Les Etats du Maghreb sentinelles de l’UE
Par Kharroubi Habib, Le Quotidien d’Oran, 11 octobre 2005
Ce qui se passe aux portes des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla et à la frontière entre le Maroc et l’Algérie est choquant, révoltant. Fuyant les enfers que sont leurs pays respectifs, des cohortes de migrants de la zone subsaharienne sont pris au piège de la raison d’Etat que l’Espagne, le Maroc et l’Algérie se rejettent mutuellement. Une raison d’Etat qui ne s’embarrasse pas de considérations humanitaires et donne libre cours aux atteintes les plus révulsantes aux droits élémentaires des paumés qui en sont victimes.
Les Espagnols traquent et refoulent impitoyablement ces naïfs Africains qui, au prix de leur intégrité physique, cherchent à forcer l’accès à leurs enclaves africaines, portes pour eux de l’eldorado européen qui hante leurs rêves et leurs illusions. Pour s’attirer à d’autres fins les bonnes dispositions de l’Europe, les autorités marocaines se sont subitement muées en gardes-frontières avancés de cette Europe, usant de procédés dissuasifs sur lesquels elle ferme pudiquement les yeux, du moment que cela ne se déroule pas dans le territoire de l’un de ses Etats membres.
Pourchassés, ignoblement traités, les migrants clandestins africains sont refoulés manu militari aux frontières sud entre le Maroc et l’Algérie. Ils errent sans aucun secours dans un no man’s land désertique parce que l’Algérie refuse que son territoire serve de réceptacle aux malheureux expulsés par le Makhzen chérifien.
Le mauvais rôle dans ce drame humanitaire, ce sont les Etats maghrébins qui le jouent, étant mis en demeure de faire la preuve qu’ils sont aptes à assumer les engagements induits par leur candidature à l’intégration économique dans l’ensemble européen.
Mais le traitement infligé par ces Etats aux migrants africains n’est pas de ceux qui rehaussent leur prestige dans l’opinion africaine. Largement diffusées par les médias satellitaires, commentées négativement et dénoncées par les organisations humanitaires internationales, les scènes de cette chasse à l’homme qui a pour cibles des citoyens de l’Union africaine sont accablantes du peu de cas réservé à la dignité de citoyens de pays «frères et amis».
Les Etats du Maghreb dont les territoires sont devenus le lieu de passage de l’exode africain vers l’Europe, ont-ils pour cela vocation à être les sentinelles des frontières européennes ? C’est assurément ce que l’UE voudrait qu’ils soient en contrepartie de quelques concessions bassement mercantiles. L’empressement des Etats européens à vouloir intégrer les pays du Maghreb dans leur système de protection contre l’immigration clandestine est plus significatif, plus visible que celui qu’ils apportent à négocier avec eux et d’autres pays africains les conditions et les moyens de juguler cette immigration par le tarissement progressif des causes qui en sont à l’origine.