Situation et perspectives des échanges méditerranéens

Colloque CONSTRUIRE UN ESPACE MEDITERRANEEN POUR LA PAIX, LA JUSTICE ET LES DROITS DES PEUPLES BARCELONE, 15, 16 et 17 novembre 2007 Situation et perspectives des échanges méditerranéens

Contribution de Omar Benderra, 15 novembre 2007

1. Le contexte économique général de la région.

La situation actuelle est caractérisée par un contraste accentué et de plus en plus marqué entre les rives nord et sud de la Méditerranée.

  • Le Nord UE
    • Jouit de la stabilité politique et d’un système parlementaire qui n’est guère contesté et fonctionne quelles qu’en soient les limites. Le Parlement européen existe même si sa prééminence reste à établir.
    • Possède des mécanismes économiques régionaux au sein de la Commission sur des questions stratégiques : commerce, monnaie, sécurité énergétique, migrations, grandes politiques sectorielles.
    • Dispose de revenus élevés, présente des inégalités relativement faibles en dépit d’un accroissement récent. On observe un tassement relatif de la croissance dans l’ancienne Europe (Italie, France) et dynamisme dans la nouvelle (Espagne, Portugal, et pays de l’Est).
    • Enregistre un tassement relatif des ressources fiscales destinées à la redistribution
  • Le Nord non encore UE (essentiellement la Turquie) se caractérise par
    • Une évolution difficile du système politique sous pressions internes (militarisme, montée des nationalismes) et externes propices à l’instabilité (conflits du Moyen-Orient, difficile négociation avec l’UE)
    • Une bonne santé économique et croissance régulière des revenus menacée par les mêmes conflits.
  • Le Sud traverse partout, de Téhéran à Rabat, de grandes tensions, voire des turbulences, politiques. Pour aller de l’apparemment simple au plus complexe,
    • Les pouvoirs au Maghreb ne peuvent prendre le risque de l’ouverture démocratique, d’un parlementarisme représentatif sans être balayés. C’est également le cas de l’Egypte. L’intérêt des USA – et de l’Europe – est aujourd’hui dans le maintien de ce statu quo sous condition de régimes totalitaires sans assise populaire.
    • C’est précisément dans cette faiblesse politique que se situe la source de l’échec économique : échec lorsque ces pays manquaient de ressources et d’apports de capitaux ; échec semblable depuis que les termes de l’échange sont devenus favorables et que les capitaux, du moins asiatiques, veulent venir. Autrement dit le problème n’est pas dans les contraintes de trésorerie, il est structurel. Sa nature est donc politique.
    • De Téhéran à Tel-Aviv, en passant par Beyrouth le devenir de l’ensemble des pays méditerranéens est déterminé par la guerre en cours ou celle qui menace.
  • L’économie de cette partie du monde, du fait même de l’état endémique de guerre, ne peut être construite durablement en dépit de capacités humaines réelles et de la relative aisance financière.
  • Les crises sociales sont encore plus prononcées. Deux générations, en Israël, comme dans les pays arabes et en Iran, ne connaissent que les conflits. L’après conflit est totalement incertain. Les fortes pressions migratoires peuvent encore s’amplifier.

Au plan de la structure des échanges économiques et de son évolution, la position de l’Europe vis-à-vis de la rive sud s’est nettement érodée :

  • Les importations de produits pour l’industrie se font de plus en plus à meilleur prix en Asie, en Russie et via le Moyen-Orient.
  • Les biens et services de haute technologie pour lesquelles l’Europe dispose d’un avantage sont peu consommés par des économies stagnantes.
  • Les marchés publics ont de plus en plus tendance à revenir à des pays émergents (Chine, Inde, Brésil.), phénomène amplifié par les grandes possibilités de corruption.

2. Le modèle actuel,

Ce modèle est en ouvre depuis la disparition de l’URSS, essentiellement formalisé par ce qu’il est convenu d’appeler le processus de Barcelone. Au delà des proclamations d’intentions, ce partenariat euro-méditerranéen n’est rien d’autre que l’expression d’une volonté de dérégulation poussée de l’UE, elle-même fondée sur l’observance rigoureuse des principes du consensus de Washington. La démarche inopérante, ne convainc personne. Il y a absence de développement.

  • Ce modèle n’a pas permis de développer les marchés régionaux ni les échanges dynamiques entre pays méditerranéens. La proximité permet de maintenir le minimum, sans plus, mais ne permet que marginalement l’évolution positive de cette situation.
  • Il apparait d’autant moins effectif que la pression exercée aujourd’hui par les USA pour le contrôle de l’énergie, la concurrence des grands pays émergents, se fait hors de ces pratiques et, peut mettre en cause les petits avantages de proximité.
  • En définitive, il ressort clairement que le modèle Europe-Méditerranée ne supporte pas la comparaison avec d’autres régions ayant enregistré de biens meilleures performances (Asie, Amérique Latine, Russie.)

3. Vers une alternative de développement ?

  • Sans entreprise résolue d’émergence des capacités sociales à même de construire des capacités étatiques légitimes au niveau national et régional, il y a peu de chances que les économies, les marchés se développent et que des dynamiques d’échanges soient enclenchées.
  • La libération des capacités sociales est entravée par la violence des systèmes politiques, laquelle est nourrie par l’état de guerre réelle ou larvée. La hiérarchie des contraintes ne peut être ignorée. Il est nécessaire, primordial d’aboutir préalablement à une paix juste au Moyen-Orient. Ce n’est visiblement pas le chemin qui est aujourd’hui emprunté sous les auspices des néoconservateurs nord-américains.
  • Si la paix pouvait poindre à l’horizon, l’évolution économique mondiale dicte aujourd’hui la voie à suivre :
    • un marché régional structuré sur la base d’un accord politique procurant des garanties suffisantes à tous les Etats.
    • l’Europe dérogerait à son discours mécanique et incantatoire de libéralisation forcée pour reproduire sur son flanc sud les mécanismes qu’elle a mis en place pour se construire elle-même économiquement,
    • protections transitoires renforcées pour les agricultures,
    • politiques énergétiques communes,
    • stabilité monétaire soutenue par des mécanismes de garantie des équilibres,
    • soutien à des politiques des grandes infrastructures,
    • politiques régionale de redistribution.

4. Conclusion :

Je voudrais juste conclure en évoquant l’idée encore peu lisible d’une Union Méditerranéenne sur le modèle de l’UE. Cette proposition est introduite par la nouvelle administration française. Dès l’abord, cette initiative induit inévitablement le même préalable et le même questionnement. Tant que le problème colonial posé par Israël au Moyen-Orient n’est pas réglé, il est illusoire d’attendre autre chose que des actions sporadiques enveloppées dans le discours de « l’approche pragmatique » qui dissimule mal l’incapacité – l’impossibilité – générique à concevoir une démarche cohérente. Si pour les besoins purement formels de l’exercice on met de coté la question de la paix au Moyen-Orient, un certain nombre de questions peuvent néanmoins esquisser une sorte de cadre à la problématique de l’échec annoncé. En effet, autour de quels principes peut on envisager de réunir des économies si décalées et si inégales, et des communautés si différentes ? Est-il réaliste d’espérer un espace politique commun pour des pays présentant des systèmes si dissemblables ? Est-il réaliste d’engager des processus volontaristes sans l’adhésion des sociétés ? Ce sont là des questions que je livre à la réflexion et aux débats.

Je vous remercie.

Omar Benderra