Salah-Eddine Sidhoum: Lettre à l’opinion publique

LETTRE A L’OPINION PUBLIQUE

Dr Salah-Eddine SIDHOUM

Alger le 29 septembre 2003

La vérité et la justice ont aujourd’hui besoin de témoins. Des témoins qui sachent au besoin souffrir martyre sans mot dire.
Robert Barrat.

Il y a 9 ans, la police politique du régime a tenté de me faire taire en m’impliquant dans des « activités subversives », suite à l’extorsion de faux aveux sous la torture à deux amis universitaires. Elle confectionnera alors un dossier sur mesure digne des procès staliniens. Le montage était trop grossier et la justice, pour une fois ne suivra pas dans un premier temps. Elle prononcera un non-lieu.

Cette même police politique mobilisera sa presse aux ordres, me jetant en pâture aux escadrons de la mort. Un véritable appel au meurtre. Non contente de cela, elle m’enverra quelques mois plus tard trois de ses tueurs à mon domicile pour m’éliminer. Mais en vain. L’heure du Destin n’avait pas sonné. Je décidais alors, devant ce terrorisme d’Etat sans foi ni loi, de passer dans la clandestinité. Mes amis d’ici et d’Europe me conseillèrent de quitter le pays. Je refusais catégoriquement car je considérais, en mon âme et conscience, que le combat politique, pour le respect de la dignité humaine et le droit à l’autodétermination des Algériennes et Algériens devait se dérouler en Algérie, quelqu’en soit le prix.
Avec l’aide de Dieu, j’ai pu continuer ce combat pour la Dignité et la Vérité, malgré les énormes contraintes et risques.

Cette même police politique me confectionnera alors un nouveau dossier en 1996, m’accusant de « subversion, participation à des mouvements de rébellion, complot contre l’autorité de l’Etat, tentative de renversement du régime, etc… », des chefs d’accusation qui nous rappellent étrangement les sinistres cours « révolutionnaires » et les cours de « sûreté de l’Etat » des années 70 et 80 qui condamnaient sur la base de ces mêmes chefs, d’authentiques patriotes qui s’opposaient à la dictature des colonels-présidents de l’époque. Elle actionnera une nouvelle fois sa justice en 1997 pour me condamner à vingt années de prison par contumace.

C’est ainsi que, sous couvert de l’Etat d’urgence et des lois d’exception, on criminalisera mes activités politiques et mon militantisme pour les Droits de la personne humaine.
Le temps était à l’éradication tous azimuts et à huis-clos.

A l’ère de l’indignation sélective, il était politiquement incorrect de dénoncer le terrorisme d’Etat, responsable de la première violence qui plongera le pays dans une infernale spirale sans limites. Le dénoncer était assimilé à une complicité avec les « terroristes ».
A l’ère de la démocratie spécifique, cette démocratie à l’algérienne, il était politiquement incorrect de dénoncer le pronunciamiento de janvier et d’appeler à une solution politique de la crise. Oser le faire c’était être « complice des égorgeurs ».

Mes convictions et les valeurs civilisationnelles auxquelles je crois, m’interpellaient, à une période dramatique que traversait ma patrie (et qui perdure), à prendre mes responsabilités. Je m’inscrivais dans une résistance éthique contre le régime totalitaire qui avait décidé de mener une guerre insane contre une partie de son peuple.

Devant l’horreur qu’il subissait et le voile de mensonges et de désinformation qui couvrait cette guerre, il était de mon devoir de contribuer à rétablir la vérité, avec d’autres compatriotes et lutter contre l’une des plus grossières mystifications du siècle par la publication de centaines de témoignages et de milliers de noms de citoyens et citoyennes victimes de ce cette barbarie algérienne qu’est l’éradication. Face à l’impressionnante machine de propagande du régime et de ses relais, nous opposions la vérité des faits et notre volonté d’aller jusqu’au bout pour faire éclater cette vérité.

Nous avons dénoncé l’atteinte à la souveraineté du peuple lors du renversement des urnes par les blindés quand beaucoup d’autres se sont abrités derrière ces mêmes blindés et ont insulté leur peuple.
Nous avons dénoncé les atteintes graves aux droits de l’homme qu’engendrait la politique d’éradication quand d’autres se taisaient, versaient dans l’indignation sélective ou plus grave, approuvaient et applaudissaient.
Nous avons été les témoins acharnés des erreurs et des horreurs de ce régime. Et nous avons témoigné !

Avec le temps et grâce à cette volonté inébranlable d’Algériennes et Algériens dignes, militant(e)s des droits de la personne humaine, intellectuels et officiers, le mur de la désinformation s’est largement lézardé pour montrer au monde l’autre versant de la tragédie algérienne que le prisme déformant du régime ne montrait pas. Des témoignages accablants et irréfutables et des preuves irréfragables s’amoncellent aujourd’hui sur les bureaux des institutions, organisations et avocats internationaux.

Le monde sait aujourd’hui que les « sauveurs de l’Algérie de la barbarie intégriste » ont été plus barbares que ceux qu’ils étaient sensés combattre. Le monde connaît maintenant exactement la nature du régime algérien qui n’a pas hésité à pratiquer de monstrueuses et criminelles manipulations pour dresser des Algériens contre d’autres Algériens, dans le seul but de préserver ses privilèges.

En un mot, le monde sait maintenant que ceux qui se sont présentés, à ses yeux, comme des remparts contre le « terrorisme » ne sont en réalité que des criminels contre l’humanité.
Humblement et dignement, j’ai œuvré à côté d’autres Algériennes et Algériens à cette démystification et à lever le voile sur la nature de ce régime et sur ses pratiques.
Et c’est ainsi qu’après 9 années de lutte pour ces nobles idéaux de Vérité et de Dignité, j’ai décidé de mettre fin à cet état de clandestinité et de faire opposition à mon jugement inique me condamnant à vingt ans de prison. Je pense en mon âme et conscience avoir fait mon devoir et rien que mon devoir : celui de porter témoignage de la réalité algérienne.

C’est avec la conscience tranquille que je sors de cette clandestinité pour affronter l’appareil répressif de ce régime que le monde libre connaît parfaitement bien aujourd’hui.
Je vais être certainement arrêté et incarcéré. C’est le modeste prix à payer par les hommes libres dans un pays de non-droit. Hier, nos aînés l’ont payé pour l’indépendance, aujourd’hui nous le payons pour la liberté et la justice.

Je poursuivrais mon combat en prison pour arracher mon statut de prisonnier d’opinion et obtenir des garanties en vue d’un procès équitable en présence d’observateurs internationaux.

Comme hier en liberté, je continuerai, demain en prison, avec l’Aide de Dieu, mon inlassable combat pour l’autodétermination des citoyennes et des citoyens et le respect de la DIGNITE humaine, pour une Algérie de toutes et de tous, sans exclusion ni exclusive, de justice et de démocratie, ancrée dans ses valeurs civilisationnelles et grandement ouverte sur l’Universel.
Dieu est Témoin de mes paroles et de mes actes.

Alger le 29 septembre 2003
Dr Salah-Eddine SIDHOUM