Rachid Mesli, ex-avocat de Madani et Belhadj : « Je n’ai jamais appartenu au FIS »
Par Amina Boumazza, TSA, 26 août 2015
L’avocat algérien Rachid Mesli, qui avait défendu les deux chefs de l’ex-FIS, Abassi Madani et Ali Belhadj, est actuellement en résidence surveillée à Aoste en Italie. Il a été arrêté à la frontière entre la Suisse et l’Italie suite à un mandat d’arrêt international lancé par les autorités algériennes pour des accusations de terrorisme. L’Algérie a jusqu’au 31 août prochain pour déposer une demande d’extradition. Contacté par TSA, Rachid Mesli a répondu à nos questions depuis l’Italie. Entretien.
Qu’est-ce que les autorités algériennes vous reprochent ?
Je vais vous lire directement le mandat d’arrêt d’international lancé à mon encontre par les autorités algériennes, il a été émis par le juge d’instruction Mohamed Kerrouabi de la 3e chambre du tribunal de Sidi m’Hamed le 6 avril 2002. Dans l’exposé des faits il est indiqué que : « Suite à l’enquête, il apparaît que le nommé Rachid Mesli a connu en date des faits, au mois de juin 1999, et précisément aux alentours de la ville de Dellys, où il procédait à des contacts avec les terroristes Kheider Karim, Zedada Brahim, Allalou Hamida et il est l’émir du groupe terroriste de cette région. Ces derniers approvisionnaient en informations téléphoniques l’inculpé Mesli Rachid qui se trouve actuellement à la ville de Genève en Suisse. Ces informations confirment les mouvements des groupes terroristes. De même que ce dernier a tenté d’approvisionner en caméras, appareil téléphonique (satellite) destinés au groupe terroriste de l’émir Hassan Hattab, Abou Hamza. »
Pourquoi êtes-vous cité dans cette affaire ?
J’ai continué à travailler à Genève sur les droits de l’Homme et les disparus en Algérie. Ce qui ne plaisait pas à l’Ambassade d’Algérie. On a tout fait pour que je n’obtienne pas l’asile à l’époque mais j’avais déjà fait la demande, je collaborais depuis des années avec les Nations Unies et j’ai fini par obtenir l’asile. Depuis la Suisse, j’étais toujours en contact avec l’Algérie, notamment deux personnes que j’avais rencontrées en prison à Tizi-Ouzou. Elles ont été arrêtées en 2002, et on leur a fait avouer qu’ils envoyaient des équipements comme des téléphones et des caméras à des terroristes. Lors de leurs aveux, ils m’ont cité. Des aveux obtenus sous la torture. Toutes les personnes qui ont parlé avec moi au téléphone ont été arrêtées et torturées.
Ces personnes ont ensuite été acquittées par la Cour d’appel d’Alger après deux années de prison. Dans le cadre de la même procédure, j’ai été condamné à 20 ans de prison par contumace. On me reproche d’avoir participé à une réunion à Dellys en juin 1999 avec un groupe terroriste et d’être l’émir de ce même groupe. Or, en juin 1999 j’ai bien rencontré ces deux personnes mais nous étions en prison ! J’ai d’ailleurs demandé une attestation au directeur de la prison. De plus ces deux coauteurs des crimes ont été acquittés, je devrais donc moi-même être acquitté.
Comment s’est passée votre arrestation ?
J’ai simplement été contrôlé à la frontière entre les deux pays. Ce n’est pas la première fois. Ce mandat d’arrêt est renouvelé chaque année par l’Algérie auprès d’Interpol. Lorsque je me suis fait contrôler en Italie, j’ai reçu un traitement tout à fait normal. Il se trouve qu’en Italie, lors d’un contrôle de ce genre, la justice est automatiquement saisie. Ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays. J’ai par exemple été arrêté à Londres mais au bout d’une heure j’ai été relâché car le mandat d’arrêt n’était pas sérieux. Il n’était pas professionnel.
Était-ce la première fois que vous quittiez la Suisse. Aviez-vous déjà été contrôlé ?
J’ai été contrôlé dans de nombreux pays, mais qui n’ont pas donné suite. J’ai déjà été arrêté en Angleterre, au Maroc, en Tunisie, et même au Soudan. Les autorités soudanaises ont trouvé ce mandat étrange. Je connais l’existence de ce mandat donc je ne suis pas inquiet. L’Algérie se sert aussi de mes trajets pour tenter de m’arrêter. J’ai été plusieurs fois en Hongrie sans problème, et j’ai toujours été dans une situation normale dans ce pays. En réalité tous les pays n’ont pas reçu ce mandat d’arrêt d’international. L’Italie l’a reçu.
Comment aviez-vous fui l’Algérie à l’époque ?
Je suis parti définitivement de l’Algérie en août 2000. J’ai déjà été condamné en 1996, et je suis sorti de prison en 1999. Même après ma sortie de prison, j’ai continué à subir des pressions. J’ai quitté l’Algérie le 10 août 2000 exactement. À l’époque j’ai pu quitter le pays par miracle, je n’ai pas pu sortir facilement. Pourtant j’étais régulièrement invité en Europe. Mais en revenant en juin 2000 on m’a interpellé en Algérie. Je tiens d’ailleurs à préciser que je n’ai jamais été l’avocat du FIS, je n’ai jamais appartenu au FIS. J’étais seulement l’avocat d’Abassi Madani et Ali Belhadj. À l’époque nous étions 20 avocats à défendre ces membres. Nous avons tous subi des pressions.
Vous parlez d’un acharnement politique, pouvez-vous nous en dire plus ?
Depuis ma sortie de prison ils surveillent tout ce que je fais. Ils savent tout, par exemple ils étaient au courant que j’avais emmené des membres d’Amnesty international à Dellys pour rencontrer des familles de disparus. J’ai repris mon travail d’avocat dès ma sortie de prison et j’ai continué à faire du travail qui ne plaisait pas aux autorités y compris à déposer des plaintes contre la police. On me disait que j’étais fou de déposer ce type de plaintes alors que je sortais de prison. Mais j’estime que c’est le travail d’un avocat. À Genève j’étais plus tranquille, mais l’Ambassade d’Algérie a tenté de déposer des plaintes contre moi auprès de l’ONU pour que je ne rentre plus au Palais des Nations à Genève. Mais cette plainte a vite été levée.
Que va-t-il se passer si vous êtes extradé vers l’Algérie ?
Les autorités algériennes ont 10 jours pour déposer la demande d’extradition. J’aimerais vraiment qu’ils le fassent, car on verra que ce n’est pas sérieux. Je pense que ça arrange aussi les autorités algériennes que je ne sois pas renvoyé. D’ailleurs le juge italien que j’ai vu avait envie de rire lorsqu’il a vu le mandat d’arrêt. Je n’ai pas peur. J’ai l’habitude de la prison et je sais ce que c’est d’être emprisonné pour ses idées. Cela fait 15 ans que je ne suis pas rentré en Algérie mais je pense que la situation a changé. Ce n’est pas l’Algérie de la décennie noire. La génération de Khaled Nezzar n’est plus là.
L’Algérie n’est pas un État de droit, bien sûr qu’il y a un risque qu’on ne respecte par les détenus, qu’ils ne bénéficient pas d’une vraie justice et que l’on risque d’être maltraité. Mais je suis complètement rassuré, je pense que ça les arrange que je ne sois pas extradé.