Hafnaoui Ghoul rejugé aujourd’hui par le tribunal de Djelfa
Hafnaoui Ghoul rejugé aujourd’hui par le tribunal de Djelfa
La crédibilité de la justice en jeu
El Watan, 9 juin 2004
Les correspondants locaux voient la justice à Djelfa comme une «machine à fabriquer des coupables». C’est aujourd’hui que s’ouvre au tribunal correctionnel de Djelfa le procès du journaliste et militant des droits de l’homme Hafnaoui Ben Ameur Ghoul.
Lors de cette audience, Hafnaoui sera jugé pour une plainte en diffamation déposée à son encontre par le wali de Djelfa, M. Addou Mohamed, concernant un entretien accordé par Ghoul au quotidien Le Soir d’Algérie. Le journaliste est par ailleurs poursuivi pour une vingtaine d’autres plaintes émanant des responsables locaux et des directeurs exécutifs de la wilaya. Les principaux plaignants, en l’occurrence le premier magistrat de la wilaya de Djelfa et son directeur de la santé et de la population, reprochent au journaliste d’avoir rapporté et publié des informations «non fondées». Par contre, la famille de Hafnaoui et les correspondants locaux estiment que le militant des droits de l’homme est victime d’une cabale judiciaire montée de toutes pièces pour le faire taire et, partant, enterrer tous les scandales qui ont éclaboussé la wilaya de Djelfa depuis quelques mois. Ainsi, coupable d’avoir tiré la sonnette d’alarme. Hafnaoui Ghoul risque de moisir injustement dans la prison des Cent Maisons de Djelfa. La cause de Hafnaoui est aujourd’hui mondialement connue comme celle d’un brave homme arrêté et condamné pour «avoir exprimé ses opinions quoi qu’il en coûte», s’est réjoui un correspondant de presse avant d’endosser aux responsables du malheur de Hafnaoui à l’autorité judiciaire qui, selon lui : «s’est pliée devant les pressions des potentats locaux». Outre l’affaire des 13 bébés qui ont trouvé la mort dans des circonstances suspectes à l’hôpital de Djelfa, le journaliste et militant des droits de l’homme a révélé de flagrantes irrégularités dans la passation des marchés publics, une corruption à grande échelle, des trafics d’influence, le détournement des deniers publics et autre gabegie dans la gestion des affaires de la cité. Ces révélations ne sont pas pour plaire à un puissant wali comme Addou Mohamed. Dès lors, il a profité du pouvoir que lui procure son poste pour mettre en branle un engrenage infernal contre celui qu’il considère comme ennemi à abattre. Cette machine horrible a été actionné un certain 24 mai 2004. En effet, vers 13 h, Hafnaoui a été interpellé par trois policiers en civil au moment où il sortait de chez lui. Il a été embarqué et conduit au commissariat pour être entendu. Transféré le même jour au tribunal de Djelfa, Hafnaoui a été aussitôt mis sous mandat de dépôt pour une plainte en diffamation introduite par le wali. La justice étant prompte à «dénicher» les «coupables», Hafnaoui a été incarcéré sur-le-champ sans même avertir sa famille. «Nous n’avons eu vent de cette triste nouvelle que le lendemain. Et ce sont ses confrères journalistes qui nous ont informés», dira Ali, frère de Hafnaoui. Deux jours plus tard, soit le 26 mai, et au terme d’un procès des plus expéditifs, Hafnaoui a été «jugé» et condamné à six mois de prison ferme et à 50 000 DA d’amende.
Le diktat du wali
Pour enfoncer davantage Hafnaoui, le wali avait usé de tout son diktat pour contraindre notables, maires et directeurs exécutifs à déposer des plaintes contre le journaliste. Cela fait, en quelques jours, le bureau du procureur de la République a été inondé de plaintes. Objectif : charger le dossier de cet homme qui dérange. A l’exception d’une poignée de correspondants locaux de la presse nationale qui se sont battus pour défendre la cause de Hafnaoui, injustement incarcéré, aucun mouvement de solidarité ne s’est manifesté à l’égard du journaliste ici à Djelfa. «Il est vrai que Djelfa est une région traditionnellement non frondeuse. Toutefois, il faut interpréter ce désintérêt par les sanctions qui pèsent sur toute personne bravant la puissance du wali et de ses subordonnés», relève un correspondant de presse. De ce fait, les amis et la famille de Hafnaoui Ghoul comptent beaucoup sur la corporation et les organisations de défense des droits de l’homme. D’ailleurs, on apprend qu’une forte délégation se déplacera d’Alger pour assister aujourd’hui au procès. Outre les directeurs de presse Omar Belhouchet, Mohamed Benchicou et Ali Djerri entre autres, des militants des droits de l’homme, des avocats, des journalistes et un représentant de l’ONU seront présents aujourd’hui à la salle d’audience du tribunal de Djelfa. «Au lieu de protéger un citoyen aux prises avec la maffia locale, la justice a préféré le vouer aux pires gémonies», s’est indigné un militant des droits de l’homme rencontré au domicile de Hadj Ameur Hafnaoui, père du journaliste. Selon notre interlocuteur, le procureur général, M. Abderrahim Madjid, a distribué à tous vents des communiqués faisant état de la condamnation de Hafnaoui à une peine de six mois de prison avec sursis et à 5000 DA d’amende pour vol et agressions ! Ainsi, un journaliste et défenseur des droits de l’homme a été transformé par une justice aux ordres en un vulgaire criminel qu’on traîne devant les tribunaux avant d’être jeté comme un dangereux terroriste dans l’obscur cachot de Djelfa.
Les responsables locaux de Djelfa avaient-ils des choses à cacher ? Tout porte à le croire. La preuve ? Les principaux plaignants dans l’affaire Hafnaoui n’ont pas daigné nous recevoir. Le wali, nous dit-on au niveau de la wilaya, est en réunion interminable. Idem pour son chef de cabinet. Le chef de daïra de Djelfa est en visite sur chantier. «Il ne rentrera pas de si tôt», nous informera son secrétaire général, qui n’a pas entendu parler de Hafnaoui ! Le président de l’APC de Djelfa est «absent», dira M. Bouchriet Mohamed, vice-président de l’APC. Ce dernier évite soigneusement d’aborder la question de l’heure, à savoir l’affaire Hafnaoui. En dehors de l’autorité judiciaire, personne ici ne sait quoi que ce soit ! C’est justement à l’intérieur du prétoire qu’on a monté cette cabale contre Hafnaoui. «Ceux qui tirent les ficelles sont vissés à des fauteuils de velours dans des salons feutrés», dira en guise de conclusion un journaliste qui semble bien connaître Djelfa, ses potentats et ses scandales.
Par A. B.
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Procédure expéditive
El Watan, 8 juin 2004
Le 24 mai dernier à 13 h, H. Ghoul, qui devait quitter son domicile situé dans un quartier périphérique pour se rendre en ville, est interpellé à quelques mètres de chez lui par trois hommes en civil circulant dans un véhicule Clio, selon le témoignage des voisins. Il sera conduit directement au commissariat central où il sera entendu par les éléments de la police judiciaire qui l’interrogeront sur l’interview qu’il a accordée au quotidien Le Soir d’Algérie, publiée le 17 mai 2004 sous le titre «Graves révélations du représentant de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH)». Par la suite, il sera conduit vers le tribunal de Djelfa pour répondre des plaintes déposées contre lui par le wali en tant que représentant de l’Etat et représentant du directeur de wilaya de la santé publique. La machine judiciaire est alors actionnée au terme d’une procédure marathonienne. Il est présenté devant le procureur de la République et auditionné par le juge d’instruction qui entendra les parties plaignantes dans la même journée. A 18 h, il sortira du tribunal, les menottes aux poignets pour être conduit à la prison de Djelfa suite à l’ordonnance du mandat de dépôt par le juge d’instruction. Dix autres plaintes seront déposées pour diffamation, outrages et agressions physiques par des responsables de plusieurs secteurs, d’élus et de citoyens dans les jours qui suivirent son arrestation. Lundi dernier, un nouveau mandat de dépôt est ordonné par le même juge d’instruction après plusieurs auditions au cours d’une même semaine. H. Ghoul doit être jugé aujourd’hui, restera donc en prison, même s’il devait bénéficier d’un non-lieu par rapport aux premières plaintes. Ce qui prouve l’acharnement de certaines parties contre le journaliste et non moins représentant de la LADDH à Djelfa. C’est dire que lorsque la justice veut des coupables, elle pourrait aller jusqu’à en fabriquer !
Par A. Benchabane