Le bateau algérien vogue sur l’océan de l’économie mondiale
par Mourad Benachenhou, Le Quotidien d’Oran, 28 septembre 2008
Combien de fois faut-il que l’Histoire se répète, pour que ceux qui sont supposés la faire en tirent les leçons ? Y a-t-il une réponse à cette question ?
On peut suggérer que, le temps aidant, la réponse à cette question pourrait apparaître avec la clarté des vérités qui sont tellement évidentes qu’on ne pense même pas à les proclamer. Dans le long terme, les questions les plus ardues trouveront réponse. Mais, hélas ! Comme se plaisait à le répéter l’économiste John Maynard Keynes : « Dans le long terme, nous serons tous morts ».
Eviter l’aveuglement de la complaisance
La question posée n’a rien de philosophique : il s’agit simplement de se demander si les réactions officielles suscitées par les crises économiques passées vont se reproduire face aux circonstances actuelles. On sait comment les milieux officiels ont réagi à la crise économique du milieu des années quatre-vingt du siècle passé, qui a entraîné l’effondrement du prix du pétrole. Ils ont simplement proclamé que cette crise ne concernait pas l’Algérie, qui, suivant l’expression utilisée par certains, « n’est pas le Mexique ; » ils ont même été jusqu’à se déclarer « prêts à aider financièrement certains pays industriels s’ils en faisaient la demande ». Il est à souhaiter que la terrible leçon d’économie infligée à l’Algérie du fait de l’irresponsabilité des dirigeants de l’époque a été assimilée et que l’autosatisfaction, la complaisance et la condescendance ne vont pas de nouveau être affichées en réponse à la tempête qui se prépare et dont même l’économie algérienne subira les conséquences destructives, tout comme le reste du monde, dont elle est partie.
Une crise rampante depuis deux années
C’est une crise dont les premiers signes sont apparus, dès 2006, essentiellement dans un certain nombre de pays les plus avancés, dont les secteurs financiers – échappant à tout contrôle au nom du principe cher à Adam Smith suivant lequel les mécanismes du marché constituent les remèdes automatiques aux outrances du capitalisme débridé, et profitant de politiques monétaires laxistes des gouvernements en cause – se sont lancés dans le financement spéculatif d’opérations portant tant sur l’immobilier que sur les matières premières et les transactions en bourse. Il a suffi qu’un élément, important certes, de cette vaste pyramide Ponzi – à savoir le marché des prêts hypothécaires – s’affaiblisse pour que tout l’édifice complexe du système financier de ces pays montre des signes d’effritement, plus ou moins accéléré suivant le pays en cause.
Il se trouve que le pays où le principe de la totale liberté de transaction est appliqué dans toute son implacable et barbare logique, à savoir les Etats-Unis d’Amérique – où la spéculation financière a atteint des niveaux et des montants incommensurables – est celui également où la déliquescence du secteur bancaire est la plus poussée.
L’effondrement de la pyramide Ponzi
A ce jour, 285 banques américaines ont été déclarées insolvables ; deux grandes sociétés d’investissement séculaires et brassant des centaines de milliards de dollars, Lehman Brothers et Merrill Lynch ont été purement et simplement dissoutes, la première se déclarant en faillite, la seconde acceptant d’être vendue à une grande banque américaine ; les deux grandes sociétés d’investissement restantes ont été obligées de transformer leur statut pour diluer les risques causés par leurs pertes dans certaines transactions spéculatives portant sur l’immobilier comme sur les opérations boursières.
La plus grande banque mutuelle américaine – la WAMU – dont les actifs sont évalués à plus de trois cents milliards de dollars, vient de se déclarer en état de cessation de payement, ce qui constitue la plus faillite bancaire de l’histoire américaine.
Les deux grandes institutions de refinancement des prêts hypothécaires – Freddie Mac et Fannie Mae – ont été placées sous administration de l’Etat central. AIG, la plus grande compagnie d’assurance du monde a subi le même sort. Autre mesure indice de la gravité de la situation du secteur financier américain : le gouvernement fédéral, soutenu par le Federal Reserve System, ou FED, la banque centrale des USA, se propose de verser une subvention aux banques dont le bilan est alourdi par des crédits hypothécaires douteux, pour un montant de sept cents milliards de dollars, dont les règles d’utilisation seraient laissées à la discrétion du ministre américain des Finances – le Secrétaire d’Etat au Trésor. Ce montant représente dix-sept et demi pour cent des créances hypothécaires douteuses, dont le montant est évalué à quatre mille milliards de dollars. Le fait même que le Trésor américain ait pris l’initiative de faire cette proposition qui vise à impliquer en concours définitif le budget fédéral dans les opérations de sauvetage des entreprises financières, prouve, s’il le fallait encore, que la situation exige plus que de simples avances à court terme de la banque centrale, et qu’elle va perdurer.
Cette avalanche de mise en faillite et de placement sous administration n’est pas prête de s’arrêter ; il ne semble pas que la débâcle du secteur financier américain ait atteint son paroxysme. D’autres entreprises bancaires sont en situation d’extrême fragilité et peuvent être contraintes d’un moment à l’autre d’arrêter leurs opérations et de connaître le même sort que les 285 banques en état de cessation de payement. Il ne s’agit pas ici de proposer une analyse des multiples causes de cet effondrement cataclysmique du secteur financier américain, qui commence à donner des signes de contagion sur le secteur productif, mais de s’interroger sur les conséquences qui peuvent en être attendues sur l’économie algérienne.
Il apparaît évident, à travers les informations publiques, que l’effet de domino enclenché par le cataclysme financier n’a pas encore fini de dévoiler toutes ses conséquences, quelles que soient par ailleurs les décisions prises en catastrophe pour atténuer ces conséquences. La crise économique n’en est, en fait, qu’à ses débuts et, comme le montrent le cafouillage actuel dans les mesures prises ça et là par les autorités politiques et financières de différents pays industrialisés, nul ne peut prédire comment elle évoluera.
La dévaluation du dollar va se poursuivre
La conséquence la plus visible est que le taux de change du dollar par rapport aux monnaies internationales principales, à savoir l’euro et le yen, ne se redressera pas de si tôt. L’énorme dette extérieure américaine, évaluée par les services du Trésor à plus de treize mille milliards de dollars, le déficit budgétaire pour l’année fiscale 2009, qui va crever le plafond des mille cents milliards de dollars lorsque la mesure de subventions des entreprises financières américaines sera mise en oeuvre, le déficit de la balance des comptes courants sont des indicateurs qui ne peuvent que corroborer la conclusion que la principale monnaie de réserve mondiale connaitra des jours difficiles dans les années à venir.
La relance de l’endettement international, conséquence de l’accroissement du déficit budgétaire va avoir également des effets sur le service de la dette extérieure, rendant impossible le redressement de la valeur du dollar, et présageant de la continuation de son affaiblissement, même si les pays qui en conservent dans leurs réserves de change n’ont pas intérêt à jouer sa dévaluation, et prendront toutes les mesures nécessaires pour éviter son effondrement sur le marché des changes, y compris des opérations d’achat massives, comme celle des récents jours.
La dévaluation du dollar inflige
des pertes à l’économie algérienne
Du fait de la structure de son commerce extérieur et de la règle imposée d’accepter exclusivement le dollar comme monnaie de payement de ses exportations d’hydrocarbure, qui représentent quatre-vingt-dix-huit pour cent de ses recettes extérieures, l’Algérie continuera à subir la détérioration du pouvoir d’achat du dollar, d’autant plus que ses importations proviennent à plus de quatre-vingts pour cent de pays utilisant d’autres monnaies que le dollar pour leurs exportations ou exigeant le payement en d’autres devises que le dollar, pour se prémunir contre sa perte de valeur. Il est à noter que toute baisse de la valeur du dollar par rapport à l’euro, qui représente 64 pour cent des payements extérieurs algériens, si tenue soit-elle, fait perdre à l’Algérie des sommes importantes : par exemple une baisse du dollar de un pour cent par rapport à l’euro, ce qui n’est nullement rare, représente une perte de change de un milliard de dollars en supposant que quatre-vingts pour cent des réserves de changes algériennes sont détenues en dollars, et de six cents millions de dollars si cette proportion est réduite à cinquante pour cent.
Dans les temps à venir, et malgré la volonté des banques centrales principales de venir au secours du dollar chaque fois qu’il montre des signes d’affaissement, et malgré le fait que les autres pays détenteurs de réserves de changes en dollar ne feront rien pour le miner en tentant de diversifier encore plus la composition de ces réserves, cette monnaie internationale n’est pas prête de s’affermir et il faudra s’attendre à ce qu’elle continue à s’affaiblir dans les mois, si ce n’est les années à venir. Seules des décisions internes dirimantes, telles une réduction dramatique du déficit budgétaire par une politique combinée de réduction des dépenses et d’accroissement des impôts, mesures impopulaires par essence et aux conséquences économiques sérieuses, permettront le redressement sensible du dollar sur le marché des changes ; et aucun gouvernement américain n’est disposé à ajuster sa politique fiscale par souci pour la stabilité du pouvoir d’achat du dollar détenu dans les réserves de changes internationales.
L’inexplicable passivité du FMI, le donneur
officiel de leçons en orthodoxie économique
Les Etats-Unis ne sont pas tenus de passer sous les fourches caudines des conditionnalités du FMI, supposé être l’institution internationale en charge de veiller à la stabilité des marchés des changes. On ne peut qu’être surpris par le silence assourdissant de cette institution internationale dont la création et le maintien n’ont d’autre justification que de veiller à ce que les pays dont la monnaie est utilisée dans les transactions internationales mènent des politiques économiques et financières propres à maintenir la stabilité du pouvoir d’achat de leurs monnaies nationales pour éviter le désordre dans le commerce international.
On a vu cette institution se faire l’écho des déclarations lénifiantes des autorités monétaires en cause, ou s’en tenir à des banalités, tout en s’abstenant de toute action de réprimande ou de critique, même sous forme de point à l’ordre du jour de son conseil d’administration bihebdomadaire, visant à attirer l’attention du pays en cause sur les effets négatifs de ses politiques économiques et financières sur sa monnaie.
La question qui se pose est donc la suivante : est-ce que le FMI sert encore à autre chose qu’au recouvrement des dettes contractées par les pays les plus pauvres, abandonnant sa fonction principale telle que décrite dans son article premier ? Est-il chargé exclusivement de rappeler à l’ordre, par article 4 interposé, les pays marginaux dans la scène économique internationale, qui sortent de la logique économique ultralibérale, tout en s’abstenant d’imposer les mesures de redressement nécessaires aux pays les plus riches dont les décisions économiques ont des effets négatifs ressentis à travers la planète ?
On peut se poser légitimement ces questions car, face à la passivité de cette institution internationale si prompte à donner des leçons de bonne gestion aux pays marginaux, mais qui garde le silence le plus total quand ce sont de grandes puissances qui créent le désordre dans le monde par des politiques économiques et financières systématiquement mauvaises de la reconnaissance de leurs propres économistes et de leurs propres classes politiques. Si le FMI ne sert qu’à ramener à la raison économique les pays les plus pauvres, il n’a plus aucune raison d’être et sa bureaucratie n’est qu’une machine à distribuer des satisfecit aux plus doués, quoi qu’ils fassent, et des réprimandes aux plus faibles élèves de la classe, quelle que soit la cause de leur faiblesse !
Les placements en obligations
du Trésor américain se font à perte
En ce qui concerne les dollars détenus sous forme d’obligation du Trésor américain, ni leur valeur, ni la sécurité de leur détention ne sont garanties. Leur valeur nominale en capital ne change pas, puisque, contrairement aux obligations du Trésor détenues par les particuliers, celles souscrites par les autorités monétaires étrangères, ne sont pas susceptibles de varier en prix suivant l’évolution des taux d’intérêts sur les dépôts en dollar. Cependant, le pouvoir d’achat de ce capital évolue avec le taux de change du dollar comme avec le taux d’inflation international ; et le gouvernement américain ne donne aucune garantie quant au maintien de sommes qui sont mises à sa disposition par les banques centrales étrangères ; un milliard de dollars d’obligations du trésor contracté en janvier 2008 a, en fin d’année, un pouvoir d’achat de neuf cent soixante millions de dollars si le taux d’inflation international a été de quatre pour cent au cours de cette année. Pour que le pouvoir d’achat initial soit maintenu, il faudrait que le taux d’intérêt produit par le placement soit au moins égal à quatre pour cent ; et pour que le rendement du placement soit positif, il doit dépasser les quatre pour cent par an ; or, du fait de la politique de faible taux d’escompte menée par le FED, les placements en obligations du trésor se font à perte.
Les obligations du Trésor américain :
des «junk bonds» ?
Il faudrait calculer ce que l’Algérie a perdu dans ses placements en cet instrument ; on pourrait avoir la surprise de constater qu’en fait, ce n’est pas un placement productif, mais une subvention au Trésor américain égale au différentiel de pouvoir d’achat de ce placement entre le début et la fin de l’année.
De plus, la crédibilité financière du gouvernement américain étant mise à mal par les événements actuels, la prime d’assurance sur les risques de défaut de cet emprunteur a été élevée à 0,26 pour cent des montants assurés, à comparer au 0,09 pour cent pour les obligations du Trésor allemand !
Et nombre d’analystes financiers se demandent si la cotation AAA des obligations du Trésor américain ne doit pas être revue à la baisse, et vont même à estimer que ce sont des obligations à très haut risque – junk bonds.
Il n’est pas raisonnable de conjecturer que les taux d’intérêts des placements en obligations du Trésor américain vont devenir positifs dans les prochains temps. Le FED ne pourra que maintenir le taux d’intérêt directeur à deux pour cent pour éviter que la crise financière ne s’aggrave ; donc, l’Algérie fait un placement à perte sous couvert de solidité de la crédibilité financière du débiteur. Et sans aucun doute, le même raisonnement peut s’appliquer à tous les placements en obligations gouvernementales dans les pays à monnaie convertible.
Revoir le rôle du dollar comme monnaie
de transaction et de réserve
Le dollar est une monnaie fondante et son redressement n’est pas pour demain du fait même de la crise financière, il faudrait bien qu’un jour on évalue ce qu’il coûte de l’accepter comme monnaie unique pour les transactions pétrolières et comme monnaie de réserve, maintenant que le système monétaire international n’a plus d’institution en mesure de ramener à la raison les autorités politiques et monétaires responsables de la fluctuation de la valeur de ces monnaies sur les marchés de change internationaux.
Se pose donc, et directement, le problème de l’ordre monétaire mondial, qui est supposé fonctionner en parallèle avec l’ordre commercial mondial, représenté par l’OMC. Comment peut-on avoir un système commercial efficace et efficient si chaque pays ou groupe de pays émettant une monnaie acceptée dans les transactions internationales, gère cette monnaie sans tenir compte des intérêts de ses détenteurs internationaux ? On est, en fait, revenu au désordre monétaire international qui prévalait avant la Seconde Guerre mondiale, et qui a été une de ses principales causes. Toute conférence internationale qui se réunirait pour traiter de la tourmente financière actuelle, ne pourra éviter d’aborder de sujet, et, éventuellement de saborder le FMI, s’il continue à négliger la mission pour laquelle il a été créé, à savoir le maintien d’un système de payement international fondé sur la stabilité des grandes monnaies.
Pouvoir d’achat du baril de pétrole :
un indice, la santé économique de l’Algérie
Le pouvoir d’achat du dollar pose également le problème du pouvoir d’achat du baril de pétrole, car, qu’on l’accepte ou non, l’économie algérienne est en fait une économie de troc où le pétrole sert de moyen d’échange international par dollar interposé ; on peut même, sans violer les bases d’un raisonnement économique universellement accepté, convertir toutes nos importations en équivalent-baril, par exemple calculer l’équivalent-baril des importations de biens de production, de produits alimentaires, de produits pharmaceutiques ; les deux pour cent d’exportation hors hydrocarbures, dans le contexte actuel, n’achètent pour pas plus de onze jours d’importations, sur la base des trente-trois milliards d’achats à l’étranger projetés pour 2008. Donc, le bon sens même dicterait que toutes les données chiffrées sur nos relations économiques et financières internationales comportent un volet exprimé en équivalent-baril.
Prix du pétrole et spéculation
On ne le répétera jamais assez, malgré les commentaires teintés de scepticisme qu’entraîne cette affirmation : le prix du pétrole n’est pas directement lié à la fluctuation du différentiel entre les quantités produites et les quantités consommées quotidiennement et projetées à trente jours. L’OPEP elle-même reconnaît, dans son site officiel, qu’elle n’est pas seule responsable de la fixation du prix du baril du pétrole, dont le marché est soumis à d’autres facteurs que le pur équilibre entre l’offre et la demande. Peut-être être plus OPEP que l’OPEP même ? Le taux de change du dollar joue un rôle également, mais ce rôle semble avoir été exagéré, pour des motifs aisément explicables, par les négociants en bourse des matières, qui n’ont pas intérêt à ce qu’ils soient montrés du doigt comme responsables des fluctuations du prix du baril de pétrole. Et pourtant, on ne peut totalement expliquer ces fluctuations sans faire référence à la spéculation. Les observateurs les plus compétents du marché pétrolier attirent, depuis longtemps, l’attention sur les effets de cette spéculation. Les autorités politiques américaines, en l’occurrence le Sénat et la Chambre des Représentants ont, à plusieurs reprises au cours des années passées, et aussi récemment que ces trois derniers mois, ouvert le débat sur les conséquences que la spéculation, à objectifs de profits essentiellement financiers, a sur la fluctuation du prix du pétrole.
Il a même été proposé qu’une loi soit passée, interdisant les contrats de « futures » qui prennent comme base le pétrole, mais ne conduisent qu’à dix-sept pour cent de leur montant à la livraison effective de pétrole aux contreparties de ces contrats. Suivant ce projet de loi, seuls seraient autorisés les contrats « forward » souscrits par des entreprises qui veulent bloquer sur trente jours le prix du pétrole qu’elles achètent pour l’utiliser effectivement dans leurs activités de production, et dont elle prennent effectivement et physiquement livraison à l’issue de ces trente jours. Seule la puissance des lobbies financiers, dont les banques, a bloqué le passage de cette proposition de loi.
On peut aisément multiplier les citations d’économistes et de praticiens dans le domaine des contrats de « futures » qui ont attiré l’attention sur les effets distordants que ces contrats ont sur le marché pétrolier.
Différentiel de Rendement
des placements et spéculation sur le pétrole
On ne peut pas donc réfuter le rôle de la spéculation. Reste à se demander pourquoi des négociants en bourse des matières premières, évidemment soutenus par les masses d’argent des grandes banques et des fonds spéculatifs – hedge funds – jouent à acheter des contrats de vente et d’achat de pétrole dont leurs clients ne prendront quasi jamais livraison. Il peut sembler que c’est un jeu stérile que de s’entre acheter et s’entre vendre des morceaux de papier signés et dont la garantie est assurée par des maisons de réescompte mobilisant des sommes astronomiques pour maintenir le bon ordre dans ce grand jeu de Monopoly où on s’échange de l’argent contre de l’argent en prenant quasiment prétexte de quelque matière première, dont le pétrole. Mais, tout réside dans la façon dont les spéculateurs font de l’argent sur ce marché des « futures ».
Tout spéculateur est, par définition, une personne qui profite du mauvais fonctionnement d’un marché de biens et services, pour quelque raison que ce soit, pour acheter bon marché un bien et le revendre cher un peu plus tard. Paradoxalement, le spéculateur en pétrole joue sur le différentiel de rendement entre les instruments financiers classiques, comme les placements en bourse, les obligations du Trésor, d’un côté, et, de l’autre les rendements qui peuvent être obtenus en empruntant à bon marché et en utilisant les sommes empruntées à générer des profits par des transactions portant sur des produits dont les prix sont susceptibles de fluctuations rapides.
Les contrats de « futures »sur le pétrole : de simples
conduits pour des spéculations essentiellement financières
Le pétrole, ou tout autre matière première, sert de conduit ou de prétexte à ces transactions rapides, dont chacune peut donner lieu à faible bénéfice, mais dont l’accumulation, si ces transactions sont répétées fréquemment, génère des profits supérieurs à ceux données par les transactions en bourse de valeurs ou les placements en obligations.
Le spéculateur n’est tenu de payer qu’une fraction du montant du contrat d’achat qu’il souscrit, actuellement environ douze et demi pour cent, en général emprunté à court terme, chaque contrat correspond à mille barils de pétrole ; ainsi, une société suisse a souscrit jusqu’à un milliard de dollars de contrats sur le pétrole en une seule séance, ce qui correspond à huit milliards de dollars en valeur réelle des quantités de barils, ou, en supposant que le baril ait été alors coté à cent dollars, quatre-vingts millions de barils, ou quatre-vingt-quinze pour cent de la production quotidienne de pétrole. Cet effet de levier financier ne peut qu’avoir des répercutions sur le prix du baril de pétrole ; en fait, les transactions sur le marché des « futures » pétrolier, par définition, sont de loin supérieures en volume physique à celle du marché pétrolier réel. Ce type de spéculations, dans lequel sont impliquées toutes les grandes institutions financières transnationales, est d’autant plus lucratif que les taux d’intérêt sont faibles ; la brusque accélération du prix du pétrole à compter du dernier mois de l’année 2007 s’explique essentiellement par le fait que le FED avait réduit le taux d’intérêt directeur à deux pour cent et continue à le maintenir jusqu’à présent à ce faible niveau.
Toute augmentation du taux d’intérêt aura un effet réducteur sur les transactions spéculatives portant sur le pétrole et en poussera le prix à la baisse ; également, tout renchérissement du financement bancaire sous la pression des mécanismes du marché, ou comme conséquence de la tourmente actuelle, qui réduit les sources de financement à faible taux d’intérêt pour les producteurs de biens et services, aura également un effet négatif sur ce type de transaction spéculative et donc sur le prix du baril de pétrole, quelle que soit par ailleurs l’évolution du taux de change du dollar ou les fluctuations de l’offre et de la demande, qui vont vers le sur-approvisionnement, du fait de la réduction de la consommation du pétrole au cours de ces récents mois.
Il suffit que les restrictions d’accès au crédit que le FED imposera dans les temps à venir pour réduire les effets spéculatifs des facilités de crédits qu’il accorde aux entreprises financières en difficulté, aboutissent à l’augmentation des taux d’intérêts sur les crédits destinés à couvrir des transactions sur le marché à terme du pétrole, pour que le prix de ce produit plonge rapidement. Il ne faut surtout pas donner une interprétation erronée à la brusque remontée du baril au cours de ces derniers temps ; il s’agit essentiellement du résultat de transactions spéculatives destinées à tirer profit des facilités accordées ou envisagées par le FED comme par le Trésor américain en faveur du secteur financier.
Une fois absorbé, ce surcroît de liquidité par l’économie américaine, les taux d’intérêts débiteurs et créditeurs augmenteront, que le FED élève -ou même baisse – ses taux d’intérêts ou non.
Donc il faudra s’attendre à une chute du prix du pétrole plutôt qu’à son raffermissement dans les mois à venir, en particulier si s’ajoute au renchérissement du crédit une contraction de la demande qui va au-delà du un pour cent déjà constaté.
En conclusion :
– Malgré l’aisance financière dont jouit actuellement l’Algérie, il est important de résister à la complaisance, car la conjoncture économique internationale, qui ne fait que se détériorer, finira par avoir des effets négatifs sur la situation économique et financière du pays ;
– La crise financière actuelle, malgré la tournure dramatique qu’elle a pris au cours de ces dernières semaines avec la mise en faillite ou sous contrôle du gouvernement fédéral des E.U. de grandes sociétés bancaires américaines, n’a pas encore donné toutes ses conséquences négatives ;
– Le dollar, monnaie de transaction obligatoire pour le pétrole, et monnaie de réserve internationale, ne peut que continuer à s’affaiblir du fait des fondamentaux qui concernent la situation financière et fiscale des E.U. ;
– La perte du pouvoir d’achat du dollar ne peut pas ne pas être comptabilisée et factorisée comme risque sur la situation économique de l’Algérie ;
– L’absence de réaction pratique du FMI face à la détérioration du taux de change du dollar pose le problème de la mission de cette institution internationale et de son rôle dans la stabilité des taux de change en vue d’encourager les échanges internationaux ;
– Toute conférence internationale convoquée pour traiter de la crise financière actuelle devrait aborder le problème du rôle du FMI ;
– Les placements en obligations du Trésor américain s’effectuent à perte, non seulement du fait de la détérioration du taux de change du dollar, mais également du fait que les intérêts payés ne couvrent pas l’effet négatif de l’inflation ; les pertes ainsi causées devraient être évaluées ;
– Le prix du pétrole continue à être fortement influencé par les activités spéculatives sur les marchés des « futures » où les contrats pétroliers visent essentiellement à profiter du faible taux d’intérêt sur les prêts utilisés pour ce type de transaction ;
– Ces transactions spéculatives couvrent des montants physiques en pétrole plusieurs fois supérieurs aux montants offerts par la production, et ne demandent que de faibles apports initiaux de fonds par les spéculateurs, tout en leur permettant de contrôler des montants physiques importants en cette matière première ;
– Tout renchérissement des crédits aura un effet sur les facilités financières à la disposition des spéculateurs et entraînera une chute brutale du prix du pétrole ;
– Cette hypothèse est d’autant plus crédible que le FED pourrait maintenir son taux directeur à un niveau bas tout en menant une politique restrictive d’accès à sa facilité pour réduire les poches de spéculation encore existantes dans l’économie américaine et qui peuvent avoir un effet aggravant sur la situation de cette économie, et donc sur l’économie mondiale ;
– Donc, dans la conjoncture actuelle, l’Algérie est soumise au double risque de la continuation de la détérioration du taux de change du dollar, malgré les mesures prises par certaines grandes banques centrales pour stabiliser son cours, et à la possibilité d’une brusque décélération du prix du pétrole du fait de l’assèchement du financement des opérations de spéculation sur cette matière première ; de plus, les placements de ce pays en obligations du Trésor subissent la double perte en termes de taux de change du dollar et d’intérêts négatifs perçus sur ces placements ;
– Le bateau algérien vogue sur l’océan de l’Economie mondiale, et les tempêtes causées par les grandes puissances économiques sur cet océan ne peuvent que secouer ce bateau ! Oublier cette réalité constitue un aveuglement irresponsable.