Il est très important pour la cohésion du corps de répression que chacun ait pratiqué la torture. Le refus de cette répression est lourdement sanctionné, comme lattestent certains policiers qui ont préféré démissionner plutôt que de cautionner cette dérive dans la violence :
En mars 1994, M. Daci, alors commissaire, mordonna de réaliser des arrestations au niveau de la population dEl-Affroun avec mes collègues et dorganiser des embuscades, chose que jai refusée catégoriquement, ne pouvant arrêter arbitrairement de jeunes citoyens et encore moins tuer des gens. [
] Après un interrogatoire, je fus fouetté à laide dun fil électrique sur diverses parties du corps et notamment sur le dos. On me jeta alors dans une cellule, ligoté durant 48 heures, sans manger ni boire. Après cela, des éléments de la brigade de répression et du banditisme (BRB) de Blida sont arrivés et mont jeté dans la malle. Je fus transféré sur Blida. (Ouendjela Abderrahmane, septembre 1994.)
Dans le droit algérien, tout acte de torture est punissable et lAlgérie a ratifié la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants (adoptée par lAssemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1984). Mais sur le terrain, cette pratique dégradante et inhumaine est institutionnalisée et ses auteurs sont assurés de limpunité.
Les lois dexception imposées au lendemain du coup dÉtat, mais aussi linféodation de la justice à la police politique permettent toutes les dérives. Ces lois dexception permettent de garder le citoyen en garde à vue durant douze jours. Même ce délai déjà assez long est rarement respecté, les détenus séjournant souvent plusieurs semaines, voire des mois et pour certains plus dune année, dans les commissariats, casernes, centres de la SM ou brigades de gendarmerie.
Dans la liste de trois cents témoignages de victimes de tortures présentée plus loin, les délais de séquestration sont connus dans deux cent vingt-neuf cas : pour cent cinquante-cinq dentre eux, la victime a été séquestrée au-delà du délai de douze jours que fixe la loi dexception, soit 68 % des cas.
Ce supplice a duré plus dune heure et a été répété pendant plusieurs jours. Au bout dune semaine, ce calvaire a cessé. Ensuite, on ma oublié. On ma laissé ainsi pendant cinq mois, enfermé dans une cellule. Pendant trois mois, jai été attaché avec des menottes. Mes poignets présentaient des plaies infectées du fait de la strangulation par les menottes. (Djemaoune Abdeslam, gendarmerie de Aïn-Naâdja, août 1994.)
Le procureur à qui est déféré le citoyen ne sinquiète jamais du dépassement du délai, tout comme il nécoute jamais les plaintes de la victime dont les traces de tortures sont encore visibles. Il délivre immédiatement le mandat de dépôt après avoir lu les chefs dinculpation du PV de police, PV contenant le plus souvent des contrevérités et de faux aveux obtenus sous la torture. De nombreux exemples illustrent cet état de fait :
Le 10 mars, je suis conduit avec dautres à la prison militaire de Blida. Le procureur militaire, le commandant Boukhari, devant mes dénégations, minsulte et profère à mon encontre des grossièretés inqualifiables. (Boutchiche Mokhtar, tribunal militaire de Blida, février 1992.)
Le samedi matin, je fus conduit chez le « juge » dinstruction. Il ma menacé de me reconduire à Cavaignac si je ne disais pas la vérité. Sa vérité ! (Sari-Ahmed Mahfoud, tribunal dexception dAlger, mai 1993.)
À la fin de linstruction, jai montré au juge mes doigts mutilés par les ciseaux du tortionnaire ainsi que la plaie purulente de mon crâne. Il avait lesprit ailleurs. Mes doléances semblaient le déranger. Il a fait un signe de sa main pour que je sorte du bureau. Cest la justice de notre pays ! (Thamert Hocine, tribunal dexception dAlger, mai 1994.)
Les demandes dexpertise formulées par lavocat de la victime sont très rarement prises en compte par le magistrat instructeur. Et lorsque, exceptionnellement, elles le sont tardivement, les traces des sévices auront disparu. Ailleurs, certains médecins légistes ne sempressent nullement de réaliser lexpertise, traduisant une certaine complicité avec les magistrats et les services de sécurité.
Il faut un énorme courage aux suppliciés pour rapporter aux juges dinstruction les faits de torture. Les agents des services de sécurité menacent les prévenus jusque dans les salles de tribunal sils contredisent le PV de linterrogatoire.
Puis à nouveau, on nous embarqua dans une Peugeot 505 vers le tribunal dAlger. On me prit à part et on me dit : « Gare à toi si tu reviens devant le juge sur ce dont on sest entendu, sinon cest la torture qui tattend. » (Bekkis Amar, commissariat de Bab El-Oued, octobre 1993.)
Ils vont même plus loin puisquils menacent les suppliciés de les exécuter au cas où le juge les ferait libérer.
Durant le trajet de transfert vers le tribunal, nous avons été menacés par le chef de brigade de gendarmerie. Il nous a « conseillé » de ne pas revenir sur nos aveux et quen cas de libération par le juge, il allait nous exécuter automatiquement à la sortie du tribunal. Je priais le Tout-Puissant pour que le juge nous place sous mandat de dépôt pour échapper à une mort certaine comme cela sest passé pour dautres à Saoula. (Aït-Ahmed Rachid, février 1994.)
Dans des conditions pareilles, beaucoup de suppliciés en arrivent à espérer une condamnation plutôt que la liberté. Les arrestations successives ou les exécutions sommaires de personnes qui avaient été remises en liberté ne sont pas rares.
Les moyens utilisés par les tortionnaires sont nombreux et variés. Ils vont des violences rudimentaires et primitives aux techniques les plus sophistiquées. Plusieurs victimes rapportent quelles ont subi plusieurs formes de torture à la fois, généralement le supplice du chiffon et la gégène.
La dernière séance fut la plus atroce : on me cassa le bras en me frappant de toutes les forces avec une chaise alors que jétais ligoté sur le banc de ciment, lofficier qui me frappa avec la chaise (cest lui qui supervisait toutes les opérations de torture depuis le début) pressa sur mes yeux avec ses pouces de toutes ses forces dans le but de les faire éclater et ce, pendant plus de quinze minutes. En même temps, je subis le supplice de lélectricité avec les électrodes branchées sur mes orteils, puis sur mes parties génitales, tout cela ajouté à létouffement par leau et les coups qui ne sarrêtaient pas. (Sadat Mohamed, Châteauneuf.)
* Les bastonnades et la flagellation
Ce sont des méthodes rudimentaires qui accueillent le supplicié dans la « salle dexploitation des informations » ou le « laboratoire » selon le terme utilisé cyniquement par les tortionnaires pour désigner les salles de torture.
Dès son entrée, le supplicié est reçu par des coups de poings et de pieds sur tout le corps avec deux zones de prédilection : le visage et les organes génitaux. À cela sajoutent des coups de bâton, de barres de fer ou de tuyaux en caoutchouc sur la tête et sur le dos, entraînant le plus souvent des traumatismes crâniens et des fractures costales.
Il est une spécialité particulièrement prisée des tortionnaires algériens : il sagit de la fallaqa, qui consiste, après avoir allongé et attaché le supplicié sur un banc, à frapper sa plante des pieds avec un bâton fin ou un câble électrique. Extrêmement douloureuse, cette technique provoque un dème et des plaies hémorragiques qui sinfectent le plus souvent et qui empêchent la victime de marcher.
* La technique du chiffon
Cest la méthode la plus fréquemment utilisée. Elle semble être une spécialité algérienne (directement héritée des méthodes de larmée française pendant la guerre de libération). Cest la méthode introductive de la panoplie de supplices, et elle est pratiquée dans tous les centres de détention. La victime dévêtue est allongée puis attachée à un banc de telle manière quelle ne puisse bouger. Un chiffon est introduit avec force dans sa bouche, ce qui permet de maintenir cette dernière ouverte. De leau sale, généralement puisée dans les WC ou des égouts de cuisine, est introduite de force dans la bouche et ce, jusquau remplissage de lestomac et à la suffocation. Parfois, il est ajouté à cette eau du grésil ou de leau de javel.
Une fois lestomac bien rempli, lun des tortionnaires se met à frapper labdomen du supplicié à coups de poing ou de pied pour lui faire régurgiter cette eau. Dautres sassoient carrément sur son abdomen.
Il existe une variante de cette technique consistant à introduire un tuyau relié à un robinet et à laisser couler leau jusquau remplissage exagéré de lestomac ; puis le tortionnaire procède comme précédemment pour faire évacuer leau.
* La suspension au plafond
Cest également lune des techniques fréquemment utilisées dans les salles de torture qui sont équipées de systèmes de poulies ou de crochets placés sur les murs et les plafonds. Il existe plusieurs variantes selon les « goûts » des tortionnaires.
¾ La suspension par les poignets : elle consiste à suspendre la victime au mur ou au plafond par lun ou les deux poignets, les pieds pendant au-dessus du sol et ce, durant plusieurs heures voire des journées entières. Certaines victimes ont été suspendues pendant douze jours. Cette pratique entraîne une strangulation au niveau des poignets, avec parfois des séquelles vasculo-nerveuses provoquant un retentissement fonctionnel sur la main.
À la fin de linterrogatoire, ils décidèrent de me suspendre par les menottes à un tuyau situé au plafond de la cellule. Je restais suspendu ainsi, touchant le sol seulement avec la pointe des pieds. [
] Je suis resté suspendu ainsi pendant douze jours, sans manger ni boire. Mes poignets saignaient puis du pus commença à couler. (Fekar Saïd, brigade de gendarmerie de Bordj-Ménaïel, juillet 1994.)
¾ La suspension en sac : les pieds et les poignets du supplicié sont attachés ensemble par une corde ou un câble. Tout le corps est alors hissé par un système de poulies au plafond. La victime restera ainsi, des heures voire des jours. Lorsque le supplice se termine, on lâche brutalement la corde et le corps de la victime, épuisée, seffondre violemment sur le sol.
¾ La suspension par les pieds : les chevilles sont attachées par une corde ou un câble et la victime est alors suspendue au plafond, tête en bas et ce durant des heures. Elle entraînera des vertiges et des troubles vasculaires cérébraux. Beaucoup de suppliciés mourront lorsque la suspension est prolongée.
Puis jai été suspendu par mes pieds au plafond, ma tête en bas. Je suis resté dans cette position durant toute la journée. (Belhamri Messaoud, Châteauneuf, commissariat central, juin 1994.)
¾ La suspension par le sexe : technique sauvage, provoquant dhorribles douleurs, elle consiste à passer un câble en lasso sur la verge ou au niveau de la racine de lappareil génital externe et de tirer vers le haut. Le supplicié est sujet alors à des évanouissements. Elle entraîne souvent des ruptures vasculaires de lappareil génital et de lurètre ainsi que dabondantes hématuries. Elle laisse comme séquelles une impuissance par lésions des corps caverneux. Cette technique a été le plus fréquemment pratiquée aux centres de torture du DRS de Haouch-Chnou (Blida) et de Châteauneuf.
Avec tout le respect que jai pour lopinion publique qui lira peut-être un jour ce témoignage, je dois raconter comment ils mont attaché le sexe avec un fil solide et lont tiré de toutes leurs forces vers le plafond. Je hurlais de douleur. (Kentour Brahim, août 1994.)
* Lélectricité
La « gégène », qui rappelle les tristes et douloureux souvenirs de la guerre de libération, est massivement pratiquée plus de trente ans plus tard comme au temps de la bataille dAlger et avec parfois plus de raffinements, grâce aux progrès technologiques des « joujoux » importés de France et des États-Unis.
¾ La classique séance délectricité : sur une victime dévêtue, allongée et bien ficelée sur un banc, de préférence métallique, le tortionnaire mouille dabord le corps en versant sur lui un seau deau. Des fils électriques se terminant par des pinces et reliés à une puissante source de courant électrique, sont appliqués sur les parties sensibles du corps : lobes des oreilles, mamelons, parties génitales. Des décharges sont alors appliquées, entraînant des convulsions et contorsions de la victime, malgré ses solides attaches au banc. Les douleurs sont atroces, selon les récits de nombreux témoins. Nombreux seront ceux qui perdront connaissance et seront réveillées par dautres décharges. Le supplicié se mord souvent la langue.
¾ La matraque électrique est le moyen moderne de torture. Décrite surtout dans les centres du DRS de Châteauneuf, de Blida et de Boumerdès, elle permet, tout en assénant des coups, denvoyer des décharges électriques qui foudroient la victime. Cest une matraque formée de deux parties : la poignée, recouverte de cuir, et une partie métallique hérissée de pointes.
Le matraquage des points sensibles du corps à laide dun instrument électrique, particulièrement sur le sexe. Le tortionnaire usant de cette technique sest tellement acharné sur moi que mes organes génitaux se sont tuméfiés doù une impotence totale et définitive. Utilisation de ce même appareil sur les yeux, provoquant des hémorragies et une baisse considérable de la vue. Appliqué au niveau de la bouche, il provoque une tuméfaction des lèvres, des gencives et de la muqueuse buccale, entraînant une impossibilité dalimentation pendant plusieurs jours. (Aït Bellouk Mohamed, Châteauneuf, commissariat central, 1993.)
¾ Le stylo électrique : décrit par plusieurs témoins séquestrés au centre de Châteauneuf, cet appareil qui ressemblerait à un stylo présente une pointe métallique terminale semblable à celle dun fer à souder. Appliqué sur les pieds et les différentes parties du corps, il délivre de puissantes décharges électriques qui foudroient le supplicié. Cet appareil aurait été importé des États-Unis.
¾ Les aiguilles électriques sont introduites tout comme des aiguilles dacupuncture en différentes parties sensibles du corps. Mais contrairement à ces dernières qui soulagent, celles-ci provoquent des douleurs atroces.
* Les brûlures
Il existe plusieurs moyens de les provoquer dans la panoplie des professionnels ès tortures.
¾ par mégots de cigarettes : cest la technique la « moins » sauvage. Le tortionnaire écrase le mégot de sa cigarette sur le thorax, labdomen ou le visage du supplicié attaché à un banc, entraînant des brûlures ponctuelles plus ou moins profondes.
¾ par lessence : elle consiste à verser de lessence soit sur la barbe soit sur les organes génitaux et de craquer une allumette entraînant un embrasement du liquide. De nombreux citoyens ont présenté de très graves séquelles, plus particulièrement au niveau de lorgane génital.
¾ Le chalumeau : cet appareil de soudure est appliqué généralement sur le thorax et labdomen. Parfois, il est utilisé pour brûler la barbe de la victime. Il entraîne des douleurs atroces et provoque des brûlures du troisième degré qui sinfectent souvent du fait de labsence de soins.
¾ Le fer à souder : comme le chalumeau, provoque des brûlures graves. Des tortionnaires sadiques écriront avec cet instrument sur la peau du supplicié des prénoms de femmes ou des initiales de clubs de football quils soutiennent.
¾ Le fer à repasser est utilisé comme moyen de torture dans certains centres de détention. Un supplicié affirme avoir subi cette épreuve sur le thorax au commissariat dAïn-Taya (Branine Abdelatif, 1997).
* Lépreuve de léchelle
Le supplicié est suspendu par ses poignets et ses chevilles en X à une échelle. On laisse brusquement tomber celle-ci avec le corps de la victime attaché. Il tombera sur son visage, provoquant souvent des fractures de la base du nez. Il existe une variante de cette épreuve qui consiste à ligoter le supplicié sur une chaise et à projeter cette dernière en avant avec réception au sol sur le visage.
* Les tortures sexuelles
Elles sont très largement pratiquées, dénotant la profonde perversion des tortionnaires, totalement désaxés après des années de pratique routinière de la torture. Les tortures sexuelles sont variées.
¾ Mutilation de la verge : on a vu que le sexe était une zone dapplication privilégiée des différentes techniques utilisées par les tortionnaires, quil sagisse de lélectricité, de la suspension ou des brûlures. Une autre technique de mutilation du sexe des hommes consiste à lintroduire dans un tiroir et à le fermer brutalement, entraînant un cisaillement extrêmement douloureux et aux séquelles fonctionnelles graves. Cette pratique a été souvent décrite au commissariat central dAlger.
¾ La sodomisation est loin dêtre rare dans la pratique algérienne de la torture. Elle concerne le plus souvent les adolescents sur lesquels sacharnent les tortionnaires. Elle peut être directe, les tortionnaires sodomisant leur victime à tour de rôle. Ailleurs, ils introduisent le canon de leur pistolet ou un manche à balai dans lanus de la victime. Le plus souvent, ils font asseoir le supplicié sur une bouteille. Cette pratique provoque de graves troubles sphinctériens anaux. Un commissariat de la banlieue dAlger (Bourouba) se serait spécialisé dans ces actes contre nature.
¾ Le viol : de nombreuses femmes, épouses, mères ou filles de citoyens accusés de « terrorisme » ont été arrêtées et ont subi des violences sexuelles, dont le viol. De nombreux cas ont notamment été rapportés au centre de Châteauneuf.
La perceuse électrique, plus couramment appelée chignole, la scie, le tournevis, le ciseau de tailleur sont des instruments également utilisés pour laisser des traces physiques indélébiles sur le corps du supplicié par les tortionnaires.
¾ Les tenailles sont utilisées pour arracher la peau du thorax et de labdomen ou encore les ongles du supplicié. La plaie cutanée ainsi provoquée est saupoudrée de sel. Lorsque la victime est barbue, les tenailles serviront à arracher sa barbe.
¾ La lame de rasoir et la baïonnette : tout comme les tenailles, elles servent à entailler la peau du thorax, de labdomen et du dos, provoquant des plaies linéaires qui seront saupoudrées de sel.
¾ Simulacre dexécution : la victime est souvent sortie de sa cellule, visage recouvert dune cagoule et jetée dans une malle de voiture. Elle est emmenée hors du lieu de séquestration, généralement dans une forêt. Là on lui ôte la cagoule et on lui met le canon du pistolet sur la tempe ou on tripote un poignard, lui faisant comprendre quon va légorger. Lopération peut être répétée plusieurs fois pour terroriser la victime.
¾ Les transferts : les victimes sont transférées dun centre à un autre sans savoir quand et combien de temps elles y seront séquestrées. Non seulement elles subissent alors les mêmes interrogatoires et les mêmes tortures, mais elles doivent à chaque fois shabituer au nouvel environnement, sadapter aux tortionnaires et changer de camarades dinfortune. Il sensuit une perte de repères géographiques et émotionnels. Ces transferts fréquents rendent nettement plus difficile lidentification des tortionnaires par les survivants. Sajoute à cela la perte des traces de détenus comptés ensuite parmi les « disparus ».
¾ Insomnies et état de psychose : le supplicié est enfermé dans une cellule mitoyenne de la salle de torture ; les cris des suppliciés et les vociférations hystériques des tortionnaires qui se relaient en permanence empêchent la victime de dormir tout en le maintenant dans un état continu de psychose et de terreur.
Je nai pas été torturé physiquement ce jour-là, mais la torture morale me ravageait en entendant les cris de mes frères suppliciés. (Gharbi Brahim, Châteauneuf, commissariat central, Haouch-Chnou, 1994.)
¾ Menaces de ramener lépouse, la mère où la sur et de la violer devant le supplicié : de nombreux cas se sont produits et des femmes ont été violées devant leurs parents.
À ce jour, le bourdonnement des cris et des coups résonne encore dans ma tête et surtout les paroles de certains policiers qui répétaient que je devais me soumettre et signer sinon ils feraient venir ma sur comme ils avaient fait venir ma mère. (Aït-Bellouk Mohamed, Châteauneuf, commissariat central, 1993.)
Souvent, les tortionnaires font assister les mères, surs, épouses en enfants à la torture de leurs parents. Les enfants subissent très souvent des chocs psychologiques très profonds, dautant plus quils sont parfois incarcérés pendant des jours ou des semaines avec leurs mères.
¾ Faim et soif : la plupart des détenus torturés rapportent quils ont été affamés et surtout, pour nombre dentre eux, quils ont été privés deau. Certains se sont vus distribuer seulement un demi-litre deau par jour, dautres nont rien eu à boire pendant plusieurs jours.
¾ Cellules exiguës : les détenus sont en général entassés à plusieurs dans des cellules exiguës, parfois de seulement deux ou trois mètres carrés. Personne ne peut sallonger et les victimes sont contraintes à se reposer à tour de rôle des séances de torture.
Puis on ma transféré vers un autre lieu de détention qui sest avéré être la brigade de gendarmerie de Aïn-Benian, où on ma enfermé dans une cellule exiguë de 1,5 m x 1,5 m. Nous étions quinze personnes à être entassées dans cet endroit. Nous ne pouvions même pas bouger. Les conditions de détention étaient plus que bestiales. (Tayebi Mhamed, janvier 1994.)
¾ Menottage : les détenus sont systématiquement menottés quand ils sont séquestrés, mais parfois de manière si perverse quils ne peuvent bouger. Certains ont ainsi rapporté quils ont été attachés les uns aux autres, de sorte quau moindre geste tout le groupe était déstabilisé.
On ma introduit dans une cellule où jai trouvé dautres détenus qui étaient ligotés dans un enchevêtrement bizarre. Cétait une véritable chaîne humaine. Ils ont attaché mon poignet droit avec le pied gauche dun autre détenu, le pied droit de ce détenu était lui-même relié au poignet gauche dune autre personne, etc. Cétait diabolique. (Boutiche Ahmed, mars 1994)
¾ Des conditions de détention effroyables : dans certains cas, les détenus ne peuvent sortir de leur cellule pour se rendre aux WC et sont contraints de faire leurs besoins naturels sur place. Entre les excréments, le sang et la saleté, lodeur et les parasites, les conditions de détention sont en elles-mêmes une torture. Dans certains centres, faute de place, certains détenus ne sont même pas enfermés dans une cellule et sont attachés par les menottes aux WC ou dans un couloir, à la merci des gardiens qui à chaque passage leur prodiguent des coups de pied ou de poing.
Je suis resté, par exemple, menotté, avec trois autres compagnons dinfortune, pendant huit jours dans un couloir de 50 cm de large, sur un plan incliné, dormant et mangeant dans cette position. Nous allions aux WC ensemble, toujours enchaînés lun à lautre. (Chaachoua Djelloul, Châteauneuf, mars 1993.)
On nous a même privés daller aux toilettes, ce qui obligea certains de faire leurs besoins devant tout le monde, dans la cellule. (Raït Slimane, mars 1992.)
¾ Absence de soins : ni les blessures dues aux tortures, ni les maladies dont souffrent les détenus ne sont soignées dans ces centres. Les rares fois quun médecin est appelé, cest quand la victime est proche de la mort et que les tortionnaires veulent encore la garder en vie. À Alger, elle peut être alors transférée à lhôpital militaire de Aïn-Naâdja, doù elle est enlevée dès quelle est hors de danger. Ce sont les médecins de cet hôpital qui renvoient les victimes dans les centres de détention.
Devant la dégradation de mon état de santé, les policiers ont fini par me transférer à lhôpital dEl-Harrach où on a réalisé une radiographie du thorax. [
] Lofficier de police a préféré lhôpital militaire, où il connaissait des gens. Arrivé à lhôpital de Aïn-Naâdja, jai été examiné par un médecin, et à ma grande surprise, il a déclaré que jétais en parfaite santé et que je ne nécessitais pas dhospitalisation. Je suis retourné malgré moi à la cellule de Bab-Ezzouar
(Chekakri Abdeldjalil, septembre 1994.)
¾ Drogues : certaines victimes ont été contraintes de boire non seulement du vin, mais aussi une substance inconnue provoquant de fortes hallucinations.
Ils mont ramené une eau suspecte quils mont fait boire ainsi quà mes enfants. Javais des vertiges et je commençais à développer des hallucinations. Je voyais mon mari coupé en tranches. Puis je commençais à entendre la voix de mon mari qui me disait dêtre patiente et quil était au Paradis. Je ne savais plus où jétais
(B. Fatma-Zohra, Châteauneuf, septembre 1995.)
¾ Pressions sur les familles : dans certains cas, les forces de sécurité ont procédé au dynamitage du domicile de la victime torturée dans leur centre, ce qui accentue considérablement la pression exercée et linquiétude pour sa famille.
Jai appris plus tard que mon domicile de deux pièces-cuisine a été dynamité par la police quelques jours après mon arrestation, et que ma famille est actuellement hébergée par des voisins. Lopération dévacuation de ma famille, avant le dynamitage, na duré que dix minutes, temps donné par les policiers à mon épouse pour ramasser les affaires. (Ichalalen Abderrahmane, janvier 1995.)
¾ Harcèlement après la libération : lorsque le supplicié échappe à la mort et est enfin libéré par la justice, il nest pas sûr den avoir fini avec les harcèlements, puisque souvent il est contraint de se présenter quotidiennement au commissariat de police (dans certains cas, même deux fois par jour), ce qui lui interdit toute vie quotidienne normale et le livre aux violences verbales mais aussi physiques de ces policiers.
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