Les actes d’intolérance se multiplient
Sous prétexte de défendre la religion
Les actes d’intolérance se multiplient
El Watan, 10 septembre 2009
Et revoilà l’inquisition drapée des oripeaux du rigorisme et de la bienséance la plus chafouine qui frappe de nouveau ! Le fait : Djamila, une jeune émigrée, et son cousin, ont été arrêtés le 1er septembre dans un parking attenant au parc zoologique de Ben Aknoun alors qu’ils s’apprêtaient à casser la croûte à bord de leur véhicule. Ils sont embarqués manu militari au commissariat de Draria et placés en garde à vue pendant 24 heures, avant de se voir transférés à la prison d’El Harrach. Ils ne doivent leur salut qu’à l’intervention d’un personnage haut placé qui a hâté leur libération. Malheureusement, le calvaire de Djamila et son cousin n’a rien d’une petite fausse note dans un havre de tolérance.
Qu’on se souvienne de l’affaire des six personnes condamnées, le Ramadhan dernier, à 4 ans de prison ferme par le tribunal de première instance de Biskra. Il leur avait été reproché de s’être livrés à des jeux de société, une bouteille d’eau gisant à côté d’eux. Ils finiront par être acquittés grâce à la mobilisation de pans entiers de l’opinion, scandalisés par cette chasse aux sorcières d’un autre âge. Rappelons également le cas de ces trois manœuvres en bâtiment « surpris » sur un chantier, à Alger, en train de griller une cigarette. Le châtiment s’est voulu, également, aussi sévère qu’exemplaire. Le tribunal de Bir Mourad Raïs les avait condamnés, le 30 septembre 2008, à 3 mois de prison ferme avant que la cour d’appel ne revoie la sentence à la baisse en les condamnant à 2 mois d’incarcération avec sursis, sachant qu’ils avaient purgé cette même peine au titre de la détention préventive.
La liberté de conscience aux orties
Il est important de souligner que les magistrats ayant eu à statuer sur ces cas ne s’appuient sur aucun texte clair. De fait, il n’existe pas, dans le code pénal, d’article explicite, signalent les juristes, qui condamne expressément les non-jeûneurs. L’action publique repose, en l’occurrence, sur un article vague introduit dans le corpus juridique à la faveur de l’amendement du code pénal et du code de procédure pénale opéré en 2002. Il s’agit de l’article 144-bis 2 qui dit : « Est puni d’un emprisonnement de trois à cinq ans et d’une amende de 50 000 DA à 100 000 DA, ou de l’une de ces deux peines seulement, quiconque offense le Prophète (paix et salut soient sur lui) et les envoyés de Dieu ou dénigre le dogme ou les préceptes de l’Islam, que ce soit par voie d’écrit, de dessin, de déclaration ou tout autre moyen. » En l’espèce, on ne peut que constater « l’élasticité » du code pénal qui laisse ainsi à l’appréciation du juge l’étendue de la peine à infliger au contrevenant aux règles sacrées du Ramadhan. Dans ce même ordre d’idées, il faut relever cette autre aberration qui consiste à priver les ressortissants étrangers de toute possibilité de se sustenter le jour, en période de jeûne. Cela a été observé y compris dans des hôtels cotés, qui, pour nombre d’entre eux, poussent l’inhospitalité jusqu’à refuser à leur clientèle non musulmane le petit-déjeuner. Que de fois n’avons-nous entendu autour de nous nos aînés évoquer, non sans une certaine nostalgie mâtinée de rage, une Algérie beaucoup plus tolérante, plus ouverte, où il faisait bon vivre malgré tout et où jeûneurs et non-jeûneurs se fréquentaient dans une parfaite indulgence. A la lumière de ce qui vient de se passer à Ben Aknoun, on mesure l’ampleur de la régression accusée par notre société et l’emprise des pratiques inquisitrices qui ciblent avec acharnement les « minorités » de toute sorte (qu’elles soient cultuelles ou culturelles) qui se cramponnent à leur pays, l’Algérie, contre vents et marées. Les exemples de cette intolérance tous azimuts ne manquent pas. On se rappelle de l’épisode de Habiba K., cette citoyenne de Tiaret condamnée en première instance à trois ans de prison. Son tort ? Elle était en possession d’exemplaires de la Bible, elle qui s’était convertie au christianisme. Citons aussi le tollé soulevé par les miniatures qui illustrent l’excellent livre de cheikh Khaled Bentounès, Soufisme, l’héritage commun, une levée de boucliers qui a mobilisé, outre les forces fondamentalistes les plus obscures, des cercles proches du pouvoir. Rappelons également la campagne de fermeture des bars et autres night-clubs au pas de charge et le durcissement des licences d’ouverture de débits de boissons, plongeant nos villes dans un climat de « prohibition ». L’excès de zèle frisant le folklore qui a entouré le Ramadhan des Verts lors de leur stage au cercle militaire de Beni Messous, avant le choc Algérie-Zambie, qui a fait les choux gras de certains médias (ENTV en tête), en a choqué plus d’un avec tous ces reportages gentillets qui s’échinaient à mettre en évidence la piété et l’atmosphère de khouchouâ dans laquelle le groupe évoluait en ce mois sacré. Des titres sont allés jusqu’à comparer le match de dimanche dernier à la bataille de Badr, avec un atavisme consommé où la bigoterie le dispute au populisme en puisant à volonté dans la mythologie fantastique d’un Islam fantasmé.
À quand des « espaces non-jeûneurs » ?
Question naïve : à quand des espaces non-jeûneurs dans les entreprises, dans les trains longs trajets, voire dans certains espaces publics ? Il ne faut pas rêver, surtout à voir les campagnes policières de chasse aux couples, aux harraga et aux non-jeûneurs se doubler d’un effort médiatique sans précédent pour engouffrer définitivement la société algérienne dans le Moyen-Âge. La tolérance, c’est l’affaire d’institutions fortes, nous semble-t-il, dont les médias sont des acteurs de premier plan. Qu’un quotidien, Ennahar pour ne pas le nommer, joue les procurateurs bondieusards en mettant, dans sa Une d’hier, un jeune sur le point de mordre dans un sandwich, cela n’a qu’un nom : la délation. Le journal titre en grosse manchette : « Des cafés et des restaurants bafouant la sainteté du Ramadhan en plein jour. » Dans le reportage qui pointe du doigt la Kabylie comme bastion de la chrétienté et fief des anti-Ramadhan (un thème cher à une certaine presse à sensation), l’auteur du papier va jusqu’à dénoncer à la police un groupe de récalcitrants pas très emballés par le rite du carême. Mais les services de police n’ont pas jugé utile de rééditer l’action musclée de leurs collègues de Ben Aknoun, regrette le cafteur. Moralité : il apparaît urgent, dans cette Algérie déboussolée, cette Algérie gangrenée par la haine et l’intolérance, de sonner la révolte des citoyens libres et de susciter la mobilisation de tous afin de récupérer tous ces espaces de liberté cédés.
Par Mustapha Benfodil
Arrestation de dix jeunes à Sétif
Une patrouille de police en ronde au niveau de la cité Laârassa a arrêté, en début de la semaine, des jeunes n’ayant pas respecté les principes du mois sacré.
Six jeunes, dont deux filles mineures, ont été surpris en train de fumer. Les mis en cause ont été conduits au commissariat pour l’interrogatoire d’usage. Les éléments du 1er arrondissement, ayant investi le jardin Emir Abdelkader situé au cœur de la ville, ont, pour les mêmes motifs, arrêté quatre jeunes qui ont été à leur tour entendus. On ne sait toujours pas si les inculpés ont été déférés devant le magistrat instructeur…
Par K. B.
« Une certaine presse est un danger pour la société »
Certains titres de la presse arabophone s’érigent en gardiens de la morale et s’éloignent ainsi dangereusement des règles qu’imposent l’éthique et la déontologie.
Elle quitte le terrain du journalisme pour se donner le rôle d’une police des mœurs semblable à celle du FIS. On assiste depuis un certain temps, notamment depuis le début du mois de Ramadhan, à des attaques en règle contre des Algériens qui n’observent pas le jeûne. Cette catégorie d’Algériens fait l’objet d’un lynchage à longueur de colonnes. Le dernier en date est le fameux « reportage » publié par le quotidien Ennahar, dans son édition d’hier, où il traite les habitants des Ouadhias « de voyous et de gens qui portent atteinte à la religion » et il va jusqu’à utiliser une terminologie propre aux groupes terroristes, (mortadine) « des renégats », pour le simple fait qu’ils ne font pas Ramadhan. Encore une fois c’est la Kabylie qui est ciblée. Après la fameuse campagne menée contre cette région sous prétexte qu’elle s’éloigne de l’Islam et se christianise, cette région est devenue la cible d’une campagne de dénigrement. Pourtant, la Constitution du pays garantit la liberté de culte et même l’Islam est clair là-dessus en assurant la liberté de culte, mais ces « journaux », qui s’érigent en conscience de la société, sont apparemment au-dessus de la loi. Leur seule loi c’est de semer la haine et l’intolérance. En des termes à la limite de la haine, le « reportage » en question décrit la région des Ouadhias comme une zone dangereuse qui menace les valeurs de la société. Le journaliste va jusqu’à « dénoncer » les jeunes à la police judiciaire. Fort heureusement, les agents de la police judiciaire n’ont pas réagi à l’interpellation de la journaliste.
Contacté pour donner son avis sur cette façon de faire du journalisme, Mohamed Abbassa, expert en médias, se dit ne pas être étonné par une certaine presse qui passe son temps à distiller un discours aux conséquences fâcheuses. Il a estimé « qu’il ne s’agit pas de journalisme qu’exercent certains journaux, bien au contraire, ce sont des militants fanatiques, ce sont des gens comme ceux-là qui ont enfanté l’intégrisme et le terrorisme. Ce qui fait que cette presse est un vrai terrorisme, parce que ce sont eux les inspirateurs de l’intégrisme ». Le sociologue Nacer Djabi, dans une récente intervention, avait mis en garde contre « les valeurs dangereuses que véhiculent certains journaux de la presse arabophone ». Le journaliste Bouakba soutient, lui aussi, que « certains titres de la presse arabophone sont devenus un danger pour la société en jouant sur la religion pour attiser la haine. Ils le font avec hypocrisie, car les responsables de ces journaux ne font que dans la corruption et la affaires douteuses ».Sur le plan de l’éthique, M. Abbassa considère que ce type d’écrit journalistique comme « manquement à la vie privée des personnes et que le pouvoir doit agir pour mettre fin à ce genre d’écrits qui appellent à la haine et à l’intolérance », « c’est au niveau politique qu’il faudra agir et si on ne fait rien tout de suite cela va être dangereux pour la société », poursuit-il. M. Abbassa pense que le silence du pouvoir politique risque d’être interprété comme étant un silence complice. « Qui ne condamne pas consent, il faut interpeller le pouvoir qui les encourage », a-t-il dénoncé. Du point de vue juridique, écrire sur des gens en les citant nommément dans un article de presse, comme ce fut le cas du « reportage » de Ennahar, relève de la diffamation. L’avocat Khaldoun, du barreau de Tizi Ouzou, estime que « ce journal n’est pas à sa première dérive, ce qu’il écrit relève de la diffamation et les personnes citées ont le droit de porter plainte devant le juge ». Sont-ils encouragés par les pouvoirs publics pour se permettre de tels écarts ? C’est la question que se posent beaucoup d’observateurs. Une largesse qui renseigne sur une dérive politique d’un pouvoir qui ne cesse de flirter avec l’islamisme.
Par Hacen Ouali