Ouverture du procès en révision d’un militant

Algérie : ouverture du procès en révision d’un militant

Le défenseur des droits de l’homme Sidhoum avait été condamné en 1997 par contumace à vingt ans de prison.

Florence Aubenas, Libération, 16 octobre 2003

Pour Sidhoum, chirurgien, tout commence à l’hôpital Zmirli, où il voit arriver des années durant les victimes des exactions des forces de sécurité.

C’est un fantôme qui est apparu le 29 septembre aux grilles de la prison Serkadji à Alger. Après neuf ans de clandestinité, Salah-Eddine Sidhoum, chirurgien algérien de renom et militant des droits de l’homme, s’est rendu à la justice pour que soit révisé le procès qui l’avait condamné par contumace à vingt ans pour atteinte à la sûreté de l’Etat. Plus politique que judiciaire, l’audience est prévue aujourd’hui à Alger.

Héroïsme. Avant d’être lui-même un de ces cas, soutenu par Amnesty, la FIDH ou Shirin Ebadi (la nouvelle prix Nobel de la paix), Salah-Eddine Sidhoum a vu débarquer pendant des années à l’hôpital Selim Zmirli les victimes des exactions des forces de sécurité. Lui aussi a commencé par écrire des rapports, avec un réseau informel contre la torture qui s’est montéà Alger en 1992, après l’arrêt par l’armée du processus électoral qu’avait remporté le FIS. Sidhoum se définit volontiers comme un «intellectuel musulman», cite Vaclav Havel, écrit au chef de l’Etat pour dénoncer «53 cas vérifiables de torture et de disparition». En ce début des années 90, alors que le tabou recouvre encore toute allusion aux violences d’Etat, le chirurgien dénonce le premier, à visage découvert, la répression systématique auprès d’ONG ou de journalistes étrangers.

Né à la fin des années 40, il est de cette génération, bercée par l’héroïsme de la guerre d’indépendance, mais trop jeune pour y avoir participé. «Plutôt que de se contenter d’un statut prospère et reconnu, il a choisi comme beaucoup de reprendre ce flambeau et de s’engager dans la cause publique», dit Abdelmahid Mehri, historique du FLN (Front national de libération), qui fut son professeur et vient de prendre sa défense publiquement. Au nom de la lutte contre le terrorisme, les forces de sécurité sont féroces : disparitions, déportations dans des camps d’internement, arrestations par dizaines de milliers sur la base de dénonciations sous la torture. C’est le cas d’un de ses collègues, Khaled Lafri, arrêté le 7 juin 1994. Il avoue tout ce qu’on veut. Il a soigné des terroristes. Planifié des assassinats. Comploté avec des islamistes. «Sous la douleur, me sont venus les noms de mes vieux camarades de lycée, toi Moulay et toi Sidhoum.» Le chirurgien ne sort plus seul, ne dort plus chez lui.

En décembre 1994, Canal + diffuse une émission où Sidhoum évoque l’autre versant de la crise algérienne, «le terrorisme d’Etat». A l’aube, un escadron de la mort débarque à son domicile. Il n’y est pas. Et n’y reviendra plus. Un journal affirme qu’il a monté un hôpital au maquis. D’autres qu’il a fui à l’étranger. Son chauffeur, Mohamed Benmerakchi, qui apparaissait dans le documentaire, est arrêté. «Alors, Canal +, on va s’occuper de toi», dit un de ses tortionnaires. «Le centre de Châteauneuf est une usine à broyer la personne, raconte le chauffeur. On entendait des bruits de toutes sortes : des aboiements de chiens et
des chansons de raï, des cris de suppliciés et des appels de femmes. Les loques humaines de tous âges étaient traînées sur le sol et jetées dans les cellules.» Une question revient sans cesse : Sidhoum appartient-il au FIS ? Aujourd’hui, son frère sourit : «Si le FIS était passé, il aurait été opposant.»

Greffier de la «sale guerre». Sa clandestinité, Sidhoum la passe enfermé avec son ordinateur, neuf ans où il tape un inestimable travail qu’il envoie secrètement aux ONG, greffier de la «sale guerre», jour par jour, presque heure par heure (1).
En 1997, un procès est monté reprenant une partie des aveux de Khaled Lafri. Les quatre accusés présents sont acquittés. «Aucune charge précise ne figure contre Sidhoum dans le dossier : il paraît même comme oublié. Son nom apparaît deux fois», dit l’un de ses avocats. Vingt ans.

Le 29 septembre, avant de partir au pénitencier de Serkadji, le chirurgien a dit : «J’ai fait ce que j’ai pu pour les droits de l’homme. Maintenant, je me sens inutile. Il faut que je sorte à nouveau sur le terrain.»

(1) Un remarquable dossier se trouve sur le site spécialisé d’Algeria-Watch : http://www.algeria-watch.de/francais.htm