L’Algérie en faillite : Le poids de la crise identitaire
L’Algérie en faillite : Le poids de la crise identitaire
Abdallah El Djazairi
J’ai lu la traduction de la conférence prononcée par Lahouari Addi dans une université américaine . Comme toujours, il a su utiliser les mots qu’il faut pour décrire la crise algérienne. Son objectivité et sa rigueur intellectuelles sont remarquables .
Beaucoup de ses lecteurs, le considèrent comme le Montesquieu algérien . Une chose est certaine, il n’y aura pas de changements en Algérie sans les travaux de Lahouari Addi .
Cependant, l’armée au pouvoir est loin d’être une première dans ce monde . Dans de nombreux pays, l’armée est aux commandes mais ces pays ne souffrent pas de guerres civiles. Dans ces pays ,les protagonistes que sont l’armée au pouvoir et l’opposition islamiste, ont tracé des lignes rouges à ne pas franchir .Ces lignes rouges ont pour but de préserver le pays commun et l’avenir commun . En Algérie, on n’hésite pas à scier la bronche sur laquelle nous sommes tous assis car la notion d’intérêts communs est mal assimilée . L’absence du sentiment d’un avenir commun est liée à une crise identitaire .
Cette crise identitaire est patente en Algérie car une personne née en Italie se dit italienne, celle qui est née en Tunisie se dit tunisienne, de même qu’une personne née en Turquie se dit turque . En Algérie, les gens se disent arabes, musulmans ou kabyles, mais ils ne se disent algériens que rarement .
Les appartenances ethniques, culturelles et territoriales caractérisent les identités des individus et des nations .
En Turquie par exemple, en dehors du problème Kurde, les gens se disent turcs d’un point de vue ethnique, se déclarent de culture turque et islamique et s’affirment territorialement Turcs .
En Algérie, nous constatons une certaine confusion au sujet de l’appartenance ethnique . Les gens ne savent pas s’ils sont tous des descendants de berbères ou s’ils sont arabes . Culturellement, ils hésitent avant de se déclarer de culture arabo-islamique, comme s’il n’existait pas de culture en Algérie avant le 7e siècle de notre ère . Territorialement, la confusion est plus marquée, l’Algérien ne voit jamais son pays comme une entité à part . Il situe l’Algérie systématiquement dans le cadre arabo-islamique d’où les expressions « Bled laarab – Bled el Beylec » ( Le pays des arabes – Le pays du bey ottoman) .
Ces hésitations et cette confusion, expliquent à quel point la crise identitaire est présente .
Osmani, l’ancien gardien de but de l’équipe nationale de football, déclarait aux journalistes, le jour où l’Algérie remportait la coupe d’Afrique des nations en 1990, qu’il dédiait cette coupe à tous les musulmans .
L’athlète Merrah, championne olympique en 2000 sur le 1500 mètres, déclarait qu’elle dédiait sa médaille d’or à tous les arabes .
Pour des raisons idéologiques, les islamistes algériens rejètent le costume occidental . Cependant, ils ne mettent que rarement le costume traditionnel algérien car ils préfèrent ceux d’Egypte et d’Afghanistan .
Alors que le Carthaginois Hannibal fait la fierté des tunisiens et son portrait figure sur de nombreux billets de banque en Tunisie, des personnalités historiques comme Massinissa ou Saint Augustin, ne sont connus que par très peu d’Algériens .
Ali Kafi, l’ancien président du haut conseil d’état ( Présidence collégiale de la république, de 1992 à 1994) , mentionne dans ses mémoires à plusieurs reprises l’expression « notre nation arabe »,mais il ne dira pas un mot au sujet de la nation algérienne .
L’ancien président de la République Benbella, déclarait à son retour à Alger en 1962 : « Je suis arabe, je suis arabe, je suis arabe » .
Messieurs les présidents, être algérien tout court, ne vous suffit-il pas ?
Si vous détester tant votre appartenance à l’Algérie, pourquoi avez vous accepté d’être à la tête de ce peuple pendant des années ?
En psychiatrie, la crise identitaire représente un des symptômes de la crise d’adolescence . Peut-on dire que l’Algérie souffre d’une interminable crise d’adolescence ? Peut-on affirmer que le processus qui mène à la création de la nation algérienne est en cours et qu’il n’est pas encore achevé ?
Dans ses discours, Bouteflika veut faire croire aux Algériens que du temps de Boumediene, l’Algérie était une grande nation . Monsieur le Président, avant de parler de grande nation, ne doit-on pas commencer tout simplement par créer la nation ? ou au moins commencer par achever le processus de sa création ?
Je ne sais pas si la nation Arabo-islamique a existé un jour, en tout cas je ne la vois nulle part aujourd’hui . Sinon comment peut-on expliquer les deux guerres du golfe arabo-persique ? Comment expliquer le fait que le problème Palestinien est toujours d’actualité ?
Les tractations qui se font actuellement entre les Etats Unis et les pays arabo-islamiques pour préparer une offensive contre les irakiens prouvent que la nation Arabo-islamique est loin d’être une réalité .
Le sentiment d’appartenir à des nations qui n’existent que dans l’imaginaire de certains, est révélateur de crise .
Même si cette nation arabo-islamique existait, elle ne servirait à rien . Sachant que le zéro est un chiffre absorbant, l’accumulation de nullités ne créera pas obligatoirement une force . Autrement dit, si on signe un pacte d’union entre par exemple le Yemen, le Pakistan et l’Algérie, on ne débouchera sur rien tant que ces pays n’ont pas réalisé chez eux un minimum de progrès politique, économique et socioculturel .
L’union pour commencer devrait se faire entre les différentes régions d’Algérie . Une dynamique économique et commerciale mobilisera les différents coins du pays dans un contexte de paix, sous l’œil veillant d’un gouvernement légitime représentant un état de droit . Une fois cet objectif atteint, l’Algérie se tournera vers ses alliés naturels que sont le Maroc et la Tunisie pour concrétiser enfin l’union du Maghreb . Cette union maghrébine ne sera possible qu’après un changement des mentalités . La conception tiers-mondiste du voisinage qui consiste à vouloir empêcher le soleil de briller sur le voisin est révolue . Quand le soleil brille sur un pays du Maghreb ,ce dernier ne fera pas obligatoirement de l’ombre à ses voisins.
Le régime en place en Algérie a oublié de donner une identité algérienne au peuple d’où la crise identitaire . Cette dernière est endémique et s’étend pour atteindre le sommet de l’état .
Le président Chadli au milieu des années 80,confondant les intérêts de « la nation arabe » et ceux d’Algérie, réconcilia l’Egypte et la Libye dont les relations diplomatiques et commerciales étaient en rupture depuis des années .
La médiation de Chadli a offert aux égyptiens le rôle de sous-traitants commerciaux vis à vis des libyens qui souffraient de plusieurs années d’embargo . En voulant défendre « les intérêts suprêmes de la nation arabe »,Chadli a privé l’Algérie d’un marché de plusieurs milliards de dollars .
Cette crise identitaire a des conséquences. En continuant à regarder vers l’orient tout en refusant de se regarder et d’avoir confiance en nos capacités, nous avons fini par prendre comme modèles des pays tels que l’Egypte et l’Afghanistan alors qu’on a les moyens de faire beaucoup mieux .
Beaucoup d’hommes politiques algériens se comportent comme des personnes adultères, ils vivent en Algérie, profitent des richesses du pays alors qu’ils ont le regard ailleurs .
La crise identitaire n’épargne pas l’opposition qui reste prisonnière de ses particularismes communautaires et idéologiques . Les différents courants de cette opposition refusent les moindres concessions en vue de créer un front capable d’assurer une véritable alternance politique .
Les Algériens devraient comprendre que ce qui s’écroule actuellement c’est l’Algérie et non pas l’Islam . L’application de la charia n’est pas une urgence . L’extrême urgence consiste à sauver rapidement le pays d’un écroulement qui semble imminent . Si les choses continuent à ce rythme, on risque d’appliquer un jour la charia sur les ruines de notre pays .
Comme il existe des mythes fondateurs d’un pays, il existe aussi des mythes dévastateurs de celui ci . Des valeurs supposées sacrées telles que l’honneur de l’armée, la légitimité historique, le sacrifice pour un Islam qui serait menacé, la grandeur d’une nation arabe qui n’existe pas, constituent des mythes dévastateurs surtout s’ils évoluent sur un terrain marqué par une crise identitaire et par une indigence de la vie culturelle et politique .
Le mouvement islamiste algérien devrait prendre rapidement conscience et évoluer par pragmatisme et réalisme vers un mouvement nationaliste .
Le nationalisme algérien ne veut pas dire amour aveugle du F.L.N, ni culte des martyrs . Il ne veut pas dire non plus extrémisme, expansionnisme ni racisme . Il veut dire, une langue algérienne, une architecture algérienne, un moi algérien, des intérêts algériens défendus par un gouvernement légitime, moderniste, humaniste et réaliste .
Le nationalisme islamique est né au Moyen-Orient . Les Ottomans l’ont utilisé pour étouffer toute tentative de séparatisme arabe et consolider ainsi leur domination . Le roi Fayçal d’Arabie Saoudite s’en est servi pour contrer le nationalisme de Djamel Abdennasser . Les américains l’ont exploité pour précipiter la chute du communisme .
Le nationalisme arabe est né au Moyen-Orient aussi . Les anglais l’ont utilisé au 19e siècle pour encourager les soulèvements arabes contre les ottomans . Les Chrétiens d’orient l’ont utilisé pour éloigner toute menace de nationalisme islamique . Le Président égyptien Abdennasser s’en est servi pour pousser les pays de la région à payer les factures de ses guerres mal préparées et bien sûr perdues face à Israël . Ce même nationalisme arabe fut utilisé par les américains pour isoler l’Iran de Khomeyni .
L’Algérie n’est en rien concernée par ces nationalismes arabo-islamiques qui ne servent pas obligatoirement nos intérêts et qui ont pour but de réduire notre pays à une éternelle province d’un Moyen-Orient souffrant de dictatures, de corruption et d’instabilité .
Le Moyen-Orient, berceau des trois religions monothéistes est en faillite actuellement . Il n’a à nous proposer aujourd’hui que le populisme de Djamel Abdennasser, le cynisme et l’impulsivité de Saddam et le théâtralisme de Ben Laden .
Le séparatisme politique et idéologique vis à vis du Moyen-Orient, peut constituer un premier pas vers l’émergence en Algérie d’un état moderne et réaliste .
En sous-traitants fidèles à leurs maîtres respectivement américains et soviétiques, le roi Fayçal d’Arabie Saoudite et le Président égyptien Abdennasser voulaient se partager le monde arabo-islamique . La Turquie et l’Iran par leur poids et leur histoire ont échappé à ce contrôle.
C’est ainsi que le Pakistan, l’Afghanistan et la Tchétchénie se retrouvent dans les filets Saoudiens .
Les pays où Abdennasser a exercé le plus d’influences sont l’Egypte, le Soudan et l’Algérie .
En observant bien nous constatons que le Pakistan et l’Egypte sont aux bords de la guerre civile . Les autres pays sombrent dans des guerres civiles . Quant à l’Arabie Saoudite, elle s’affirme de plus en plus comme un protectorat américain et ne résiste à l’effondrement que grâce à la présence militaire américaine dans le pays . La manne pétrolière prolonge la survie du régime mais pour combien de temps encore ?
l’Algérie n’a pas su se protéger contre les courants idéologiques venus du Moyen-Orient . La crise identitaire a fait le reste en nous rendant plus réceptifs .
Ces courants idéologiques véhiculaient des lectures coraniques très conservatrices
et inadaptées . La dernière grande lecture du Coran (Tafssir ) remonte aux années 60 . Elle a été faite clandestinement dans l’obscurité des prisons égyptiennes par Sayed Kotb . Ce dernier n’avait comme bagage que sa foi, sa volonté et sa bonne maîtrise de la langue arabe. La grandeur du Coran exige qu’on l’étudie dans des centres de recherche en présence de groupes de spécialistes multidisciplinaires. Cette étude mettra en évidence les portées de chaque verset coranique . Cette nouvelle lecture devient une urgence absolue . Elle mettra en valeur les notions de foi, de liberté de pensée et d’amour entre les gens . Elle dynamisera la société et ne nous empêchera pas d’évoluer vers le réalisme, la mesure, le savoir faire et le savoir vivre .
Le retrait de l’armée du champ politique est impératif . Cependant il ne rétablira pas à lui seul la paix et l’ordre . Les islamistes doivent tenir compte des intérêts de l’Algérie . Le contexte international actuel est une donnée à laquelle ils ne pourront pas tourner le dos .
Le séparatisme idéologique et politique vis à vis du Moyen-Orient permettra à la classe politique algérienne d’évoluer vers le réalisme et le modernisme .