Mourad Dhina, l’ex-membre du FIS qui dérange le régime algérien
14 mars 2012
http://www.slateafrique.com/84001/mourad-dhina-fis-incarcere-prison-alger-bouteflika
Cet ancien dirigeant du Front islamique du salut, domicilié en Suisse depuis 20 ans, a été incarcéré à la prison parisienne de la Santé le 16 janvier au lendemain d’un week-end passé dans la capitale française avec des opposants au gouvernement algérien. L’Algérie le veut.
L’Algérie réclame Mourad Dhina à la France. Agé de 51 ans, cet ex-responsable du Bureau exécutif du Front islamique du salut (FIS) à l’étranger, a été incarcéré le 16 janvier à la prison de la Santé, à Paris, dans le cadre d’un mandat d’arrêt international lancé par la justice algérienne. La police française l’a arrêtée le jour-même à l’aéroport d’Orly alors qu’il s’apprêtait à embarquer pour Genève. Cet opposant déclaré au gouvernement algérien réside depuis 20 ans en Suisse, à Meyrin, dans la banlieue genevoise.
Les faits qui lui sont reprochés, que l’intéressé nie avoir commis, se seraient produits à la fin des années 1990. Selon Alger, Mourad Dhina aurait acheté aux Etats-Unis, pour 52 000 dollars, un avion destiné à des groupes terroristes islamiques algériens. L’appareil aurait été stationné sur un aéroport du Tessin, la partie italophone de la Suisse. Cette accusation lui a valu, en Algérie, une condamnation par contumace à la perpétuité.
Refuge en Suisse
La justice fédérale helvétique, de son côté, s’est penchée sur le cas Dhina à partir de 1993, un an après le début de la guerre civile en Algérie qui fera des dizaines de milliers de morts. Cette année-là, ce chercheur en physique des particules travaille au Centre européen de recherche nucléaire (CERN) de Genève, mais réside en France voisine, à Saint-Genis-Pouilly, dans l’Ain. Il échappe de peu à un coup de filet de la police française – Charles Pasqua étant ministre de l’intérieur –, effectué dans la fourmilière islamiste algérienne. Il n’est pas à son domicile lorsque des agents s’y présentent pour l’interpeller.
Il se réfugie à Meyrin, en Suisse, laquelle ne lui accordera jamais l’asile politique mais acceptera de l’héberger sur son sol. Diplômé du prestigieux institut de technologie américain MIT, il enseigne également, à cette époque, à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich. Au début des années 2000, la justice algérienne demande son extradition à la Confédération helvétique. Berne n’accédera pas à la requête qui fait suite à une condamnation, par contumace également, à 20 ans de prison pour des faits de terrorisme – une autre affaire que celle pour laquelle il est incarcéré à la Santé.
Pour un renversement «non-violent» du régime algérien
Mourad Dhina a démissionné du FIS en 2004 et fondé en 2007 le mouvement Rachad (la droiture), qui appelle au renversement « non violent » du régime algérien. Il tire ses revenus de ses activités au sein d’Alkarama (la dignité), une ONG qui se dit dédiée à la défense des droits de l’homme dans les pays arabes, dont il est le directeur exécutif. Il avait passé le week-end des 14 et 15 janvier derniers avec des membres de Rachad à Paris lorsqu’il a été appréhendé le lendemain à l’aéroport d’Orly. Il se rendait régulièrement dans la capitale française pour de telles rencontres.
Dans une lettre datée du 26 janvier dernier et adressée au procureur général de Paris, Monique Boget, la maire de Meyrin, dit son «émotion» suite à l’incarcération, le 16, de Mourad Dhina. Elle affirme « qu’il a toujours manifesté un grand respect pour nos institutions (suisses et genevoises, ndlr) » et relève que « La famille Dhina s’est intégrée dans notre collectivité». Ratiba Dhina a rendu visite à son mari les 23 et 24 février à la prison de la Santé. «Il partage sa cellule avec deux autres prisonniers, il est serein mais je suis inquiète: il risque la torture et un procès inéquitable s’il extradé vers l’Algérie», dit-elle.
Le couple Dhina a six enfants, quatre garçons et deux filles, tous suisses. L’aîné est ingénieur en microtechnique, diplômé de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne; l’une des filles suit des études de médecine à Genève. «Je suis membre de deux associations locales, la ludothèque et celle des habitants de la ville de Meyrin, explique Ratiba Dhina. Je suis par ailleurs salariée de l’Association culturelle musulmane meyrinoise.» De nationalité algérienne comme son mari, elle a entamé une procédure de naturalisation helvétique.
L’homme qui dérange le pouvoir algérien
Le 21 mars, la chambre de l’instruction de la cour de Paris statuera sur la demande d’extradition visant Mourad Dhina. A l’approche des élections législatives algériennes du 10 mai, et dans le contexte des révolutions arabes, les appels au boycottage du scrutin du « Dr Dhina », relayés par Rachad.tv, gênent le pouvoir algérien.
La France pourrait ne pas extrader cet opposant islamiste, présenté par ses amis comme un Erdogan algérien, du nom du premier ministre turc, en raison des mauvais traitements qu’il risquerait de subir en Algérie. Son avocat à Paris, Me Antoine Comte, par ailleurs défenseur de la famille d’Ali Mécili, opposant au régime algérien assassiné en 1987 dans la capitale française, se garde pourtant de tout optimisme et estime que la période électorale que vit la France ne permet ni à la droite ni à la gauche d’«insulter l’avenir»:
«Il est significatif, dit-il, que l’Algérie demande à la France, qui entretient avec son partenaire algérien des relations contraintes, l’extradition de mon client pour des faits qui se seraient produits en Suisse. Il serait plus logique qu’elle s’adresse aux autorités helvétiques, comme elle l’avait fait au début des années 2000.»
Il reviendrait in fine au premier ministre, aujourd’hui François Fillon, de signer le décret d’extradition, décision pouvant être attaquée devant le Conseil d’Etat.
En incarcérant Mourad Dhina, on peut supposer que la justice française, et derrière elle une partie de l’Exécutif, cherche à obtenir une contrepartie d’Alger. Un aide, par exemple, en vue de la libération des otages français retenus au Sahel par des ravisseurs se réclamant d’Al-Qaïda au Maghreb islamique. Dans l’écheveau complexe des relations franco-algériennes, toutes les hypothèses sont ouvertes.
Antoine Menusier