Des jeunes convaincus et engagés investissent le terrain des droits de l’homme en Algérie

Des jeunes convaincus et engagés investissent le terrain des droits de l’homme en Algérie

La LADDH prépare la relève

El Watan, 13 mars 2011

Lutter contre l’état d’urgence. C’était la priorité de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH). Au lendemain de son troisième congrès, tenu les 25 et 26 mars 2010, le président de la LADDH, Mustapha Bouchachi, intervient lors d’une conférence de presse et trace la feuille de route de son organisation.

Au sommet de la pyramide figurent d’abord la lutte pour la levée de l’état d’urgence, qui a paralysé, 19 ans durant, la vie politique et associative dans le pays. La question est l’urgence des urgences du moment. «La première priorité sera la poursuite de l’action en faveur de sa levée. Cette action sera concertée avec l’ensemble des acteurs de la société civile et les partis politiques qui militent contre l’état d’urgence. Il s’agit de créer une coalition nationale forte qui travaillera dans ce sens», dit-il. Moins d’une année après avoir fait ce serment, la LADDH réalise déjà l’un de ses premiers objectifs : l’état d’urgence est officiellement levé. «Victoire» ! La LADDH partage «le trophée» avec les partis, les associations, les syndicats et les personnalités qui se sont engagés avec elle dans la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD). Ce n’était pas un don du pouvoir, c’était plutôt le fruit de la mobilisation et de l’action engagée par la CNCD. Affolé et ébranlé, le régime de Abdelaziz Bouteflika cède enfin sur l’une des questions, autour desquelles il n’acceptait aucun débat. La décision est annoncée à deux jours de la marche du 12 février 2011 ayant mobilisé plus de 5000 personnes à Alger, malgré l’interdiction.

Mais l’acquis n’est pas complet. Le pouvoir prend de la main gauche, ce qu’il donne de la main droite. Il lève l’état d’urgence, mais il maintient l’interdiction sur les manifestations publiques qui le contraindraient, peut-être, à se lever en urgence pour permettre l’installation d’un vrai système démocratique en Algérie. Les forces de l’opposition et la LADDH auront donc du pain sur la planche. Que faire pour rééditer les exploits des peuples tunisien et égyptien? Comment poursuivre la lutte pour le changement ? La clé de la réussite est connue : accorder la confiance à la jeunesse. La ligue l’aura compris. «Le dernier congrès de la ligue a permis l’élection d’un conseil national composé à 50% de jeunes», affirme Abdelmoumen Khelil, secrétaire général de LADDH.

Des jeunes au cœur de l’action

Encadré par des sages, Me Ali Yahia Abdennour et Me Mustapha Bouchachi, un groupe de jeunes révolutionne l’action de la ligue. Ces jeunes préparent les activités, élaborent des projets et souvent proposent des idées. La LADDH devient une véritable pépinière. Des jeunes militants, dynamiques et engagés émergent et avancent résolument. L’ère de la jeunesse commence en Algérie. Nous sommes partis à la rencontre de ces jeunes.

Lundi, 21 février 2011. Il est 15h, quand nous sommes arrivés au siège de l’organisation à Alger-Centre. Un calme olympien règne à l’intérieur. Loin du brouhaha de la capitale, Abdelmoumen Khelil (32 ans), Imad Boubekri (25 ans), Karima Bellache et la jeune Canadienne Marie-Andrée Gauthier (étudiante en communication) s’échinent à préparer les prochaines activités de la LADDH. Les rendez-vous sont nombreux et l’agenda de la ligue exige des efforts colossaux. Ils sont conscients de la difficulté de la tâche, mais ils se disent déterminés à relever le défi. Leur engagement pour la défense des droits de l’homme découle d’une conviction que seule la lutte redonnera espoir à la jeunesse algérienne. «J’ai fait mes études en sciences politiques et j’ai adhéré à la LADDH en 2003. Mais avant, j’ai suivi avec beaucoup d’attention les actions de la LADDH et je me suis totalement identifié à ses valeurs et aux idées qu’elle véhicule», explique Abdelmoumen Khelil. Selon lui, être militant de la ligue permet de garder la neutralité. «Cela permet d’être ouvert au dialogue avec toutes les sensibilités de la société. La LADDH est un véritable laboratoire de formation des jeunes», ajoute-t-il. Pour Karima Bellache, le militantisme au sein de la ligue est une expérience enrichissante.
«Je suis militante depuis 8 ans. La ligue m’a permis d’apprendre et de m’engager encore plus. Lutter pour la défense des droits de l’homme est un travail noble. Les Algériens en ont infiniment besoin, car en Algérie nous ignorons nos droits», estime-t-elle. Et d’enchaîner : «Au niveau de la ligue, on a appris à écouter les autres et à les orienter. Nous avons même appris à agir en psychologues avec des gens en détresse.» Karima appelle les femmes à adhérer à la ligue pour, dit-elle, mieux prendre en charge leurs problèmes.

«J’ai choisi le chemin de la dignité humaine»

Juriste de formation, Imad Boubekri affirme que la défense des droits fondamentaux est un devoir pour chaque Algérien. «J’ai adhéré à la LADDH en 2007. C’est à l’université que j’ai pris conscience de l’importance de militer pour les droits fondamentaux. Aujourd’hui, j’ai compris aussi qu’en choisissant le chemin des droits de l’homme, j’ai choisi le chemin de la dignité humaine», déclare-t-il. Né à Souk Letnine, dans la wilaya de Béjaïa, le jeune homme a vécu toute son enfance à Jijel, une région durement touchée par le terrorisme. «Je n’ai connu que des violences : des assassinats, des disparitions forcées et des déplacements forcés. Tout cela a aussi pesé sur mon choix d’adhérer à la ligue. Mais ce ne sont pas les seuls facteurs. Le combat exemplaire de Me Ali Yahia Abdennour et Me Bouchachi m’a beaucoup influencé», explique notre interlocuteur. Infatigables, les jeunes de la LADDH se montrent prêts à consentir des sacrifices supplémentaires pour sensibiliser les Algériens sur les violations de leurs droits les plus élémentaires. Comme lors des marches du 12 et 19 février dernier, les militants de la LADDH sont toujours en tête des manifestations et rassemblements organisés par les différentes organisations ou mouvements sociaux. Au rassemblement des chômeurs ou des familles des disparus, aux protestations des syndicats…, les jeunes de la LADDH répondent toujours présents. «La mission principale de la ligue est de défendre les droits, tous les droits. Les droits de l’homme sont indivisibles», précisent-il, en se référant à la Constitution internationale des droits de l’homme, qui est la déclaration universelle du 10 décembre 1948.

«La LADDH gagne en crédibilité»

Cette omniprésence sur le terrain des droits de l’homme s’avère payante pour la LADDH. L’ONG compte actuellement 1500 adhérents. Déjà une performance pour une organisation, dont les militants victimes d’intimidations et de répression. Mais ce chiffre peut être multiplié dans les mois à venir. «La société est favorable à l’action de la ligue. Depuis le 12 février, la LADDH reçoit une quarantaine de demandes d’adhésion par semaine, principalement des jeunes. C’est impressionnant ! Nous allons mettre en place des mécanismes supplémentaires pour développer la notion de bénévolat. Nous voulons étendre la présence de la LADDH à tout le territoire national», assure-t-il. Pour réaliser ces objectifs organiques, la LADDH exploite les nouvelles technologies et Internet. Ainsi, sa page facebook (2634 membres) devient un véritable forum de discussion sur la situation des droits de l’homme dans le pays. Animé également par cette équipe, le site internet de la LADDH devient un véritable journal électronique. On y trouve toute l’information concernant les violations des droits de l’homme. C’est aussi un support qui permet à la LADDH de dénoncer ces violations. C’est déjà une forme de sensibilisation. Pour les jeunes militants de la LADDH, le changement interviendra en commençant d’abord par le respect des droits de l’homme et des libertés. «Il faut libérer la liberté, et la liberté fera le reste», affirme toujours Me Ali Yahia Abdennour, paraphrasant Victor Hugo.
Madjid Makedhi


Errabita : première revue des droits de l’homme en Algérie

Errabita (la ligue en français). C’est l’organe central de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH). Elle est son porte-voix.

Lancée en 2009, Errabita (2000 exemplaires) est aujourd’hui un vrai support de défense et de promotion des droits de l’homme. La revue ouvre des débats sur toutes les questions relatives aux droits de l’homme : l’indépendance de la justice, la peine de mort, la corruption, les droits des femmes…
«Ce périodique est dédié aux droits de l’homme dans leur expression la plus large. Il ambitionne de faire participer un large panel de défenseurs des droits, de juristes, de journalistes et autres académiciens, qui tâcheront, chacun dans son domaine, de partager leur vision, leurs analyses et leurs critiques, avec un public assoiffé de savoir et à la recherche du débat», expliquent les responsables de l’ONG.
La publication, explique Abdelmoumen Khelil, secrétaire général de la LADDH, se veut être un espace de réflexion, de débat, mais surtout d’expression, dans un pays où les libertés collectives et individuelles sont en perpétuelle régression. En réussissant à éditer cette revue de 58 pages, la LADDH réussit un défi qu’aucune autre organisation, et même les partis politiques, n’a réalisé pour le moment.

Madjid Makedhi


Aïssa Rahmoune. Chargé de la formation au niveau de la LADDH

«Les jeunes de la ligue mènent leur combat quotidien avec abnégation»

– La LADDH consacre une plus grande partie de son action à la formation des jeunes. En tant que chargé de la formation au niveau de la ligue, en quoi consiste ce travail ?

Un des principaux axes de la stratégie de la LADDH est la formation. Cette dernière permet aux militants, jeunes avocats et étudiants, d’approfondir leurs connaissances et d’avoir des outils pratiques à mettre en œuvre dans leur vie quotidienne au service du citoyen et de la promotion des droits de la personne humaine. Notre méthode consiste à organiser des séminaires, des ateliers et des rencontres périodiques autour des thématiques d’actualité qui touchent aux questions de droit et de démocratie.

– Y a-t-il une complémentarité entre les anciens et les jeunes militants de la ligue ?

Comme toute organisation autonome activant sous un régime dictatorial plus sophistiqué capable de mettre en œuvre les projets les plus diaboliques, la LADDH a été la cible de tentatives de déstabilisation. Il est tout à fait normal qu’elle connaisse des contradictions qui frappent la société civile et la vraie opposition en Algérie. Malgré cela, la complémentarité entre les deux générations existe au niveau de la ligue. Elle consiste à garder la ligne directrice, à rester fidèle aux principes du droit, tous les droits et à les promouvoir. Le ciment de notre organisation est le respect et la lucidité de ses membres. Il faut souligner, dans ce sens, le rôle du président, Me Mostefa Bouchachi, qui intervient pour modérer les débats au sein de la ligue.

– Les jeunes ont été les principaux acteurs dans les révolutions tunisienne et égyptienne. Les jeunes Algériens auront-ils le même rôle ? Les jeunes de la LADDH peuvent-ils, aujourd’hui, assumer leur rôle dans la sensibilisation de la société sur le respect des droits de l’homme en Algérie ?

Il est encourageant de voir les jeunes Tunisiens et Egyptiens créer l’événement mondial en ce début d’année 2011. Qui pouvait imaginer auparavant que des potentats du monde arabe, avec leurs clientèles et leurs soutiens occidentaux, puissent un jour fuir comme de vulgaires voleurs ? Les jeunes Algériens, dont je fais partie, sont condamnés à provoquer le changement pacifique. Cela est sûrement difficile, car la société est divisée et le débat social n’est pas encore engagé.
Dans ce sens, la responsabilité de la société civile, des partis politiques et des personnalités autonomes, est grande.
C’est à toutes ces forces qu’incombe la responsabilité de lancer ces débats sereinement et œuvrer à la reconstitution du lien social. Les jeunes militants de la LADDH sont aussi de jeunes Algériens qui ont vécu la violence et l’exclusion. Aujourd’hui, ils s’engagent à apporter un plus à leur société et défendre ses droits. En dépit de l’insuffisance de moyens, nos jeunes poursuivent leur combat quotidien avec abnégation. Cependant, les jeunes de la ligue ne peuvent pas assumer, seuls, le processus de changement. C’est un travail de longue haleine qui nécessite la conjugaison de tous les efforts.

– La répression, dont sont victimes les militants des droits de l’homme, ne risque-t-elle pas de décourager même les plus téméraires d’entre eux ?

La répression est érigée en mode de gestion des affaires publiques. Elle est souvent utilisée contre les militants politiques, associatifs et des droits de l’homme.
Cela veut dire que le pouvoir veut régner seul, sans contre-pouvoir et sans possibilité de dialogue social civilisé. En ma qualité d’avocat et militant des droits de l’homme, je ne m’attends pas à des fleurs de la part de ce régime totalitaire.
Le combat de l’opposition et des militants est dur, car nous avons en face de nous un régime qui dispose de l’argent qu’il utilise pour dompter la société et décourager ceux qui refusent la soumission. Je cite dans ce sens la déclaration de Kateb Yacine, qui est toujours d’actualité, dans laquelle il dit : «Beaucoup d’hommes ne se sont pas pliés devant la torture et la mort et la prison ; hélas, ils se mettent à genou devant le luxe et le confort.» Le découragement et le désespoir sont des attitudes légitimes et humaines. Mais il faut prendre les bons exemples à chaque fois qu’un orage de désespoir vient ébranler notre engagement. Soyons réalistes et demandons l’impossible, disait Che Guevara.
Madjid Makedhi


Abdelmoumen Khelil

La force tranquille…

Jeune, modeste et dynamique. Militant convaincu et engagé. Il est aujourd’hui la cheville ouvrière de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH).

 

Tout passe par lui au sein de l’organisation : coordination des activités de la ligue, gestion du siège… Abdelmoumen Khelil, 32 ans, est militant de la LADDH depuis 2003.
Né, le 20 avril 1979 à Alger, le jeune Abdelmoumen est, depuis son plus jeune âge, porté sur la chose politique. C’est d’ailleurs cet intérêt qui le pousse à suivre des études en sciences politiques à l’université d’Alger, où il obtient un diplôme en juin 2003 : une licence en relations internationales. «Avec cette formation, j’étais déjà préparé au militantisme.

Je me suis identifié à l’action de la ligue et à ses valeurs et c’est pourquoi j’ai adhéré à l’organisation», affirme-t-il, sûr de lui. Quoique très réservé, Abdelmoumen réussit vite à s’imposer au sein de la LADDH. Ainsi, il devient, à 26 ans, le plus jeune membre du conseil de la ligue à l’issue du 2e congrès de l’ONG. Mais il ne s’arrête pas là. Le jeune poursuit son ascension et devient, huit ans plus tard, membre du comité directeur et secrétaire général de la LADDH. Et sa force tranquille l’appelle assurément à peser davantage à l’avenir…
Madjid Makedhi


SOS disparus

L’Entv à l’indexe

L’association SOS Disparus est très remontée contre l’ENTV et tient à le faire savoir. Nacéra Dutour, sa présidente, se plaint du fait que la Télévision algérienne continue d’organiser des «débats à sens unique» sur le dossier des disparus.

Ainsi, celle-ci reproche à l’ENTV d’avoir laissé Farouk Ksentini, président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme (CNCPPDH), procéder en direct, jeudi, à un lynchage en règle des responsables de SOS Disparus sans pour autant avoir donné l’occasion à ces derniers de se défendre.
Lors de son intervention, Farouk Ksentini aurait notamment déclaré que le dossier des disparus était «clos» et que l’association SOS Disparus, qui est «dirigée par une vieille femme, ne représente plus personne». Pour prouver l’«inconsistance» du discours tenu par Farouk Ksentini, Mme Nacera Dutour a fait savoir que les familles de disparus se sont rendues en grand nombre le lendemain (vendredi) au siège de la CNCPPDH pour y observer un sit-in. L’idée était également de solliciter audience au président de la CNCPPDH afin de lui demander des explications. M. Ksentini a, selon Mme Dutour, «refusé de rencontrer les familles de disparus, car il n’avait aucun argument à faire valoir».

Lors d’une visite effectuée, hier, au siège de la rédaction d’El Watan en compagnie de Hassan Farhati, un membre de SOS Disparus, Nacéra Dutour a soutenu que «les familles de disparus ne se laisseront jamais achetées et qu’elles sont déterminées à poursuivre leur combat jusqu’à ce qu’elles obtiennent justice et vérité». A rappeler que l’Etat a reconnu l’existence de 8024 cas de disparition. Il considère toutefois que le dossier est clos. L’Etat se dit «responsable mais pas coupable», selon la formule de Farouk Ksentini. Pour le gouvernement, qui ne souhaite pas ouvrir d’enquête, ces disparitions sont le fait d’«agents isolés». La charte pour la paix et la réconciliation nationale de 2006 interdit néanmoins toute poursuite. En revanche, ce texte prévoit 3 à 5 ans de prison pour ceux qui essaieraient de remettre en cause la réconciliation nationale.
A. Z.


La LADDH prépare un guide juridique sur les droits des femmes

La LADDH prépare un nouveau guide juridique pour les femmes.

«L’idée vise à mettre à la disposition des Algériennes un document important qui leur explique, dans un langage simplifié, leurs droits», explique Karima Bellache, jeune militante de la ligue et responsable du projet.
Ce travail, ajoute-t-elle, porte sur trois volets : la première action concerne l’organisation d’un colloque sur les droits des femmes, en décembre 2011. Le second portera sur les volets juridique et psychologique.

«Nous allons aborder la question des violences contre les femmes dans la sphère privée et publique. Nous ferons également un travail de comparaison avec les textes juridiques applicables au Maroc et en Tunisie», précise-t-elle. Ensuite, l’organisation mettra en place un groupe de travail, composé d’avocats et de sociologues, qui sera chargé de l’élaboration du guide en question. «Le groupe passera en revue les textes de loi et tentera d’en faire une lecture plus simplifiée. Une fois le guide prêt, nous allons procéder à sa promotion et sa diffusion», conclut-elle.

Madjid Makedhi