Un coq hardi, un coq déplumé et une tortue muette

LE GRAND BESTIAIRE POLITIQUE

Un coq hardi, un coq déplumé et une tortue muette

Le Quotidien d’Oran, 13 septembre 2003

Un des coqs s’enhardit et passe à l’attaque, l’autre perd des plumes et se contente d’esquive. Certains font les lièvres, d’autres préfèrent se faire tortue. Tandis qu’au milieu, la presse joue au malin renard qui se joue du corbeau. A défaut d’idées neuves, le bestiaire de la vie politique s’est enrichi cette semaine…

Sur la scène, il n’y a encore que deux coqs. Mais ils ne mènent pas leurs batailles de la même manière. Le coq Bouteflika devient hardi et attaque sans ménagement pour faire place nette en semant le désordre dans la ménagerie du FLN. Le coq Benflis accuse le coup, perd des plumes, hausse le ton et choisit de faire de l’esquive. La semaine écoulée aurait pu trouver sa place dans la grande parabole politique de George Orwell dans sa «ferme des animaux». Pressé de faire place nette, de paver le chemin de sa réélection, Bouteflika choisit de passer à l’offensive pour tenter sans doute de mettre fin à l’indécision des commis de l’Etat. Tant pis si cela ne paraît pas «fair-play», mais le limogeage des ministres de Benflis, précédé de celui du secrétaire général des Affaires étrangères, sont des signaux aux commis de l’Etat. On ne badine pas avec les «opposants», ni même avec les hésitants. Ces sommations aux hommes des appareils d’Etat permettent à Bouteflika et à ses amis de marquer un point contre leur adversaire du moment Ali Benflis. Cette expulsion musclée des amis de Benflis des circuits ministériels a une autre fonction: semer le trouble au sein du FLN et donner du champ aux «redresseurs» désormais dirigés par le redoutable homme d’appareil qu’est Abdelaziz Belkhadem.

Le jeu est aussi fin qu’un coup de poing mais les partisans de Bouteflika qui connaissent la mentalité dominante au FLN savent qu’il peut être efficace. Agir aussi ouvertement au niveau des appareils d’Etat ne peut que troubler ceux qui au sein du FLN ont appris à évaluer les choses à l’aune des équilibres au sein du pouvoir. Les dernières mesures de limogeage de Bouteflika pouvant signifier, à leurs yeux, que les bons vents qui portaient Benflis se sont estompés et ne gonflent plus sa voile. C’est dans ce trouble des hommes de l’appareil, encore sous contrôle apparent de Benflis, que Belkhadem, en florentin de la politique, compte tirer ses arguments les plus «persuasifs» en faveur d’une nouvelle «moubaya’a» à Bouteflika. La bataille n’est plus seulement entre les deux coqs, elle s’élargit désormais à l’ensemble de la ménagerie et de la basse-cour du FLN.

Dans cette partie aussi musclée que psychologique, Abdelaziz Belkhadem, nouveau «directeur de campagne» du Président se sent pousser des ailes devant l’étrange mollesse du FLN. Certes, il y a eu un communiqué au «ton» dur mais politiquement mou. Benflis ne contre-attaque pas à l’attaque de Bouteflika, il fait le dos rond. Le secrétaire général du FLN a eu jusque-là une ascension politique aisée, facilitée par les circonstances et sans doute les équivoques qui ont été longtemps entretenues. Durant son long passage à la tête du gouvernement, il est devenu le héros par défaut d’une partie de la presse hostile à Bouteflika. Le FLN, disait-on, chose que répétait cette presse, s’était rénové, rajeuni, fortifié. Bref, il est devenu ce grand parti qu’il n’a pas pu être, une pépinière de militants armés de convictions et de certitudes. Côté marketing, c’était presque réussi. Grâce à ce lifting médiatique, le FLN recevra, par la suite, des sympathies aussi inattendues qu’encombrantes comme celle du CCDR ou même de Leïla Aslaoui. Côté basse-cour, cette sympathie de ces journaux -dont les idées ne font pas partie de la culture maison- auront surtout convaincu les hommes de l’appareil qu’Ali Benflis dispose de soutiens lourds au sein du «pouvoir réel». Aujourd’hui, après les coups de griffes de Bouteflika et l’évidente et grossière partialité de l’administration, ils se mettent à douter. Du coup, contraint à la mollesse, Ali Benflis -le comité central s’en remet à lui seul et donc lui refile à lui seul la responsabilité- découvre dans l’adversité l’ampleur des quiproquos. Les journaux hostiles à Bouteflika continueront à le soutenir en attendant mieux ou autre chose. Cela permet d’atténuer des quiproquos plus lourds de conséquences. Le premier se rapporte à l’objet même de la manoeuvre de Bouteflika: éprouver la solidité des convictions des troupes «rénovées» et «rajeunies». Or, la faiblesse de la réaction politique du FLN -qui n’annonce toujours pas comment il va agir à l’APN face aux ordonnances de Bouteflika- est un signe que la force de conviction des troupes est sujette à questions. Une cinquantaine de députés auraient fait déjà défection en faveur des «redresseurs» et parmi ceux qui ne l’ont pas fait, combien seraient-ils prêts à perdre la rente de la députation?

Ces troupes deviennent sans «conviction» car elles semblent découvrir que le soutien du «pouvoir réel» à Benflis n’est pas aussi «réel» que cela… Ce pouvoir réel a-t-il fait de lui un simple lièvre pendant des années? L’idée commence à s’incruster insidieusement au sein du FLN «rénové et rajeuni».

Au temps des lièvres, il vaut mieux être tortue. On ne part pas trop tôt et trop vite et on a le temps d’apprécier les évolutions du paysage, les écueils du relief et aussi, sans doute, d’éviter les faux barrages. Bref, malgré ce que ses proches considèrent comme de «fortes incitations» à entrer prématurément dans la bataille des présidentielles, Mouloud Hamrouche, «si tant est qu’il ait l’intention d’être candidat», n’a pas l’intention de le faire avant l’heure. Et encore moins de faire le lièvre. La réédition de l’expérience des élections 1999 reste apparemment pour les réformateurs un scénario plausible et cela justifie amplement à leurs yeux, le choix de la prudence et de la réserve. Surtout que les élections présidentielles, malgré la fureur ambiante, demeurent encore relativement lointaines. Une source proche de Mouloud Hamrouche trouve d’ailleurs que les analyses publiées dans notre journal sont «fascinantes», «intéressantes», mais elles portent la «faille majeure» d’être fondées sur une fausse information ou une fausse rumeur. Mouloud Hamrouche, dit-on, n’a pas rencontré Ali Benflis «en catimini». Les proches de l’ancien chef de gouvernement estiment également qu’il n’a pas à démentir systématiquement tout ce qui s’écrit et s’écrira sur lui.

Larbi Belkheir a fait son choix cornélien: il sera corps et âme avec Bouteflika. L’idée qui fait la couverture du «journal des débats» n’est pas franchement un scoop, pas plus que les hésitations supposées du chef de cabinet du Président. Crédité d’un poids démesuré au sein du système en place, le général Belkheir se retrouve naturellement au centre des discussions dans les «salons» et dans le microcosme politique. Balancée par un journal qui ne fait pas mystère de son soutien à Bouteflika, le «libéral» contre la caste des «rentiers», la «nouvelle» pouvait s’insérer logiquement dans la campagne pour encourager les ralliements et les défections chez l’adversaire. Quoi de plus troublant en effet pour des apparatchiks du «parti et de l’Etat» que d’apprendre que le général Belkheir a définitivement fait le «choix» de soutenir l’homme qu’il a déjà soutenu en 1999. Ceux qui sont assis entre deux chaises vont définitivement ajuster leur postérieur à la bonne place. La chose semble entendue. Mais la réaction courroucée de Larbi Belkheir dans le journal El-Moudjahid prouve que rien n’est jamais aussi simple. Elle aura incité beaucoup de gens -comme l’auteur de ces lignes- à ne pas se contenter de ce que suggérait le titre mais d’acheter le journal. Un sacré coup de pub que ce communiqué de Larbi Belkheir dénonçant des «allégations mensongères» fondées sur des «arguments fallacieux», un «délire maladif» et une «méchanceté sournoise». Le journal s’en sort d’ailleurs puisque cette pub généralissime annonce qu’il ne sera pas poursuivi. Et bien entendu, à la lecture de l’analyse du «choix cornélien», on comprend qu’elle a de très bonnes raisons de déplaire à Larbi Belkheir -et sans doute à d’autres- présenté comme un «Terminator» froid qui se retrouve «contraint» de choisir Bouteflika. Le communiqué courroucé de Larbi Belkheir ayant assuré une bonne publicité à l’article en question, on se demande, dans le sérail ou ailleurs, où l’on ne croit jamais -et souvent à tort- à l’innocence des articles de presse: quel est le but? Forcer Larbi Belkheir à afficher ses choix lui qui, il y a quelques semaines, semblait «las»? Mystère…

K. Selim