Rencontre euro-africaine sur la migration aujourd’hui à Rabat
Rencontre euro-africaine sur la migration aujourd’hui à rabat
Alger dénonce “une conférence-spectacle”
Samia Lokmane, Liberté, 10 juillet 2006
Selon des sources diplomatiques, il s’agit d’une “conférence-spectacle” visant à transformer les pays africains en relais en matière de répression des flux migratoires.
Aujourd’hui s’ouvre à Rabat la conférence ministérielle euro-africaine sur les migrations et le développement. Cette manifestation de deux jours, la première du genre rassemblant les deux continents, est co-organisée par le Maroc et l’Espagne. La France y prend part également en qualité de partenaire principal. Il s’agira pour les participants “de trouver des solutions concrètes, efficaces et durables au défi des flux migratoires grâce à une approche commune, globale et équilibrée”. Cet objectif, défendu par nos voisins de la rive nord de la Méditerranée, recèle néanmoins une grande part d’égoïsme. Ayant à s’encombrer de l’arrivée massive des immigrants clandestins, ils n’ont qu’un but, endiguer ce flux et notamment grâce à la coopération des pays pourvoyeurs et de transit avec la mise en place de camps de concentration. Or, tous les États africains ne sont pas d’accord pour jouer au gendarme au service du Vieux Continent. Tout en étant elle-même confrontée au problème de l’immigration clandestine, l’Algérie n’entend guère devenir le relais des politiques européennes. L’absence d’humanité dans le traitement de ce problème, le recours exclusif à la répression par des pays comme la France et l’Espagne, pis la discrimination en matière de sélection des migrants sont les réserves l’ayant amenée à boycotter la conférence de Rabat. En avril dernier, alors que le Maroc et le royaume ibérique étaient au cœur d’une vaste opération de marketing en prévision de ce rendez-vous, Abdelkader Messahel, ministre délégué aux Affaires maghrébines, annonçait la défection des responsables algériens. Cette révélation était faite au lendemain de la tenue à Alger d’une réunion d’experts africains sur l’immigration clandestine venus d’une soixantaine d’États. Une telle rencontre devait servir de préalable à la tenue d’une conférence qui, bizarrement, porte le même intitulé que celle ayant lieu à Rabat aujourd’hui et demain. Cependant, il semble bien que c’est l’unique similitude entre la démarche aboutie des Marocains et des Espagnols et l’initiative avortée des Algériens. “Il serait vain de croire que le phénomène migratoire, la migration illégale en particulier, puisse être traité efficacement par le seul recours à des mesures restrictives et unilatérales, surtout si elles sont basées sur le tout sécuritaire”, avait signifié M. Messahel. Encourageant l’option de l’aide au développement, l’Algérie et ses partenaires de l’UE avaient préconisé, dans une déclaration finale, la mise en œuvre de l’engagement des pays développés à allouer 0,7% de leur PNB à l’aide publique au développement des pays d’origine et de transit des migrants.
Avec ses 26 millions de migrants, le continent noir est une réserve inépuisable de clandestins qui, en dépit de l’acharnement des pays européens à les contenir, à travers la fermeture de certains couloirs traditionnels comme celui de Gibraltar, font tout pour réaliser leur rêve, quitte à devenir les acteurs de véritables drames. L’indifférence à leur calvaire et à leur sort est sans doute la principale raison qui, selon l’Algérie, ôte à la conférence de Rabat toute crédibilité. Des sources diplomatiques parlent de “conférence-spectacle”. Du côté des organisateurs, on s’enorgueillit surtout du nombre des participants. Outre 28 pays africains dont 8 désignés dans le comité directeur, la Tunisie, la Libye et le Sénégal, le Congo, le Nigeria, le Niger, le Mali, des représentants de 30 États d’Europe sont attendus ainsi que des délégués d’institutions et d’organisations comme la Commission européenne, l’Union africaine et des ONG. Selon toute vraisemblance, la liste des invités n’a pas été mise à jour. Pour preuve, l’Algérie y figure toujours en dépit de son désistement. Au terme de deux jours de discussions, les participants doivent entériner une déclaration générale et un plan d’action. Les revendications des pays africains y trouveront-elles une place ? La règle du consensus sera-t-elle appliquée ? À Alger, on ne se fait guère d’illusions. “Ce n’est pas en deux jours que le problème de l’immigration clandestine sera réglé”, ironise notre source. Selon elle, les pays qui parrainent la conférence ont été choisis “sur la base de connivence politique”. Connus comme étant les alliés traditionnels du royaume alaouite, Paris et Madrid veulent faire de cet État leur porte-parole auprès des autres pays d’Afrique, en quelque sorte le promoteur de leur stratégie en la matière. “Ils comptent régler le problème par le verrouillage des accès. Il n’y a qu’à voir les moyens colossaux déployés sur la côte atlantique”, observe notre source. En termes crus, elle note que “l’Espagne découvre l’Afrique noire à travers la répression et l’expulsion de ses migrants”. De son côté, l’Hexagone trie les candidats selon la fameuse formule de l’immigration choisie. Chez nous, le concept est qualifié de “discriminatoire” contribuant à “l’érosion des compétences africaines”.
S. L.
Abdelkader Messahel à liberté
“On ne doit pas utiliser la migration de manière politicienne”
Par : Samia Lokmane, Liberté, 10 juillet 2006
Très sceptique sur les résultats de la conférence, le ministre délégué chargé des Affaires maghrébines et africaines espère néanmoins qu’elle aboutira à “des recettes miraculeuses”.
Liberté : L’Algérie ne va pas prendre part à la conférence ministérielle euro-africaine sur la migration et le développement qui s’ouvre aujourd’hui à Rabat. Quelles sont les raisons de cette défection ?
Abdelkader Messahel : Le fait est que ce problème des migrations est un phénomène qui touche directement un grand nombre de pays et dont les solutions requièrent la coopération de l’ensemble des pays concernés. Ce n’est pas un phénomène qui doit être utilisé çà et là pour des raisons de politique interne et de politique politicienne. Il s’agit d’un phénomène dont la prise en charge dépasse les capacités d’un seul pays, et ne peut de toute évidence s’accommoder d’initiatives unilatérales. L’Algérie est l’un des pays africains confrontés à ce problème dans ses différentes dimensions. Elle a constamment manifesté sa volonté et sa disponibilité à le traiter dans un cadre organisé et concerté et également dans le cadre d’une approche globale, intégrée, équilibrée et cohérente. La conférence à laquelle vous faites référence n’a été inscrite par ses promoteurs ni dans l’esprit ni dans l’objectif de cette démarche. Elle répond à une logique de portée limitée. Ce qui a poussé notre pays à ne pas y prendre part. Il n’en reste pas moins que je souhaite que cette conférence parvienne à nous suggérer des recettes miraculeuses pour éradiquer ce phénomène au soir de la clôture de ses travaux.
L’Algérie défend la position africaine concernant la migration et le développement. Quelles sont ses principales revendications ?
Du fait de sa situation géographique stratégique, notre pays est devenu aujourd’hui un pays d’origine, de transit et de destination des migrants originaires de pays frères situés principalement à nos frontières sud, mais également de pays lointains tels que le Pakistan, le Sri Lanka ou encore l’Inde ou l’Indonésie. Nous avons actuellement plus de quarante-deux nationalités sur notre territoire. C’est dire combien nous sommes concernés par ce problème et conscients de la complexité de ses dimensions légales et clandestines. Il est erroné de penser un seul instant que nous pourrions nous désintéresser de tout ce qui se dit ou se fait dans notre région pour sa prise en charge adéquate.
Nous entendons lutter contre la migration illégale et les réseaux maffieux qui l’encouragent et l’exploitent et promouvoir la coopération régionale et internationale à cette fin. Mais, en même temps, nous prônons une approche réaliste et pragmatique qui ambitionne de proposer des solutions viables et durables en s’attaquant aux causes véritables et non seulement à ses manifestations extérieures. Nous pensons que ces causes sont intimement liées à la question du développement et à l’absence d’opportunités d’emplois et de perspectives d’épanouissement pour un grand nombre de personnes. C’est dans cette logique que nous inscrivons notre démarche.
Les principaux partenaires de la conférence de Rabat, en l’occurrence l’Espagne et la France, font de la migration choisie, de la répression des flux migratoires et de la réadmission des clandestins dans leurs pays d’origine, leur priorité. Or, ce genre d’actions n’est pas pour plaire aux autorités algériennes. Quels sont exactement vos reproches ?
Il ne s’agit pas de reproches mais davantage de divergences sur les voies à suivre pour faire face efficacement à un grave problème humain, social, économique et sécuritaire qui nous interpelle collectivement et dont la prise en charge passe nécessairement par le chemin du dialogue et de la coopération dans un véritable esprit de partenariat et de complémentarité. Les flux migratoires de l’Afrique vers le reste du monde demeurent encore marginaux par rapport à l’importante mobilité intérieure, transfrontalière et transrégionale des populations vivant sur le continent africain. S’il faut donner quelques chiffres, il est à signaler qu’ils sont plus de 17 millions d’Africains migrants en Afrique même, alors que les migrants originaires de la région subsaharienne vers, à titre d’exemple, le territoire espagnol, ne représentent pas plus de 1% provenant d’Amérique latine, 15% du Maroc ou encore 9% venant de l’Europe de l’Est.
Notre conviction est que les politiques tendant à centrer les efforts et la coopération régionale et internationale sur des initiatives de portée limitée telles que le contrôle des routes migratoires, la régionalisation du droit d’asile, l’externalisation des frontières de l’espace européen, la création de zones tampons aux frontières de l’Europe, ou encore l’utilisation des seules ressources financières transférées par les migrants et la diaspora ne s’adressent pas aux causes profondes des mouvements migratoires qui nous préoccupent. Notre sentiment est qu’il faut travailler ensemble au tarissement rapide des principales sources de migration, et cela ne peut se faire que par une approche novatrice de la question du développement et de la responsabilité des pays développés dans l’accompagnement effectif des pays émetteurs de migrants dans la recherche de solutions durables à ce problème.
Quant à la politique de la migration choisie, il ne s’agit ni plus ni moins que d’un nouveau pillage organisé des compétences de l’Afrique et des pays en développement en général. Aux yeux des tenants de cette politique, l’Afrique reste, malheureusement, le gisement qu’elle a toujours été, d’abord de tirailleurs pour les besoins des guerres européennes, ensuite d’ouvriers pour les nécessités de la reconstruction de l’Europe et aujourd’hui des compétences pour soutenir la prospérité de ce même continent. La vérité est que cette politique enfonce davantage l’Afrique dans le sous-développement au moment où celle-ci a besoin plus que jamais de ses compétences.
Comment l’Union africaine et l’Algérie tout particulièrement comptent-elles procéder pour faire admettre aux pays européens que la gestion de la question migratoire doit dépasser la politique du tout sécuritaire ?
Nous pensons que le phénomène des migrations légales et illégales va se développer rapidement et à grande échelle. Si la tendance actuelle se maintient, un migrant sur cinq sera africain à l’horizon 2025. C’est pourquoi nous privilégions une approche qui s’attaque aux principales causes alimentant ce phénomène, à savoir la pauvreté et le sous-développement. C’est l’approche que l’Union africaine a retenue lors de son septième sommet qui vient de se terminer à Banjul en Gambie et ce, sur la base des travaux menés par la réunion des experts africains de haut niveau que notre pays a abritée au mois d’avril dernier. À travers cette position globale, intégrée, équilibrée et cohérente, l’Afrique entend poser le problème des migrations en des termes objectifs à même de faire de la migration une source d’enrichissement mutuel et non un facteur de tension, d’instabilité ou de négation des droits de l’homme et des libertés fondamentales de millions, voire de centaines de millions de personnes.
En fait, c’est la première fois que l’Afrique se dote d’une position commune sur cette question sensible. Elle a ainsi jeté les prémisses d’une diplomatie commune sur une question d’intérêt avéré pour le continent. L’Afrique entend promouvoir cette position commune dans le cadre d’un dialogue de haut niveau que l’ONU organise à New York en septembre prochain. Elle a décidé d’en faire de même dans la perspective du dialogue projeté avec l’Union européenne autour de cette question et notamment en prévision de la réunion ministérielle Afrique-Europe convenue à cette fin, ainsi que dans ses relations avec les autres continents.
S. L.
Erratum
Par : Rédaction de Liberte, 11 juillet 2006
Une malencontreuse transcription de l’interview de M. Abdelkader Messahel, ministre délégué aux Affaires maghrébines et africaines, parue dans l’édition d’hier, a déformé une partie de la réponse du ministre sur le nombre de migrants en partance vers l’Europe.
Il fallait lire : “Les migrants originaires des pays de la région subsaharienne vers, à titre d’exemple, le territoire espagnol ne représentent pas plus de 1% du total des migrants illégaux recensés dans ce pays en 2005, contre 75% provenant de l’Amérique latine, 15% du Maroc ou encore 9% venant de l’Europe de l’Est”.
Toutes nos excuses à nos lecteurs et aux concernés.