Le Maroc est accusé d’avoir abandonné des immigrés africains dans le Sahara occidental

Le Maroc est accusé d’avoir abandonné des immigrés africains dans le Sahara occidental

Le Monde, 16 octobre 2005

« Les Marocains ont abandonné des centaines d’immigrés subsahariens dans la zone de Bir Lahlou -à 250 kilomètres au sud-ouest de la ville algérienne de Tindouf- au Sahara occidental. C’est une région désertique où la densité de mines est très élevée. Ils sont en danger de mort. Nous avons récupéré environ 80 personnes, jeudi 13 et vendredi 14 octobre. qui sont en cours d’acheminement vers Tindouf. Toutes nos unités militaires sont mobilisées pour tenter de retrouver les autres », a indiqué, vendredi dans l’après-midi, le représentant du Front Polisario en France, Sadafa Bahia. Quelques heures auparavant, l’agence de presse des indépendantistes sahraouis avait publié des témoignages de Subsahariens recueillis, selon le Polisario, après leur abandon, mardi, par les Marocains à proximité du mur, long de plus de plus de 2 000 kilomètres, construit par eux, dans les années 1980, pour faire obstacle aux incursions des Sahraouis.

« Les soldats marocains ont tiré des coups de feu en direction des Subsahariens pour les contraindre à s’éloigner du mur et à partir en direction de l’Algérie », a ajouté le représentant du Front Polisario en France avant de préciser que son organisation avait pris contact avec les Nations unies pour leur remettre les clandestins.

TÉMOIGNAGES DE DIPLOMATES

Si le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) s’est refusé à tout commentaire, Rabat a réagi avec virulence aux accusations des Sahraouis. « Le Maroc n’a déposé aucun Subsaharien au Sahara occidental », a affirmé, vendredi, au Monde , le ministre de la communication et porte-parole du gouvernement, Nabil Benabdallah, tout en reconnaissant que « l’hypothèse avait été envisagée » avant d’être abandonnée au profit d’un rapatriement par autocars.

Citant un haut responsable du ministère de l’intérieur, qui parlait sous couvert d’anonymat, l’agence officielle marocaine a parlé d’un « montage grotesque et répugnant » du Front Polisario et de l’Algérie ­ accusée d’être « en grande partie responsable de la situation actuelle ».

Cités samedi par le quotidien El Pais, des témoignages de diplomates qui se sont rendus au Sahara occidental donnent du crédit aux accusations du Polisario. Ils évoquent le récit de deux groupes de Subsahariens rescapés qui auraient essuyé des tirs mortels de la part des Marocains. Au moins deux personnes auraient été tuées.

Localiser les immigrés clandestins dans cette zone immense du Sahara truffée de mines et dépourvue de routes n’est pas une mince tâche. Les ONG qui, depuis le début de la semaine, maintiennent un contact téléphonique épisodique avec des Subsahariens n’en ont pas les moyens. En revanche, les casques bleus de l’ONU chargés de contrôler le cessez-le-feu au Sahara occidental sont mieux placés. Des reconnaissances par hélicoptères le long du mur ont eu lieu mais sans donner jusqu’à présent de résultat. Les autorités marocaines ont fait valoir que ce type de reconnaissance n’entrait pas dans la mission de l’ONU. « Son mandat ne l’y autorise pas » , selon le commentaire de la MAP, l’agence de presse marocaine

Vendredi s’est achevé le pont aérien qui, depuis Oujda, au nord-est du Maroc, avait permis le rapatriement de 1 600 Africains (des Maliens et des Sénégalais) vers leur pays d’origine. Un second va prendre le relais depuis la ville de Guelmim, dans le sud. Plus d’un millier d’immigrés clandestins regroupés dans des centres de cantonnement installés dans la zone sont concernés.

Lors du discours qu’il a prononcé, vendredi, à l’occasion de l’ouverture de la session parlementaire, le roi Mohammed VI n’a pas fait la moindre allusion à l’afflux des immigrés clandestins dans le nord du royaume et aux opérations pour les en chasser. Ce silence est aussi celui de la classe politique marocaine. Des islamistes aux socialistes, aucune formation n’a commenté les événements de Ceuta et de Melilla et leurs suites. Seuls quelques journaux et une association de défense des droits de l’homme se sont mobilisés.
Jean-Pierre Tuquoi