Hafnaoui Ghoul: “ Des «notables» locaux ont sauvagement torturé un jeune”

GRAVES REVELATIONS DU RESPONSABLE DE LA LADDH A DJELFA

“ Des «notables» locaux ont sauvagement torturé un jeune”

Le Soir d’Algérie, 17 mai 2004

Elhanfaoui Ben Amer Ghoul est celui par qui le scandale des 13 bébés morts à l’hôpital de Djelfa a pu être révélé. Chercheur en histoire et en archéologie, journaliste depuis 1986, il a exercé dans plusieurs quotidiens arabophones. Depuis près de quatre ans, il est responsable du bureau régional de la Ligue algérienne des droits de l’homme (LADDH) de Djelfa. Il est également le porte-parole du Mouvement des enfants du Sud pour la justice (MSJ). En dénonçant les dépassements enregistrés au niveau de sa région en général et de l’hôpital de Djelfa en particulier, il se retrouve aujourd’hui l’objet d’intimidations et de pressions diverses de la part de l’administration locale et des services de sécurité. Sa vie est ainsi menacée depuis cette affaire. Malgré ce qu’il endure, M. Elhanfaoui a accepté de nous livrer ce court entretien téléphonique.

Qu’en est-il de la situation des droits de l’homme dans la wilaya de Djelfa ?
L’évaluation a révélé de nombreux dépassements, notamment contre la presse et les journalistes. Ceci, depuis 2001, lorsque l’actuel wali a renvoyé un journaliste qui travaillait au sein de la cellule de communication de la wilaya avant de la dissoudre. Depuis, les journalistes qui se sont montrés solidaires avec leur confrère subissent toutes sortes de pressions. Parmi eux, des correspondants locaux qui ont été menacés de liquidation corporelle et ils sont filés, jusqu’à présent, quotidiennement, dans chaque déplacement qu’ils effectuent. A ce sujet, nous avons recensé vingt affaires de diffamation pour lesquelles l’administration poursuit les journalistes pour avoir révélé des affaires scabreuses qui se déroulent dans cette localité. Nous avons révélé, à titre d’exemple, la disparition, si ce n’est la dilapidation de sommes importantes et qui avoisineraient les six mille milliards de centimes durant ces quatre dernières années. Ceci, du fait que l’utilisation de cet argent n’a pas été démontrée sur le terrain. Au cours de ces vingt affaires en justice, c’est la Ligue qui a pris en charge la défense des journalistes. Les autorités ne cessent d’ailleurs de nous mettre les bâtons dans les roues, en plus d’intimidations quotidiennes. Nous avons, vainement, sollicité une protection auprès du procureur général de Djelfa.

Qu’en est-il aujourd’hui ?
Je suis sous résidence surveillée. Et cela remonte au 15 février 2003, à l’occasion de la visite effectuée dans la wilaya par le ministre de la Santé, le Dr Aberkane. Le wali a invité tous les correspondants, dont je fais partie, pour leur remettre, soi-disant leurs invitations afin qu’ils puissent travailler. Mais au fait, cela a été une sorte de guet-apens pour nous dessaisir de nos cartes de presse. Les autres correspondants ont pu, ultérieurement, récupérer leurs cartes professionnelles sauf moi. Je suis aujourd’hui soumis à une sorte de «résidence surveillée» par décision administrative. Après avoir déposé plusieurs plaintes, le wali a soulevé une autre affaire de diffamation, à propos d’un article dans lequel je faisais état de ses dépassements dans le secteur du foncier. Ce qui porte, ainsi, à pas moins de sept plaintes en diffamation, que le wali a déposées à mon encontre. La dernière en date porte sur un article que j’ai écrit lors de la campagne électorale, et dans lequel je faisais état des obstacles dressés par l’administration locale contre trois candidats, à savoir Ali Benflis, Louiza Hanoun et Saïd Sadi. Nous avons découvert également que certains juges d’instruction sont impliqués dans des affaires douteuses. Je cite dans ce cadre celle de Derrah, un jeune de 23 ans qui a été torturé pendant 24 heures par des affairistes dans un local commercial pour un soi-disant vol. Il a été retrouvé, par des policiers, enchaîné avec dans la bouche une éponge imbibée de savon et d’eau de javel. Après qu’il ait déposé une plainte, le médecin légiste a falsifié le certificat de constatation des coups et blessures volontaires pour qu’il n’ait que deux jours d’invalidité. A notre niveau, nous pouvons prouver que cette durée de deux jours est largement en deçà de la réalité . Quand les autorités ont su que la LADDH prenait en charge ce dossier, Derrah qui a été relâché a été incarcéré de nouveau. Depuis, l’affaire est passée devant la chambre des délits alors qu’elle devait passer en pénal.

L’affaire des 13 bébés retrouvés morts à l’hôpital constitue un autre scandale pour la wilaya. Comment avez-vous pu réunir ces informations ?
C’est un citoyen qui nous a contactés pour nous faire part de la mort suspecte de sa petite fille. Quand nous avons fait notre enquête au sein de l’hôpital, et grâce à nos sources, notamment des médecins et des travailleurs, nous avons découvert cette catastrophe.

Comment expliquez-vous que les dossiers des bébés qui ont disparu ont réapparu par enchantement ?
Je ne peux pas répondre à cette question, mais les propos du ministre sont contradictoires. Il a déclaré qu’il n’y a avait pas 13, ni 14 mais 16 cas, et dont la mort est survenue dans des conditions normales. Cette catastrophe incomberait au directeur de l’hôpital qui a transféré, sans étude préalable, la salle néo-natale, vers une autre dépourvue d’aération et qui ne pouvait donc accueillir des bébés, surtout prématurés.

Que pensez-vous des décisions prises par le ministre de la Santé à ce sujet ?
Nous remercions vivement le ministre pour la célérité de son intervention. Mais il ne faut que l’on endosse l’entière responsabilité au seul directeur de l’hôpital. Il faut savoir que durant le mandat de l’actuel directeur de la santé (DDS), soit ces cinq dernières années, deux directeurs se sont succédé à la tête de cet hôpital, sans qu’il y ait un quelconque changement notable dans la gestion. Ce DDS est une calamité pour Djelfa, il faut qu’il soit suspendu et qu’il rende des comptes. Car cette affaire n’est pas la seule du genre, nous avons aussi mi à nu la manipulation de factures de la part du responsable administratif et financier au sein de la Direction de la santé. Nous avons également mis en exergue la non application de l’instruction n°92-276 du ministre de la Santé et qui date du 6-07-1992. Il y est inscrit que les médecins généralistes et activant dans le secteur public ne doivent pas ouvrir de cabinet spécialisé. Alors que ledit DDS a donné son accord tacite à sept médecins pour qu’ils puissent la contourner. Aussi, la déformation et le mensonge dans ces rapports qu’il doit transmettre à sa tutelle n’est plus à prouver. A titre d’exemple, grâce à nos contacts nous avons recensé 600 cas de leishmaniose dans la localité de Hassi-Behbah, alors que le DDS a fait état dans son rapport au ministère de seulement quarante cas. A Djelfa, où on a signalé 205 cas, le directeur de la santé n’a fait, également, état que d’une dizaine. Et quand il a été obligé de solliciter les médicaments appropriés auprès du ministère, il a demandé 1 200 unités. La disproportion des besoins par rapport au lot demandé n’a pas échappé à la tutelle qui a vite soulevé la contradiction.

Propos recueillis par Meriem Ouyahia