Des intellectuels algériens s’inquiètent des atteintes à la libertéd’opinion

Des intellectuels algériens s’inquiètent des atteintes à la liberté d’opinion

LE MONDE | 08.11.08 | 13h38 • Mis à jour le 08.11.08 | 13h38 ALGER CORRESPONDANCE

Le limogeage de l’écrivain Amin Zaoui, directeur de la Bibliothèque nationale algérienne, le 26 octobre, continue de susciter malaise et réactions dans les milieux intellectuels algériens qui s’inquiètent des atteintes à la liberté d’expression et d’opinion.

Les relations entre la ministre de la culture, Khalida Toumi, icône de l’anti-islamisme dans les années 1990, et le directeur de la Bibliothèque nationale étaient, de notoriété publique, des plus détestables. En faisant de la bibliothèque un espace de débat ouvert, accueillant des hommes de culture de tous les horizons, Amin Zaoui prenait trop de place.

Deux affaires récentes semblent avoir motivé le limogeage de M. Zaoui. La première concerne l’enregistrement au dépôt légal accordé au livre censuré de Mohamed Benchicou, Journal d’un homme libre. Un enregistrement qui pourtant est accordé de manière automatique et ne fait pas de la Bibliothèque nationale un contrôleur de contenu. Mais c’est une conférence, donnée, le 13 octobre, par le poète syrien Adonis à la Bibliothèque, qui a servi à « noircir » le dossier Zaoui.

Le poète y critiquait « l’institutionnalisation de l’islam » dans les pays arabes et la non-reconnaissance d’une existence juridique autonome à la femme. L’islam, avait-il dit, tel que pratiqué aujourd’hui, a cessé d’être une « expérience spirituelle » pour devenir une simple législation sur la « manière dont doit se vêtir la femme, comment accomplir la prière (…). L’islam ne s’adresse plus au coeur ni à l’esprit. »

Cette prise de position guère surprenante de la part du poète a suscité l’ire des religieux algériens et des islamistes. L’Association des oulémas a stigmatisé une atteinte à l’islam « dans l’enceinte de la Bibliothèque nationale, mémoire de la nation » par un « poète licencieux et athée (…), auteur d’une poésie sans âme et sans rythme ». Un député islamiste a interpellé la ministre sur les raisons d’une invitation adressée à ceux qui viennent « provoquer le peuple algérien musulman et l’insulter chez lui ». Mme Toumi a-t-elle profité de l’aubaine pour porter l’estocade à son « rival » ? Amin Zaoui le croit. « Adonis n’a jamais proféré d’insultes à l’encontre de l’islam ou du prophète. Tout ce qui a été colporté par les rapports mensongers de la tutelle est faux et inexact », a-t-il déclaré dans une conférence de presse.

L’affaire survient quelques semaines après une attaque virulente du secrétaire général de l’UGTA (syndicat proche du pouvoir) contre la fondation Friedrich-Ebert, devenue, elle aussi, un espace de débat, souvent critique, entre intellectuels algériens. Parce qu’elle organisait ces discussions, la fondation a été accusée par le chef du syndicat « d’outrepasser ses prérogatives et ses missions en Algérie ». Le message a été entendu. Fin septembre, la fondation Friedrich-Ebert a annoncé qu’elle gelait les rencontres programmées.

Le limogeage de M. Zaoui en raison de la conférence d’Adonis confirme aux yeux des intellectuels que l’on cherche à fermer les derniers espaces de débat libre en Algérie. Le sociologue Nacer Djabi, dans un article publié dans le journal arabophone Djazaïr News, critique une division du travail où le régime monopolise « les domaines politiques et économiques, c’est-à-dire les poches des gens, tandis que le courant religieux s’occupe de leurs cervelles ou de ce qui en reste ».

Soutenus par Djamila Bouhired, une héroïne de la guerre d’indépendance en retrait de toute activité politique, des intellectuels ont adressé une lettre ouverte au président Abdelaziz Bouteflika dénonçant les atteintes aux libertés. « Interdire un livre, qualifier un auteur de mécréant ou de terroriste ou limoger, non pour des motifs de gestion, le premier responsable de la Bibliothèque nationale » est inacceptable, écrivent-ils, en se demandant si la destinée de l’Algérie est d’aller vers « le XXIe siècle » ou vers un retour « aux décennies meurtrières ».

Amir Akef Article paru dans l’édition du 09.11.08