Richesse : comment cette chronique raconte depuis douze ans une carence algérienne définitive

Richesse : comment cette chronique raconte depuis douze ans une carence algérienne définitive

El Kadi Ihsane, Maghreb Emergent, 30 décembre 2016

La dernière chronique économique d’El Kadi Ihsane de 2016 sur El Watan « célèbre » douze ans de prêche pour la transformation des actifs physiques financés par l’Etat en des actifs durables en « condition de marché ».

En cette fin d’année 2016 cette chronique économique boucle sa 12e année sur El Watan. C’est au delà d’un grand cycle de conjoncture. La trajectoire de l’économie peut donner l’impression que l’analyse ne se renouvelle pas. Erreur. Il y a depuis douze ans un grand continuum et une grande rupture. La rupture ? Elle est quantifiable. Le volume annuel des investissements publics a triplé entre 2005 et 2014. Cela change un pays. Logements, aménagements urbains, autoroutes, routes, aérogares, métro, tramways, trains, bâtiments publics, l’Algérie s’est achetée une spectaculaire mise à niveau de son standard d’infrastructure. Elle est visuellement très différente de ce qu’elle était il y’ a douze ans. Le continuum ? Cela ne fait toujours pas une nouvelle économie. Même structure sectorielle du PIB. Spécialisation matière première et insertion primaire dans l’économie mondiale. Cela donne finalement une économie assez ancienne dans un décor nouveau. Fait d’échangeurs autoroutiers vertigineux, de centre de conférence international rutilant, de Grande Mosquée hors normes, et de nouveaux boulevards grandiloquents. Cette chronique a pendant, 12 ans, insisté sur la persistance dangereuse du continuum. Au risque de lasser lecteurs et décideurs. Tout ce qui ne crée pas une économie est factice. 4 000 milliards de dinars de budget d’équipement (2014) peuvent ne rien faire naître qui soit économiquement durable. Au sens d’une activité quelque peu soutenable en condition de marché. Ce prêche constant pour la conversion de l’investissement public en ondes de croissance économique durable a été rattrapé par la conjoncture. La dépense d’équipement baisse depuis deux ans et l’économie qu’elle était supposée faire naitre n’est pas au rendez vous. Incapable de générer et d’ajuster une offre nouvelle de biens et surtout de services à une demande solvable pourtant en pleine expansion. Pourquoi ?

OREF et OCO le budget de l’Etat plutôt que le marché.

Comment donc, pour comprendre pourquoi, la gouvernance politique algérienne n’a pas réussie à créer une économie en dépensant plusieurs dizaines de milliers de milliards de dinars depuis au moins ces douze dernières années, l’âge du pétrole cher, et de cette chronique ? Une illustration par l’actualité la plus récente. Après midi du Jeudi 22 décembre. Début de week-end de début de vacances. Un marché potentiel de plusieurs dizaines de millions de dinars en une seule soirée à Alger. Nous parlons ici de l’économie du temps libre, du tourisme et des loisirs. Celle qui a connu la plus forte croissance dans l’économie mondiale depuis vingt ans. A Alger, un événement sportif avait le potentiel de polariser, jeudi dernier, un très fort chiffre d’affaires. Pour la dernière journée de la phase aller du championnat d’Algérie de football le MCA voulait recevoir l’USMBA au stade du 05 juillet. Dans le programme de début de saison le match était prévu à Omar Hammadi à Bologhine. 8000 spectateurs au mieux contre 60 000 assurés dans le grand stade à 500 dinars le billet. C’était avant cette conjoncture « heureuse » qui a fait du MCA le leader du championnat et a offert à ses dizaines de milliers de supporters l’opportunité de célébrer le titre honorifique de champion d’hiver. Pas de réponse de l’office du complexe olympique à la requête de la ligue pour le changement de domiciliation. Un office public qui vit pour l’essentiel sur l’argent public et qui devrait chercher des ressources de marché. Conséquence pas de soirée « champagne » pour les Verde Leone et autres ultras du MCA, renvoyés dans le vieillot cloaque de Bologhine. Et pas de revenus pour l’OCO, pour les clubs, et pour le marché du spectacle. Le stade du 05 juillet est une dépense budgétaire constante qui refuse de devenir une économie. La faute à l’approche sécuritaire de l’espace public. Pas de grand rassemblement de jeunes si possible. Tant pis si la frustration pour les jeunes de ne pas vivre un grand divertissement provoque un ressentiment politiquement contre productif pour le gouvernement. Prêt à payer le déficit de l’OCO plutôt que de promouvoir le marché du spectacle sportif. Toujours le jeudi du début des vacances, le cinéma Cosmos Riad El Feth a déprogrammé sans prévenir, la projection d’un Blockbuster Hollywoodien en affiche mondiale en ce moment. L’occasion de rappeler que la distribution des films devenue anecdotique en Algérie s’est complétement « déprofessionalisée », marqueur de la quasi-disparition de cette économie du spectacle. Mais le plus illustratif est le sort de Riad El Feth, premier grand Mall au Maghreb, de l’Algérie triomphante du pétrole cher d’un autre cycle économique. Celui du début des années Chadli. Lorsque les cinéphiles éconduits du cinéma Cosmos cherchent une activité de substitution dans cet immense « centre des arts », il rencontre le continuum des années Bouteflika. C’est à dire le vide de l’offre de services nouveaux. Le néant économique. Partout dans le monde, dans une économie au PIB supérieur à 200 milliards de dollars et le revenu par habitant supérieur à 5000 dollars, la première soirée du premier week-end des vacances d’hiver est un feu d’artifice de l’économie de service et du temps libre. En Algérie le gouvernement sécuritaire et archaïque préfère le couvre feu économique. Ces deux illustrations sont largement transposables à toute la philosophie économique algérienne des douze dernières années.

L’Algérie capitaliste marche sur un pied

Les grands équipements achetés durant les 12 dernières années risquent bien de devenir dans dix ans le stade du 05 juillet et l’office de Riadh El Feth d’aujourd’hui. Du béton sans valeur ajoutée de marché. Tout indique que cela en prend le chemin. Et cette chronique dédaigne les mauvais augures. Les ressorts d’une économie en contexte capitaliste sont les même depuis trois siècles. La dépense publique, l’investissement privé. L’extension géographique du marché en est un troisième. L’Algérie capitaliste marche sur un pied. Elle dépense en actifs physiques l’argent du pétrole et ne laisse pas les acteurs privés en faire un actif de marché. Ce n’est pas vrai uniquement pour l’économie des services. Les 70 bateaux de la CNAN d’il y a 30 ans sont devenus 7. Le pavillon national a été dissous. Mais l’activité du transport maritime est toujours fermée au capital privé national. Conséquence, elle est monopolisée par les grands armateurs mondiaux. Sur un marché d’importation supérieur à 40 milliards de dollars par an en moyenne depuis dix ans. La chronique algérienne de ces douze dernières années raconte la grinçante impuissance souveraine à créer de la richesse durable à partir de la dépense non renouvelable. Une carence culturelle, générationnelle, politique. Surtout une carence définitive.