B. Ghechir: En Algérie, la violation des droits de l’homme est systématique
Le président de la LADH, Boudjemaâ Ghechir, au JI
En Algérie, la violation des droits de l’homme est systématique
par Samir B., Le Jeune Indépendant, 7 octobre 2006
Le président de la Ligue algérienne des droits de l’homme (LADH), Me Boudjemaâ Ghechir, aborde dans cet entretien qu’il nous a accordé les questions de l’heure, notamment l’éventuelle modification de la Constitution, l’état d’urgence et le refus des autorités d’accorder les agréments aux partis, syndicats et associations à caractère national.
Le Jeune Indépendant : l’Algérie vit depuis 14 ans sous l’état d’urgence. Quelle lecture faites-vous de cette situation notamment en ce qui concerne le respect des droits de l’homme ?
Me Boudjemaâ Ghechir : Tout d’abord, permettez-moi de vous dire que le pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par l’Algérie en 1989, précise dans son article 4 que, dans le cas où un danger exceptionnel menace l’existence de la nation et qu’il est proclamé par un acte officiel, les Etats parties au présent pacte peuvent prendre, dans la stricte mesure où la situation l’exige, des mesures dérogeant aux obligations prévues dans le présent pacte sous réserve que ces mesures ne soient pas incompatibles avec les autres obligations que leur impose le droit international et qu’elles n’entraînent pas une discrimination fondée uniquement sur la race, le sexe, la langue ou l’origine sociale.
Or, nous constatons que l’état d’urgence, proclamé le 9 février 1992 par le Haut Conseil d’Etat, et prolongé en 1993, dure jusqu’à ce jour. Les dispositions relatives à l’état d’urgence ont été largement utilisées lors des dernières années, et jusqu’à ce jour, pour arrêter et maintenir en détention sans jugement des islamistes activistes présumés ainsi que pour suspendre des journaux et définir des lignes rouges que la presse ne doit en aucun cas franchir.
D’ailleurs, un ministre de l’Intérieur avait signé, le 7 mars 1994, un arrêté drastique inhérent à l’information sécuritaire et précisant toutes les modalités sur ce qui a trait à l’information classée sécuritaire. Cet arrêté a été renforcé le 11 février 1996 par la mise en place de comités de lecture au niveau des imprimeries, avec en toile de fond la suspension de plusieurs titres.
Tout cela nous amène à dire que l’Algérie n’a respecté ni la Constitution ni ses engagements internationaux, notamment l’article 4 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, du moment où l’état d’urgence semble quasi permanent en Algérie et, dans ce contexte, il est utile de savoir sur quel problème politique ou social le pouvoir s’est basé pour maintenir cet état d’urgence.
Cela dit, les prérogatives accrues du pouvoir exécutif au détriment des autres (législatif et judiciaire, NDLR) ont été institutionnalisées à tel point qu’elles peuvent être assimilées à une Constitution-bis. D’autre part, il faut préciser que, malgré la primauté des conventions internationales sur le droit interne, précisée dans l’article 132 de la Constitution et appuyée par une décision du Conseil constitutionnel prise le 20 août 1989, il est mentionné que toute convention internationale ratifiée et publiée prend le dessus sur la loi algérienne.
Dès lors, force est de constater que l’article 4 du pacte international relatif aux droits politiques et civils n’est pas appliqué par l’Algérie. A partir de là, il est patent de souligner que les dispositions de l’état d’urgence sont en violation avec la Constitution algérienne et avec le pacte international ratifié par l’Algérie.
Confirmez-vous le fait qu’aucun agrément n’a été délivré, depuis quelques années, à un parti politique ni à un syndicat ni même à une association à caractère national ?
Effectivement, nous constatons que, depuis quelques années, aucun agrément n’a été délivré par les autorités habilitées aux partis politiques, syndicats ni aux associations à vocation nationale.
Il faut signaler que le ministre de l’Intérieur a été clair à ce sujet, ce qui prive les Algériens de s’associer librement avec d’autres pour créer des partis, associations ou syndicats. Cette attitude est décryptée comme un mépris de la Constitution et des engagements internationaux de l’Algérie A cet effet, il est essentiel de souligner que l’article 22 du pacte international relatif aux droits politiques et civils précise que toute personne a le droit de s’associer librement avec d’autres, y compris le droit de constituer des syndicats et d’y adhérer pour la protection de ses intérêts.
En plus, la transition démocratique exige l’ouverture du champ politique à tous les citoyens et, partant, le sort d’un parti politique ne doit pas être du ressort du ministère de l’Intérieur, mais plutôt de celui des électeurs à travers les urnes.
Comment jugez-vous l’attitude des agents de sécurité dans les commissariats et brigades de gendarmerie, notamment en ce qui concerne l’inviolabilité de l’intégrité physique ou morale ?
Nous enregistrons fort heureusement une nette progression en matière de respect du citoyen et de son intégrité physique au niveau des commissariats et brigades de gendarmerie.
Néanmoins, des pratiques de ce genre persistent au niveau de certaines casernes et, à ce titre, il est regrettable que les parquets ne jouent pas leur rôle pour plusieurs raisons, et ce malgré que le code de procédure pénale mette les agents de la sécurité sous la tutelle du procureur de la République.
Comment percevez-vous la situation dans les prisons algériennes, notamment la protection des droits des détenus, l’emprisonnement des mineurs… ?
La situation dans nos prisons s’est améliorée en matière de nourriture et d’hébergement.
Toutefois, les établissements pénitentiaires restent incapables de faire face à l’importance de la population carcérale à cause de la vétusté des infrastructures et du nombre important de prisonniers, ce qui crée des problèmes comme c’est le cas du jeune détenu qui s’est évadé de la prison d’El-Harrach.
Le problème dans la gestion des prisons appelle, du coup, à réfléchir sur le nombre élevé de récidives, d’où cette interrogation sur les conditions carcérales et la politique de réinsertion des prisonniers. Quant aux mineurs, il est aberrant de constater cette situation malgré l’existence dans les textes algériens de dispositions relatives à leur prise en charge.
En plus, il faut noter que les engagements internationaux de l’Algérie ne sont pas respectés. Bien évidemment, pour cette catégorie de la société, il faut former des juges spécialisés, aidés en cela par des psychologues.
Qu’en est-il des violences à l’égard des femmes ?
La violence subie par les femmes est devenue un phénomène.
Il faut dire que l’absence d’une culture sociétale ne permet pas aux femmes ayant fait l’objet de violence de se plaindre et de demander réparation, surtout lorsque cette violence est l’émanation d’un proche, un mari généralement.
La femme est toujours une victime-coupable et le gouvernement algérien n’a pas pu établir une stratégie pour la protéger contre toute forme de violence. L’Algérie demeure donc en retard en matière de protection des femmes.
Un mot sur une éventuelle révision de la Constitution ?
L’idée est bien sûr évoquée, mais le contenu de cette réforme évoquée par le président de la République n’existe pas, ce qui est, dès lors, difficile d’en parler.
On espère néanmoins que toute réforme ne touchera pas aux acquis démocratiques au risque de nous faire revenir à la situation d’avant 1989.
L’Algérie siège au Conseil des droits de l’homme (CDH) relevant des Nations unies. Comment cela est-il perçu par les ONG versées dans ce domaine ?
La charte des Nations unies commence par un gros mensonge : nous, peuples des Nations unies, mais en réalité il fallait écrire : nous, Etats des Nations unies.
En fait, on ne peut compter sur les instances onusiennes qui ont démontré leurs défaillances dans plusieurs affaires. Ceci étant, bien que l’Algérie siège au CDH, cela ne lui délivre guère de quitus pour violer les droits de l’homme et, à ce sujet, il est indéniable de souligner que l’Algérie est un pays où la violation des droits de l’homme est systématique.
S. B.