Amnesty, l’Europe et le «sale boulot»
Par M. Saâdoune, Le Quotidien d’Oran, 27 octobre 2005
Les conclusions d’une mission de dix jours d’Amnesty International en Espagne et au Maroc sur la manière dont sont traités les migrants africains n’honorent ni Rabat ni Madrid, et encore moins l’Europe.
Dans ce dossier où chacun a tenté d’accuser les autres et où le Maroc s’est retrouvé piégé dans une gestion chaotique, Amnesty remet les pendules à l’heure. Elle confirme l’ampleur des atteintes aux droits humains caractérisées commises contre les migrants aux frontières de l’Europe et le fait que «personne ne veut en prendre la responsabilité». Le catalogue des atteintes est large: usage disproportionné de la force, déportation dans des zones désertiques, près de la frontière algérienne, sans eau ni nourriture, arrestations touchant même les demandeurs d’asile politique.
Le rapport est en tout cas suffisamment édifiant tant pour l’établissement des faits que pour l’analyse du fond du problème. A telle enseigne que les accusations des responsables marocains contre l’Algérie paraissent bien n’être que des tentatives délibérées de créer une diversion sur leurs responsabilités dans la gestion de cette crise.
Le rapport d’Amnesty International insiste avec force sur la responsabilité de l’Europe dont les politiques, centrées sur le contrôle de l’immigration illégale et les pressions économiques et politiques exercées sur les pays voisins afin qu’ils «ne laissent entrer personne en Europe», sont d’une certaine manière à la base des atteintes aux droits de l’homme.
Sans nier la difficulté du problème, on ne peut que partager les vues de l’ONG sur la nocivité fondamentale des réponses exclusivement sécuritaires. La crise vécue ces dernières semaines à Ceuta et Melilla l’a illustré de fort triste manière. Des migrants illégaux, mais aussi des demandeurs d’asile dûment enregistrés par le HCR ont été renvoyés dans le désert, loin de cette Europe, qui s’est, à son tour, silencieusement détournée d’un Maroc totalement empêtré dans la crise.
Le mérite d’Amnesty est d’insister avec force sur la responsabilité de l’Europe. La politique qui consiste à laisser les pays du Maghreb s’occuper du «sale boulot» sécuritaire est inacceptable. Et au demeurant désastreuse pour l’image du pays maghrébin qui accepte de l’assumer. Le Maroc, en acceptant avec légèreté de le faire, n’y gagne rien. Juste l’image détestable d’un pays qui ne s’embarrasse pas des droits élémentaires des migrants et un alourdissement, inutile, du contentieux avec son voisin algérien.
On peut même se demander quel intérêt avait le Maroc à la réactivation d’un accord non appliqué avec l’Espagne, permettant l’expulsion de non-Marocains vers son territoire. Même si le rapport d’Amnesty est très critique vis-à-vis du Maroc, il comporte une analyse de fond qu’il gagnerait à faire sienne. Faire en sorte que les droits des individus les plus pauvres du monde soient préservés et surtout ne pas essayer de faire des calculs politiciens dont le seul effet est de permettre à l’Europe de fuir ses responsabilités.
L’Europe doit trouver des solutions collectives au problème qu’elle a contribué à créer, c’est le message d’Amnesty. Et il est juste, ce message.