Algériens en situation irrégulière en Allemagne

Algériens en situation irrégulière en Allemagne

Les services consulaires sous pression

El Watan, 14 mars 2016

L’opération d’identification des ressortissants algériens en situation irrégulière en Allemagne soumet à rude épreuve les services consulaires depuis la mise en branle d’une «turbo-procédure» d’expulsion par le gouvernement Merkel.

Quelque 1500 à 2100 personnes en situation irrégulière, ayant rejoint le territoire allemand entre 2015 et 2016, vont être reconduites vers l’Algérie. Le rapatriement sera assuré par Berlin qui veut s’en débarrasser rapidement, à raison de 30 personnes embarquées sur des vols réguliers, tel que prévu par l’accord algéro-allemand signé en 2006. Ils sont quelque 2100 Algériens — 1500 selon une source diplomatique algérienne — à être considérés comme des migrants clandestins et concernés par l’expulsion de l’Allemagne vers l’Algérie.

La différence entre les deux chiffres s’explique par «ces 600 présumés Algériens qui posent un problème d’identification, étant donné qu’ils sont détenteurs de faux papiers, ce qui nécessite l’ouverture d’une enquête pour chacun d’entre eux. Les 1500 autres ont pour la plupart rejoint l’Allemagne à partir de pays européens, particulièrement la France où ils vivaient avec de faux papiers après l’expiration du délai des visas qu’ils avaient obtenus pour rejoindre l’Europe.

Du coup, ils se sont retrouvés dans une situation de harraga. Donc ils ont rejoint l’Allemagne, parce que c’est le pays européen qui est le plus ouvert en matière d’aide aux migrants, surtout depuis la crise syrienne». «Manque de pot», disent nos interlocuteurs, les agressions sexuelles de Cologne, lors des fêtes de fin d’année (2015) ont changé la donne en raison de la présence de Maghrébins parmi les auteurs, notamment des Algériens.

Les autorités germaniques ont décidé, sous la pression d’une opinion publique de plus en plus hostile aux migrants, d’expulser au plus vite, dans le cadre de ce qui est qualifié de «turbo-procédure», tous les ressortissants algériens en situation irrégulière, rentrés en Allemagne durant l’année 2015, y compris ceux ayant introduit une demande de droit d’asile et qui ne l’ont pas obtenu.

Pour les autorités allemandes, «l’Algérie est un pays sûr». Le renvoi des Algériens vers leur pays «n’est pas en contradiction» avec les engagements européens en matière de droits de l’homme. D’ailleurs, cette décision a été bien explicitée par la chancelière allemande, lors de la visite du Premier ministre, Abdelmalek Sellal, en Allemagne, tout en rappelant l’accord signé entre les deux pays en 2006, resté encre sur feuille. Selon la chancelière, «des Algériens sont venus illégalement en grand nombre en Allemagne ces derniers temps».

Raison pour laquelle la plus grande partie de sa rencontre à Berlin avec son homologue algérien a été consacrée aux négociations autour du rapatriement collectif de ces migrants. Les négociations entre les deux parties «ont été très serrées». D’un côté, des autorités allemandes pressée de se débarrasser de tous les migrants à travers la mise en place de ce qu’elles qualifient de «turbo-procédure» en affrétant des vols charters et, d’un autre côté, un gouvernement algérien qui se montre prudent face à ce déferlement d’illégaux, dont beaucoup ont de fausses pièces d’identité.

Pas plus de 30 migrants rapatriés par vol

«Le gouvernement a exigé la vérification de chacun des migrants avant qu’ils ne soient rapatriés, et ce, dans le cadre de la mise en application de l’accord algéro-allemand de 2006 qui définit toutes les mesures afférentes au rapatriement des Algériens vivant en Allemagne en situation illégale. Le rapatriement en gros, à bord de vols charters affrétés par Berlin, a été rejeté et considéré inacceptable. D’abord pour des raisons de sécurité mais aussi humanitaires.

Les deux parties se sont mises d’accord sur la nécessité de vérifier l’identité de chacun des migrants et de faire en sorte de ne les renvoyer en Algérie qu’une fois cette procédure achevée. Leur transfert par voie aérienne est prévu dans les clauses de l’accord de 2006. Il doit se faire à bord des vols ordinaires de compagnies qui assurent les liaisons entre les deux pays et c’est à la partie allemande de prendre en charge les frais de ce transfert, tel que défini dans l’accord signé entre les deux pays en 2006», expliquent nos sources.

En fait, l’accord en question a été signé en 1997 à Bonn, puis ratifié par l’Algérie, en février 2006. Il stipule clairement que la reconduite des ressortissants algériens en situation illégale s’effectue par voie aérienne, sur des vols réguliers, et pour un nombre de personnes ne pouvant dépasser 30 à la fois par vol, compte tenu des contraintes de sécurité, que le coût de ces opérations jusqu’aux frontières de l’Etat destinataire, incombe à la partie allemande.

Il précise également qu’à chaque fois que la sécurité aérienne l’exige, les personnes reconduites seront accompagnées par un personnel de sécurité spécialisé. De même qu’il est souligné (dans son article 1er), que «les autorités algériennes réadmettent les ressortissants algériens séjournant de manière illégale sur le territoire allemand, même lorsque ceux-ci ne sont pas en possession d’un passeport ou d’une carte d’identité valide à condition qu’il soit prouvé ou démontré de manière crédible que lesdites personnes possèdent la nationalité algérienne».

«Au cas où celles-ci n’ont aucun document qui prouve leur nationalité, ce sont les autorités consulaires algériennes qui doivent procéder, sans délai, à une audition du présumé dans les établissements pénitentiaires ou les centres de refoulement (…) Lorsque la partie allemande se trouve en possession d’autres moyens de preuve ou d’établissement de la vraisemblance, elle fera parvenir ceux-ci sans délai à la partie algérienne. Si cette dernière ne se voit pas en mesure d’accepter les moyens de preuve ou d’établissement de la vraisemblance présentés, elle en informera, sans délai, les autorités compétentes de la partie allemande».

Mieux, dans le cas où la partie allemande ne confirme pas la nationalité de la personne reconduite, elle réadmet celle-ci sans formalité et sans délai. Il est par ailleurs précisé que les deux parties passent à la négociation «dans le cas où la partie algérienne estime que le nombre des personnes remises dont la nationalité n’a pas été confirmée est élevé, dans le cas où la partie allemande trouve que les délais pour la délivrance des documents de voyage ne permettent pas l’accomplissement des objectifs fixés».

L’article 7 permet à l’Algérie de suspendre provisoirement la procédure de réadmission, si elle considère que sa mise en œuvre n’est pas conforme à l’esprit et à la lettre de l’accord. Autant de dispositions que la partie allemande s’empresse de mettre en exécution dans les plus brefs délais. Ce qui a «fortement bousculé» les services du consulat général de Frankfurt, affirment nos sources.

Et de déclarer : «Depuis quelque temps déjà, les services consulaires font face à des demandes de plus en plus nombreuses d’obtention de passeports d’une année, afin de régulariser leur situation à travers le mariage qui reste l’unique possibilité pour les migrants illégaux d’échapper au rapatriement, notamment depuis la mise en place de la turbo-procédure d’expulsion par les autorités allemandes. Le problème, c’est que celles-ci sont débordées et veulent assainir la situation des migrants clandestins rapidement.

Elles veulent accélérer les procédures d’identification à cause de la circulation des faux papiers. Elles ont même proposé à l’Algérie une aide technique à travers le recours à un matériel d’identification des empreintes digitales. Or, l’Algérie ne dispose malheureusement pas d’un fichier de toutes les empreintes digitales des Algériens. Le fichier biométrique ne concerne qu’une infime partie de la population. Les Allemands se sont résignés à suivre le rythme des services consulaires algériens, habitués à travailler au ralenti», révèlent nos interlocuteurs.
Salima Tlemçani