Un Algérien sauve de prison des milliers de sans-papiers
Son cas fait jurisprudence en Europe
Un Algérien sauve de prison des milliers de sans-papiers
Par : Ameur Ouali, Liberté, 16 mai 2011
La décision de la Cour de justice de l’UE a semé le trouble en France où le ministère de l’Intérieur s’est empressé de dire que son pays n’était pas concerné. Mais le garde des Sceaux a dû publier jeudi une circulaire précisant la portée de l’arrêt européen.
Hassan Dridi alias Karim Soufi, entré illégalement en Italie, a fait l’objet d’un décret d’expulsion édicté par le préfet de Turin le 8 mai 2004. Un ordre d’éloignement émis le 21 mai 2010 par le questore di Udine, en application dudit décret d’expulsion, lui a été notifié le même jour. Mais le concerné ne s’y est pas conformé. Interpellé lors d’un contrôle effectué le 29 septembre 2010, il a été condamné par le tribunal de Trente, statuant à juge unique dans le cadre d’une procédure simplifiée, à une peine d’un an d’emprisonnement pour le délit visé par la loi italienne.
Hassan Dridi a fait appel. Une décision bien inspirée puisque l’Union européenne a adopté en décembre 2008 une “directive” sur l’expulsion des étrangers qui interdit leur incarcération pour le délit de refus de l’expulsion, puisque la privation de liberté contredit l’objectif de la reconduite à la frontière. Elle préconise des mesures coercitives “proportionnelles” et “graduées” faisant de la rétention administrative l’ultime recours et dans le respect des droits fondamentaux. La cour d’appel de Trente s’est interrogée sur la possibilité de prononcer une sanction pénale, au cours des procédures administratives de retour d’un étranger dans son pays d’origine, en raison du non-respect des étapes de celles-ci, une telle sanction semblant contraire au principe de coopération loyale, à la nécessité d’atteindre les objectifs de la directive 2008/115 et d’assurer l’effet utile de celle-ci ainsi qu’aux principes de proportionnalité, d’adéquation et de bien-fondé de la peine. Elle précise, à cet égard, que la sanction pénale prévue à l’article 14, paragraphe 5 ter, du décret législatif n°286/1998 intervient postérieurement à la constatation de la violation d’une étape intermédiaire de la procédure graduelle de mise en œuvre de la décision de retour, prévue par la directive 2008/115, à savoir le non-respect du seul ordre d’éloignement.
Elle a décidé de ne pas statuer et a saisi la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui siège à Luxembourg. La juridiction de renvoi a demandé, en substance, si la directive 2008/115, notamment ses articles 15 et 16, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, qui prévoit d’infliger une peine d’emprisonnement à un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier pour le seul motif que celui-ci demeure, en violation d’un ordre de quitter le territoire de cet État dans un délai déterminé, sur ledit territoire sans motif justifié. Le 28 avril, la CJUE a répondu que Hassan Dridi ne pouvait pas être incarcéré pour ne pas s’être soumis à l’ordre de quitter l’Italie. La décision ayant désormais valeur de jurisprudence a semé le trouble en France où le ministère de l’Intérieur s’est empressé de dire que le pays n’était pas concerné. Mais le garde des Sceaux a dû publier jeudi une circulaire précisant la portée de l’arrêt européen.
En France, deux articles du Code d’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) de 2004 sanctionnent d’emprisonnement les sans-papiers. L’article 621 prévoit un an de prison et une amende de 3 750 euros pour séjour illégal. Deux circulaires ultérieures recommandent l’emprisonnement juste en cas d’autre infraction. L’article 624, lui, sanctionne de trois ans de prison ceux qui n’exécutent pas l’ordre qui leur est fait de quitter le territoire français. À moins de commettre une autre infraction comme un comportement violent à l’égard des policiers ou de présenter de faux documents, ils n’iront plus en prison pour avoir seulement refusé de quitter la France.