Lettre ouverte à l’opinion publique et aux organisations des droits de l’homme

Campagne Internationale pour la Libération

de Salah-Eddine Sidhoum

Prisonnier d’opinion

Annexe 11

Docteur Salah-Eddine SIDHOUM
Chirurgie Orthopédique et Traumatologique
Chirurgie nerveuse périphérique
Chirurgie de la main
Maître-assistant à la Faculté de Médecine d’Alger
Militant des droits de l’homme

Alger, décembre 1999

Lettre ouverte à l’opinion publique et aux organisations des droits de l’homme

J’aime mieux être en prison et demeurer d’accord avec ma conscience et mon sentiment du devoir que de demeurer en liberté et me dire que je suis un poltron ou un lâche.
Feu Robert Barrat. Journaliste digne

Mes cher(e)s ami(e)s,

L’Algérie meurtrie va boucler dans quelques jours sa huitième année de guerre et de souffrances, dans l’un des conflits internes des plus meurtriers de cette fin de siècle. Plus de 100 000 morts, des dizaines de milliers de prisonniers politiques, près de 6000 disparitions, plus d’une centaine de millier d’orphelins et des dizaines de milliers de veuves, tel est l’horrible bilan humain provisoire de la guerre issue du coup d’Etat du 11 janvier 1992, coup d’Etat qui se voulait selon ses auteurs, « sauvegarder l’Algérie de la barbarie intégriste » mais qui ne l’a pas empêché de plonger dans les abysses de l’horreur et dans un bain de sang et de larmes sans précédent dans l’histoire récente de notre pays.

Après l’échec manifestement reconnu de la politique sécuritaire, des replâtrages « institutionnels » (multiples « élections » dignes de Naegelen) et des folkloriques recompositions artificielles du paysage politique, un clan de l’oligarchie militaro-financière a finit par conclure un accord militaire opaque avec une faction des groupes armés d’opposition, en guise de solution à la crise profonde que traverse le pays. Cet accord et sa couverture juridique (loi dite de « concorde civile ») n’ont pour visée, en fait que de maintenir le statu quo et de marginaliser les forces politiques représentatives de la Nation, stratégie qui permet ainsi à l’oligarchie de poursuivre le démembrement socio-économique et le partage de la rente en toute quiétude. Il est clair que son seul souci est de parvenir à une paix factice (tout comme elle a mis en place des hommes et des institutions factices) en essayant d’obtenir le silence des armes mais sans régler le fond des problèmes politiques à l’origine de la tragédie : l’autodétermination des citoyens et (par voie de conséquence) la légitimité du pouvoir.

Je pense à mon humble avis que ce processus douteux de réconciliation, tel qu’il apparaît, n’est et ne sera pas la solution idoine à la tragédie que traverse mon pays tant que les problèmes politiques de fond ne seront pas mis à plat démocratiquement et dans la transparence la plus totale par tous les acteurs politiques représentatifs de la Nation. Malheureusement ce processus, tel qu’il est conduit, semble privilégier le traitement partiel et partial des conséquences, en laissant intactes les causes.

Il ne sera pas viable car ce sont ceux qui ont plongé le pays dans les abysses de l’horreur et qui continuent à tirer les ficelles dans le cadre de ce que nous appelons le « pouvoir occulte » qui veulent nous imposer aujourd’hui subitement – après avoir prôné durant sept ans la guerre et l’éradication – cette « paix » hautement douteuse derrière une nouvelle devanture présidentielle médiatisée de façon outrancière. Ceux qui ont bafoué la volonté populaire, institutionnalisé la torture, l’exécution sommaire et le kidnapping politique et ceux qui ont organisé les sinistres escadrons de la mort ne peuvent prétendre aujourd’hui réconcilier les algériens après avoir tenté vainement de les trainer dans le sillage d’une guerre fratricide, pour sauver leurs privilèges.

Ce processus de réconciliation factice n’a été décidé par l’oligarchie que parce que ses équilibres internes semblent menacés. Les fractures provoquées au sein de la société algérienne ont inéluctablement fini par atteindre la haute hiérarchie de ce pouvoir occulte. Et c’est cette situation extrêmement dangereuse de division au sommet (que nous avons perçu lors de la dernière campagne présidentielle) qui l’a poussé à cette sortie politique de décompression pour éviter l’implosion du système. Un énième subterfuge dans sa fuite en avant.

La loi dite de « concorde civile » nous est présentée comme l’instrument juridique de ce processus de réconciliation. Elle est, encore une fois, partielle et partiale.

Elle est claire, ferme et intransigeante quant aux auteurs de crimes et de viols du côté dit islamique et oublie étrangement les auteurs de crimes et de viols dans les commissariats et autres centres de tortures. Rien n’est dit sur le sort réservé aux auteurs des disparitions, des tortures et des exécutions sommaires.

Elle rappelle les droits – ce qui n’est que justice – des familles des victimes de la violence dite islamique mais occulte totalement les droits des victimes du terrorisme d’Etat.

Cette approche manichéenne induit inévitablement deux catégories de victimes de la tragédie nationale, ce qui est intolérable et ne fera qu’accentuer, à Dieu ne plaise, le climat de haine et de rancœurs, climat que voudraient entretenir beaucoup de charognards politiques et de barons de la corruption pour préserver leurs prébendes.

Ce traitement à double vitesse des auteurs de la violence politique et des victimes de la tragédie nationale, ne porte-t-il pas en son sein les germes d’une aggravation de la crise dans le futur ?

Que penseront les dizaines de milliers de suppliciés des commissariats et des centres spécialisés de torture, les familles des 6000 disparus dont nous n’avons aucune trace à ce jour et les dizaines de milliers d’orphelins, dont les parents ont été exécutés sommairement sous leurs yeux ?

Que dire alors des autres victimes que sont les dizaines de milliers de prisonniers politiques et d’opinion, victimes d’une « justice » cagoulée et condamnés lors de parodies de procès, sur la base de procès-verbaux de torture ?

Nous avons l’impression en réalité que cette loi dite de «concorde civile » constitue aux yeux de l’oligarchie, non pas une étape vers une réconciliation véritable mais une fin en soi – à travers une mesure technique juridico-policière – qui cache en réalité des desseins inavoués. Elle constitue une nouvelle fuite en avant, ce qui rappelle étrangement la loi d’amnistie imposée au lendemain des massacres d’octobre 1988, qui visait en apparence les adolescents arbitrairement arrêtés, sauvagement torturés et iniquement jugés mais qui, en réalité permettait aux criminels qui avaient fauché à la mitrailleuse des centaines d’adolescents et aux tortionnaires d’enfants d’échapper à la justice après avoir massacré en cinq jours plus de 600 jeunes citoyens et torturé des centaines d’autres.

Une paix et une réconciliation ne peuvent se construire sur « l’amnistie » d’innocentes victimes de l’arbitraire, alors que les responsables de la première violence restent impunis et bien plus, sont élevés au rang de patriotes, sauveurs de l’Algérie ! ! ! ! Admettre cela, c’est accepter d’aller vers une nouvelle déflagration bien plus meurtrière dans un très proche avenir.

En ce qui me concerne, en tant que militant des droits de l’homme, condamné pour « activités subversives » en février 1997 à 20 années de prison par contumace, je refuse catégoriquement cette « amnistie » factice. Mes principes et mon éthique ne peuvent me permettre d’admettre le concept fumeux d’amnistie d’un innocent.

Je pense, mes cher(e)s ami(e)s que vous connaissez assez bien mon parcours militant pour la noble cause des droits de l’homme qui date des années 80. Je n’ai jamais caché mon appartenance au courant intellectuel islamique, ni mon opposition politique farouche à la kleptocratie criminelle et véreuse qui a mis ma patrie sous coupe réglée avant de la plonger dans les abîmes d’une débâcle sanglante. Je n’ai jamais été – Louange à Dieu – ni un chaouch universitaire d’ignares kleptocrates ni un pantin « politique » préfabriqué dans les officines du Golf ou d’El Achour.

Déjà en avril 1980, je fus appréhendé et menacé par la police politique dans les allées de l’hôpital Mustapha. Mon crime était d’avoir fait signer une pétition pour la libération des citoyens, dont de nombreux confrères médecins, arrêtés lors des manifestations populaires qui avaient embrasé la Kabylie, et dont le seul délit avait été de réclamer les libertés démocratiques et la reconnaissance de la culture amazight (avant que celle-ci ne fusse utilisée comme fonds de commerce politicien par certains aventuriers).

En octobre 1988, je dénonçais publiquement et devant la presse internationale l’utilisation de balles explosives dans le massacre d ‘une trentaine de citoyens lors d’une manifestation pacifique à Bab El Oued. Je venais de sortir du bloc opératoire où j’avais amputé deux adolescents, innocentes victimes de ces balles meurtrières. A la même période je présentais avec un autre confrère à la délégation d’Amnesty International, un malheureux citoyen de Bab El Oued qui avait été castré lors de tortures au commissariat Central d’Alger.

En novembre 1988, je participais avec une dizaine d’autres confrères au CHU Mustapha d’Alger, à la création du Comité Médical de lutte permanente contre la torture.

En juin 1992, je fus arrêté pour avoir dénoncé les violations des franchises hospitalières, lorsque des gendarmes, suite à un attentat odieux perpétré contre l’un des leurs à l’intérieur de l’hôpital où j’exerçais, avaient tabassé des médecins et des infirmiers dans l’exercice de leur fonction. Après une incarcération arbitraire et une grève de la faim d’une dizaine de jours à la prison d’El Harrach, je fus libéré.

A ma libération, j’avais attiré l’attention de l’opinion publique et des organisations internationales, sur les conditions inhumaines d’incarcération des prisonniers politiques dans cette prison et la torture pratiquée par l’un des gardiens dont j’avais cité le nom.

Nous étions quelques militants des droits de l’homme, en août 1992 – à une période où la couardise et l’obséquiosité étaient élevées (elles le sont toujours) au rang de vertus patriotiques chez nos « intellectuels » – à attirer l’attention de l’opinion publique internationale sur les atteintes gravissimes des droits de l’homme.

J’ai eu l’honneur avec une poignée d’amis, militants des droits de l’homme, de diffuser en novembre 1992 les premiers témoignages sur la torture dans les commissariats et autres centres de séquestration. Ces témoignages furent repris par Maître Vergès, dans son livre Lettre ouverte à des amis algériens devenus tortionnaires.

En novembre 1993, je dénonçais publiquement sur la troisième chaîne de la télévision française, l’institutionnalisation de la torture, des exécutions sommaires et des kidnappings. Et j’affirmais haut et fort que « ni la torture ni la politique dite sécuritaire n’étaient des solutions à la crise algérienne. Que le problème était éminemment politique et que la solution ne pouvait être que politique ».

J’ai eu l’occasion de présenter en décembre 1993, à la correspondante du quotidien Le Monde à Alger, Mme Catherine Simon, un jeune confrère torturé, qui fut mon élève à la Faculté de Médecine d’Alger. Son témoignage fut publié dans le quotidien parisien.

J’avais présenté également à Monsieur Robert Fisk, journaliste anglais (The Indépendent) en février 1994, un jeune citoyen torturé et sodomisé au centre de Châteauneuf et au commissariat central d’Alger. Son témoignage fut également publié le lendemain dans le quotidien londonien.

Devant cette activité « subversive » aux yeux de l’oligarchie au pouvoir, ses officines m’impliqueront en juillet 1994 dans une machination typiquement stalinienne pour me faire taire. On fera « avouer » sous la torture, deux citoyens qui étaient mes amis, que je participais aux activités « terroristes ».

Loin de m’intimider ou de me faire taire par ces méthodes terroristes, j’ai continué, avec l’aide de Dieu, et malgré le climat de terreur, ma tâche d’informer l’opinion publique et les organisations internationales sur la situation gravissime des droits de l’homme en Algérie.

Le 5 septembre 1994, j’adressais au général en retraite qui présidait aux destinés de ce malheureux pays, une lettre ouverte pour attirer son attention sur les graves dérives concernant les droits de l’homme en lui citant à titre d’exemple, 53 cas concrets et précis de tortures, d’exécutions sommaires et de disparitions. Je l’informais que j’étais en possession d’un millier de cas soigneusement colligés que je remettrais éventuellement à une commission d’enquête indépendante et impartiale.

Quinze jours plus tard, je recevais la réponse des officines qui avaient intercepté ma lettre : mon nom figurait – dans un article commandé du quotidien privé El Watan – parmi une liste de professeurs d’université et de médecins « terroristes » recherchés par la police. Des méthodes qui n’avaient rien à envier à celles de Béria et Staline. A la même période circulait une rumeur (orchestrée par les officines de la manipulation) au sein de l’hôpital où j’exerçais et dans mon quartier (quelle synchronisation !) selon laquelle j’avais été condamné à mort par le « GIA ». Une sorte de préparation psychologique de l’opinion. Le message était clair. Je décidais de prendre alors mes précautions pour éviter d’être liquidé physiquement par ce « GIA » des officines.

Le 1er novembre 1994, j’adressais, à travers un communiqué, avec vingt quatre autres universitaires et militants des droits de l’homme un appel pressant à l’opinion publique internationale pour attirer son attention sur la dramatique dégradation de la situation des droits de l’homme dans mon pays.

En décembre 1994, j’intervenais dans un documentaire de la BBC pour dénoncer encore une fois la torture, les exécutions sommaires et la politique de terreur qui faisaient rage à cette période. Je n’hésitais pas à clamer encore une fois, haut et fort que « mon combat allait se poursuivre jusqu’au triomphe du droit et de la vérité sur cette terre d’Islam » Le lendemain de mon intervention, soit le 18 décembre 1994, trois sbires de la sinistre police politique se présenteront à mon domicile pour m’exécuter. Après avoir constaté mon absence, ils terroriseront avec leurs armes ma vieille tante grabataire, pendant près d’une demi-heure, avant de prendre la fuite à bord de leur véhicule banalisé.

Devant cette situation, je décidais alors de plonger définitivement dans la clandestinité pour éviter de figurer sur la très longue liste des « disparus ».

N’ayant pu mettre la main sur moi, les tortionnaires se rabattront sur mes amis. C’est ainsi qu’un ami, taxieur, ainsi qu’un autre, kinésithérapeute et un jeune confrère chirurgien, n’ayant aucune relation avec la politique, furent arrêtés, séquestrés durant plusieurs mois pour deux d’entre eux et horriblement torturés. Leur seul péché était de me connaître.

En septembre 1995, j’adressais une lettre ouverte au président d’un dit comité international de soutien aux intellectuels algériens (CISIA), Pierre Bourdieu, qui me semblait verser dans l’indignation sélective et la désinformation. Par cette lettre, je tentais de rétablir certaines vérités sur les assassinats et la répression d’intellectuels du second collège sur lesquels il se taisait.

En février 1997, n’ayant pu me liquider physiquement, les officines me préfabriquèrent un autre dossier au niveau de la « justice » et je fus condamné par contumace à 20 années de réclusion par le tribunal d’exception d’Alger.

Il est clair que mes activités politiques indépendantes et mes activités sur le plan des droits de l’homme dérangeaient ceux qui voulaient mener cette guerre à huis-clos contre une partie de la population et manipuler à leur guise l’opinion sur la réalité du drame et sur les horribles crimes perpétrés contre les citoyens.

Je l’ai déjà dit et répété à maintes reprises, dans mes différents et multiples écrits : ni la prison, ni les menaces de mort ni ma condamnation arbitraire ne m’arrêteront dans mon juste combat pour le respect de la dignité humaine. Je lutterais jusqu’au bout de mes forces avec l’aide de Dieu et de toutes les volontés nationales et internationales dignes et courageuses pour faire éclater la vérité, toute la vérité sur tous les crimes commis depuis le début de la tragédie, tout comme je continuerais à lutter contre ces concepts odieux et fumeux d’indignation sélective et des deux collèges en matière d’atteinte aux droits de l’homme.

Donc je tiens à informer l’opinion publique nationale et internationale, les organisations internationales des droits de l’homme, mes ami(e)s militant(e)s qui luttent pour cette noble valeur universelle qu’est la Dignité Humaine de par le monde libre que je refuse cette amnistie factice car je ne me sens pas concerné par une telle mesure.

Ma condamnation est en fait une « criminalisation » de mes activités politiques et militantes pour les droits de l’homme.

Comme je l’ai déjà souligné dans ma lettre adressée au procureur général de la Cour d’Alger en juillet 1994 : Je n’ai pas fui pas la Justice, mais les tortionnaires et les criminels qui instrumentalisaient la justice.

Je demande à être jugé par une justice indépendante et en présence d’observateurs d’organisations des droits de l’homme, tout comme je tiens d’abord à obtenir des garanties pour pouvoir me présenter devant la justice, sans que je sois kidnappé ou liquidé par les spécialistes du crime politique.

Je tiens également à vous informer, cher(e)s ami(e)s, que j’entamerais dès ma présentation devant la Justice, une grève de la faim illimitée pour la reconnaissance de mes droits de prisonnier d’opinion et pour que des garanties pour un procès équitable me soient accordées. Je tiens également à vous informer que si les conditions d’un procès équitable et libre ne sont pas réunies, je refuserais de comparaître et je resterais dans ma cellule.

Aller en prison pour avoir défendu des Principes et une noble cause est un honneur pour moi, dans un Etat de non-droit où une certaine « justice » est aux ordres de la police politique et où le « magistrat » s’incline devant le tortionnaire, n’en déplaise aux thuriféraires du désordre établi et aux larbins de l’imposture « démocratique ».

Mon noble combat a été de défendre avec une poignée de militants, des dizaines de milliers de citoyens qui ont été arbitrairement arrêtés, séquestrés au delà des délais des lois iniques, torturés et condamnés arbitrairement sur la base d’aveux extorqués par la technique du chiffon et la gégène. C’est aussi celui de la défense de la mémoire de ceux qui sont morts sous la torture et des dizaines de milliers d’innocents qui ont été exécutés sommairement sous les yeux de leurs parents et de leurs enfants.

Mon combat est également celui du droit de vérité sur le sort de milliers de citoyens innocents qui ont été kidnappés et qui ont disparu à ce jour.

Mon combat c’est aussi celui de la défense de l’honneur de centaines de citoyennes dignes, honneur qui a été souillé par des bandes de criminels drogués lors de véritables campagnes de viols organisés, actes odieux et barbares instrumentalisés par des charognards et aventuriers politiques dans le cadre d’une vaste manipulation médiatique.

Mon combat enfin est celui du droit de Vérité sur la tragédie imposée à notre Nation.

C’est pour tous ces malheureux et ces malheureuses et pour leurs familles plongées depuis des années dans l’angoisse et la terreur que je poursuis mon combat pour la Dignité et la Vérité, combat que n’arrêtera ni l’emprisonnement arbitraire ni une parodie de justice. Ces victimes n’ont pas eu droit, certes à la Une de la presse « asserbie » mais elles auront droit, avec l’aide de Dieu et la volonté des femmes et des hommes dignes de cette patrie meurtrie et du monde libre, au triomphe de la vérité. Nous ferons éclater la vérité, toute la vérité, Incha Allah pour rétablir ces algériennes et algériens, victimes de l’arbitraire, dans leurs droits et leur dignité.

Il faut que la vérité, toute la vérité éclate sur la torture institutionnalisée, les exécutions sommaires, tous les assassinats de civils innocents, les procès iniques, les massacres odieux, les viols collectifs et les disparitions. Il faut que les coupables, tous les coupables, quel que soit leur bord, soient démasqués par une véritable commission de Vérité et jugés par une justice indépendante. Ce n’est qu’à ce prix et seulement à ce prix que se construira un véritable Etat de droit, que seront jetées les bases d’une véritable réconciliation et que nous parviendrons à extirper cette violence politique, introduite dans notre société au lendemain de l’indépendance par les imposteurs qui ont confisqué les libertés et les rêves d’une Nation.

Des algériens se réclamant du courant islamique ont tué d’autres algériens. Cela est indéniable. Une partie des victimes de cette tragédie nationale sont leur fait. Des jeunes, sans avenir, marginalisés et désespérés de se retrouver étrangers dans leur propre patrie ont pris les armes pour répondre à la violence d’une minorité de véreux nantis qui les avait empêchés de rêver et de croire – à tort ou à raison – au changement lors des premières élections législatives libres de décembre 1991. Trente années de hogra et d’injustice criardes leur ont fait faire des actes condamnables.

Mais nous devons avoir le courage et l’honnêteté de dire qu’une partie non négligeable des victimes de cette tragédie sont le fait du terrorisme d’Etat. Des centaines de citoyens, dont des enfants, sont morts sur les tables de torture. Des milliers d’algériens ont été exécutés sommairement devant leurs familles. Des milliers d’autres ont été kidnappés et ont disparu à tout jamais. Des centaines de citoyens ont été tués par certaines milices mafieuses et/ou partisanes. Des centaines d’algériens ont été enterrés sous l’étiquette « d’X algériens». Des dizaines de citoyennes ont été violées lors de perquisitions et dans les centres de séquestration. Il ne s’agit là ni de propagande ni de manipulation. Des faits, des dates, des noms et des témoignages existent..

Il ne faudrait pas qu’au nom d’une « paix » et d’une « réconciliation » factices, on essaie vainement de jeter un voile opaque sur ces victimes qu’on tente d’enterrer une deuxième fois dans le mépris et la honte après les avoir ensevelies furtivement la première fois dans l’anonymat le plus total.

Le nouveau premier responsable du pays ne cesse de répéter que « tous ceux qui ont les mains tâchées de sang, auteurs de crimes et de viols, doivent répondre de leurs actes devant la justice ». Je partage entièrement cet avis mais à condition que ceux qui ont torturé, exécuté sommairement et fait disparaître des algériens y soient également concernés. Ils ont eux aussi les mains tâchées de sang d’algériens innocents. Il ne peut y avoir de sélectivité en matière de crime ! Et ces victimes ne se comptent pas en dizaines mais en dizaine de milliers.

Videla, Papadopoulos, Pinochet et autres auteurs de crimes contre l’Humanité ont été rattrapés par le Tribunal de l’Histoire et ont été condamnés ou en voie de l’être par la Justice, malgré toutes les tergiversations et autres tentatives d’amnisties sur mesure. Les conclusions de la commission de Vérité et de Réconciliation en Afrique du Sud et les révélations de la commission d’enquête au Guatemala sont autant d’exemples éloquents qui réconfortent les femmes et les hommes dignes de ma patrie et de ce monde qui restent convaincus que « NUL DROIT NE SE PERD TANT QU’EXISTE UN REVENDICATEUR ».

Toute véritable réconciliation passe par un devoir et une obligation de vérité. L’opinion publique nationale en particulier et internationale, d’une manière générale, doit connaître la vérité, toute la vérité sur le drame algérien. Il ne peut y avoir de véritable réconciliation et de réelle concorde nationales tant que la vérité sur la tragédie algérienne n’aura pas éclaté pour situer la responsabilité des uns et des autres dans cette guerre et son jeu de massacres qu’on a voulu cacher à l’opinion publique.

Toute véritable réconciliation exige également de mettre fin à l’impunité de tous les auteurs d’atteintes gravissimes aux droits de l’homme.

Les politiques de manipulation et de terreur ont, durant un temps, trompé certains citoyens et terrorisé beaucoup d’autres. Mais elles ont lamentablement échoué. Elles n’ont pu résister à la volonté naturelle de la Vérité d’éclore et ce, malgré le forcing désespéré d’une poignée misérable de janissaires de la plume et de la parole, à travestir les faits.

Des familles dignes, longtemps trompées et manipulées par la propagande des charognards politiques qui avaient fait de leurs enfants victimes de la tragédie, des fonds de commerce pour entretenir la guerre et la haine, commencent à s’interroger sur la mort suspecte de leurs proches et exigent de véritables enquêtes.

Des milliers de familles de disparus se sont organisées et ont porté très haut et très loin ce douloureux et crucial problème, en Algérie, en Europe et même en Amérique. Les listes, malheureusement s’allongent de jour en jour.

Des centaines de citoyens torturés sont entrain de s’organiser pour défendre leur dignité bafouée par des tortionnaires désaxés et exigent la réparation morale par le jugement de ces derniers. Et là aussi les listes et les témoignages s’amoncellent.

Des familles de citoyens exécutés sommairement s’organisent à leur tour pour réclamer la vérité sur la mort de leurs proches et le jugement des criminels. Des listes de milliers de victimes sont en cours de confection.

Je lance un appel solennel à tous les militants(e)s dignes des droits de l’homme, en Algérie et dans le monde, aux organisations internationales des droits de l’homme, à la presse (la véritable presse) pour soutenir la création d’une Commission Nationale de Vérité sur les atteintes aux droits de l’homme, toutes les atteintes, avec la participation des trois principales organisations internationales non gouvernementales des droits de l’homme comme observatrices, pour faire la lumière, toute la lumière sur les assassinats de civils innocents, les massacres collectifs, les campagnes de viols, la torture, les exécutions sommaires et les disparitions de dizaines de milliers d’Algériens et pour que les véritables auteurs et commanditaires de ces crimes contre l’Humanité, sans exception soient arrêtés et jugés par une justice indépendante.

Les droits de l’homme étant un concept universel ne pouvant avoir de frontières (sauf pour les putschistes, les dictateurs et les faux démocrates), j’en appelle à la conscience universelle pour soutenir notre noble combat pour le triomphe de la Vérité, toute la Vérité et rien que la Vérité comme elle l’a si courageusement et si dignement fait hier en Afrique du Sud, en Argentine, au Chili, en Corée du Sud, en Grèce, au Guatemala et au Nigeria.

« Il faut être fidèle à la vérité même lorsque notre propre patrie est en cause. Tout citoyen a le devoir de mourir pour sa patrie mais nul n’est tenu de mentir pour elle ». (Montesquieu)

Signé : Docteur Salah-Eddine SIDHOUM