Les atteintes aux droits de l’homme en Algérie

Les atteintes aux droits de l’homme en Algérie

Réquisitoires de Bouchachi et de Ghechir

El Watan, 11 décembre 2011

La Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (Laddh) fait état d’une dizaine de cas de torture enregistrés durant l’année en cours, notamment dans les commissariats de police. La levée de l’état d’urgence n’a nullement restitué aux Algériens leur liberté de manifester, de penser et de se réunir loin de toute pression et répression.

La Journée internationale des droits de l’homme a été célébrée hier dans le monde. En Algérie aussi. Sans gloire, puisqu’aucune avancée n’est à signaler dans ce domaine. Au contraire. Des collectifs et des associations de victimes d’abus multiformes ont vivement dénoncé, dans un rassemblement à Alger, la dégradation continue de la situation des droits de l’homme. Les cas sont multiples.

De l’injustice pénale à l’exclusion sociale en passant par l’atteinte aux libertés individuelles et collectives, la gravité des atteintes n’a d’égale que la cruauté du système politique.
Un système politique qui résiste contre vents et marées à la vague de changements démocratiques qui a balayé des tyrannies entières et des plus anciennes dans le monde arabe. Les constats restent encore accablants. A tout point de vue. La pratique de la torture est loin d’être révolue. Et pourtant, l’Algérie a bien signé la Convention internationale contre la torture comme elle a ratifié la Convention internationale sur les droits de l’homme.

Il y a même l’article 10 de la première Constitution algérienne (10 septembre 1963) qui condamnait la torture ainsi que toute atteinte physique ou morale à l’intégrité de l’être humain. Mais la réalité est tristement sombre. La Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (Laddh) fait état d’une dizaine de cas de torture enregistrés durant l’année en cours, notamment dans les commissariats de police. Selon l’avocat Mostefa Bouchachi, président de La laddh, les juges restent insensibles à la dénonciation de cette pratique abominable. Une justice qui peine à sortir de sa dépendance de l’Exécutif.

La levée de l’état d’urgence n’a nullement restitué aux Algériens leur liberté de manifester, de penser et de se réunir loin de toute pression et de répression. Pour Boudjemaâ Ghechir, président de la Ligue algérienne des droits de l’homme, les réformes politiques en cours ne constituent nullement une garantie pour les libertés de pensée, de conscience et de religion dont les atteintes sont encore fréquentes. Aussi, le droit à la vie, à la sécurité, au travail et au logement, constitutionnellement garanti, n’est nullement respecté.
Mokrane Ait Ouarabi


La Laddh dénonce les multiples atteintes aux droits de l’homme

«La torture se pratique encore en Algérie»

La Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (Laddh) dénonce les multiples atteintes aux libertés en Algérie.

L’organisation dresse, en effet, un tableau très sombre de la situation des droits de l’homme dans le pays. Plusieurs exemples ont été cités par le président de la Ligue, Mostefa Bouchachi, pour appuyer ce constat. Intervenant lors d’une conférence organisée, hier à Alger, à l’occasion du 63e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, il revient notamment sur la torture qui continue, selon lui, d’être pratiquée dans certains commissariats de police. «Nous avons reçu plusieurs personnes qui affirment avoir été victimes de torture. Dans les tribunaux, des accusés dénoncent devant les juges la torture qu’ils ont subie dans les commissariats de police», déclare-t-il, en dénonçant le silence de la justice sur cette question. Malgré le fait, précise-t-il, que cette pratique est interdite, «les juges ne se montrent pas du tout inquiets». «La torture est considérée comme un délit, mais aucun juge ni procureur n’a demandé l’ouverture d’enquête(s). Cela est inquiétant», déplore-t-il.

Dans ce sens, Mostefa Bouchachi remet en cause l’impartialité de la justice. Il répond ainsi au ministre de la Justice, Tayeb Belaïz, qui a défendu, vendredi, l’indépendance des juges. «Cette indépendance doit être confirmée dans les faits et non pas à travers des déclarations», rétorque le président de la Laddh. Selon lui, les magistrats ont été réduits à «de simples fonctionnaires qui ne se soucient que de la satisfaction des autorités au détriment du droit des citoyens à la justice». «Lors des émeutes de janvier dernier, 1200 jeunes ont été arrêtés. Une partie d’entre eux ont été poursuivis pénalement et condamnés. Mais quelques jours après, ils ont tous été libérés. Est-il possible que tous les tribunaux prennent la même décision en même temps ?», s’interroge-t-il. Et d’ajouter : «Dans tous les pays du monde, les tribunaux sont des lieux où les citoyens se sentent en sécurité. Ce n’est pas le cas en Algérie, où le citoyen craint toujours d’avoir affaire à la justice.» Pour Mostefa Bouchachi, «le téléphone continue d’être utilisé comme mode de gestion à tous les niveaux».

En plus de la justice, enchaîne-t-il, l’administration fonctionne aussi selon le même procédé. «Afin d’avoir une autorisation pour organiser une marche ou une réunion publique, il faut soumettre une demande à l’administration. Mais l’agent qui la reçoit ne vérifie pas, selon la loi, sa conformité. Il doit attendre le coup de téléphone d’un supérieur qui, lui aussi, attend un autre coup de téléphone», regrette-t-il.
Dans la foulée, il dénonce l’interdiction des conférences de la Laddh à Alger et à Boumerdes. «Les militants des droits de l’homme et les représentants de la société civile n’ont pas le droit de s’organiser et d’exprimer leurs points de vue. Le régime est incapable de réformer et de se réformer», lance-t-il.
La lutte contre la corruption, ajoute-t-il, reste un slogan creux. «On ne peut combattre la corruption et respecter la dignité de l’être humain en l’absence d’une réelle démocratie. On constate qu’il n’y a toujours pas de réelle volonté pour réformer et donner la parole au peuple pour décider de son avenir», souligne-t-il, précisant que la législation algérienne «encourage
le vol».
Madjid Makedhi


Rassemblement hier à la Grande-Poste

Des militants des droits de l’homme crient leur colère

La police a observé une halte étonnante, hier, en abandonnant ses stratégies et mécaniques de répression habituelles contre les manifestations pacifiques et a dignement célébré la Journée internationale de défense des droits de l’homme.

Les agents de l’ordre ont été silencieux et pacifiques face à la détermination des manifestants regroupés, hier en fin de matinée, à la Grande-Poste, à Alger-Centre.
Des cris, des slogans hostiles au pouvoir, des chants patriotiques, des banderoles et des pancartes pour dénoncer l’injustice, décrier le gouvernement et réclamer le droit aux libertés les plus fondamentales. Des dizaines de personnes à ce sont rassemblées dans le jardin de la Grande-Poste. Autant de policiers leur faisaient face, mais pour une fois, sans exprimer la moindre animosité à leur encontre.

Des militants des droits de l’homme, des familles de l’association SOS Disparus présents en force, ainsi que des jeunes de plusieurs collectifs activant sur facebook ont crié leur colère deux heures durant, sous le regard presque indifférent des agents de l’ordre qui avaient certainement reçu, pour une fois, des instructions fermes de ne pas réprimer les manifestants. «Ni Oujda ni DRS, l’Algérie hya el assas (l’essentiel)», «Pouvoir assassin», «Le peuple exige un Etat de droit» et bien d’autres slogans contestataires qui citaient nommément plusieurs hommes du pouvoir, dont Bouteflika, Ouyahia, Nezzar, Belkhadem, Kessentini, le général Toufik… Les policiers et policières, présents en nombre, observaient le spectacle sans bouger le petit doigt.

La détermination infaillible de SOS Disparus

Des passants curieux s’arrêtent, sourient, s’approchent pour avoir plus d’informations. Quelques agents en civil, connus et reconnus par les manifestants, n’hésitent pas, parfois, à donner de fausses informations. L’un d’eux va même jusqu’à traiter les manifestants de «simples fous» en s’adressant à un de ces passants curieux. Les policiers en tenue réglementaire, eux, n’ont pas hésité à répondre naturellement aux questions nombreuses des passants : «Une manifestation pour les droits de l’homme.» Sans aucun ressentiment.
Les protestataires, eux, ne se sont pas tus une seconde. Le moment est intense pour eux. «Qu’ils nous rendent nos enfants vivants ou qu’ils nous remettent leurs cadavres», s’écrie un homme en brandissant la photo de son frère, arrêté et disparu en 1998.

Une dame assise sur le bord du trottoir, se lève aussitôt et brandit à son tour les portraits de son mari et de son fils disparus tous deux en 1996. «Nous réclamons la vérité, la justice, nous ne voulons pas d’argent, nous voulons des réponses», peste-t-elle. Les jeunes des collectifs Espace mouvement associatif liberté (EMAL), Mouvement de la jeunesse indépendante pour le changement (MJIC) et des adhérents de la Laddh n’ont pas hésité à scander leurs slogans : «Où sont les disparus ?» en chœur.
Les causes se sont justement mêlées durant les deux heures de rassemblement. Seule comptait, au final, cette cible commune, responsable de toutes les atteintes aux droits de l’homme en Algérie, qu’ils ont décriées durant deux heures.
Fella Bouredji