Chasse aux clandestins: Alger a dit oui à Sarkozy

La France et la Grande-Bretagne durcissent les lois sur l’Immigration

ALGÉRIENS, RENTREZ CHEZ VOUS !

Guemache Lounés, Liberté, 30 octobre 2003

La France et la Grande-Bretagne, sous couvert de lutte contre le terrorisme, renforcent considérablement leur législation contre l’immigration clandestine. Outre que ses dispositions rendent plus difficile l’intégration des immigrés en situation régulière, dont de très nombreux Algériens, elles favorisent un amalgame dangereux entre insécurité et étranger.

Le Parlement français a adopté, mardi 28 octobre, le projet de loi du ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, sur la “maîtrise de l”immigration”. Sans surprise, les groupes UMP et UDF (droite et centre-droit) ont voté pour, les groupes PS et PCR (gauche) contre. Désormais, à partir de 2004, date à laquelle les nouvelles dispositions entreront en application, il sera très difficile pour un étranger issu d’un pays considéré comme “à risque migratoire” (Afrique, Asie…) de venir en France ou d’y obtenir des papiers pour s’installer. Plus inquiétant, des dispositions du nouveau texte font de l’étranger qui tente de s’installer ou d’étudier en France un suspect permanent.
Les demandeurs de visas devraient, en effet, laisser leurs empreintes digitales aux consulats français qui seront intégrées à un fichier national qui servira plus tard dans la lutte contre l’immigration clandestine.
Avec ce procédé, il sera plus facile de connaître l’identité des sans-papiers arrêtés pour les reconduire ensuite dans leur pays d’origine. L’attestation d’hébergement sera également plus difficile à obtenir : non seulement elle devient payante (15 euros par personne accueillie), mais le maire peut la refuser en cas de mauvaises conditions d’hébergement ou s’il soupçonne une “fraude”. L’Office des migrations internationales et les “services sociaux des communes” seront dans ce contexte autorisés à visiter le domicile de l’hébergeant pour s’assurer que toutes les conditions d’accueil prévues par loi sont réunies.
Par ailleurs, l’hébergeant s’engage à prendre en charge les frais de séjour et de rapatriement en cas de manquement de son hôte. Autre mesure destinée à décourager les candidats à l’exil : la durée maximale de rétention administrative des étrangers en situation irrégulière est portée à 32 jours au lieu de 12 actuellement. En revanche, celle du recours contre un arrêté de reconduite à la frontière passe de 48 à 72 heures. Et, sans doute pour satisafire les associations de défense des droits de l’Homme, le texte prévoit également la création d’une commission nationale de contrôle des centres de rétention ou “zones d’attente”. La nouvelle loi renforce aussi les peines, déjà sévères, contre les “passeurs”.
À plusieurs reprises, Nicolas Sarkozy avait accusé les réseaux de passeurs d’exploiter la misère des gens en leur faisant miroiter une vie meilleure en Europe.
Une fois en France, l’étranger n’est pas au bout de ses peines. En cas de mariage avec un ressortissant français, l’étranger doit avoir un titre de séjour, faute de quoi, le maire peut informer le préfet et saisir le procureur de la République pour l’ouverture d’une information judiciaire pour séjour illégale en France.
Et pour obtenir un titre de séjour après un mariage avec ressortissant français, la durée de vie commune est portée de un à deux ans.
Si le mariage a eu lieu à l’étranger, la préfecture peut requérir la présence des deux époux. Seul élément positif de la nouvelle loi : la suppression de la double peine.

L. G.

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Grande-Bretagne
Le gouvernement durcit l’asile politique

La Grande-Bretagne : paradis des demandeurs d’asile. Dans quelques mois, cela risque de ne plus être le cas. Très critiqué par ses partenaires européens et par son opposition sur ses lois sur l’immigration, jugées trop souples, Londres s’apprête à emboîter le pas aux Français et aux Allemands en durcissant les conditions d’accueil et de séjour des étrangers en Grande-Bretagne. Depuis plusieurs années, des centaines de personnes qui viennent des zones en proie à des violences tentent quotidiennement de regagner l’Angleterre en passant notamment par le nord de la France. Sur place, les demandeurs d’asile sont en effet relativement bien accueillis par les autorités : aides financières, accès aux soins…
En 2002, 110 700 personnes ont introduit une demande d’asile politique auprès des autorités britanniques. Un record pour un pays d’Europe. Ces derniers mois, en Grande-Bretagne, l’immigration est devenue un véritable problème national qui suscite souvent de vifs débats entre le gouvernement et l’opposition. À plusieurs reprises, des journaux à grands tirages comme The Sun (4 millions d’exemplaires par jour !) ont fait leurs manchettes sur le thème des “immigrés qui nous envahissent”, ou “de ces immigrés qui plombent notre système de sécurité sociale” .
Pour mettre fin à cette situation, lundi dernier, le gouvernement de Tony Blair a confirmé son intention de durcir la législation actuel sur le droit d’asile. Officiellement, Londres veut empêcher les “faux” demandeurs d’asile de profiter du système actuel. Première cible des nouvelles lois : les demandeurs d’asile qui se présentent sans leurs papiers d’identité, après les avoirs “perdu” ou volontairement détruits. Les autorités britanniques les soupçonnent de vouloir rendre plus difficile et plus longue la détermination de leur nationalité. Ce qui complique toute procédure d’expulsion à leur égard. Autre catégorie de demandeurs d’asile visée : les personnes ayant déjà introduit une demande dans un autre pays. Le gouvernement envisage également la fin des aides sociales pour les personnes et les familles qui ont la possibilité de regagner leur pays d’origine mais qui refusent de le faire.
En annonçant sa volonté de durcir les conditions d’accueil des immigrés sur le sol britannique, le ministre de l’Intérieur, David Blunkett, s’est défendu en même temps de vouloir fermer les portes de son pays aux étrangers : “J’ai grandement élargi les possibilités de venir via les voies légales pour les immigrants qui travaillent dur. Mais le système du droit d’asile ne peut fonctionner au bénéfice des réfugiés authentiques si on en abuse par ailleurs”.

L. G.

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Les principaux points du projet de loi

Voici les principaux points du texte sur l’immigration, adopté définitivement mardi 28 octobre par le Parlement français.

Empreintes : création d’un fichier d’empreintes digitales et de photos à partir des demandes de visa et des contrôles à la frontière, sauf pour les ressortissants de l’UE, de l’Islande, du Liechtenstein, de la Norvège et de la Suisse.

Rétention : durée maximale de rétention administrative des étrangers en situation irrégulière portée à 32 jours au lieu de 12. Délai de recours contre un arrêté de reconduite à la frontière porté de 48 à 72 heures. Création d’une commission nationale de contrôle des centres de rétention ou “zones d’attente”. Possibilité pour les tribunaux d’audiences dans les ports, gares ou aéroports. Création dans les lieux de rétention d’un local pour s’entretenir en privé avec un avocat. Le transport des personnes en centre de rétention pourra être effectué par des entreprises, les chauffeurs pourront être armés.

Passeurs : renforcement des peines contre les passeurs avec circonstances aggravantes : bandes organisées, mise en danger de la vie d’autrui, atteinte à la dignité, trafic de mineurs isolés et usage abusif des badges de sécurité dans les aéroports ou ports. Frais de rapatriement d’un clandestin à la charge de son employeur en France.

Attestation d’hébergement : le maire peut la refuser en cas de mauvaises conditions d’hébergement ou s’il soupçonne une “fraude”. L’Office des migrations internationales (OMI) et les “services sociaux des communes” pourront visiter le domicile de l’hébergeant, qui devra verser 15 euros par personne hébergée. L’hébergeant doit prendre en charge les frais de séjour et de rapatriement en cas de manquement de son hôte (plafond à définir). Dispense possible d’attestation pour “maladie grave”, “obsèques d’un proche” ou “une cause médicale urgente”.
l Titre de séjour : supprimé pour l’UE, l’Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse. Carte de résident de dix ans après cinq ans en France, au lieu de trois. Une bonne intégration est aussi nécessaire.

Regroupement familial : carte de résident soumise à conditions : intégration satisfaisante et deux ans de présence en France.

Mariage : durée de vie commune portée de un à deux ans pour accorder à un conjoint de Français la carte de résident.
En cas de mariage mixte à l’étranger, la présence des deux époux peut être requise pour les formalités devant les autorités françaises. En cas de mariage en France, l’étranger doit avoir un titre de séjour, sous peine de voir les maires informer le préfet et saisir le procureur.
Organiser, contracter ou tenter de contracter un mariage simulé est puni de cinq ans de prison et 15 000 euros d’amende (dix ans et 750 000 euros pour les bandes organisées).

Paternité : la carte de résident est attribuée à un étranger parent d’enfant français s’il exerce l’autorité parentale “et” (et non “ou”) subvient à ses besoins.

Double peine : l’éloignement du territoire ne pourra plus être prononcé contre les étrangers nés en France et y vivant depuis leur enfance (avant 13 ans), contre ceux y résidant depuis vingt ans ou dix s’ils y ont fondé une famille.

Exceptions : actes de terrorisme, atteinte aux intérêts de l’État et incitation à la haine raciale et religieuse.

Nationalité : une condamnation passée ne retire plus le droit de demander la nationalité française. Mais, des “faits de terrorisme” peuvent entraîner le retrait de la nationalité.

AFP

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Chasse aux clandestins
Alger a dit oui à Sarkozy

La visite du ministre français de l’Intérieur, malgré les démentis officiels, avait pour objectif d’obtenir du gouvernement la possibilité d’expulser en masse les Algériens en situation irrégulière raflés en France.

Nicolas Sarkozy veut des chiffres. Dans une circulaire datée du 22 octobre, révélée par Le Figaro, le ministre français de l’Intérieur avait instruit les préfets pour qu’ils doublent le nombre de reconduites aux frontières d’immigrants en situation irrégulière. “L’exécution effective des décisions d’éloignement est la condition de crédibilité de toute politique publique de maîtrise de l’immigration”, écrivait-il dans sa note. Deux jours plus tard, Nicolas Sarkozy s’envolait pour l’Algérie où il avait officiellement signé un accord de coopération entre la France et l’Algérie dans les domaines de la sécurité, de la protection civile et de la coopération policière. En réalité, la visite à Alger du numéro deux du gouvernement français avait un double objectif. Le premier : Nicolas Sarkozy, présenté par les sondages comme le meilleur candidat de la droite à la présidentielle de 2007, a cherché à confirmer sa stature de présidentiable. Et les Algériens se sont prêtés au jeu : il a été reçu comme un véritable chef d’État par toutes les personnalités influentes du gouvernement.
Et le président Bouteflika lui a même consacré plus d’heures de son agenda avant de lui donner une vigoureuse accolade à la sortie du palais présidentiel devant les caméras des télévisions et les objectifs des photographes de la presse internationale. La seconde raison qui a poussé Nicolas Sarkozy à maintenir son voyage algérien en dépit d’un contexte préélectoral tendu sur place : la lutte contre l’immigration clandestine et, accessoirement, le terrorisme. Car, pour plus d’efficacité, le ministre français de l’Intérieur tente de relier systématiquement les deux questions en établissant un lien entre les réseaux de passeurs d’immigrés clandestins et les groupes terroristes islamistes. Et qui mieux qu’un président affaibli comme Abdelaziz Bouteflika pour satisfaire aux exigences françaises ? À Alger, Nicolas Sarkozy a donc obtenu tout ce qu’il voulait, notamment la possibilité de reconduire massivement à la frontière, par des vols charters, les Algériens sans papiers vivant en France. Dès 2004, les premiers charters remplis de clandestins algériens devraient donc atterrir à l’aéroport d’Alger.
Symboliquement, Nicolas Sarkozy veut attendre la fin officielle de l’Année de l’Algérie en France pour lancer les expulsions massives.
Pis, Alger a insisté sur la nécessité de renvoyer les nombreux diplômés algériens vivant en France pour “servir leur pays”. En revanche, sur les rares revendications algériennes, le ministre français de l’Intérieur s’est montré ferme.
Pas question, par exemple, d’augmenter le nombre de visas délivrés dans les consulats français en Algérie : cette année, le nombre de demandes acceptées ne devrait pas dépasser 160 000. Paris envisage de porter ce chiffre à 200 000, avec une “meilleure répartition” : plus de visas pour les étudiants et les “vrais” hommes d’affaires et moins de demandes acceptées émanant de jeunes cadres par exemple, considérés comme une catégorie à risque.

L. G.