Ces Algériens sous les verrous dans le monde

Terrorisme et indignation des organisations des droits de l’homme

Ces Algériens sous les verrous dans le monde

par Zouaoui Mouloud, Le jeune Indépendant, 16 février 2005

Combien sont-ils ces Algériens qui croupissent sans jugement dans les prisons à travers le monde dans ce qui est appelé les enquêtes liées à la lutte contre le terrorisme ? Pourquoi les Algériens sont-ils les plus interpellés à travers le monde, y compris dans des régions aussi peu connues que le Pendjab indien ? Dans quelles conditions sont-ils incarcérés alors que leur détention est décriée dans certains pays comme la Grande-Bretagne par des organisations et institutions aussi importantes que les cours suprêmes? Autant de questions qui révèlent l’étendue du drame vécu par des ressortissants algériens dans des pays où la lutte contre le terrorisme se conjugue à l’arbitraire, voire le racisme, de l’aveu même de plusieurs organisations de défense des droits de l’homme.

Une enquête publiée cette semaine par le magazine New Yorker révélait des cas de tortures dans la prison de Guantanamo Bay à Cuba, se basant sur les témoignages d’anciens prisonniers, libérés l’an dernier. Au lendemain des événements du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, les Arabes et les musulmans était synonymes de suspicion, et étaient devenus, par conséquent, des cibles potentielles à tous les dérapages policiers que les médias, sous l’emprise de l’effet de ces évènements, s’empressaient de broder en lutte mondiale contre le terrorisme et son corollaire, l’islamisme.

En parallèle, des responsables politiques et des intellectuels se chargeaient d’attiser la haine contre le monde musulman, à l’image du président du Conseil italien Silvio Berlusconi qui a affirmé que la civilisation occidentale était supérieure au monde musulman.

L’administration Bush n’hésitait pas à porter en avant la thèse selon laquelle le monde occidental est toujours sous la menace terroriste, plus précisément des musulmans. Cela d’autant que la lutte contre le terrorisme en Algérie servait aussi de paravent aux services de sécurité en Occident pour mettre les Algériens à l’index.

«Paranoïa post-11 septembre» C’est dans ce contexte que des Algériens allaient faire les frais de ce qui a été qualifié par des médias spécialisés de «paranoïa post-11 septembre». Trois Algériens, deux aux États-Unis et le troisième en Grande-Bretagane, allaient subir, les premiers, les foudres post-11 septembre.

Benamar Benatta, un sous-lieutenant de l’armée de l’air algérienne, qui avait décidé de fausser compagnie à ses camarades pour rester aux Etats-Unis après un stage de formation de six mois à Baltimore, entre décembre 2000 et juin 2001, est arrêté le 09 septembre dans la ville de Bufallo alors qu’il tentait de rentrer au Canada.

Emprisonné pour séjour illégal, il deviendra pour le FBI, au lendemain des attentats, un potentiel suspect et subira les pires exactions dans la prison de Brooklyn (New York). Son témoignage avait été publié par le Washington Post en novembre 2003.

Au même moment, un autre Algérien était arrêté pour les mêmes motifs à San Diego (Californie). Samir Abdoun a passé trois ans de prison sous le motif qu’il avait des liens avec deux des 18 kamikazes des attaques du 11 septembre. Les charges retenues contre lui ont été abandonnées ensuite par la justice qui l’a expulsé vers l’Algérie le 30 décembre dernier.

Mais celui dont l’affaire a révélé toute l’étendue des errements des enquêteurs américains a été sans conteste Lotfi Raissi, un pilote algérien installé à Londres, qui avait été accusé par le FBI d’avoir entraîné un des 18 kamikazes des attaques du 11 septembre.

Il passera sept mois à la prison de haute sécurité de Belmarsh (sud de Londres) avant d’être libéré, faute de preuves. Il avait depuis intenté un procès contre le FBI et il attend toujours les 10 millions de dollars de réparation qu’il avait exigés.

Quelque 230 Algériens, en majorité des demandeurs d’asile, avaient été interpellés en Grande-Bretagne entre novembre 2002 et mars 2003 dans le cadre de la loi antiterroriste promulguée par le gouvernement qui autorise la justice à incarcérer une personne pour une durée indéterminée et sans révéler les charges retenues contre elle.

Tous ont été relâchés, à l’exception de 17 d’entre eux qui avaient été placés en détention. Neuf ont été libérés l’an dernier tandis que sept autres y sont toujours, alors qu’un huitième est placé en résidence surveillée. Le camouflet de la Chambre des lords Jugeant leur détention illégale, la Chambre des lords, la plus haute juridiction britannique, avait exigé le 15 décembre dernier du gouvernement britannique de relâcher les sept mis en cause dont les avocats ont décidé la semaine dernière de porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Le verdict de la Chambre des lords a été perçu comme un sévère camouflet à toute la politique antiterroriste du gouvernement de Tony Blair. Outre la Grande-Bretagne, quelque 110 Algériens dont 35 en Espagne avaient été interpellés à travers l’Europe, sous un large battage médiatique, dans la foulée des attentats de New York et Washington, notamment en Allemagne, Bosnie-Herzégovine, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Pologne, Suisse, et tout récemment en Ukraine, alors qu’une quarantaine d’autres sont incarcérés au Pakistan.

Deux autres Algériens avaient été interpellés au Pendjab indien puis expulsés du pays. Tous étaient «soupçonnés de liens avec le réseau Al Qaïda d’Oussama Ben Laden» avant d’être relâchés pour la plupart. Les six Algériens interpellés en octobre 2001 à Sarajevo (Bosnie-Herzégovine) sous le motif qu’ils tentaient de perpétrer des attentats contre des intérêts américains, avaient été blanchis par la justice.

Mais à leur libération, ils ont été appréhendés, en janvier 2002, par les Américains qui les avaient conduits à Guantanamo Bay. Depuis, ils se battent pour leur libération alors que les autorités bosniaques, acculées par leurs familles, demeurent dans l’embarras.

Ces arrestations ont toutefois démontré à quel point les Algériens étaient visés par rapport aux ressortissants des autres nationalités au moment où la situation sécuritaire en Algérie faisait d’eux des cibles vulnérables et des suspects potentiels autant pour les services de police occidentaux que pour les médias soutenant avec un zèle jamais égalé la lutte contre le terrorisme au détriment des droits de l’homme les plus élémentaires.

Ces arrestations n’ont pas manqué de susciter l’indignation des associations de défense des droits de l’homme, dont Amnesty International qui avait dénoncé les violations de ces droits au nom de la menace terroriste. Z. M.


Après les avoir livrés aux Américains

Le gouvernement bosniaque réclame la libération des Algériens de Guantanamo

par Z.M

Les autorités bosniaques vont demander officiellement aux Etats-Unis de remettre en liberté les six Algériens détenus à Guantanamo Bay à Cuba, a fait savoir un porte-parole du gouvernement cité hier par l’agence Reuters. « Nous allons engager demain (mercredi) une procédure pour régler cette affaire par la voie diplomatique », a affirmé le porte-parole Bojan Zec Filipovic, à l’issue d’une rencontre entre le Premier ministre Adnan Tezic et des membres des familles des six détenus.

Les membres, proches et partisans des six détenus, dont quatre possèdent la nationalité bosniaque, ont tenu un rassemblement devant le siège du gouvernement à Sarajevo. Les quatre hommes avaient été déchus de leur nationalité lors de leur arrestation en octobre 2001 sous le motif qu’ils préparaient des attentats contres des intérêts américains et britanniques.

Les six Algériens – Bensayah Belkacem, Hadj Boudellaâ, Saber Lahmar, Mustapha Aït Idir, Boumediène Lakhdar et Mohamed Nechal – avaient été, toutefois, blanchis par la Cour suprême en janvier 2002 avant d’être livrés la nuit de leur libération à l’armée américaine qui les a conduits à Guantanamo Bay.

En avril 2003, la Cour bosniaque des droits de l’homme avait, elle aussi, confirmé que la décision des autorités bosniaques à l’encontre des Algériens était une mesure arbitraire. A ce jour, les autorités américaines n’ont pas justifié l’arrestation des « six Algériens de Guantanamo ».

Les avocats américains, Stephen H. Oleskey et Peggy-Kuo, des six prévenus avaient intenté une action contre l’armée américaine l’an dernier estimant que leurs clients ont été illégalement remis aux forces américaines alors qu’ils se trouvaient en Bosnie-Herzégovine et que les Etats-Unis n’ont aucune autorité pour les maintenir en détention.

La justice américaine avait rejeté la plainte qu’ils ont déposée en décembre. Les deux avocats ont, néanmoins, introduit un pourvoi en cassation. Les deux avocats, qui s’ajoutent à un collectif qui plaide depuis trois ans pour leur libération, avaient même fait appel aux autorités algériennes et bosniaques pour les aider à les libérer.

Ils avaient rencontré à Sarajevo des avocats, des juges, des procureurs généraux et des hommes politiques pour leur demander de contribuer à leur libération. Stephen H. Oleskey et Peggy-Kuo ont déclaré avoir rendu visite aux prisonniers en décembre dernier.

Ces derniers leur ont fait part des souffrances et des exactions qu’ils subissaient. Les familles des détenus ont intenté une action contre l’Etat bosniaque qui leur a alloué des indemnités d’un montant de 15.000 euros chacune. Aujourd’hui, elles espèrent que le gouvernement bosniaque pourra mettre fin aux obstacles bureaucratiques que les Américains dressent pour empêcher leur libération.

Mais elles attendent aussi que le Conseil des ministres bosniaque adopte une requête demandant leur libération. Z.M.