Saddam ou la fin de l’arabisme !
Saddam ou la fin de l’arabisme !
Samir Bouakouir, 20 décembre 2003
Chef d’Etat tout puissant il y a quelques temps, Saddam Hussein, un des chantres de l’arabisme est arrêté comme un vulgaire criminel. Les images humiliantes diffusées dans le monde entier ont créé à ne point douter un sentiment de malaise chez les dirigeants arabes. Il faut dire que ces images chocs se projettent encore dans la psyché des autocrates arabes qui n’ont rien à envier au dictateur de Bagdad. L’unilatéralisme Américain a fait sauter le verrou de la légalité onusienne qui les prémunissait d’une telle éventualité. Désormais, se sachant à l’instar de Saddam et de son clan, privés du soutien populaire, les pouvoirs arabes, et cela est déjà manifeste, redoubleront de zèle dans leur allégeance à l’empire Américain. Qu’un Bouteflika aille jusqu’à proposer d’envoyer des troupes en Irak est révélateur et symptomatique du nouvel état d’esprit.
Les vieux rêves d’un nationalisme arabe progressiste et anti-impérialiste ne sont donc plus qu’un vestige du passé. Quelques décennies seulement séparent la nationalisation du Canal de Suez par Nasser de la fin peu glorieuse de Saddam ; et cet ultime acte, comme une épilogue, vient conclure la tragédie. Cette cruelle désillusion pour des générations de dirigeants qui ont fait de la mystique de l’unité Arabe la source de leur engagement était somme toute prévisible. Pour avoir pensé et conçu un idéal au détriment du droit à l’autodétermination, collectif et individuels, ils ont organisé leur propre échec. Pire, sur l’autel d’une aspiration millénariste, ils ont développé, en pompant les ressources des peuples, de monstrueuses bureaucraties militaro-civiles, réduisant à un état de déshumanisation leurs populations.
Celles-ci privées de tout recours face à l’arbitraire de leurs maîtres n’ont hélas pas trouvé de soutien parmi les puissances du « monde libre », en particulier parmi celles, européennes, se réclamant d’un héritage humaniste et se disant précurseurs de l’affirmation catégorique que tous les hommes, indépendamment des matrices culturelles originelles, ont des droits naturels
Plus grave, au nom d’un relativisme de pacotille, remède supposé pour le complexe du colonisateur, elles tournent le dos à une vocation universaliste pour considérer que les droits de l’homme ne se traduisent pas de la même manière selon que l’on appartient à telle ou telle autre aire culturelle ou « civilisationnelle ». Qu’il y a en quelque sorte des spécificités qui impliquent des modes d’organisation politique particuliers. Et qu’est-ce qui traduit le mieux ce renoncement que ce scandaleux saucissonnage des droits de l’homme auquel s’est appliqué le Président français en Tunisie, exhumant ainsi une conception « bolchevique » de la prééminence des droits sociaux sur les droits politiques.
Alors, on a beau s’indigner ou dénoncer l’unilatéralisme Américain, pérorer sans fin, souvent pour se donner bonne conscience, sur l’illégalité de l’intervention en Irak, les Etats européens, réfractaire à l’intervention américaine, ont fini par s’arrimer à la locomotive Bush. Les enjeux économiques de la reconstruction apparaissent plus décisifs que les divergences philosophico-politiques, étalées dans les médias durant l’intervention. La réal-politik, dirait-on, les a confinées dans leur dimension tactique ; ce qui en fait cache mal un certain aveu d’impuissance ; celui d’opposer une autre vision du monde et de son organisation.
Il faut dire que les Etats-Unis ne manquent d’arguments pour contrer ceux qui leur sont brandis à la face et qui se résument tous au nécessaire respect de l’ONU et de ses résolutions. Ils ont beau jeu de se présenter à présent en champion de la démocratie et des droits de l’homme s’inspirant même de la doctrine wilsonienne pour ce qui est de la politique extérieure. Paradoxale que cette situation qui veut que les belliqueux « faucons » se camouflent sous le voile de la morale universelle au moment où elle déserte l’aire géographique et historique qui l’a enfanté dans la douleur. Sans se méprendre sur les objectifs de l’Administration Bush, les déclarations de Collin Powell sur le respect des droits de l’homme et sur la démocratie contrastent avec les déclarations condamnables de Chirac en Tunisie.
L’ONU, cette arlésienne, que la France et d’autres pays européens cherchent à replacer au cœur des relations internationales représente davantage une tribune pour des dictatures en mal de reconnaissance internationale, qu’une institution censée promouvoir un ordre mondial basé sur le respect des valeurs universelles. Les peuples opprimés ont du reste très tôt fait leur deuil d’une institution qui n’a pas réalisé sa mutation que lui avait pourtant dicté le contexte historique lié à l’effondrement de l’empire soviétique et la chute du mur de berlin. C’est cette incapacité, résultat d’une absence de volonté politique des puissances internationales qui a conduit à l’arrogance impériale des Etats-Unis et que les attentats du 11 septembre ont légitimé.
Le jeu complexe de la géopolitique mené à partir d’une position d’infériorité économique et militaire et selon les présupposés éculés de la guerre froide, fait commettre des erreurs fatales et fait reculer à l’extrême les frontières du cynisme. Obsédés par le retard, au demeurant insurmontable, sur le plan militaire, les Etats pivots de l’Europe perdent de vue que leurs alliés principaux dans l’optique, tout au moins, d’une neutralisation de l’hégémonie Américaine, porteuse de davantage d’injustices et d’inégalités à l’échelle planétaire, sont les peuples doublement opprimés par une mondialisation inhumaine et des dictatures cruelles et prédatrices.
Ces dernières, du fait du précédent Américain en Irak, sont déjà plus enclines à répercuter les intérêts Américains qu’à demeurer dans les zones d’influences dites « naturelles ».
Samir Bouakouir
Cadre du FFS