La France va-t-elle extrader un opposant vers l’Algérie ?
Pierre Puchot, Mediapart.fr, 21 mars 2012
C’est une affaire qui dit beaucoup des rapports particuliers qu’entretiennent les gouvernements français et algérien. Ce mercredi après-midi au Palais de justice de Paris, s’est tenue l’audience concernant la demande d’extradition de Mourad Dhina adressée par les autorités algériennes à la France. Un opposant politique que la Suisse protège, elle, depuis la fin des années 1990.
Arrêté lundi 16 janvier 2012 à l’aéroport de Paris-Orly, en provenance de Suisse, où il réside depuis 1993, Mourad Dhina, 42 ans, fait l’objet d’une demande d’extradition fondée notamment sur son appartenance supposée à un groupe terroriste armé qui aurait agi en Suisse dans les années 1997-1999.
Qui est Mourad Dhina ? Adhérent du Front islamique du salut (FIS) au lendemain de sa dissolution en 1992 par les autorités algériennes, il quitte ce parti en 2004, mais ne cessera de dénoncer l’interruption du processus électoral par les autorités algériennes, en 1991, et les dérives de la dictature. Dans ce but, il est l’un des fondateurs du mouvement Rachad – qui milite pour le changement démocratique en Algérie – et dirige la fondation suisse Alkarama qui œuvre à la promotion des droits de l’homme dans le monde arabe.
Depuis son arrestation à Paris, Mourad Dhina demeure détenu à la prison de la Santé à Paris. Le 15 février, la chambre d’instruction de la Cour d’appel a rejeté la demande de mise en liberté déposée par l’avocat de l’opposant algérien, Antoine Comte.
Lors de l’audience ce mercredi à la chambre d’instruction du Palais de justice, la Cour et l’avocat général lui-même ont relevé plusieurs incohérences et manques au dossier, dont une discordance de dates à laquelle auraient eu lieu les faits reprochés à Mourad Dhina par les autorités algériennes : entre 1997 et 1999 selon la demande d’extradiction, mais de 1999 à 2002 selon le jugement par contumace qu’elle contient. Mourad Dhina affirme lui-même ne pas savoir précisément pourquoi il a été condamné, par deux fois en Algérie, à 20 ans de prison ferme puis à une peine d’emprisonnement à perpétuité.
Ancien chercheur du CERN, prestigieuse organisation européenne pour la recherche nucléaire basée à Genève, Mourad Dhina bénéficie aujourd’hui du soutien actif du comité «freemourad», qui regroupe plusieurs personnalités du monde universitaire et intellectuel, comme le Français Olivier Roy, l’opposant tunisien Ahmed Manaï, ou l’éditeur François Gèze, PDG des éditions La Découverte et auteur d’un texte au titre évocateur : «Mourad Dhina, l’opposant algérien victime de la « françalgérie » ?». Collectif qui décrit Mourad Dhina comme un opposant certes déterminé au régime algérien, mais aussi comme un personnage modéré.
«Risque d’être exposé à la torture»
Dix ONG, dont la fédération internationale des droits de l’homme, ont par ailleurs fait parvenir une lettre au premier ministre François Fillon, pour demander la libération de l’opposant algérien. Une pétition pour sa libération a recueilli plus de 1200 signatures. Le comité de soutien de Mourad Dhina considère que l’extradition de l’opposant vers l’Algérie «constituerait une violation de la loi française et des conventions internationales qui interdisent strictement toute extradiction d’opposants politiques vers des pays qui, comme l’Algérie, pratiquent la torture». Dans un communiqué publié le 16 mars, Amnesty international appelle «instamment les autorités françaises à rejeter la demande des autorités algériennes d’extrader Mourad Dhina, ressortissant algérien résidant en Suisse, vers l’Algérie où il risque d’être exposé à la torture et à d’autres mauvais traitements.»
La pratique de la torture dans le pays qui sollicite l’extradition constitue bel et bien un motif juridique pour rejeter cette demande, nous a-t-on fait savoir à la cour d’appel de Paris.
En Suisse, Mourad Dhina a fait l’objet, selon son avocat maître Comte, d’une surveillance active des autorités de 1994 à 2000. Les services de renseignements suisses n’ont cependant rien trouvé de concret et ont refusé la demande d’extradiction qui leur a été soumise en 2001 par les autorités algériennes. C’est l’un des éléments qui conduisent l’avocat à considérer cette affaire comme «politique». La Suisse, où Mourad Dhina réside avec sa femme et ses six enfants, a en effet octroyé à l’opposant algérien la jouissance d’un titre de séjour catégorie «F», réservé aux résidents à protéger, et dont l’extradition s’avère «inexigible».
La décision du tribunal sur la demande de «complément d’information», selon la requête formulée par l’avocat général, ou le rejet pur et simple de la demande d’extradition, comme le souhaite la défense, a été mise en délibéré au 4 avril. Celle sur la remise en liberté de Mourad Dhina devait intervenir dans la soirée de mercredi.
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