Le nouveau chemin de croix des clandestins subsahariens
Un ticket pour l’Europe via le désert mauritanien
Le nouveau chemin de croix des clandestins subsahariens
El Watan, 19 mars 2006
Les efforts entrepris par l’Algérie pour rendre moins étanches ses frontières Sud et la politique de répression menée par le Maroc pour enrayer le phénomène de l’immigration illégale ont amené les clandestins africains à modifier leur plan de route.
La Mauritanie est devenue, depuis peu, leur point de départ favori vers les pays de l’Europe de l’Ouest, où ils espèrent trouver un travail. Jusqu’à un passé récent, les immigrants clandestins ralliaient le vieux continent à partir du territoire marocain. Le choix de la Mauritanie par les immigrants subsahariens s’explique par le fait que ce pays manque cruellement de moyens pour assurer un contrôle efficace de ses frontières. C’est ainsi que chaque jour, des centaines de personnes originaires des pays du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest s’entassent dans des bateaux de pêche et des embarcations de fortune loués ou achetés au port de Nouadhibou, situé au nord de la Mauritanie, pour prendre la destination des îles Canaries, endroit à partir duquel ils tentent, par la suite, d’entrer illégalement en Europe. La zone de Nouadhibou est en effet devenue depuis trois mois le lieu où se retrouvent tous les clandestins africains qui souhaitent aller en Europe. Une enquête confidentielle des services de renseignements espagnols publiée récemment par le quotidien espagnol El Pais, reprise la semaine dernière par le journal français Le Monde, évalue « entre 10 000 et 15 000 le nombre de Subsahariens éparpillés (…) dans le nord de la Mauritanie en attente d’un départ par bateau ». Ce rapport fouillé des services espagnols révèle également que les réseaux clandestins activant en Mauritanie (une cinquantaine) « sont toujours contrôlés par des Marocains ». Les mêmes sources précisent en outre que chaque clandestin doit payer l’équivalent de 1000 euros pour décrocher son ticket pour les îles Canaries, un voyage, long de près de 700 km, qui dure quatre à cinq jours. Pour éviter de devoir payer une telle somme, certains candidats à l’immigration clandestine préfèrent toutefois se débrouiller, eux- même, pour rallier le territoire espagnol. La solution ? L’achat d’une pirogue, dont le prix n’excède généralement pas les 600 dollars. Mais l’arrivée aux îles Canaries n’est pas garantie, surtout à bord d’embarcations aussi précaires et surtout peu adaptées à la navigation en haute mer.
Une mort à 600 dollars
D’ailleurs, tous les jours des Africains meurent avant d’avoir eu la possibilité de réaliser leur rêve : fouler le sol européen. Quand ils échappent à la mort, des centaines d’entre eux tombent, au bout de leur chemin de croix, dans les mailles des filets des garde-côtes mauritaniens ou espagnols. Ce qui était d’ailleurs le cas vendredi dernier. Les autorités mauritaniennes ont arrêté aux larges de Nouakchott, 24 immigrants clandestins de diverses nationalités africaines (14 Maliens, 6 Mauritaniens, 3 Sénégalais et 1 Gambien) à bord d’une pirogue en plastique qui se dirigeait vers les îles Canaries. Les clandestins ont été retrouvés à 110 milles nautiques (environ 200 km) à l’ouest de la côte atlantique de Nouakchott dans un état de déshydratation avancée. Avant cela, vingt-quatre corps d’émigrants africains, noyés en tentant la périlleuse traversée, ont été retrouvés mercredi dernier dans l’Atlantique par un navire-hôpital espagnol, à 70 milles (130 km) à l’ouest de Ras Nouadhibou. Le nombre d’émigrants clandestins interceptés par les forces de sécurité canariennes a triplé entre janvier et mars par rapport à la même période de l’année 2005 pour atteindre 3 031 personnes. Plus de 100 émigrés clandestins ont, par contre, trouvé la mort au large des côtes mauritaniennes au cours des 15 derniers jours. Devant la difficulté éprouvée pour faire face à la vague massive de clandestins candidats à l’émigration vers les îles Canaries transitant par son territoire, Nouakchott a demandé la semaine dernière l’aide de la Communauté internationale. Cet appel a été entendu, puisque le secrétaire d’Etat espagnol aux Affaires étrangères, Bernardino Leon Gross, a annoncé jeudi que la Mauritanie, l’Espagne et l’Union européenne allaient engager une action commune de lutte contre l’immigration clandestine pour éliminer les réseaux de passeurs opérant à partir du territoire mauritanien.
Zine Cherfaoui
Conférence internationale sur la migration
Le défi du nouveau millénaire
El Watan, 19 mars 2006
La conférence internationale sur la migration tenue jeudi et vendredi à Bruxelles, coorganisée par la Belgique, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et le soutien de l’UE et la Banque mondiale, a largement rempli sa mission, selon des observateurs.
Elle a permis au moins d’identifier les principaux obstacles à une gestion juste, humaine et économiquement rentable pour tous les protagonistes : les migrants d’abord, les pays d’origine, les pays de transit comme les pays d’accueil. Les rapporteurs des conclusions de la rencontre, à savoir le ministre des Affaires étrangères belge Karel De Guhgt, le ministre de la Coopération Armand De Decker, le DG de l’OIM Brunson McKinley, le commissaire européen en charge des libertés, de la sécurité et de la justice, l’Italien Franco Frattini, ou encore le ministre belge de l’Intérieur ont répété, face au roi des Belges Albert II, qui a présidé la séance, que le problème des migrations est le principal défi de ce début de siècle. De son traitement dépendront la paix, la sécurité et la prospérité partagées dans le monde. « Si la migration représente un risque, elle peut et doit devenir un atout positif aussi bien pour les pays d’accueil que ceux d’origine », a déclaré M. De Decker. « La migration présente des défis, mais présente aussi des opportunités », a ajouté M. Frattini. Au-delà de ces affirmations d’ordre général, les experts venus des cinq continents ont conclu qu’il ne faut plus considérer la migration sous le seul aspect sécuritaire, pis encore, répressif. Sur le plan technique, beaucoup d’acteurs sont directement concernés par la gestion des flux migratoires. Les instances gouvernementales comme celles de la coopération, de la justice, des finances, de l’éducation et de la formation, de l’économie… doivent structurer leurs actions, de concert avec ceux des pays d’origine, pour une gestion démocratique et humaine des migrants. Les institutions internationales, telles l’ONU, l’UE, l’UA, l’ASEAN…, ont été appelées à se mobiliser sur la question. Enfin, le monde associatif et celui de la recherche dans leur grande variété ont été sollicités pour leur implication directe dans ce défi mondial. Les nombreux journalistes qui ont couvert l’événement ont senti une réelle prise de conscience de la dimension du problème. Comment peut-il en être autrement, lorsque le ministre belge de la Coopération cite l’exemple des 500 000 candidats à l’émigration clandestine, provenant de l’Afrique subsaharienne, qui attendent ces jours-ci aux frontières de la Mauritanie ? Comment peut-on oublier les drames de Ceuta et Melilla sur le territoire marocain ? La rencontre de Bruxelles va-t-elle déclencher le déclic dans la conscience internationale lors de la conférence internationale sur la migration prévue pour septembre prochain à New York ? A Bruxelles le consensus a été fait autour du lien entre le phénomène migratoire, tel qu’il se pose aujourd’hui, et l’avenir du développement et de la paix dans le monde. C’est par une formule d’espérance que le DG de l’OIM s’est adressé à l’assemblée : « La migration permettra qu’aucune région du monde ne reste exclue de la richesse du monde. » Inverser la perception conflictuelle et violente de la migration en une opportunité de dialogue et de tolérance, en un moyen de développement naturel induit par la logique implacable de la mondialisation. Les experts et politiques réunis à Bruxelles n’ont pas manqué de propositions et d’imagination pour enclencher le processus d’intégration des flux migratoires comme élément positif, appui au développement. Mise en réseaux des institutions nationales et internationales, intensification des modes de co-développement, captation des flux financiers des diasporas des migrants par des mesures incitatives, implication des migrants dans des projets culturels entre le pays d’origine et le pays d’accueil, redéfinition des notions de pays d’origine, pays d’accueil et pays de transit…
Bouzina M’Hammedi