Témoignages d’un chirurgien

TEMOIGNAGES D’UN CHIRURGIEN

Salah-Eddine SIDHOUM

Septembre 2003

Partie I – Partie II

La journée du dimanche 21 juin se passa normalement. Aucun responsable de la brigade ne m’appela pour interrogatoire ou pour m’expliquer les raisons détaillées de mon arrestation. J’ai passé la journée entre discussions et prières avec mon compagnon d’infortune dans la cellule crasseuse de la brigade. En fin de soirée, je vis arriver un groupe de quatre infirmiers de l’hôpital Zmirli, qui venaient d’être arrêtés. Ils furent jetés dans la cellule mitoyenne. Ils me saluèrent à leur passage. Aux environs de 23 h, un gendarme digne et respectueux, originaire du sud, me ramena une couverture pour pouvoir m’allonger et dormir sur le sol cimenté de la cellule. C’était le sort réservé aux Hommes qui refusaient de courber l’échine devant l’ignorance corrompue et véreuse au pouvoir. Je l’en remerciais et lui demandais de ramener si possible une deuxième pour mon compagnon de cellule. Ce qu’il fit avec dignité et respect.
Je m’allongeais après les dernières prières, sans pouvoir dormir. Mon compagnon, habitué, malgré lui, à cette situation (45 jours de séquestration arbitraire dans une cellule de gendarmerie!), dormait profondément. Moi je tenais compagnie à deux crapauds sortis de je ne sais où et qui rôdaient dans le couloir, près des grilles de nos cellules.

Aux environs de 1 h du matin, le portail de la brigade s’ouvrit avec fracas. Des gendarmes ramenaient un jeune citoyen barbu et en gandoura, arrêté lors d’un barrage routier et chez qui on aurait retrouvé un paquet de tracts du FIS dans son véhicule.

L’adjudant qui tabassa, trois jours auparavant, le personnel de l’hôpital, rentra à la brigade, vociférant, comme à ses habitudes. Je le reconnus facilement. Il ouvrit la grille de ma cellule et m’ordonna en criant, de sortir pour rejoindre la cellule mitoyenne. Je pris ma couverture et ma veste et rejoignis le nouveau lieu où je retrouvais les quatre infirmiers arrêtés dans l’après-midi. Quant au jeune citoyen de Baraki, il fut enfermé dans la cellule où j’avais été auparavant.

Un capitaine, assez sec et chauve, à l’accent annabi, rentra à la brigade, salué par les gendarmes de faction. Il s’adressa à travers la grille au nouveau pensionnaire :  » Tu as quelques heures avant le matin pour réfléchir. Tu as intérêt de tout cracher billati hiya ahssen, sinon c’est la cave qui t’attend « .

Les premières lueurs de l’aube de ce lundi 22 juin apparaissaient dans le couloir. Les deux crapauds avaient disparu. Une nouvelle journée difficile s’annonçait. Je pensais à mes deux enfants, traumatisés par mon arrestation et à mes malades que j’avais laissés à l’hôpital et que je devais opérer en cours de semaine.

Vers 6 heures, les gendarmes vinrent prendre le jeune barbu en gandoura ramené la veille. J’appris par la suite qu’il avait été transféré à la prison militaire de Blida.
La journée se passa en discussions avec mes nouveaux compagnons d’infortune qui n’étaient autres que des infirmiers de notre hôpital. Chacun donnait sa version du drame qui avait coûté la vie au gendarme. J’écoutais avec attention ce qu’ils me racontaient.
Aux environs de 11 heures, un enfant qui ne dépassait pas quatre ans, faux blond aux cheveux teintés à l’eau oxygéné rentra à la brigade, taquiné par les gendarmes de faction. Il leur répondait par des obscénités inimaginables pour son très jeune âge. Il s’approcha de la grille de notre cellule et avec son bâton, faisait semblant de nous mitrailler en disant :  » ta, ta, ta, moutou (mourrez) « . On apprenait à des mômes de cet âge, la haine et la mort ! Quelle tragédie ! Cet enfant n’était autre que le fils du capitaine.
Aux environs de 20 heures, un jeune et brave gendarme vint me voir pour me dire que mes parents étaient là depuis une heure et qu’il attendait la sortie du capitaine, pour me permettre de les rencontrer. En effet, une demi-heure plus tard, il vint me chercher et m’emmena dans une salle à quelques mètres de la cellule. Je retrouvais mon père, mon épouse et mon jeune frère. Mon père, âgé de 78 ans était effondré et avait les larmes aux yeux. Avec son ton calme et paternaliste, il me dit :  » Je t’ai toujours dit mon fils, de t’éloigner de la politique. Nous avons affaire à un régime de voyous et de criminels qui ne reculent devant rien ! « . Je ne voulais pas engager de polémique avec lui. Ce n’était ni le moment ni le lieu pour discuter des raisons de mon engagement politique contre la kleptocraptie régnante.

Mon frère m’informa de la réaction d’indignation provoquée dans mon quartier par mon arrestation et que mes amis des organisations internationales avaient été alertés et attendaient l’expiration du délai de garde à vue pour réagir. Un collectif d’avocats, militants des droits de l’homme s’était constitué pour me défendre. Ils craignaient que je sois déporté dans les camps de concentration du Sud. J’informais mon frère que je n’avais pas été à ce jour interrogé par quiconque. Je l’informais également que j’avais entamé une grève de la faim illimitée pour protester contre mon arrestation. Je voyais les visages du père et de mon épouse blêmir.

Le jeune gendarme entra subitement pour me demander d’écourter la visite, car le capitaine et son équipe allaient revenir d’un moment à l’autre pour m’interroger. C’est ce que je fis immédiatement pour éviter au jeune et brave gendarme des tracasseries avec ses supérieurs. J’embrassais mes parents et les rassurais sur mon sort, qui était celui de milliers d’autres qui croupissaient dans les geôles de cette dictature d’ignares ventrus.

Aux environs de 22 heures, entrèrent le capitaine et tout un groupe d’officiers et sous-officiers à la brigade. Ils se dirigèrent vers les bureaux situés au fond d’un couloir à droite de l’entrée principale. C’était le branle-bas de combat. Des gendarmes allaient et venaient avec des dossiers.
L’adjudant excité, fidèle à ses habitudes, avec son visage crispé et ses tics vint alors me chercher de ma cellule pour m’emmener dans une grande salle où se trouvait la brochette d’officiers et de sous-officiers, tous en combinaison verte-olive.
L’adjudant commença par prendre mes empreintes digitales sur un carton et on me photographia de face et de profil en me collant sur la poitrine une plaque avec un numéro. J’étais alors fiché comme un vulgaire brigand. L’échelle des valeurs était inversée depuis fort longtemps et ce que je subissais aujourd’hui n’était qu’une confirmation de ce dont j’étais convaincu depuis trois décennies. Des universitaires, enseignants à la faculté, des hommes dignes étaient fichés par un régime de voyous et de criminels comme disait père. Quel drame !
Après ce fichage, l’adjudant zélé m’ordonna de m’asseoir face au capitaine et au brigadier. Commença alors l’interrogatoire. Et c’est là que j’appris l’impensable. J’avais été victime d’une dénonciation calomnieuse de la part du directeur de l’hôpital.
Le capitaine, entouré de ses collaborateurs et me fixant dans les yeux me dit d’un air hautain :  » C’est ainsi que tu nous traites de fascistes et de Pinochet ya t’bib ! « . Je n’en revenais pas !
Je lui signifiais avant tout que mon arrestation était arbitraire et que pour cela j’avais entamé une grève de la faim illimitée de protestation et que le délai légal de garde à vue (48 h) devait expirer dans deux heures et qu’à partir de ce moment, je me considérerais en état de séquestration et que je ne répondrais à aucune question. Cette introduction n’intéressa nullement celui qui m’interrogeait.

Puis entrant dans le vif du sujet je répondis  » Je voudrais être confronté au gendarme à qui j’aurais tenu ces propos « . Il me répondit alors, en lâchant le morceau :  » C’est le directeur de l’hôpital qui nous l’a dit ! « .
C’était stupéfiant. Le directeur avec qui j’avais eu la courte altercation et à qui j’avais dit, du fait de son refus d’intervenir suite à la paralysie du pavillon des urgences et au tabassage du personnel :  » ton fascisme à la Pinochet ne passera pas « , larbin qu’il était, était allé voir le capitaine pour lui dire, déformant sciemment les propos que j’avais tenus, que j’avais traité les gendarmes de fascistes et que l’Algérie était devenue le Chili de Pinochet. Il avait une imagination très fertile ! C’est la manière en Algérie pour beaucoup de khobzistes de son acabit, d’obtenir une promotion. Du larbinage et de la couardise à l’état pur.

Je protestais fermement contre ce mensonge grossier et je persistais à demander à être confronté avec celui qui aurait entendu mes propos. Le capitaine changea alors de tactique en me disant :  » En disant cela au directeur, tu nous visais, ya t’bib, n’est-ce pas ? « .
Je me défendis alors en expliquant que je m’en étais pris au directeur poltron qui se cachait dans son bureau alors que le pavillon des urgences était paralysé par l’arrestation de son personnel et que des médecins et infirmiers étaient tabassés sauvagement par les gendarmes. Je lui expliquais également que j’étais révolté par sa réponse ( » ils n’ont eu que ce qu’ils méritaient « ). En quoi, dis-je à l’officier, les médecins et les infirmiers sont-ils responsables de l’acte inconscient et irréfléchi d’un infirmier qui a transformé un lieu où on est sensé sauver des vies, en un lieu où on ôte des vies ?

Le capitaine n’était pas convaincu de mes réponses et je compris qu’il voulait coûte que coûte me faire admettre que je visais les gendarmes. Je le voyais arriver. Et l’un des chefs d’inculpation était déjà prêt dans son esprit : ATTEINTE A CORPS CONSTITUE.
N’ayant pu arracher de moi cet aveu, il se retourna vers le brigadier pour lui dire de commencer à rédiger le PV d’interrogatoire. Le capitaine se mit alors à me poser des questions et à répondre à ma place. Je n’en revenais pas. Et le brigadier tapait à la machine les questions et les réponses du capitaine…..en mon nom. Je protestais contre cette méthode odieuse d’arracher de faux aveux. Je n’eus comme réponse qu’un sourire cynique et narquois du capitaine. Je décidais alors de me lever pour rejoindre ma cellule en élevant à mon tour le ton :  » Je proteste contre ces méthodes odieuses et je tiens à vous signaler que je ne signerais aucun document « .

Je vis alors surgir l’adjudant zélé, les lèvres bavantes qui me fit asseoir avec force. Je ne pouvais supporter cette atteinte à ma dignité et à mon intégrité physique. Me relevant immédiatement je répondis violemment :  » Je ne vous permets pas de me toucher. Je connais mes droits et vous savez que je se suis militant des droits de l’homme. Je porterai plainte devant la justice et je dénoncerai cela devant les organisations internationales « . Les officiers se regardèrent et le capitaine ordonna à l’adjudant de se calmer. Je restais debout. L’adjudant bouillonnant de colère, pensait déjà peut-être me descendre à la fameuse cave pour donner libre cours à sa violence bestiale.

Un lieutenant m’invita courtoisement à m’asseoir et c’est ce que je fis. L’adjudant zélé retourna au fond de la salle. Il avait compris qu’il n’avait pas affaire aux malheureux citoyens qui ignoraient leurs droits et qu’il traînait dans sa fameuse cave.
Le capitaine passa alors au second chapitre de son interrogatoire. Il me dit alors si je connaissais l’auteur de l’attentat.

– Oui, lui dis-je, j’ai appris cela lorsque je suis arrivé à l’hôpital après l’attentat, de la bouche d’infirmiers du service où j’exerce et de la bouche même de l’un des gendarmes qui étaient montés pour perquisitionner et le rechercher. « 
– Pourquoi ne l’as-tu pas dénoncé alors ?
Surréaliste ! On me demande de dénoncer un infirmier, auteur présumé de l’attentat, alors que j’étais absent des lieux au moment du drame et que j’avais appris cela une demi-heure plus tard à mon arrivée à l’hôpital de la bouche d’infirmiers et de gendarmes! C’est ce que je tentais d’expliquer alors au capitaine qui me posait la question. Ce dernier me regarda alors avec son sourire cynique et narquois.

Je compris alors que j’étais victime d’une machination et qu’on voulait ainsi m’impliquer coûte que coûte dans ce qui s’est déroulé le 18 juin 1992. Ma réaction franche et brutale face au directeur devant la violation des franchises hospitalières n’était qu’un prétexte pour eux.
Le capitaine se retourna à nouveau vers le brigadier et lui ordonna de poursuivre la rédaction du PV. Comme la première fois, il posait les questions et répondait lui-même à ma place.
Je décidais alors de ne plus répondre aux questions. Advienne que pourra. Seules les techniques de la cave pouvaient me faire arracher de faux aveux. Et l’officier n’osa pas franchir le pas.

Après avoir vomi tous ses fantasmes sur le PV et que le brigadier, au regard désolé, reprenait malgré lui devant sa machine à écrire, le capitaine n’hésita pas à me demander de signer un PV fruit de ses élucubrations ! !
Je refusais catégoriquement et je n’hésitai pas à lui dire que j’allais dénoncer ces méthodes devant le procureur. Il me fixa du regard à nouveau et déclencha son sourire cynique qui voulait tout dire. Je me levai et je quittai la salle, accompagné d’un gendarme pour rejoindre ma cellule.

L’interrogatoire des infirmiers débuta ensuite.
Vers minuit, au départ des officiers, le gendarme qui m’avait permis de voir mes parents, la mine dépitée et désolée s’approcha de la grille de ma cellule et me dit : on t’a collé deux chefs d’inculpation : atteinte à corps constitué et non dénonciation de criminel!
Je connaissais très bien la nature du régime de kleptocrates dont les mains sont tâchées d’un sang indélébile, un régime qui n’a pas hésité à assassiner d’illustres figures de l’Algérie combattante comme Abbane, Krim, Chaâbani et Khider, et qui n’a pas hésité à massacrer plus de 600 enfants en octobre 88. Ce qui m’arrivait ce jour-là n’était rien devant ce qu’ont subi et qu’allaient subir d’autres concitoyens. Cette machination ne me choqua point. Je me disais seulement que le moment du long combat était arrivé, qu’il sera dur et qu’il fallait s’attendre à d’autres provocations plus graves.

Mardi 23 juin 1992. C’était mon troisième jour de garde à vue. Dès l’arrivée aux environs de 11 heures du brigadier, je l’informais que le délai légal de garde à vue (48 h) était dépassé depuis minuit. Il me répondit poliment qu’une prolongation avait été demandée au procureur et que je serais présenté à ce dernier le mercredi 24 juin. Il me recommanda de manger et de mettre un terme à ma grève de la faim, ce que je refusais bien sûr.

Grande fut ma surprise de voir arriver dans l’après-midi, deux infirmières de mon service. Elles venaient d’être arrêtées à leur tour. On leur reprocha de ne pas avoir dénoncé l’auteur du crime qu’elles avaient vu au bloc, lorsqu’elles transportèrent un patient qui devait être opéré. En effet, à ce moment, l’auteur du drame, après avoir commis son acte, était retourné au bloc et c’est à ce moment qu’il croisa les deux infirmières de mon service qui ignoraient tout de la tragédie qui s’était déroulée quelques minutes plus tôt au pavillon des urgences.
Les quatre infirmiers qui étaient dans ma cellule furent libérés dans la soirée.
L’une des infirmières, Louisa, fut gardée à la brigade et y passa la nuit. Elle fut présentée avec moi le lendemain au parquet.

Mercredi 24 juin. Aux environs de 8 heures, le brigadier, toujours aussi courtois et calme vint me sortir de ma cellule pour m’emmener dans son bureau. Il me rendit ma montre, ma ceinture, mes papiers d’identité et mes chaussures. Il me tendit un papier attestant que je n’avais pas été maltraité. Faisant fi de l’incident de l’avant-veille avec l’adjudant zélé et excité, je signais le document. Il tenta à nouveau de me faire signer le PV falsifié. Je refusais catégoriquement. Il n’insista pas. Je reste persuadé qu’en son for intérieur il me donnait raison, car c’est lui-même qui avait tapé les faux aveux dictés par son supérieur hiérarchique. Il me dit à la fin :  » Pourvu que ce drame, Docteur, s’arrête au plus vite ».
– In Cha Allah, lui répondis-je.

Aux environs de 9 heures, nous quittâmes la brigade, en compagnie de l’infirmière et de six gendarmes, dans deux Land Roover en direction du tribunal d’El Harrach. Mon père et mon jeune frère m’attendaient.
Un des avocats du collectif, mon ami Hocine Zehouane, militant des droits de l’homme, qui avait connu l’arbitraire et la torture en 1966, m’attendait aussi. Il m’informa de la procédure et m’interrogea sur ce qui s’était déroulé à l’hôpital. Je lui racontais les péripéties et la machination du directeur de l’établissement. Il me conseilla de ne pas répondre aux éventuelles provocations lors de la présentation, car il était d’accord avec moi, qu’il s’agissait d’une machination pour me faire taire sur mes activités de militant des droits de l’homme. Nous attendîmes jusqu’à 11 heures devant le bureau du procureur adjoint, surnommé par les avocats Lucky Luck.

On m’introduisit avec l’infirmière dans son bureau. D’emblée il m’accueillit par cette phrase : « Ici, pas de politique ni de droits de l’homme, vous devez répondre à mes questions sur une affaire relevant du Pénal « . Cela ne fit que renforcer mes convictions qu’il s’agissait d’une machination tramée dans les officines dont l’agent provocateur était le directeur et dont on voulait tremper la justice pour me punir.
Je me rappelais alors immédiatement des sages paroles de mon ami Zehouane :  » Evite de répondre aux provocations, car ton affaire sent la machination « . Et pour me réconforter il me dit une phrase que je n’ai depuis pas oubliée :  » Sache, mon cher Docteur, que moi aussi je suis passé par là. La prison, en politique n’est pas faite pour les lâches. « 
Je n’allais pas offrir au dit procureur-adjoint cette occasion pour me piéger.

Je lui signifiais calmement que j’en étais à mon 4e jour de grève de la faim, qu’on avait tenté de me faire signer un PV dicté par un capitaine de gendarmerie à son brigadier et que j’avais refusé de répondre aux questions de la gendarmerie à partir du moment où c’était l’officier qui dictait les réponses qu’il voulait. Je terminais en lui disant que le PV était truffé de faux aveux qui n’étaient pas les miens.
Le procureur-adjoint sauta de son siège et cria :  » Je vous ai dit dès votre entrée qu’ici, pas de politique ni de droits de l’homme « . Il voulait clairement me provoquer. Avec l’aide de Dieu je ne répondis pas.

Il se calma et se mit alors à regarder le PV, silencieux pendant près de 3 minutes. Il me posa alors des questions en rapport avec ce que j’aurais dit aux gendarmes, les traitant de fascistes et de Pinochet.
Je lui répondis calmement :  » Je me suis adressé directement au directeur de l’hôpital. Il n’y avait dans son bureau aucun gendarme. L’altercation a lieu dans le bureau et avec le directeur. Comment pouvez-vous imaginer que je puisse dire aux gendarmes vous êtes des fascistes et des Pinochet, sans que je sois inquiété immédiatement et arrêté. Pour le seul fait de porter une blouse blanche, des confrères médecins et des infirmiers ont été sauvagement tabassés et moi, qui suis sensé les avoir insultés, je ne suis pas inquiété ? C’est étonnant, non ? Si un gendarme a entendu de ma bouche de tels propos, je voudrais bien être confronté à lui. C’est mon droit. »

Le procureur adjoint, devenu subitement calme, passa à la deuxième question :  » Pourquoi n’avez-vous pas dénoncé l’assassin ? « .
La aussi je lui répondis sereinement :  » Je suis arrivé à 10 heures à l’hôpital alors que l’attentat a lieu à 9 h 30. A mon arrivée, j’ignorais tout de ce qui se passait. Ce n’est que lorsque je suis monté au 4e étage dans mon service que j’ai été informé qu’un infirmier du bloc avait poignardé un gendarme au pavillon des urgences et quelques minutes plus tard, ce sont les gendarmes eux-mêmes montés pour perquisitionner qui nous demandèrent si on n’avait pas vu le dit infirmier. Comment voulez-vous dénoncer quelqu’un que vous n’avez pas vu commettre le meurtre et que les gendarmes eux-mêmes recherchaient avant mon arrivée. C’est absurde « .

Le procureur-adjoint se gratta la tête et se mit à relire le PV ou fit semblant de relire. Rien ne tenait dans les accusations du PV. Il passa alors à l’interrogatoire de l’infirmière.
Après mûre réflexion et après être sorti du bureau pendant quelques minutes, il revint pour nous dire :  » vous êtes libres. Vous êtes convoqués pour demain matin ici. Je vais présenter vos dossiers au procureur « .
J’informais le procureur-adjoint que je poursuivrais ma grève de la faim, malgré ma libération provisoire (O combien éphémère) tant que cette affaire douteuse n’est pas élucidée. Il me répondit sèchement :  » C’est votre problème « .
Il appela le brigadier pour lui notifier sa décision. Ce dernier sortit le sourire aux lèvres en me disant : « El Hamdou Lillah, vous êtes libres Docteur, allez vous reposer et surtout manger ».
Mon avocat et ami, Hocine Zehouane me fit le reproche :  » Je t’avais dis de ne pas répondre aux provocations, j’entendais tes cris d’ici « .
 » Je n’ai pas crié lui répondis-je C’est le procureur-adjointqui vociférait d’entrée en me disant : « Ici pas de politiqueni de droits de l’homme ».

Après avoir donné rendez-vous à Hocine Zehouane pour le lendemain en ce même lieu, je rejoignais mon domicile en compagnie de mon père et de mon jeune frère. Il était 12 h 30 quand j’arrivais à mon domicile, éreinté par la fatigue et la grève de la faim qui commençait à se faire ressentir. Les enfants n’étaient pas encore rentrés de l’école. Alors que mon épouse me chauffait de l’eau (en cette période de pénuries d’eau) pour prendre mon bain, j’appelais au téléphone quelques amis militants des droits de l’homme pour les informer de ma nouvelle situation. Il était exactement 13 heures lorsque la sonnerie de mon domicile retentit. Mon épouse qui alla voir, revint subitement pâle en me disant :  » Les gendarmes te cherchent à nouveau ! « .

Je sortis alors à leur rencontre. Trois véhicules de type Patrol étaient stationnés au milieu de la rue sous le regard de dizaines de voisins qui observaient le spectacle de leurs balcons.
– Je suis désolé, Docteur, mais le procureur-adjoint te réclame en urgence, me dit courtoisement Aouinat, le brigadier de la gendarmerie, confus et gêné.

Inquiet de cette nouvelle tournure, je m’en remettais à Dieu. Je n’eus même pas le temps de prendre mon bain et me débarrasser de la crasse de ces jours de détention à la brigade de gendarmerie, bien que le brigadier m’ait laissé tout le temps pour le rejoindre.
A mon arrivée au tribunal, je fus introduit par le brigadier au bureau du procureur qui fut rejoint immédiatement après par le procureur-adjoint qui m’avait interrogé le matin. Les mêmes questions que précédemment me furent posées. Les mêmes réponses furent données.
A ma question de savoir pourquoi ce mandat d’amener alors qu’il était prévu de me présenter librement le lendemain, le procureur hautain et méprisant me répondit :  » Nous avons reçu des instructions d’en haut, vous allez être incarcéré à la prison d’El Harrach « .

Que pouvais-je faire devant cet arbitraire venu  » d’en haut « ? Je préférais me taire car toute discussion avec ces fonctionnaires zélés et imbus de leur  » personnalité  » était vaine. Les officines  » d’en haut  » avaient décidé de me faire taire. L’appareil judiciaire instrumentalisé et aux ordres s’exécutait avec zèle.

Je fus incarcéré à la prison d’El Harrach à 14h 30. Je franchissais pour la première fois de ma vie, le lourd portail des  » Quatre hectares  » sous le regard des gardiens. Ainsi était faite la vie dans notre malheureux pays. Des hommes dignes étaient emprisonnés par des brigands, des criminels et des proxénètes d’Etat. J’apprenais à mes dépens la notion d’inversion de l’échelle des valeurs. Ceux qui ont liquidé physiquement des patriotes authentiques et qui ont détourné des milliards de dollars dans notre Algérie meurtrie décidaient, par la force des armes du sort de millions d’hommes et femmes libres et dignes !

Le brigadier en me remettant à mes geôliers, m’adressa quelques mots d’encouragements et me serra la main avant de partir. A travers sa poignée de main chaleureuse et son regard, se lisait son indignation devant l’injustice criarde que je subissais. En ces temps tragiques, survenaient parfois des moments cocasses. Le bureaucrate bête et discipliné qui était chargé d’enregistrer mon « admission » me posa la question : « que fais-tu dans la vie ? ». Je lui répondais : chirurgien. « Quel niveau ? » enchaîna-t-il. Comment quel niveau ? lui dis-je. « Primaire, secondaire ou universitaire ? » (sic) me précisera-t-il sèchement !

Après les formalités administratives et après avoir remis ma ceinture, ma montre et mes papiers d’identité, je fus conduis à l’infirmerie de la prison où je fus introduit chez le médecin qui n’était autre que mon ancienne élève à la faculté de médecine d’Alger. Peu surprise de me voir en ce lieu elle me dit en m’embrassant :  » Ce n’est pas étonnant de vous voir. Je savais que vous alliez un jour terminer ici « . Ma jeune consœur, qui exerçait à l’infirmerie de la prison me rafraîchit alors la mémoire en me disant :  » Je n’oublierais jamais mon stage de traumatologie au CHU de Douera, en 1985 où vous commenciez toujours vos cours à l’amphithéâtre par une diatribe du régime et de ses kleptocrates, comme vous les appeliez « .
Je fus alors admis à l’infirmerie où ma jeune consœur et ancienne élève me donna une chambre avec un lit et une petite table. Deux autres jeunes confrères vinrent me rendre visite, confus de ma situation.

Mon incarcération m’a permis de découvrir l’enfer carcéral à la mode algérienne. Je retrouvais un jeune citoyen qui avait versé dans la délinquance et qui fut blessé à la cuisse lors de son arrestation par la police et que nous avions amputé dans notre service de traumatologie quelques mois plus tôt. Il vint me saluer dans ma chambre.

J’ai retrouvé également un jeune citoyen, schizophrène qui avait tenté de détourner en 1990 un avion d’Air Algérie avec une …..savonnette. Il avait tenté de se couper les veines du poignet à plusieurs reprises à la prison. Je l’avais reçu au pavillon des urgences de l’hôpital en 1991 et j’avais réparé ses tendons sectionnés. Resté sans soins pour son affection mentale, je le voyais dépérir de jour en jour, piquant régulièrement des crises de démence.

J’ai rencontré aussi un jeune citoyen, enseignant à Baraki, Kéchaï Abderrachid qui me raconta comment il fut tabassé et sodomisé par un gardien de prison, le tristement célèbre Rabah Badjarah. Il avait été affreusement torturé. Ces supplices entraînèrent chez lui une castration post-traumatique et une rectorragie abondante. Il a été laissé sans soins. Les médecins de l’infirmerie étaient impuissants devant les refus répétés de l’administration pour leurs multiples demandes d’examens spécialisés en urologie. Il me décrit dans les détails les affres de la torture qu’il avait subie de la part de ce gardien détraqué.

Je fis la connaissance de nombreux jeunes citoyens qui avaient été arrêtés après le coup d’Etat pour leurs activités  » subversives  » contre le régime. Ils me racontèrent ce qu’ils avaient subi dans les commissariats comme supplices. Malgré mon état de santé précaire (je venais de sortir d’une convalescence suite à une intervention chirurgicale sur hémorragie digestive d’origine ulcéreuse) aggravé par la grève de la faim que j’avais entamé depuis mon arrestation, je consignais toutes ces informations sur des bouts de papiers que m’avaient procuré les détenus.

Blessés par balles le plus souvent lors de leur arrestation au cours de perquisitions ou de manifestations de rue, ils restèrent pratiquement sans soins spécialisés, malgré le dévouement des trois médecins généralistes de l’infirmerie.

L’un d’eux, Mohamed, de la cité La Montagne de Bourouba avait une énorme balafre oblique qui traversait son abdomen due à une rafale de kalachnikov tirée par un ninja lors de son arrestation à son domicile, compliquée d’une importante hernie post-opératoire
Des dizaines de jeunes hommes traînaient des plaies suppurées qui n’arrivaient pas à cicatriser du fait de l’absence de moyens et de conditions d’asepsie.

Je rencontrais un citoyen d’une soixantaine d’années, infirmier de profession qui fut arrêté en 1991 lors d’un barrage de police. Son crime : il transportait dans sa malle des tracts du ….RCD. Il purgeait une peine pour…..outrage à magistrat.
A côté de ces détenus politiques et d’opinion, se trouvait une faune de détenus dits « économiques « . Il s’agissait de prévenus, anciens directeurs de sociétés nationales, accusés à tort ou à raison de détournements et de corruption. Je me suis toujours interrogé sur leur présence à l’infirmerie, du fait de leur santé florissante. Ils bénéficiaient de chambres et passaient leur temps à préparer leurs repas dans la cuisine. Directeurs de sociétés présentés comme des corrompus, ils corrompaient à leur tour les agents de la prison pour se faire affecter à l’infirmerie !

Je passais mes journées, malgré la fatigue engendrée par la grève de la faim, à récolter les témoignages de détenus. Ma détention m’a permis d’approcher de plus près l’horreur de l’arbitraire et de la hogra, cette injustice à l’algérienne.
J’ai eu aussi l’occasion de rencontrer Mr Benchenouf Abdelwahab, ancien pilote de ligne d’Air Algérie et opposant politique, que la presse aux ordres nous avait présenté en 1989 comme étant un « dangereux individu qui voulait empoisonner la mer et les oueds ». Il entamait sa troisième année de …..détention préventive. Il me raconta durant des heures la gabegie qui régnait à Air Algérie, le proxénétisme d’Etat de certains hauts  » dignitaires  » véreux du régime et ses démêlées avec la maffia gouvernante. Effarant !

Ceux qui avaient décidé de me priver de liberté, dans leur crétinisme non avoué me rendirent un très grand service en m’incarcérant. Ils me permirent de récolter un maximum d’informations à la source originelle sur les atteintes gravissimes aux droits de l’homme de la part de ceux qui voulaient  » sauver la démocratie de la barbarie intégriste « , informations dont je me fis le devoir de diffuser à toutes les organisations internationales au lendemain de ma libération.

Je recevais régulièrement mes avocats du collectif. Ils m’informèrent que j’allais être jugé le dimanche 28 juin dans le cadre du flagrant délit (!!).

Samedi 27 juin : 4e jour d’incarcération à la prison d’El Harrach et 7e jour de privation de liberté et de grève de la faim. Je fus réveillé dès 7h par un gardien. Je fus surpris par cet appel matinal. Il m’annonça alors que j’allais être transféré au tribunal d’El Harrach pour mon jugement (?!). Je ne comprenais pas ce qui se passait. Mes avocats m’avaient informé que mon audience était prévue pour dimanche et voilà qu’on décide de me juger la veille. Je refusais dans un premier temps de sortir de ma chambre, expliquant au gardien que mon affaire était prévue pour le lendemain. Puis devant mon refus vint un gardien-chef, la soixantaine qui me conseilla de répondre à la convocation du tribunal. Je finis par sortir et partir dans le car de la police, menottes aux poignets avec d’autres détenus. Il ne s’agissait pas d’instruction mais bel et bien de ma comparution devant le tribunal de jugement. Aucun de mes avocats n’était présent. Je commençais à m’inquiéter et je sentais le coup fourré. Nous attendîmes près de trois heures dans le couloir mitoyen à la salle d’audience, le poignet menotté et attaché au tuyau du chauffage central. Puis la magistrate m’appela. On me détacha du radiateur du couloir et je pénétrais dans la salle d’audience, archicomble. Je reconnus au box des accusés, les deux infirmières qui travaillaient avec moi au service de traumatologie. La juge, flanquée de deux dames assesseurs était face à moi. Le procureur, toujours hautain et imbus de sa  » personnalité  » me regardait de son perchoir.

La juge me demanda de décliner mon identité. Elle me demanda si j’étais toujours en grève de la faim puis me demanda de raconter ma version des faits. Ne trouvant pas mon collectif d’avocats, je refusais de répondre. La juge, comme pour me rassurer, me dit :  » Ne craignez rien, Monsieur, même en l’absence de vos avocats, vos droits seront préservés ». Je sentais que quelque chose d’anormal se tramait. Je répondis alors : « Sachez Madame, que la prison ne me fait pas peur. Ce que je cherche n’est pas de sortir à tout prix mais que la vérité, toute la vérité éclate au sujet de cette machination politique dont la justice a prêté le flanc « . Je disais cela en regardant le procureur qui m’avait incarcéré sur des  » ordres venus d’en haut « . Mon regard et ma réponse semblaient le gêner et il fit semblant de feuilleter un dossier.

La juge me renouvela les assurances et je renouvelais à mon tour poliment mon refus de comparaître sans mon collectif d’avocats. Elle me signifia alors que mon procès était reporté comme convenu au lendemain, dimanche 28 juin 1992.

Je retournais ainsi à la prison d’El Harrach, menottes aux poignets. Durant le cours trajet, je réfléchis sur le sens de la phrase de la magistrate :  » Ne craignez rien, Monsieur, même en l’absence de vos avocats, vos droits seront préservés « . Que voulait-elle dire ? J’avais comme l’impression qu’on voulait se débarrasser rapidement de mon affaire d’autant plus qu’à l’extérieur et au niveau des organisations internationales, elle commençait à s’ébruiter.
Dans l’après midi, je recevais la visite de deux avocats du collectif, dont mon ami Hocine Zehouane. Je leur racontais l’aventure du matin au tribunal. A leur tour, ils s’interrogèrent sur cette manœuvre. La stratégie de défense fut tracée. J’insistais sur le fait qu’il s’agissait d’une affaire politique. Ceux qui avaient donné l’ordre de m’arrêter voulaient me faire taire sur mes prises de position concernant les atteintes gravissimes des droits de l’homme. L’attentat de l’hôpital et mon altercation avec le directeur-délateur n’étaient qu’un prétexte.

Dimanche 28 juin 1992. On m’appela très tôt à l’infirmerie de la prison. Je rejoignais un groupe de détenus dans la cour de la prison. Les mêmes policiers de la veille nous attendaient dans leur fourgon pour nous transférer au tribunal. Cette fois-ci je n’eus pas droit aux menottes. Un autre détenu, assez âgé, fut également exempté. A notre arrivée au tribunal, les policiers nous introduisirent directement dans la salle d’audience et nous primes place dans le box des accusés. La salle était vide. Nous attendîmes durant près d’une heure avant que la salle ne fut ouverte au public. Je reconnus mes parents et certains de mes amis. Je fus très touché de voir trois de mes patients que je traitais à l’hôpital, faire le déplacement avec leurs béquilles. La salle commença à se remplir. Les avocats entrèrent. Maître Hocine Zehouane s’approcha de moi pour s’enquérir de mon état de santé. Il fut bousculé par un policier coléreux qui lui interdit de m’adresser la parole ! Il n’hésita pas à dégainer son revolver. Je ne comprenais plus rien. C’était le far West. Une altercation verbale s’en suivit entre le policier et l’avocat. L’intervention des avocats et des collègues du policier zélé calmèrent les esprits.

Les magistrats entrèrent et l’audience débuta. Il y avait de tout. Des vols, des agressions, des détournements. Je fus touché par l’affaire d’un jeune citoyen de 19 ans, vendeur à la sauvette de cigarettes à l’aéroport d’Alger. Il fut arrêté le mercredi 24 juin par des policiers en civil devant l’entrée de l’aéroport alors qu’il vendait ses malheureuses cigarettes. Il vit ce jour-là un jeune de son âge, passer avec un kamis et quelques poils sur le visage en guise de barbichette. Le prenant pour un  » frérot  » il lui lança pour le taquiner :  » Le djihad, c’est pour quand ya kho ? « . Le jeune barbu ne lui prêta même pas attention et continua sa route. Mais par contre, le policier en civil qui entendit le mot  » Djihad  » lui sauta dessus et l’arrêta tout en appelant ses collègues. Là aussi, je ne savais plus s’il fallait en rire ou en pleurer. Pour avoir taquiné un jeune barbu de passage, il fut arrêté en  » flagrant délit de subversion « . Il écopera de 6 mois de prison ! C’était dramatique. Le jeune condamné me racontera dans le bus, au retour vers la prison sa mésaventure et me jura qu’à la sortie, il fera la prière et rejoindra le maquis pour combattre la hogra dont il venait de faire les frais, lui qui ne s’était jamais mêlé de politique et n’avait jamais mis les pieds dans une mosquée. C’était effarant. J’apprenais comment l’ignorance au pouvoir poussait une jeunesse marginalisée au désespoir.

Puis vint le tour de mon affaire et de l’infirmière qui était impliquée avec moi. La juge me demanda de raconter la version des faits, ce que je fis sereinement. Dieu me donna ce jour-là une force extraordinaire, malgré mon 10e jour de grève de la faim. Je racontais les événements tels que je les avais vécus du début à la fin. La juge, outrée par le dossier vide, le jeta en l’air, au moment où le procureur-adjoint prit la parole, lui criant : « Le dossier est vide. Où sont les témoins? ». Le procureur-adjoint, confus, marmonna quelques mots incompréhensibles, le visage rouge de honte devant l’intervention courageuse de la juge scandalisée par cette affaire scabreuse. Les trois avocats du collectif prirent à leur tour la parole pour démonter point par point la machination. Maître Zehouane, profita de cet incident pour porter l’estocade en dénonçant sa provocation contre moi et ses vociférations lors de ma présentation au parquet. La vérité venait d’éclater avec la bénédiction de Dieu et le procureur-adjoint zélé qui avait décidé avec son chef sur  » ordre d’en haut  » de m’incarcérer, confondu, en eut pour son compte ce jour-là. La salle éclata de rire. Le malheureux fonctionnaire ne savait plus où se mettre. Je savourais la justice divine qui venait de mettre à nu la grotesque machination. Je me rappelais alors des sages paroles d’un illustre ‘Alem que j’avais apprises de mon grand-père, que Dieu ait son âme :  » Nul droit ne se perd tant qu’existe un revendicateur. »

Après une courte délibération, je fus acquitté par la courageuse juge qui avait refusé de mêler la justice dans de basses machinations politiciennes. Cette dame digne fit honneur ce jour-là à la Justice.
Dès que les juges sortirent, je vis l’un des policiers rentrer avec un petit sachet contenant un croissant et un mille-feuilles qu’il m’offrit en me disant :  » Tenez c’est pour vous Docteur, nous nous sommes trompés sur votre compte car on nous a raconté une autre version dehors. Finalement nous sommes tous dans la même galère et nous sommes tous victimes des magouilles et de la hogra des gens d’en haut. Maintenant que la vérité a éclaté et que vous êtes libre, je vous pris de mettre fin à votre grève de la faim et de manger ces modestes gâteaux que je vous ai achetés « . Je fus ému et touché par le geste de ce policier qui la veille m’avait mis pour la première fois de ma vie, les menottes. Je le remerciais chaleureusement en lui disant qu’effectivement nous étions tous victimes des véreux qui avaient pris en otage tout le pays et qui tentaient de nous entraîner dans une lutte fratricide. Ces trois policiers continuèrent à me rendre visite à l’hôpital où j’exerçais. En avril 1994, je rencontrais pour la dernière fois l’un d’eux au pavillon des urgences et j’appris alors que ses deux collègues avaient été tués lors d’une embuscade à El Harrach, victimes comme ils me l’avaient dit deux ans plus tôt « des magouilles et de la hogra des gens d’en haut  » qui les avaient utilisés comme boucliers pour préserver leurs privilèges. Que Dieu ait leurs âmes.

A ma libération je continuais mon long combat contre le régime corrompu et criminel. On essaya à nouveau de me faire taire fin 1994 en m’impliquant dans des activités « subversives « , puis en m’envoyant trois criminels armés de la sinistre SM pour m’assassiner à mon domicile et enfin en 1997, en me condamnant par contumace à 20 ans de réclusion pour activités « terroristes ». Et la lutte continue avec l’aide de Dieu pour le respect de la Dignité Humaine et le droit à l’autodétermination de tous les Algériens et Algériennes!

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