Conditions de détention: Les prisonniers vivent l’enfer
Conditions de détention: Les prisonniers vivent l’enfer
El Watan, 3 août 2004
Saisissant l’opportunité offerte par les 151 détenus qui ont décroché leur bac cette année, le ministre de la Justice et garde des Sceaux, Tayeb Belaïz, se délecte d’avoir réussi la première étape du difficile processus de la réforme pénitentiaire.
S’appuyant sur le taux de réussite à cet examen, élevé par rapport à 2003, le ministre s’est accordé un bon point dimanche 1er août à la prison d’El Harrach, en établissant un lien direct entre les résultats du bac et la politique de la réforme du secteur enclenchée depuis quatre ans. Sentiment qui ne semble pas être partagé par les ONG et les ligues algériennes de défense des droits de l’homme qui continuent à brosser des tableaux noirs sur le traitement réservé aux 40 000 détenus répartis dans les 127 prisons que compte l’Algérie. Le constat que font ces dernières sur les conditions de vie des détenus dans les différents cachots du pays se contredit avec la version officielle. La situation est on ne peut mieux illustrée par la vague de mutineries qui a secoué l’univers pénitenciaire depuis le 2 avril 2002. Pas moins de neuf prisons à travers le territoire national ont été ébranlées par des incendies provoqués par des mutins qui s’insurgeaient contre les conditions «inhumaines» dans lesquelles ils sont «enfermés». La dernière mutinerie remonte au 25 avril dernier à la prison de Béjaïa. Les révoltés se sont plaints des conditions carcérales. La vétusté de ces établissements — dont la plupart datent de l’époque coloniale — et l’absence d’hygiène ont favorisé la prolifération de certaines maladies. Le surpeuplement des cellules les a «stimulées». Des détenus avaient fait les frais de cette onde de protestation : 22 morts à Chelghoum Laïd (Mila), 23 à Serkadji (Alger). Ahmed Ouyahia, ministre de la Justice à l’époque (2002), ignorant carrément les revendications des mutins, avait noué le dossier dans des «lectures» politiques, considérant que cela est le produit de «la mouvance islamiste». Après deux ans, les conclusions des commissions d’enquête diligentées par son département pour élucider l’origine de ces incendies ne sont toujours pas connues. Selon Boudjemaâ Ghechir de la Ligue algérienne des droits de l’homme, elles ont été «bloquées», précisant que la responsabilité est «partagée directement ou indirectement entre l’ensemble des responsables du secteur que ce soit des juridictions ou des établissements pénitenciaires concernés». Dénonçant «l’exclusion» des ligues et ONG des droits de l’homme de la démarche de réforme du secteur de la justice, M. Ghechir relève «la léthargie des responsables» dans le suivi du travail de ces enquêtes. Les conditions de détention sont toujours «catastrophiques et loin des normes mondiales». Les principaux facteurs sont, selon lui, «le recours systématique par les juges d’instruction à la détention provisoire, la lenteur du traitement des dossiers qui traînent souvent 3 à 20 ans dans les tribunaux, le report abusif des affaires ainsi que les erreurs judiciaires qui sont fréquentes». Avec regret, il livre son constat : «Il n’y a aucun changement dans le traitement des prisonniers. C’est vrai qu’il y a une petite amélioration matérielle, mais au niveau carcéral rien ne va pour les détenus.» Farouk Ksentini de la Commission nationale de la protection et de la promotion des droits de l’homme abonde dans le même sens en nuançant un peu. «Nous avons constaté une légère amélioration. Le ministre qui connaît bien le secteur est en train de prendre un rythme qui nous rend optimistes pour l’avenir proche de ce secteur. Ceci dit, certains problèmes se posent toujours dans nos prisons, tels que le surpeuplement», a-t-il souligné. Se prononçant sur les commissions d’enquête sur les mutineries,
M. Ksentini dénonce la lenteur de ces dernières à établir leurs rapports, insistant ainsi sur l’importance «des conclusions de ces enquêtes qui ne devraient pas tarder autant». Mokhtar Felioune, directeur de l’administration pénitentiaire au ministère de la Justice, dit que «le suivi du travail de ces commissions ne se fait pas par le ministère mais par les juridictions compétentes. Ce sont des enquêtes judiciaires qui dépendent de tous les parquets territorialement compétents». Quant aux critiques des défenseurs des droits de l’homme, de la démarche de la réforme entreprise par le ministère, M. Felioune dit avoir «associé tous les acteurs du secteur et toutes les compétences capables d’apporter leur contribution». Selon lui, les portes sont ouvertes à tous ceux «qui veulent participer dans ce processus, que ce soit une ligue ou une ONG peu importe. Notre seule préoccupation est de mener à bien cette réforme».
Par Mokrane Aït Ouarabi