Interdiction d’un colloque sur la mémoire et la réparation
Interdiction d’un colloque sur la mémoire et la réparation
« Contre l’amnésie, pour la justice »
El Watan, 18 juillet 2009
Il était 9h lorsque les initiateurs de cette manifestation, accompagnés de leurs invités, des experts nationaux et internationaux, ont été accueillis au seuil de la maison des syndicats par les services de sécurité. Des policiers ayant reçu des instructions du wali d’Alger pour interdire la tenue du colloque à l’intérieur de cette enceinte.
Une bâtisse construite, tout récemment, pour abriter justement des conférences et des débats en tout genre. Pourquoi cette interdiction ? », se sont interrogés les représentants du collectif des associations. Le but de cette rencontre, expliquent-ils, n’est ni plus ni moins que d’exprimer notre rejet du déni de vérité. « Nous nous battons contre les autorités et contre l’islamisme, nous demandons à ce que justice soit faite, et laisser surtout les familles des victimes du terrorisme faire leur deuil », a lancé hier une participante à ce colloque. Cherifa Khedar, de l’association des victimes du terrorisme Djazaïrouna, a affirmé que cette manifestation est dédiée à la mémoire de toutes les victimes algériennes et regrette l’amnésie instaurée au niveau officiel. Preuve en est l’interdiction du colloque. Les autorités avaient avancé comme argument l’absence d’autorisation. Les services de la police ne voulaient rien entendre d’ailleurs. « Vous n’avez pas d’autorisation, donc vous ne pouvez pas tenir votre forum, c’est clair », ont-ils ressassé. Pourtant, toutes les activités qui se sont déroulées de par le passé, à l’intérieur de la maison des syndicats, n’avaient pas été autorisées par le wali. Pourquoi alors une autorisation pour un tel colloque ? « En quoi une telle manifestation dérange-t-elle les pouvoirs publics ? », se sont interrogés à l’unanimité les responsables et animateurs de cette rencontre, notamment les représentants des associations Djazaïrouna et Somoud, ceux du CFDA, de SOS disparus et de la Fédération euroméditérranéenne (FEMED). Néanmoins, cette situation n’a nullement découragé ni démobilisé ces ONG, qui ont décidé de contourner cet interdit en organisant le colloque au siège de SOS disparus. Plusieurs thèmes avaient été arrêtés, dont certains ont été traités et d’autres non en raison du manque de temps. Il s’agit, entre autres, de sujets portant sur « L’enjeu de la préservation de la mémoire dans la promotion et la protection des droits des victimes de la dernière décennie, la charte pour la réconciliation nationale », « Tentative de masquer crimes et criminels dans l’espace médiatique », « Perspective historique et sociologique de la mémoire en Algérie, « Avatars de la mémoire, entre amnésie et hypermnésie », « Mémoire et alerte sur les violations des droits de l’homme ».
L’historien et directeur de la revue Naqd, Daho Djerbal, a expliqué, dans sa conférence consacrée aux « Avatars de la mémoire en situation postcoloniale, entre amnésie et hypermnésie », que même si les actes héroïques sont glorifiés dans l’histoire officielle, dans le vécu de l’acteur (le porteur d’armes), la trace de la mort reste toujours dans la mémoire et même dans la conscience. M. Djerbal pense que quelles que soient les circonstances, il est impérativement important de s’inscrire dans une logique transcendante qui permettrait de surmonter l’acte et ses effets sur la conscience ; et seule la reconnaissance est censée jouer ce rôle. « Que se passe-t-il lorsque cette reconnaissance de la nation est oblitérée par l’oubli ? Que se passe-t-il quand la mémoire des luttes intestines et des purges en situation de guerre de libération s’efface ou quand un événement fortuit la ramène à la surface ? Juste mémoire ou juste oubli ? », s’est interrogé l’intervenant. Se voulant plus explicite par rapport à la question de la mémoire et de l’oubli, le conférencier a fait remarquer que pour gérer le mal, il ne faut pas seulement recourir à la thérapeutique. La question n’est pas une question d’amnésie ou de remise de parole, le problème, selon l’orateur, est éminemment politique. « Les gens qui sont touchés par le phénomène de disparition veulent connaître la vérité, ils réclament et veulent venir à la barre pour qu’ils puissent témoigner. Ils ont besoin de savoir ce qui est arrivé à leur proche afin de faire le deuil », a soutenu M. Djerbal, qui déclare, en s’appuyant sur l’interdiction du colloque lui-même, qu’« en séquestrant ces gens assoiffés d’expression, l’Etat applique la politique de l’expropriation de la société de sa propre histoire et ce, afin que l’on gardera en mémoire la version officielle de cette histoire ». Il a rappelé que ces personnes mènent en réalité une lutte pour s’approprier leur droit de s’exprimer et de rendre compte de ce qui s’est passé. A la question de savoir s’il y a possibilité d’une amnésie, d’un oubli sans justice, l’historien répond par la négative.
Il faut, selon lui, une justice au vu et au su de tout le monde. « L’auteur de l’acte doit avouer, la mise en parole concerne tout le monde, y compris la victime et le témoin de l’acte, car il est impossible à l’individu de pardonner à quelqu’un qui n’a pas été jugé », clarifie M. Djerbal. Parlant de la charte pour la réconciliation, El Kadi Ihcène est convaincu que cette charte qui balise ce qui s’est passé en Algérie a échoué après quatre ans de mise en œuvre. « A-t-on traité de la situation qui a engendré la violence ? Non, et aujourd’hui chaque catégorie sociale demande réparation. Il existe des familles qui refusent de vendre leur silence. Elles veulent dire en public ce qu’elles ont vu et vécu », fulmine El Kadi. Sur ce point, M. Djerbal croit qu’« en verrouillant la charte, l’Etat a édifié une muraille ». Lors des débats, les victimes de disparition ont, à l’unanimité, regretté que l’Etat en tant que système tente à chaque fois d’empêcher la société de réfléchir et de s’exprimer librement sur ce qu’elle a vécu et ce qui s’est réellement passé, que ce soit durant la révolution ou aujourd’hui.
Par Nabila Amir
Réconciliation à marche forcée
Les autorités viennent de s’illustrer par une nouvelle interdiction d’une activité publique. Le collectif des familles de disparus et des associations des victimes du terrorisme ont été empêchés, jeudi, d’organiser à Alger un forum sur le thème « La mémoire des victimes pour la construction d’une société ». Pour marquer la vanité de toute tentative d’interdiction visant une initiative de la société civile, les organisateurs du forum ont pu tenir leur rencontre au siège d’une association. Il faut noter l’obstination de ces associations à ouvrir le débat dans leur propre pays, après avoir été contraintes en 2007 à tenir un séminaire à Bruxelles, intitulé « Pour la vérité, la paix et la réconciliation ». Les autorités sont en train de pousser à la clandestinité des associations qui ont vécu dans leur chair les années de terrorisme.
L’expatriation de ce genre d’initiatives serait une aubaine pour le pouvoir qui aura plus d’arguments pour vilipender le recours à des tribunes étrangères. Pourtant, le sujet n’est pas banal. Il est au cœur de la problématique nationale. Les autorités algériennes sont peut-être seules au monde à croire que l’avenir peut être construit sans vérité ni justice. Ces exigences sont certainement à rebours des dispositifs mis en place, ces dernières années, autour de la paix et de la réconciliation, mais aucune société ne peut faire l’économie d’un processus de justice et de vérité pour envisager un avenir apaisé. Le déni de mémoire favorise la répétition des faits, comme le soulignent les représentants des associations. L’interdiction administrative et policière vécue ce week-end à Alger donne une résonance particulière à la déclaration du secrétaire général du FLN, la semaine dernière, au sujet des propositions de révision de la loi sur les partis et du code de l’information. L’ex-parti unique n’a pas été interdit, loin s’en faut, de débattre, mercredi, du thème du « Pluralisme politique en Algérie, expérience et perspectives ».
Au moment où les partis de l’opposition se débattent dans des difficultés les réduisant à l’inaction, c’est le parti phare de l’Etat qui se propose de faire le point sur la vie politique nationale et « d’évaluer ce qui est bon dans l’expérience du pluralisme et ce qui ne l’est pas ». En somme, c’est le parti qui a été contraint, en 1988, de lever la chape de plomb sur le pays qui se retrouve aujourd’hui en position d’évaluer le pluralisme politique et d’en concevoir la révision. Ce n’est pas le retour à la case départ, mais ça y ressemble. Le FLN s’est bien entendu soustrait à toute idée de justice et de vérité sur les décennies de son règne à la tête de l’Etat, notamment sur ce qu’a enduré le mouvement culturel berbère. Résultat : en 2001, les faits se sont répétés en Kabylie, sous des formes autrement plus meurtrières.
Par Djaffar Tamani