Contribution dans le cadre de l’Examen périodique universel

Contribution dans le cadre de l’Examen périodique universel

Alkarama for Human Rights, 20 novembre 2007

Résumé

L’Algérie, membre du Conseil des droits de l’homme à sa création pour une durée d’une année, a déclaré dans sa lettre de candidature être  » convaincue que la construction d’un Etat de droit et la promotion de la culture des droits de l’homme sont les éléments clés pour sa stabilité et sa prospérité ».

Il est vrai qu’après la répression sanglante des soulèvements des jeunes en octobre 1988 par l’armée, ayant causé la mort d’au moins 500 personnes, l’Algérie a mené une réelle ouverture politique. Basée sur une nouvelle Constitution, les libertés d’association et d’expression étaient consacrées. C’est à cette période que l’Algérie a ratifié les principaux instruments internationaux parmi lesquels le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Protocole facultatif (I), le Pacte inter-national relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et la Convention contre la torture.

Cette « récréation démocratique » fut cependant de courte durée puisque, sous prétexte de la victoire d’un parti présenté par le pouvoir comme antidémocratique (Front islamique du Salut, FIS), les premières élections législatives libres et transparentes qu’a connues le pays depuis l’indépendance étaient interrompues et le commandement de l’armée prenait de facto les rennes du pays le 11 janvier 1992. Le Président de la République a été contraint de démissionner, le Parlement a été dissous et la Constitution suspendue. Le 9 février 1992, l’état d’urgence était instauré et celui-ci est toujours en vigueur seize années après. Un décret antiterroriste définissant très largement les actes relevant de son champ d’application a été promulguée en septembre 1992. Bien que celle-ci ait été abrogée, ses principales dispositions répressives ont été intégrées dans le code pénal algérien parmi lesquels-les la durée de garde à vue étendue à 12 jours, le doublement des peines pour des actes qualifiés de terroristes, l’abaissement de la majorité pénale à 16 ans, etc.

Pendant près de trois ans, le pays n’a pas connu d’institutions constitutionnelles. Ce n’est qu’à partir de 1996 avec la nouvelle Constitution, qu’un semblant d’institutions démocratiques a été de nouveau mis en place. Celles-ci sont toutefois étroitement contrôlées par le commandement militaire, particulièrement par la direction des services secrets, le Département du Renseignement et de la sécurité (DRS), à travers une procédure dite  » d’habilitation « , par laquelle ce service contrôle toute la vie politique, économique et sociale du pays. Toute promotion ou désignation à un poste de responsabilité de l’administration ou de l’Etat doit obtenir l’aval du service du DRS.

Ce service peut également s’opposer à toute candidature à une charge élective, quelle qu’elle soit, même si la décision formelle de rejet est prise par le ministère de l’intérieur.

Ainsi, de nombreux citoyens issus de divers partis politiques, qu’ils soient de l’opposition ou même de la  » Coalition gouvernementale  » composée des trois partis qui soutiennent le président Bouteflika, (FLN, RND,HMS) se sont vus refuser le droit de présenter leur candidature lors des dernières élections locales ou parlementaires.

De même, tous les citoyens qui avaient été élus lors des élections communales de 1990 ou législatives de 1991 sur les listes du Front islamique du salut (FIS) ou simplement suspectés d’avoir mi-lité ou eu des sympathies pour ce parti ont vu systématiquement leurs candidatures- présentées pourtant par d’autres partis agréés- rejetées au motif de leur appartenance antérieure au FIS, les privant ainsi définitivement de toute participation à la vie politique du pays.

Sous couvert de lutte contre le terrorisme, de très graves violations des droits de l’homme ont été commises par l’ensemble des forces de sécurité et des milices mises en place par l’armée à partir de 1994. Des milliers de personnes ont été détenues administrativement dans des camps d’internement au Sud du pays, pour certaines d’entre elles, pendant près de 4 ans (officiellement ces camps ont été fermés fin 1995), des dizaines de milliers de personnes ont été arbitrairement arrêtées et détenues, la pratique de la torture avait un caractère généralisé et des dizaines de milliers de personnes ont été exécutées sommairement ou ont été victimes de disparitions forcées.

Il est nécessaire d’évoquer ce passé récent car les structures répressives et judiciaires mises en place à la suite de l’instauration de l’état d’urgence pour combattre l’opposition, qu’elle soit pacifique ou armée, sont toujours en place ; et, bien que plusieurs chefs d’Etat et de nombreux gouvernements se sont succédés depuis 1992 à la tête du pays, les principaux chefs du DRS sont restés inamovibles.

Bien que le nombre de victimes ait considérablement baissé ces dernières années, dans le cadre de ce que les autorités justifient par la lutte contre le terrorisme, les arrestations arbitraires, la détention au secret et la torture continuent d’être largement pratiquées.

Avec la Présidence de Abdelaziz Bouteflika depuis avril 1999, le pouvoir déclare avoir franchi une nouvelle étape : celle de la concorde civile, la paix et la réconciliation nationale. En réalité, les membres de groupes armés qui se sont rendus, ont, dans la mesure où ils ont collaboré avec les autorités, bénéficié de l’extinction totale des poursuites quels que soient les actes qu’ils ont commis et les membres des forces de sécurité ont bénéficié leur part d’une amnistie, puisque aucune plainte contre eux n’est légalement recevable. Bien qu’il ait été finalement contraint de reconnaître l’ampleur du phénomène des disparitions forcées, l’Etat algérien prétend régler définitivement la question par des indemnisations. Enfin, toute critique de l’Etat à l’intérieur ou à l’extérieur du pays est passible d’une condamnation pénale.

1. L’état d’urgence

Selon la Constitution algérienne, l’état d’urgence ne peut être décrété que pour une durée déterminée et ne peut être prorogé qu’après approbation du parlement. Instauré le 09 février 1992, il a été reconduit un an plus tard pour une durée indéterminée. Les autorités algériennes affirment que son instauration  » n’interrompt pas la poursuite du processus démocratique, de même que continue à être garanti l’exercice des droits et libertés fondamentaux « .(1) Or le Prof. Issad, juriste de renom en Algérie, qui avait été mandaté par le Président de la République pour diriger une enquête sur les évènements en Kabylie en 2001, a constaté que le dispositif mis en place confère aux autorités militaires des pouvoirs exorbitants et constitue un glissement de l’état d’urgence vers un véritable état de siège.

La confusion de l’arsenal juridique qui augmente l’importance des prérogatives de l’armée en-traîne des restrictions importantes des droits civils et politiques, notamment ceux garantis par le PIDCP. Le Comité des droits de l’homme constate dans ses dernières Observations que le dispositif d’état d’urgence  » se manifeste toujours (…) par la délégation des fonctions de la police judiciaire au Département du renseignement et de la sécurité « . Très concrètement, le gouvernement a décidé en juin 2001  » de suspendre jusqu’à nouvel ordre l’organisation de marche à Alger « . Cette interdiction est maintenue à ce jour.

2. Quelques éléments de l’arsenal juridique de répression

L’arsenal juridique en place actuellement en Algérie comprend, entre autres :

a) La définition donnée par le code pénal algérien des actes qualifiés de subversifs ou terroristes telle que reprise du décret relatif à la lutte contre la subversion et le terrorisme de 1992 dans les articles 87 et 87 bis du code pénal, permet une interprétation très large et restreint considérablement les droits et les libertés fondamentales.

b) La personne suspectée de lien avec un acte terroriste peut être gardée à vue pendant 12 jours, au secret, sans contact ni avec la famille, ni un avocat ou un médecin. Le droit au silence n’est pas reconnu.

c) Les peines prévues pour les actes qualifiés de terroristes ont été doublées par rapport à celles du code pénal initial.

d) La majorité pénale a été abaissée à 16 ans ce qui représente un écart notable par rapport aux normes internationales.

e) Les aveux soutirés sous la torture ne sont pas formellement interdits à l’usage des juridictions comme moyens de preuve.

3. La torture

Les personnes soupçonnées d’activités terroristes sont dans la majorité des cas arrêtées par les agents du DRS et maintenues en détention secrète pendant des périodes pouvant aller de quelques jours à plusieurs mois. Certains, à l’instar de Mohamed Fatmia et Mohamed Rahmouni, arrêtés le 6 juin et le 18 juillet 2007, ont disparu à ce jour.

Les personnes arrêtées sont encore systématiquement soumises à des tortures pendant la première phase de leur détention au secret, laquelle constitue en soi une forme de torture. Les méthodes les plus couramment employées à côté des coups, sont le chiffon, la suspension et les décharges électriques sur toutes les parties du corps. M’hamed Benyamina, ressortissant algérien demeurant en France a été arrêté lors d’un voyage qu’il effectuait en Algérie, et ce, sur demande des autorités françaises. Arrêté en septembre 2005, il a été détenu au secret pendant plus de cinq mois et a subi des tortures. Le Groupe de travail sur la détention arbitraire a constaté en novembre 2006 sa détention arbitraire. Mounir Hammouche arrêté le 23 décembre 2006 et détenu au secret est décédé sous la torture. La famille n’a, jusqu’à ce jour, pas pu avoir accès au rapport d’autopsie qui aurait été pratiquée selon les autorités.

Les aveux soutirés sous la torture sont consignés dans des procès-verbaux que les concernés doivent signer sans pouvoir les lire. Très souvent à la fin de leur détention au secret, ils sont contraints de signer une attestation dans laquelle ils doivent reconnaître avoir été bien traités. Rares sont les victimes qui osent ensuite faire état des tortures même devant le juge d’instruction.

La pratique judiciaire démontre que les tribunaux prennent largement en compte les procès ver-baux d’enquêtes préliminaires établis par les services de sécurité même si les accusés déclarent avoir été victimes de tortures et de mauvais traitements. Les détentions au secret durant des périodes prolongées permettent également d’effacer toutes traces de sévices.

4. Les Détentions arbitraires

a) La garde à vue est souvent prolongée au delà des 12 jours prévus par la loi et peut se prolonger jusqu’à plusieurs mois sans accès à une autorité judiciaire et sans possibilité de contact avec la famille ou un avocat.

b) Des personnes sont maintenues en détention secrète après l’annonce de leur arrestation pendant plusieurs années et sont condamnées par contumace sans comparaître devant une juridiction de jugement.

c) La détention provisoire dépasse très souvent le délai maximum de 16 mois (et de 20 mois lorsqu’il s’agit de crimes qualifiés de subversifs), sans que l’accusé ne soit présenté devant une juridiction pour qu’il soit statué sur son affaire. Ainsi, des personnes peuvent rester détenues de nombreuses années dans l’attente de leur jugement.

Malik Medjnoun, enlevé à Tizi-Ouzou le 28 septembre 1999 par des agents du DRS, torturé et détenu au secret au Centre Antar de Ben Aknoun durant plus de huit mois, n’a toujours pas été jugé. L’instruction de la procédure a été clôturée par un arrêt de renvoi devant le tribunal criminel de Tizi-Ouzou le 10 décembre 2000 et son affaire fixée devant la juridiction de jugement le 5 mai 2001. Elle a été renvoyée sine die depuis cette date. En dépit des constatations du Comité, violation par l’Etat algérien de l’article 7, des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 9 et des paragraphes 3 a) et c) de l’article 14 du Pacte, Malik Medjnoun n’est, à ce jour, pas encore jugé après presque 8 années de détention dont 8 mois au secret dans un centre du DRS.

5. Les Disparitions forcées

Il est bien connu que les services de sécurité algériens, tous corps confondus, agents du départe-ment du renseignements et sécurité (DRS), militaires, gendarmerie nationale, police, forces paramilitaires se sont livrés pendant près d’une décennie à une pratique massive et systématique d’arrestation arbitraire suivie de disparition de civils qui a fait 7’000 victimes d’après les estimations les plus modérées, et jusqu’à 20’000 selon certaines sources. Il s’agit d’une pratique coordonnée au niveau national, menée conformément à un modus operandi caractéristique et identifiable. Près d’un millier de cas ont été soumis par notre seule Organisation au Groupe de travail sur les disparitions forcées de l’ONU : Aucun de ces cas n’a à ce jour été clarifié par les autorités algériennes.

Le caractère systématique et généralisé des disparitions forcées en Algérie constitue, selon la dé-finition qui en est donnée par le droit pénal international, un crime contre l’humanité (article 7 du Statut de Rome et article 5 de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcée.)

Sir Nigel Rodley, expert du Comité des droits de l’homme, a d’ailleurs qualifié, à juste titre, au cours de l’examen du 3ème rapport périodique de l’Algérie lors de la séance du 23 octobre 2007, de crimes contre l’humanité cette pratique en Algérie.

Après plusieurs années de déni systématique, l’Etat algérien a été contraint de reconnaître l’existence de ce phénomène, en admettant officiellement 6146 cas imputables à ses agents mais en attribue la responsabilité à des dérapages individuels. L’Etat algérien refuse d’ouvrir des enquêtes sur ces crimes, de poursuivre pénalement et de sanctionner les auteurs en reprenant notamment le slogan « l’Etat est responsable mais non coupable ».

Dans le cadre des dispositions légales instituées par l’ordonnance dite de réconciliation nationale, l’Etat algérien prétend mettre un point final à la question de la responsabilité des auteurs de crimes notamment de disparitions forcées en instituant leur amnistie légale (Art. 45 de l’ordonnance). Les familles des victimes quant à elles sont invitées à demander des indemnisations, et, pour en bénéficier, doivent engager des démarches administratives et judiciaires humiliantes en attestant notamment que leur parent est décédé dans les rangs des groupes terroristes.

Les associations de familles de disparus, auxquelles les autorités ont refusé l’agrément administratif, continuent cependant, en dépit de la répression dont elles font périodiquement l’objet, de revendiquer leur droit de connaître le sort de leurs proches.

Les disparitions forcées n’ont pas totalement cessé avec l’arrivée à la Présidence de Bouteflika. Elles sont rares mais des cas continuent d’être enregistrés (voir les deux personnes citées ci-dessus, section 3). La dernière disparition forcée enregistrée par les ONG concerne Kamal Akkache, enlevé le 11 septembre 2007 vers 14 heures à Alger par des civils qui se sont présentés comme des agents du DRS. Depuis, la famille est sans nouvelles de lui.

6. Les Massacres et Exécutions sommaires

Au début des années 90 se déroulaient quotidiennement des exécutions sommaires dans les quartiers connus pour leur soutien au FIS. Lors de ratissages et bouclages de quartier par des militaires, gendarmes et forces spéciales, des dizaines de personnes étaient arrêtées. Elles étaient assassinées et leurs corps jetés sur la voie publique.

A partir de 1996, les massacres à grande échelle ont fait leur apparition. Ils ont atteint leur summum en 1997-1998 avec les tueries de Rais, Bentalha, Sidi Youcef, Relizane et autres lieux où durant une nuit des dizaines voire des centaines de personnes étaient tuées, souvent égorgées. Le gouvernement algérien a toujours refusé de mener des enquêtes sur les auteurs et les commanditaires de ces massacres, affirmant qu’ils étaient connus comme étant des membres de groupes terroristes. Or les rares procès de présumés coupables de massacres étaient iniques et expéditifs. Jusqu’à nos jours, les responsabilités n’ont pas été établies et de sérieux questionnements relatifs au rôle du DRS et de l’armée dans ces crimes de masse subsistent.

Le Comité des droits de l’homme a, dans ses constatations finales, réitéré sa demande de  » prendre toutes les mesures appropriées pour garantir que de graves violations des droits de l’homme portées à sa connaissance, telles que les massacres, tortures, viols et disparitions fassent l’objet d’enquêtes, et que les responsables de telles violations, y compris les agents de l’Etat et les membres des groupes armés, soient poursuivis et répondent de leurs actes « .

7. L’ordonnance d’application de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale

Sous prétexte de vouloir surmonter la « tragédie nationale » des années 90, des mesures dites de réconciliation sont préconisées. L’ordonnance promulguée en février 2006 viole cependant des principes élémentaires que l’Etat algérien s’est engagé à respecter :

a) Les membres de groupes armés s’étant rendus aux autorités bénéficient de l’exonération des poursuites ou de la diminution de peine (chapitre 2) s’ils n’ont pas commis de massacres, d’attentats à la bombe ou de viols. Dans ce cas, ceux déjà condamnés peuvent bénéficier d’une grâce. Mais l’application de ces mesures n’est pas transparente et est souvent discriminatoire.

b) Les membres des services de sécurité ayant commis de graves violations des droits de l’homme ne peuvent pas être poursuivis (art. 45). Toute plainte est déclarée irrecevable. Cette me-sure équivaut à une amnistie et est contraire au droit fondamental à un recours effectif institué par les textes internationaux.

c) Et finalement, toute déclaration, écrit ou autre acte interprété comme pouvant nuire à l’image de l’Algérie est passible d’une condamnation de trois à cinq ans de prison (art. 46). Cette disposition constitue selon le Comité des droits de l’homme une violation du droit d’expression.

Conclusion

Contrairement aux affirmations du gouvernement algérien, les différentes mesures préconisées par la loi dite de  » concorde civile  » ou par la  » Charte pour la paix et la réconciliation nationale  » n’ont pas contribué à surmonter le sentiment d’injustice produit par la situation d’impunité. De sur-croît, de graves violations telles que les disparitions forcées, la détention arbitraire et au secret et la torture continuent d’être relevées. Les autorités refusent à ce jour de reconnaître administrativement la majorité des associations de défense des droits de l’homme et en conséquence, n’accorde aucune attention à leurs travaux et revendications. Dans le cadre de l’examen du rapport universel, les Etats sont encouragés à  » procéder à des consultations de grande envergure au niveau national avec toutes les parties prenantes « . A notre connaissance, aucune organisation de défense des droits de l’homme indépendante n’a été consultée dans ce cadre.

 

(1) Troisième rapport périodique présenté au Comité des droits de l’homme de l’ONU le 22 septembre 2006. Les conclusions finales du Comité ont été rendues publiques le 1er novembre 2007.